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Leur société
Prisons : une réalité sordide
À peine nommé ministre de la Justice, Gérald Darmanin s’est démultiplié dans les médias pour faire assaut de démagogie sécuritaire.
Quand on se penche sur la réalité des prisons, les annonces tonitruantes peuvent être ramenées à leur juste proportion : celle d’une coquille vide faute de moyens.
À son arrivée au pouvoir en 2017, Macron avait promis de créer 15 000 places de prison pour lutter contre la surpopulation carcérale, qui faisait de la France l’un des pays européens aux conditions d’incarcération les plus indignes. Sept ans plus tard, on en est à peine à 4 500 nouvelles places et les prisonniers continuent de s’entasser dans des conditions dégradantes. Il est vrai que certains grands criminels, lieutenants de réseaux de trafic de drogue, parviennent à gérer leurs affaires depuis leur cellule. Ils le font d’autant plus tranquillement qu’ils sont souvent de véritables détenus modèles, chargeant d’autres prisonniers d’être leurs messagers, leurs relais téléphoniques et leurs livreurs. « En somme, on retrouve derrière les barreaux, la réalité de la rue : ce sont les petites mains qui se salissent, la hiérarchie intermédiaire qui fait tourner la machine, pendant que les vrais patrons restent loin de la rue et de la prison », résumait en 2019 un visiteur de prison qui se rendait régulièrement à celle de Villepinte, en Seine-Saint-Denis.
Côté surveillants, les syndicats soulignent que pour isoler « les 100 narcotrafiquants les plus dangereux » comme le promet Darmanin, il faudrait disposer de quartiers d’isolement. Or ceux-ci sont déjà pleins. Par ailleurs, maintenir un détenu isolé des autres signifie disposer de quatre surveillants pour l’accompagner dans chacun de ses déplacements, quand les syndicats estiment qu’il manque au bas mot 5 000 surveillants dans les prisons. Mais surtout, les associations d’aide aux détenus, et aussi des professionnels intervenant dans les prisons, soulignent l’inutilité, voire la nocivité de l’isolement. « On peut avoir l’illusion que l’isolement de détenus étiquetés particulièrement dangereux peut au moins protéger les surveillants ou les autres détenus. La vérité c’est qu’on ajoute de la violence à la violence, de la folie à la folie, parce que l’isolement peut rendre fous ceux qui ne l’étaient pas avant », témoigne un ancien détenu auprès d’une association.
Darmanin prétend également qu’avec lui à la Justice, « toutes les peines seront effectuées » et qu’il incarne la fin d’un prétendu laxisme. Mais d’après les propres chiffres du ministère de la Justice pour 2023, le nombre de détenus n’avait jamais été aussi élevé et la surpopulation était particulièrement importante dans les maisons d’arrêt, c’est-à-dire les prisons où se trouvent les personnes attendant d’être jugées ou condamnées à de courtes peines. Là, le taux d’occupation moyen dépassait les 141 %.
Parler de surpeupler encore plus les prisons ou d’en durcir les conditions d’incarcération profitera peut- être au crédit de Darmanin. Mais supprimer les trafics qui pourrissent la vie des quartiers, ou simplement freiner le développement de la violence, impliquerait de s’attaquer aux maux de cette société d’exploitation. L’État servi par Darmanin, avec ses prisons, ses tribunaux et ses policiers, est justement là pour la protéger.