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- Lutte ouvrière n°2217
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Dans le monde
Bourguiba et Ben Ali : De l'indépendance de la Tunisie à la dictature
La fuite de Ben Ali met fin à 23 ans de sa dictature directe. Mais sa carrière avait commencé bien plus tôt, comme premier policier de Tunisie face aux soulèvements populaires dès les années 1970, sous le régime de son prédécesseur, Bourguiba. Ce dernier avait alors définitivement perdu l'auréole dont il avait longtemps bénéficié comme « père de l'Indépendance » depuis mars 1956.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la Tunisie était encore un « protectorat » français. Les travailleurs s'étaient mobilisés à plusieurs reprises mais la victoire leur avait échappé. La direction de leur syndicat, pourtant combatif, l'Union générale des travailleurs tunisiens, s'était placée au service du parti bourgeois nationaliste, le Néo-Destour de Bourguiba (« Destour » signifie « Constitution » en arabe). Bourguiba, contraint à plusieurs reprises à la clandestinité, à la prison ou à l'exil par les gouvernements français, avait acquis un prestige auprès des classes populaires dont il se servit une fois arrivé au pouvoir en mars 1956. Sa popularité était un atout aux yeux des riches Tunisiens soucieux de jouir tranquillement de leurs biens, mais aussi auprès du capital étranger car Bourguiba était considéré comme une garantie pour la sécurité des investissements. Ce calcul fonctionna durant deux décennies.
Cependant, la grande majorité de la population était maintenue dans la pauvreté. Avec la crise économique des années soixante-dix, le régime de Bourguiba, comme bien d'autres, accentua la pression sur ceux qui avaient déjà à peine le minimum pour survivre. Il s'agissait de préserver le train de vie de la bourgeoise autochtone et de rembourser rubis sur l'ongle les emprunts aux banques.
La première vague gréviste eut lieu en janvier 1978. À la réquisition des travailleurs des entreprises publiques par Bourguiba, le 25 janvier, répondit le lendemain une grève générale de plusieurs centaines de milliers de travailleurs, accompagnée de manifestations et d'émeutes. La répression, qui fit des centaines de morts et des milliers de blessés, fut le fait de Ben Ali, qui dirigeait alors la Sûreté nationale. Il avait reçu une formation militaire en France puis aux États-Unis. Il quitta ce poste en 1980, après qu'un groupe d'hommes armés eut réussi à s'emparer un temps de la ville minière de Gafsa, recueillant la sympathie et le soutien d'une partie de la population ouvrière.
En 1984, Ben Ali fut rappelé pour diriger à nouveau la Sûreté afin de mener une nouvelle répression. La population pauvre refusait alors une hausse brutale des prix d'articles de base : le pain, les pâtes, la semoule. Après avoir réprimé l'émeute, le pouvoir préféra renoncer aux augmentations : la force des travailleurs avait contraint le pouvoir à reculer.
Ben Ali était donc resté un homme de l'ombre jusqu'à ce qu'il renverse Bourguiba en septembre 1987. Il y eut pendant un temps des illusions sur une libéralisation du régime, d'autant que des hommes politiques faisant figure d'opposants signèrent un pacte avec le pouvoir. Mais Ben Ali n'allait pas tarder à les détromper. Ainsi par exemple, le nombre de lignes téléphoniques sur écoute passa de 200 à plus de 3 000, les effectifs de la police de 20 000 à 85 000 en 1999, date à laquelle la France elle-même en comptait 130 000 pour une population six fois plus nombreuse. Un quadrillage policier des quartiers fut mis en place, en plus de celui effectué déjà par le parti au pouvoir. La presse fut solidement muselée. Un simple reportage sur un cireur de chaussures pouvait être censuré, sous prétexte que sa diffusion aurait pu nuire à l'image de la Tunisie. Alors que de nombreux jeunes n'avaient pas de travail, les riches étalaient leur fortune, à commencer par la famille du dictateur, une mafia qui avait mis la main sur les activités les plus lucratives du pays.
Avec l'appui des forces de répression et des tribunaux, le régime a pu faire face aux émeutes qui ont éclaté en juillet 2008 dans la région de Gafsa. Mais la lutte des travailleurs et de la population tunisienne en aura finalement eu raison.