- Accueil
- Lutte ouvrière n°2175
- Il y a cent ans : La première loi sur les retraites ouvrières et paysannes
Leur société
Il y a cent ans : La première loi sur les retraites ouvrières et paysannes
Il y a cent ans, le 5 avril 1910, était promulguée la « loi des retraites ouvrières et paysannes », premier régime de retraite obligatoire des salariés en France. Entrée en application le 3 juillet 1911, la loi concernait tous les salariés dont le revenu annuel ne dépassait pas 3 000 francs, soit à l'époque la quasi-totalité des ouvriers et beaucoup de petits employés.
Le régime était financé par les cotisations - obligatoires - des salariés et des patrons. Ces cotisations, versées sur un livret individuel d'épargne, étaient gérées par un fonds de retraite, selon la méthode de la capitalisation. L'âge légal de départ à la retraite, d'abord fixé à 65 ans, fut abaissé en 1912 à 60 ans.
À la veille de 1910, seuls les fonctionnaires - militaires, postiers, agents du Trésor, personnels de l'instruction publique - et les salariés de certaines grandes entreprises pouvaient prétendre à une pension de retraite, maigre et souvent aléatoire. Un certain nombre de sociétés avaient en effet créé leurs propres régimes de retraite. Ces régimes privés de « protection sociale » étaient, pour les patrons, un moyen de s'assurer de la stabilité de leur personnel, de sa discipline, voire de sa docilité, à moindres frais. Au moment de l'adoption de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, ces régimes concernaient moins de 5 % des ouvriers du secteur privé.
UN PROJET DE POLITICIENS BOURGEOIS
Ce ne fut pas le mouvement ouvrier par ses revendications qui, dans les premières années du 20e siècle, mit la question des retraites ouvrières à l'ordre du jour, mais des politiciens de l'aile la plus à gauche des républicains bourgeois. À la fin du 19e siècle et dans les premières années du 20e siècle, ces politiciens firent de la retraite ouvrière l'un de leurs chevaux de bataille électoraux. Il s'agissait de concurrencer, sur leur terrain, socialistes et syndicalistes, dans un contexte de développement des luttes revendicatives et de progression de l'influence des idées socialistes.
La retraite n'était pas une revendication prioritaire du mouvement ouvrier qui, à l'époque, se battait pour la journée de huit heures de travail et pour des salaires qui permettent aux travailleurs et à leurs familles de subvenir à leurs besoins, y compris pour leurs vieux jours.
Une trentaine de projets de retraite ouvrière avaient été proposés entre 1890 et 1905. Celui qui fut adopté en 1910, après cinq ans de débats au Parlement, fut considérablement aménagé par des parlementaires qui voulaient en réduire le coût pour le patronat.
Le montant des cotisations - identique pour les ouvriers et les patrons - avait été fixé à un niveau très faible : il représentait entre 0,30 % et 1 % du salaire. Et les travailleurs ne pouvaient espérer toucher que des pensions dérisoires - même s'ils avaient cotisé sans interruption jusqu'au bout, ce qui était rien moins qu'assuré. La loi prévoyait bien la garantie, financée par une contribution de l'État, d'un minimum de pension de 100 francs annuels, attribué à tous ceux qui, par le seul jeu de la capitalisation des cotisations, n'arriveraient pas à ce montant. Mais ce montant équivalait, par jour, à la valeur de... trois oeufs.
SYNDICALISTES ET SOCIALISTES REVOLUTIONNAIRES DENONCENT « L'ESCROQUERIE DES RETRAITES ».
La CGT (née en 1895) appela les ouvriers à refuser la loi. Elle dénonçait le principe de la cotisation ouvrière, prélèvement opéré par leur patron sur leur salaire, comme un vol de plus. Elle dénonçait aussi la fixation de l'ouverture des droits à un âge trop tardif, alors qu'à l'époque seulement 12 % de la population française, toutes catégories sociales confondues, vivait au-delà de 60 ans, et 8 % au-delà de 65 ans. La proportion des ouvriers atteignant ces âges était évidemment beaucoup plus faible. « Avec la loi actuelle, expliquait un tract de la CGT, 94 ouvriers sur 100 vont verser pour ne jamais rien toucher. Ce que nous réclamons, c'est une retraite pour les vivants, non pour les morts .»
À la veille de l'adoption de la loi, la CGT mena campagne contre « l'escroquerie des retraites ouvrières ».
La SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière), qui regroupait depuis 1905 l'ensemble des tendances socialistes, des plus réformistes aux plus révolutionnaires, se prononça majoritairement, avec Jaurès, pour le vote de la loi. Mais les opposants comme Paul Lafargue et Jules Guesde qui, à l'intérieur du Parti Socialiste, dénonçaient, avec la CGT, l'escroquerie de la loi sur les retraites ouvrières, ne désarmèrent pas. Au Parlement, Jules Guesde proposa un amendement supprimant « tout prélèvement sur les salaires ouvriers » et son remplacement par « des impôts spéciaux n'atteignant que les privilégiés du capitalisme industriel et terrien ». Son amendement ne fut pas voté. Il fut le seul député du groupe socialiste à l'assemblée à voter contre la loi.
UN PROJET MORT EN BAS AGE
La loi des retraites ouvrières et paysannes fut un échec. Dès 1912 l'obligation de cotiser - pour les patrons et pour les ouvriers - fut supprimée. C'était la principale revendication du patronat. À cette date, sur les 12 millions de salariés concernés, 2,5 millions seulement cotisaient.
Mais ce fut surtout la Première Guerre mondiale et la période de crise et d'inflation qui la suivit qui lui portèrent le coup de grâce. En 1927, un an avant le vote d'un nouveau régime de retraite obligatoire, le montant de la pension de retraite minimum, 100 francs, qui n'avait pas été réévalué depuis 1912, permettait d'acheter 150 grammes de pain blanc ou la moitié d'un timbre-poste par jour. En dénonçant la loi sur les retraites ouvrières et paysannes comme une escroquerie, syndicalistes et socialistes révolutionnaires ne s'étaient pas trompés.
Le régime de retraite de la loi sur les Assurances sociales qui lui succéda, en 1928, lui aussi géré en capitalisation, ne fit pas mieux. Il fut remplacé, en 1945, par le régime de retraite par répartition de la Sécurité sociale encore en vigueur aujourd'hui. Il s'agissait, à l'époque, d'une sorte de compensation offerte aux travailleurs pour les sacrifices qui leur étaient imposés, sous prétexte de reconstruction de l'économie. Mais, compte tenu des durées de cotisation exigées pour toucher une pension complète, il fallut attendre pratiquement la fin des années 1960 et le début des années 1970 pour que le sort d'une partie des vieux travailleurs commence à s'améliorer, et ce ne fut pas pour longtemps. Au cours de la deuxième moitié des années 1970, marquée par les débuts de la crise économique, la montée du chômage commença à peser sur les ressources de la Sécurité sociale et se traduisit, sous prétexte de déficit des caisses de retraite, par les premiers plans d'économies sur le dos des retraités. Et ce ne devait être qu'un début.