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Grande-Bretagne : Corbyn reconduit, une claque pour la classe politique
Le congrès du Parti travailliste s’est ouvert le 24 septembre à Liverpool, dans les grincements de dents. Cause de cette mauvaise humeur : la réélection triomphale de Jeremy Corbyn, figure de proue de l’aile gauche du parti, à son poste de leader.
Rappelons qu’en septembre dernier Corbyn avait battu ses rivaux de la droite blairiste du parti, porté par une base écœurée du cours propatronal suivi par le parti depuis plus de deux décennies.
Mais cette élection n’avait rien changé à un appareil d’élus et de permanents tout dévoués à la politique passée du parti. Et tout le monde savait que les adversaires de Corbyn saisiraient le premier prétexte pour tenter de le déloger.
Dès le mois de juin, tirant prétexte de la victoire du Brexit et de la campagne jugée trop molle menée par Corbyn en faveur du maintien dans l’Union européenne, la majorité du cabinet fantôme de Corbyn donnait sa démission et le groupe parlementaire du parti adoptait une motion de censure à son encontre, par 172 voix contre 40. Suivant les statuts du parti, les conditions étaient réunies pour provoquer une réélection. Restait à trouver un candidat présentable. Plusieurs prétendants, trop compromis par leur passé dans l’ombre de Blair, durent se désister. Finalement, Owen Smith, un député aussi obscur qu’ambitieux, qui avait l’avantage de n’avoir été élu qu’en 2010, fut choisi pour s’attaquer à Corbyn.
Des calomnies aux manœuvres d’appareil
Les trois mois qui suivirent virent la montée en puissance d’une campagne haineuse, dans laquelle l’appareil du Parti travailliste, appuyé par l’ensemble de la classe politique et l’essentiel des médias, déversèrent leur venin sur Corbyn. Et cette fois-ci, on vit les directions de plusieurs syndicats importants jeter tout leur poids contre Corbyn, en particulier celles des syndicats des travailleurs manuels municipaux (3e syndicat du pays), de la distribution et de la sidérurgie. Tout y passa, de l’accusation de vouloir saborder le Parti travailliste et d’être l’instrument de mystérieux trotskystes, à celle d’antisémitisme ou de misogynie, et bien d’autres encore.
À cela s’ajoutèrent les invraisemblables manœuvres de l’appareil travailliste. D’abord, il tenta d’empêcher Corbyn de se représenter. Ayant échoué, suite à un arrêt de la Haute Cour, il se lança dans une véritable purge. Plus de 3 000 adhérents furent suspendus sous les prétextes les plus fantaisistes : certains pour avoir critiqué le soutien donné par leur député à Smith, d’autres même, comme le leader du syndicat des industries de la boulangerie, pour avoir exprimé un soutien trop enthousiaste à Corbyn sur Twitter. À Bristol, grande ville du sud-ouest, la purge alla même jusqu’à priver le parti de sa majorité au conseil municipal ! Pour faire bonne mesure, l’appareil interdit aux sections locales de se réunir avant la fin du vote, sous peine de suspension.
Restait à éliminer les sympathisants qui, lors de la précédente élection, avaient pu voter pour Corbyn pour la somme modique de 3,60 livres. Les quelque 130 000 sympathisants qui s’étaient fait enregistrer dès le début de la campagne durent se réenregistrer sur Internet entre le 18 et le 20 juillet et payer cette fois 30 livres, le but étant, bien sûr, de multiplier les obstacles devant les partisans de Corbyn.
La victoire de Corbyn
Au bout du compte, rien n’y aura fait, ni les calomnies ni les magouilles d’appareil. Une fois le décompte terminé, Corbyn est sorti vainqueur avec une majorité renforcée de 62 % (313 209 voix) contre 59,5 % (251 417) l’an dernier. Fait plus significatif encore, Corbyn augmente son score en valeur absolue et relative parmi les adhérents directs du parti (+46 000 voix) et parmi ceux qui en sont membres au travers de leur syndicat (+19 000 voix), alors qu’il perd près de 4 000 voix (-14 %) parmi les sympathisants.
En fait, tant la véritable haine qui s’est déversée sur Corbyn que le souci carriériste évident de la plupart des élus travaillistes ont suscité l’indignation de bien des travailleurs, non seulement dans le milieu travailliste mais également au-delà. Que cette indignation, qui correspond à un certain sentiment de classe, se soit exprimée aussi clairement ne peut être une mauvaise chose pour la classe ouvrière, face au jeu politicien de ceux qui prétendent parler en son nom.
Il n’en reste pas moins que, avec ou sans Corbyn à sa tête, le Parti travailliste demeure ce qu’il est depuis plus d’un siècle : un parti bourgeois à qui les illusions de la classe ouvrière servent de tremplin pour mieux servir le grand capital. En Grande-Bretagne comme ailleurs, le problème de la construction d’un véritable parti ouvrier, communiste et révolutionnaire, reste posé.