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- Lutte ouvrière n°2225
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Il y a 140 ans, le 18 mars 1871 : La Commune de Paris, le premier gouvernement de la classe ouvrière
À l'occasion de son 140e anniversaire, seules quelques lignes ont été consacrées à la Commune de Paris. Quelques lignes dans des journaux comme Le Figaro qui, à l'époque, crachait sa haine de classe, réclamant que tous ses membres « soient passés par les armes », ou quelques lignes d'un Delanoë qui, dans la présentation de l'exposition organisée à l'Hôtel-de-Ville de Paris pour la commémorer, réduit la Commune à un « gouvernement municipal », gommant ainsi son aspect révolutionnaire. Mais ce dont les tenants du capitalisme d'aujourd'hui, de droite comme de gauche, ne veulent pas se souvenir, est ce que fut avant tout la Commune : le premier pouvoir ouvrier, « la forme enfin trouvée sous laquelle il était possible de réaliser l'émancipation du travail », disait Karl Marx.
LA GUERRE AVEC LA PRUSSE ET LA CHUTE DE NAPOLEON III
Après la répression de la révolution de 1848, suivie du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851, le mouvement ouvrier avait fini par se reconstituer. Les ouvriers imposaient le droit de grève, s'organisaient dans des syndicats. En 1864 des militants ouvriers, convaincus de la nécessité de s'unir par-delà les frontières, créaient l'Association internationale des travailleurs à laquelle Marx et Engels allaient adhérer.
Le mécontentement contre le régime du second Empire provoqué par les conséquences de la crise économique de 1867 éclata à la nouvelle de la défaite des armées de Napoléon III dans la guerre contre la Prusse, le 2 septembre 1870, défaite qui le discréditait définitivement. La population parisienne imposa la déchéance de l'empereur et la proclamation de la République, le 4 septembre 1870.
Le Gouvernement provisoire de défense nationale, dirigé par le général Trochu, fut constitué, gouvernement conservateur, composé de quelques républicains. Si la population parisienne l'avait accepté, pensant nécessaire de défendre avant tout la « patrie républicaine », elle ne comptait pas laisser ce gouvernement sans contrôle. Les militants ouvriers de l'époque, membres de l'Association internationale des travailleurs, partisans du révolutionnaire Blanqui en particulier, commencèrent une campagne d'agitation pour le contrôler. Dès le 5 septembre, ils appelèrent à constituer des comités de vigilance dans chaque arrondissement, en élisant des délégués pour former un Comité central des vingt arrondissements.
Le 19 septembre 1870, commença le siège de Paris par l'armée prussienne, qui allait entraîner la famine. L'effervescence grandissait dans les quartiers ouvriers et les clubs se multipliaient. Un témoin décrivait ainsi les réunions à Belleville : « Trois mille personnes, parmi lesquelles beaucoup de femmes, réunies dans un même sentiment de fraternité et d'espérance. (...) Tout démontre combien le socialisme s'est emparé des imaginations et des coeurs parmi les classes laborieuses. »
La classe ouvrière était en armes grâce à l'ouverture de la Garde nationale à tous les citoyens, sans distinction sociale, après les premiers revers dans la guerre contre la Prusse en août 1870, et la formation de bataillons organisés sur la base des quartiers.
Le gouvernement ne tarda pas à montrer qu'il craignait bien plus ce prolétariat en armes que les Prussiens. Après les journées des 31 octobre 1870 et 22 janvier 1871, durant lesquelles l'opposition entre gouvernement et ouvriers éclata au grand jour, les politiciens bourgeois, monarchistes comme républicains, sentirent que, tant que les ouvriers resteraient armés, la domination des classes possédantes se trouverait menacée.
LE 18 MARS, LA COMMUNE DE PARIS
Il devenait urgent pour le gouvernement provisoire de signer l'armistice avec Bismarck, chef du gouvernement allemand. Il fut signé le 28 janvier 1871. Une des clauses prévoyait l'élection d'une Assemblée. Le 8 février cette élection, organisée à la va-vite à l'échelle du pays, donna une très forte majorité aux monarchistes, qui y gagnèrent près de 400 députés, contre 150 aux républicains. L'Assemblée, qui s'installa à Versailles pour se soustraire à la pression de la population de la capitale, désigna comme chef du pouvoir exécutif, Adolphe Thiers, un vieux politicien monarchiste.
Mais Paris avait conservé ses armes. La Fédération de la Garde nationale, qui avait pris l'habitude de réunir les délégués au coeur du quartier très populaire du Temple, organisa des élections à un Comité central avec ce programme : « Nous sommes la barrière inexorable élevée contre toute tentative de renversement de la République. Nous ne voulons plus d'aliénations, plus de monarchies, plus de ces exploiteurs, ni oppresseurs de toute sorte. » Le Comité central, composé de 38 membres dont 21 ouvriers, définitivement élu le 15 mars 1871, entendait se conduire comme un second gouvernement, ouvrier.
Pour l'Assemblée, cette « anarchie » était intolérable. Thiers n'eut plus qu'une obsession : désarmer les ouvriers parisiens. Le 18 mars, il envoya des troupes à Montmartre avec l'ordre de reprendre les 271 canons et 146 mitrailleuses appartenant à la Garde nationale, pour l'achat desquels le peuple s'était cotisé. La tentative se heurta à la résistance de la population. Le gouvernement de Thiers se réfugia alors à Versailles, avec ses troupes, sa police, ses fonctionnaires et une grande partie de la bourgeoisie parisienne, dont beaucoup avaient déjà fui durant le siège. Les ouvriers devenaient, de fait, maîtres de la ville.
« L'OEUVRE PREMIERE DE LA COMMUNE, CE FUT SON EXISTENCE MEME » (KARL MARX)
Le 26 mars, des élections étaient organisées dans chaque arrondissement pour désigner un nouveau Conseil municipal, une nouvelle Commune. Pour organiser son pouvoir, la population parisienne utilisait tout naturellement les structures municipales. Mais elle allait leur donner un contenu révolutionnaire.
Les membres de la Commune, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville, étaient pour la plupart des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. Parmi ses 83 membres, on comptait ainsi trente-trois ouvriers, quatorze employés, des blanquistes comme Ferré ou Rigault, ou des membres de l'Internationale tel Varlin. Le 28 mars, le Comité central de la Garde nationale qui jusqu'alors avait exercé le pouvoir, le remit à cette Commune élue.
Ces élus étaient responsables devant leurs électeurs et révocables. L'armée permanente, instrument dans les mains des classes dominantes, était dissoute et remplacée par l'armement général du peuple. Tous les fonctionnaires, y compris la police et les juges, étaient élus, responsables, révocables et rémunérés du haut en bas de l'échelle par un salaire d'ouvrier. Les ouvriers entreprenaient la destruction de la machine de l'État bourgeois, la remplaçant par leur propre pouvoir, leur État.
En peu de temps, dans des conditions défavorables, car dès le début du mois d'avril les bourgeois versaillais allaient attaquer Paris, les travailleurs prirent nombre de mesures qui montraient le caractère complètement ouvrier de ce nouveau pouvoir. Ainsi, le 29 mars, la Commune décida la remise des loyers car « il est juste que la propriété fasse sa part de sacrifices ». Plus tard, le 12 avril, elle régla le problème des échéances commerciales, en décidant leur échelonnement sur trois ans, ce qui ralliait la petite bourgeoisie. Le 2 avril fut décrétée la séparation de l'Église et de l'État et la suppression du budget des cultes. L'instruction devenait laïque. Le 16 avril, la Commune ordonna un recensement des ateliers fermés par les fabricants et l'élaboration de plans pour donner la gestion de ces entreprises aux ouvriers qui y travaillaient jusque-là. Le 27 avril, elle décréta l'interdiction, dans les ateliers et administrations, des amendes ou retenues sur les salaires. Le 28 avril, elle abolit le travail de nuit des boulangers.
« À partir du 18 mars apparut, très net et pur, le caractère de classe du mouvement parisien, qu'avait jusqu'alors relégué à l'arrière-plan la lutte contre l'invasion étrangère », conclut Engels dans son introduction à La guerre civile en France.
La bourgeoisie ne s'y trompa pas. À Versailles Thiers reconstitua une armée avec l'aide de Bismarck, qui accéléra la libération des soldats français prisonniers. Le 21 mai les troupes versaillaises entraient dans Paris, avant de se livrer durant trois semaines à un terrible massacre. Il y eut 30 000 tués, 13 000 condamnations par les conseils de guerre, 7 500 déportés en Nouvelle-Calédonie. La répression toucha le quart de la population parisienne.
Mais, pour des générations de militants, la Commune avait montré ce dont la classe ouvrière était capable. Lénine disait en avril 1911 : « La cause de la Commune est celle de la révolution sociale, celle de l'émancipation politique et économique totale des travailleurs, celle du prolétariat de l'univers. Et en ce sens elle est immortelle. »