Allemagne : les élections régionales et la montée de l’extrême droite04/09/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/09/une_2927-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Allemagne : les élections régionales et la montée de l’extrême droite

Lors des élections du 1er septembre en Saxe et en Thuringe, deux Länder de l’ex-Allemagne de l’Est, l’AfD (Alternative für Deutschland, extrême droite) a nettement progressé. Ces Länder ont beau ne totaliser que 6 millions d’habitants sur plus de 83 millions, ces résultats ont une portée nationale.

Les évolutions politiques sont souvent annoncées par ce qui se joue d’abord dans la partie orientale de l’Allemagne, la plus pauvre, toujours marquée par les conditions catastrophiques de la réunification de 1990.

L’AfD a recueilli entre 30 et 33 % des voix dans les deux Länder, mais avec une augmentation de près de 10 % en Thuringe par rapport à 2019. La CDU (droite), dans l’opposition au niveau national, se maintient à peu près et, dans les deux régions, CDU et AfD se partagent les premières places. La CDU n’est cependant pas tout à fait la même que sous Merkel : depuis que Merz, ancien dirigeant du fonds BlackRock, lui a succédé, il imprime à ce parti un cours plus ouvertement propatronal et très à droite.

Ce sont les partis de la coalition au pouvoir à Berlin, sociaux-démocrates du SPD, verts et libéraux du FDP, déjà faibles dans ces régions auparavant, qui ont subi une débâcle : à eux trois, ils totalisent autour de 10 % des suffrages. Le FDP n’a plus aucun représentant dans les deux Parlements ; le SPD du chancelier Scholz enregistre ses pires résultats. Autre signe de profond discrédit, 40 à 45 % des votants ont choisi des partis n’ayant jamais gouverné.

L’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), parti récemment fondé par une ancienne dirigeante de Die Linke (gauche radicale), a obtenu directement 11,8 % en Saxe et 15,8 % en Thuringe. Mais son succès se fait d’abord aux dépens de son ancien parti. En Thuringe, le seul Land qui était dirigé par Die Linke, ce parti s’est effondré, passant de 31 % à 13 % des voix.

Cette fois, c’est donc l’AfD qui arrive en tête en Thuringe, ce qui n’était jamais arrivé à un parti d’extrême droite, dans aucun Parlement régional. Pire, depuis sa création l’AfD n’a cessé de se droitiser, dénonçant l’arrivée d’un million de migrants en 2015 puis la pandémie de Covid-19, qui a entraîné une précarisation aggravée et une flambée de discours complotistes et anti-masques. Höcke, chef de l’AfD en Thuringe, multiplie les provocations et collectionne les condamnations pour usage de slogans nazis. Sa stratégie de surenchère permanente finit par banaliser un certain nombre de concepts révisionnistes, islamophobes, antiféministes. Ses succès entraînent des prises de position similaires dans d’autres partis : l’AfD n’a pas besoin d’être au pouvoir pour exercer son influence. Mais elle prend également position contre les livraisons d’armes à l’Ukraine.

Aux origines de cette nouvelle montée de l’extrême droite

La dégradation de la situation économique, les annonces de licenciements massifs, l’augmentation de la précarité, le rejet du gouvernement et de ses attaques envers le monde du travail, la guerre aussi alimentent la peur, un sentiment de danger et de frustration. L’élection est arrivée après un attentat qui a fait trois morts. AfD et CDU ont propagé l’image des migrants qui seraient des terroristes potentiels et réclamé plus d’expulsions. La ministre de l’Intérieur SPD a annoncé la suppression des prestations sociales pour certains demandeurs d’asile et a déclaré qu’elle voulait « parvenir à (...) expulser des criminels dangereux vers l’Afghanistan et la Syrie ». La crise, le protectionnisme qui se renforce, le manque de logements, les fermetures d’hôpitaux, tout cela est ainsi évacué puisqu’il suffit de montrer du doigt les étrangers.

Quant au BSW, il a été créé par plusieurs députés qui ont quitté Die Linke. Depuis des années, le positionnement nationaliste de Wagenknecht, sa manière de répéter qu’il faut limiter l’immigration, prétendument pour le bien des classes populaires, suscitaient des désaccords.

Ces aspects ont été présents dans sa campagne, mais ce qui a fait le plus de bruit est son exigence d’arrêter les livraisons d’armes à l’Ukraine, de refaire parler la diplomatie pour entamer des négociations de paix. Dans sa propagande, le BSW dénonce aussi la responsabilité de l’OTAN dans cette guerre, expliquant que l’argent public serait mieux utilisé pour la santé que pour des bombes. Le BSW refuse le stationnement en Allemagne de missiles américains de longue portée, et critique l’ambiance belliciste qui monte.

Il faut dire qu’au-delà d’un sentiment pacifiste réel, l’opposition aux livraisons d’armes reste forte, et c’est encore plus vrai pour cette guerre, car l’Allemagne compte deux à trois millions de personnes originaires de l’ex-URSS, auxquels il faut ajouter un million d’Ukrainiens arrivés depuis deux ans. Le BSW comme l’AfD s’appuient donc sur un sentiment populaire, en particulier à l’Est, et cela leur vaut d’être qualifiés d’« amis de Poutine » mais ne leur nuit certainement pas dans l’opinion.

Le jeu de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW)

Il y a donc bien des ressemblances entre le BSW et l’AfD. Les deux partis peuvent apparaître comme anti-système, et d’une certaine manière comme pacifistes, ce qui est un comble concernant l’AfD. Si le langage du BSW n’a rien à voir avec la haine véhiculée par l’AfD, les raisonnements nationalistes, qui reviennent à mettre en concurrence les travailleurs entre eux, se ressemblent fort.

En s’appuyant sur l’espoir de paix et en faisant des promesses sociales, sur les salaires, la taxation des fortunes, etc., le BSW a fait naître l’illusion, dans les classes populaires durement frappées par la crise, d’un gouvernement qui mènerait une politique en leur faveur. Il ne dit jamais comment de telles avancées pourraient être obtenues, jamais il n’évoque le fait qu’il faudrait pour cela modifier le rapport de force avec la classe possédante, et pour cause puisque, au lendemain de ces élections, il dit qu’il n’exclut pas de gouverner en commun avec plusieurs autres partis, dont la droitière CDU, qui a déjà offert tant de transfuges à l’AfD. C’est dire combien le BSW, tout comme bien sûr l’AfD, sont loin d’offrir une réelle perspective aux masses populaires victimes de la crise.

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