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Octobre 1911 : Quand l'Italie mettait la main sur la Libye
Coïncidence, c'est il y a cent ans, en 1911, que la Libye qui appartenait jusqu'alors à l'empire ottoman fut victime des appétits d'une puissance européenne, l'Italie, avide de se faire une place dans le partage colonial.
Les revendications italiennes sur la Libye remontaient au congrès de Berlin de 1878. En 1902, l'Italie et la France avaient signé un accord secret laissant à la France le Maroc et à l'Italie la Tripolitaine.
L'État italien entama une politique de pénétration économique à Tripoli avec le soutien du Banco di Roma lié en particulier au Vatican. Des entreprises apparurent, têtes de pont d'une conquête à venir. Le gouvernement ottoman basé à Istanbul tenta de contrecarrer cette expansion. La banque exerça alors des pressions pour que le gouvernement italien intervienne et protège ses investissements. Plusieurs associations nationalistes italiennes, mais aussi des intellectuels comme Gabriele d'Annunzio étalaient leurs rêves d'un retour à la « Rome impériale » et à ses conquêtes en Afrique.
En septembre 1911, la question de Tripoli fit l'objet d'une campagne dans la presse italienne. L'Italie cherchait un prétexte pour entrer en guerre. Le 25 septembre, l'empire ottoman envoyait vers la garnison turque de Tripoli un navire de matériel militaire. Le 26, l'Italie mit en place un blocus de la ville et lança un ultimatum de 24 heures, imposant la présence de ses troupes pour protéger le millier d'Italiens de Tripoli.
Le 29 septembre, sans même attendre la fin de l'ultimatum, le gouvernement italien, soutenu par Londres et Paris, déclarait la guerre à la Turquie. Le 2 octobre commençait le bombardement de la ville. Le 5 octobre, les troupes italiennes débarquaient à Tripoli. Le lendemain, elles envahissaient Tobrouk. Le 16, tombait la ville de Derna, puis Benghazi le 20 et Homs le 21. Bientôt, le contingent italien comptait 100 000 soldats sur place. Mais il se heurta à forte résistance.
Le 24 octobre, les positions italiennes autour de Tripoli étaient prises d'assaut à Chara'achat par des troupes arabes. Des soldats italiens furent massacrés. La riposte fut alors violente et féroce. Des milliers d'habitants de la région furent massacrés, ou déportés dans des conditions épouvantables dans des îles italiennes désertes où beaucoup allaient périr.
Des officiers « jeunes turcs » réagirent contre l'invasion italienne. Plusieurs d'entre eux, dont Mustafa Kemal, se rendirent secrètement en Libye, formèrent des milliers de recrues notamment parmi la population arabe. Les quelques centaines de combattants du début furent bientôt près de 60 000. L'avance italienne fut stoppée. Le commencement de la guerre des Balkans en 1912 obligea l'empire ottoman à ramener ses troupes en Europe, et on aboutit en octobre 1912 à la signature du traité d'Ouchy. La Tripolitaine fut abandonnée à l'Italie, qui devait rendre aux Ottomans les îles qu'elle occupait, mais n'en fit rien.
On estime que sur les 700000 habitants que comptait la Libye, près d'un quart moururent entre 1911 et 1914. Ce qui n'empêcha pas, en 1915, une nouvelle grande révolte arabe de s'étendre dans tout le pays, posant de sérieux problèmes aux troupes occupantes.
L'arrivée du fascisme en Italie accéléra la conquête coloniale. Mussolini, socialiste avant la guerre de 1914 et alors farouche opposant à l'invasion impérialiste de Tripoli, expliquait désormais que « l'impérialisme est la loi éternelle et immuable de la vie ». Il lança une entreprise de colonisation de la Libye.
Pour venir à bout de la partie de la population arabe qui continuait de résister, l'État italien eut recours à des représailles impitoyables contre la population locale accusée d'appuyer la rébellion. Comme l'expliqua le général Graziani, maître d'oeuvre de la répression : « Si les Libyens ne se convainquent pas du bien-fondé de ce qui leur est proposé, alors les Italiens devront mener une lutte continuelle contre eux et pourront détruire tout le peuple libyen pour parvenir à la paix, la paix des cimetières ». Plus de trente chefs de la rébellion furent déportés en Italie.
En 1930, la lutte ne continuait plus qu'en Cyrénaïque, où résistait encore le chef de la guérilla, Omar Al-Mokhtar. Celui-ci fut capturé le 11 septembre 1931 et pendu le 16 devant 20 000 Libyens qu'on avait fait venir en foule.
La colonisation italienne allait durer jusqu'en 1947, date à laquelle elle fut relayée par une administration britannique, avant l'indépendance en 1951. On comprend cependant que cette féroce entreprise coloniale ait laissé de cuisants souvenirs. En août 2008, en échange du contrôle des départs d'immigrants clandestins vers l'Europe par le régime de Kadhafi, Berlusconi a signé avec celui-ci un « accord de coopération » prévoyant 5 milliards d'euros de dédommagement à la Libye pour les « blessures causées par la colonisation italienne ». Ces milliards devaient surtout être dépensés sous forme de commandes à des entreprises italiennes.
La facture de la colonisation est donc encore bien loin d'être soldée.