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Dans le monde
Grèce : Qui a profité de la dette ?
Pourquoi la Grèce s'enfonce-t-elle dans la crise ? Certains commentateurs ont une explication toute simple : si tout va mal, c'est parce que, du chauffeur de taxi au gros entrepreneur, « les Grecs » ne payent pas leurs impôts !
On estime en effet que 20 à 30 milliards d'euros auraient échappé au fisc grec en 2009. Mais si la fraude est un sport national comme l'affirment les médias, c'est avant tout un sport de riches.
En tête on trouve des fraudeurs légaux : les armateurs. Leur flotte, malgré les vicissitudes liées à la crise, reste la première du monde (près de 16 % du tonnage) ; elle est immatriculée à Chypre ou dans différents paradis fiscaux, ce qui est parfaitement autorisé par la Constitution puisque « c'est une activité économique qui n'a pas de frontière ». En réalité tous leurs comptes, y compris les avoirs en Grèce, jouissent d'un statut d'extraterritorialité et le fisc ne peut les contrôler. De toute façon, leurs économies ont pris le large depuis longtemps... vers la Suisse. En 2010, on estimait les biens de l'héritière Onassis dans les coffres helvétiques à trois milliards de francs suisses, soit 2,45 milliards d'euros, et ceux du clan Latsis à six milliards de francs suisses, près de cinq milliards d'euros.
À côté d'eux, un autre mauvais payeur est, lui, à portée de main du fisc : c'est l'Église grecque. Même s'il est très difficile d'estimer la valeur exacte de ses biens et de ses revenus, on sait qu'elle est le plus gros propriétaire foncier du pays, en bois, en forêts et en pâturages. Elle possède à Athènes plus de 300 biens immobiliers, des participations à de grosses entreprises et elle reçoit des dons. Le gouvernement Papandréou a décidé de remettre en vigueur la taxation un peu « oubliée » de ses revenus, en réclamant 20 % sur les biens fonciers, 10 % sur les legs immobiliers et 5 % sur les dons en espèces. Seuls les monastères du mont Athos, pourtant fort riches, échappent à ces taxes en vertu d'un statut spécial. Le rétablissement de l'impôt a déclenché la colère de la hiérarchie ecclésiastique et la récente demande de la Banque de Grèce d'avoir accès à ses fonds de réserve l'a ulcérée : « Nous n'aurons même plus de quoi acheter un cierge », déclarait un prêtre dans une interview. En attendant, c'est l'État qui paie les prêtres en question et c'est l'Église qui a récupéré pour une bouchée de pain une partie des bâtiments des jeux Olympiques laissés à l'abandon !
Quant aux grandes entreprises, elles ont tous les moyens d'échapper aux contrôles, et le fisc les a toujours ménagées, au nom de la défense de l'emploi. Le syndicat PAME, proche du Parti communiste, affirmait en mai 2010 que « l'évasion fiscale connue des 6 000 grandes entreprises » se montait à 15 milliards. Pourtant elles ne se portent pas si mal, malgré la crise. Dans le bâtiment, le groupe Aktor vient de remporter un gros contrat pour la construction d'une banque au Qatar et a un carnet de commandes de près de trois milliards d'euros. Le capitalisme grec a beau ne pas être le plus puissant en Europe, dans les Balkans ou au Moyen-Orient il remplit ses coffres.
En fait il n'est évidemment pas question pour l'État grec de faire payer les grands capitalistes du pays. Ce sont pourtant eux qui se sont enrichis, par exemple lors des grands travaux engagés pour les jeux Olympiques d'Athènes, sans que cela ait de réelles retombées pour l'économie du pays. C'est pour alimenter leurs profits que la dette du pays a gonflé démesurément.
En revanche ceux qui ne peuvent pas faire autrement que payer leurs impôts sont les salariés qui, en plus, payent la crise par la baisse des salaires, la hausse de la TVA, qui pèse très lourd sur les petits budgets et par le chômage : dans le public, des dizaines de milliers de postes, essentiellement précaires, ont été supprimés et, dans le privé, on estime que 250 000 emplois pourraient avoir disparu fin 2011.