- Accueil
- Lutte ouvrière n°2674
- Bolivie : les difficultés d’Evo Morales
Dans le monde
Bolivie : les difficultés d’Evo Morales
Les opposants d’Evo Morales, président sortant et candidat à un quatrième mandat, l’accusent d’avoir fraudé pour gagner l’élection présidentielle.
Depuis la proclamation des résultats, les manifestations se sont multipliées, ainsi que les affrontements avec la police ou les partisans du gouvernement. Morales a finalement été déclaré vainqueur, mais a dû déclencher l’état d’urgence et appeler ses partisans à se mobiliser contre un « coup d’État ».
Ancien leader syndicaliste paysan, Evo Morales est parvenu au pouvoir en 2005 en s’appuyant sur une importante mobilisation populaire contre le pillage des multinationales étrangères. Dans ce pays, le plus pauvre d’Amérique latine, 26 compagnies étrangères, dont entre autres Total, Shell et Enron, accaparaient les riches réserves de gaz et aussi de pétrole.
Sans être un révolutionnaire, et il n’en a jamais revendiqué le titre, mais arrivant au pouvoir après plusieurs soulèvements populaires, notamment sur la distribution de l’eau, Morales imposa aux compagnies une renégociation des conditions d’exploitation des richesses énergétiques. Il ne les nationalisa pas, mais les obligea à céder à l’État bolivien une part bien plus importante de la rente qu’elles en retiraient.
Cette manne, en partie redistribuée dans des programmes d’alphabétisation, d’éducation ou de santé, a permis une amélioration de la vie des plus pauvres. Entre 2005 et 2019, selon des chiffres officiels, le taux de pauvreté a reculé de 59 à 35 %.
Cela a valu à Evo Morales une popularité indéniable parmi les classes populaires, et lui a permis d’être largement élu trois fois de suite.
Les classes possédantes n’ont jamais accepté le pouvoir de cet ancien producteur de coca, indien qui plus est. Dès son arrivée au pouvoir, elles se sont opposées aux réformes, mêmes les plus modestes, en faveur des classes pauvres. En 2008, elles proclamèrent la sécession des régions les plus riches du pays, notamment en gaz, y entretenant un climat de guerre civile contre les pauvres. Grâce à la mobilisation populaire et au soutien de l’armée, Morales mit fin à la sédition et renvoya l’ambassadeur américain qui l’appuyait financièrement. Cela ne l’empêcha pas de chercher ensuite un compromis avec les mêmes grands propriétaires qui l’avaient défié, favorisant l’extension de leurs gigantesques champs de soja au détriment de la forêt amazonienne.
Depuis, la chute des cours des hydrocarbures, en diminuant les ressources de l’État, a restreint la marge de manœuvre de Morales, qui a perdu peu à peu une partie de ses soutiens. Même un peu améliorées, les conditions de vie des classes populaires restent très dures. Le salaire minimum a triplé depuis 2006, mais il reste plafonné à 150 euros par mois, et le revenu moyen est presque dix fois inférieur à ce qu’il est dans le reste de l’Amérique latine. Le travail des enfants a même été légalisé dès l’âge de 10 ans. Après avoir favorisé une certaine redistribution de terres en faveur des communautés amérindiennes, Morales soutient désormais l’exploitation de mines jusque dans les zones où elles vivent. Quant aux campagnes, malgré une réforme agraire en 2006, 80 % des exploitations agricoles disposent de moins de 3 % des terres cultivées, tandis que 7 % des propriétaires accaparent 87 % des terres, les meilleures.
Déjà en 2011, face à la mobilisation populaire, Morales avait dû annuler la hausse de 80 % du prix des carburants qu’il venait de décider. Il a aussi perdu le référendum qu’il avait proposé en 2016 pour lui permettre de briguer un quatrième mandat, ce que la Constitution bolivienne interdit. Cela ne l’a pas empêché de se porter candidat cette année, mais une partie de sa base électorale ne l’a visiblement pas suivi puisque, d’après les résultats proclamés par son gouvernement, il l’emporterait avec 20 points de moins que lors du précédent scrutin, en 2014.
Même si les classes possédantes n’ont rien perdu lors de sa présidence, ce résultat a donné des ailes à tous ceux qui n’ont jamais accepté Morales et pour qui, malgré tout, il symbolise une victoire des pauvres et des Indiens : la droite conservatrice, les grands propriétaires, la petite bourgeoisie urbaine. Le candidat arrivé officiellement second à l’élection, et derrière lequel se rangent ceux qui parlent au nom des manifestants, Carlos Mesa, avait été vice-président lors de la répression féroce des manifestations de 2002. Puis, en tant que président, il avait ensuite cédé aux injonctions du FMI, et refusé de mettre en place la nationalisation des hydrocarbures demandée par la population. Si, avec Morales, les classes populaires n’échappent pas au joug du capital, elles n’ont que des coups à attendre de ceux qui veulent le faire tomber.