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Leur société
L'effet désastreux du mélange de la santé et de la rentabilité
« Incroyable », « invraisemblable »... Les mots ne manquent pas dans la bouche des ministres et autres responsables sanitaires pour qualifier le scandale du Mediator. Le vrai problème, c'est que les médicaments n'apportent pas seulement un effet thérapeutique, mais aussi des plus-values, et que le risque est donc grand de favoriser leurs ventes... Pour mieux soigner les profits.
LES ETAPES DU PARCOURS DU MEDICAMENT
Avant de devenir un médicament, un produit qui s'est montré efficace lors d'expériences au laboratoire doit être évalué chez l'homme. D'abord sur des volontaires sains, afin de tester les grandes lignes de sa tolérance et de son activité. Puis sur un petit nombre de malades, afin d'apprécier ne serait-ce que la dose optimale à administrer. Enfin, troisième phase des essais cliniques, sur un grand groupe de malades, afin de mesurer son efficacité et sa tolérance, de définir les précautions d'emploi, les interactions avec les autres médicaments, etc. À chaque étape, les essais sont conduits par des « experts » sous le contrôle de l'Afssaps, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Ensuite, le laboratoire dépose une demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès d'une commission de la même Afssaps. Là, en fonction du résultat des études précédentes, l'AMM est accordée si le médicament présente un rapport bénéfice/risque favorable, c'est-à-dire si le bénéfice qu'il apporte est plus important que les risques qui lui sont liés.
Puis, si le laboratoire souhaite un remboursement par la Sécurité sociale, il transmet un dossier à la Commission de transparence de la Haute autorité de santé, qui se charge de définir le service médical rendu (SMR) du médicament. Et c'est un organisme placé sous l'autorité du ministre de la Santé, le Comité économique des produits de santé, qui décide, en fonction de ce SMR, si le médicament sera remboursé et le niveau du taux de remboursement.
Enfin, pendant toute la vie du médicament, les professionnels de santé ont pour obligation de transmettre les éventuels effets indésirables qu'il provoque à la Commission nationale de pharmacovigilance, qui est une autre des commissions de l'Afssaps.
LES LIENS ENTRE LA REGLEMENTATION ET L'INDUSTRIE
Il ne manque donc pas d'organismes de contrôle et de suivi pour assurer la qualité du médicament, pas plus que celui-ci ne souffre d'un défaut de réglementation. Sauf qu'à chaque étape, des liaisons pour le moins dangereuses s'établissent entre l'industrie et les autorités sanitaires chargées du contrôle.
Ce sont les laboratoires, chacun pour ses propres produits, qui organisent les essais cliniques, qui recrutent et rémunèrent les médecins qui les conduisent. Ces experts se trouvent être tout à la fois juge et partie. En effet c'est en travaillant dans et pour les firmes pharmaceutiques qu'ils acquièrent leurs compétences et donc leur niveau d'expertise. Tour à tour en contrat avec un ou plusieurs laboratoires, pas nécessairement celui pour lequel ils conduisent une expertise à un moment donné, ils appartiennent de fait à l'industrie pharmaceutique.
Au sommet de chacun des organismes chargés du contrôle du médicament - et qui sont tous sous la tutelle du ministère de la Santé - les hauts responsables sont de grands commis de l'État passés par les cabinets ministériels. Et, à tous les étages, c'est un embrouillamini de relations avec l'industrie. Ainsi, au sein même des commissions qui délivrent les AMM et dans les groupes de travail qui s'en occupent, siègent systématiquement des représentants du syndicat patronal des firmes pharmaceutiques ! Et puis c'est une taxe sur le chiffre d'affaires de cette industrie qui finance l'Afssaps. Et c'est aussi cette industrie qui assure la formation médicale continue des médecins, qui soutient les revues spécialisées, etc. Elle est dans tous les rouages du système.
LES MOYENS D'Y REMEDIER ?
Le ministre de la Santé Xavier Bertrand promet qu'il va « changer radicalement le système »... C'est exactement avec les mêmes arguments que, en 1993, l'Agence du médicament (ancienne dénomination de l'Afssaps) a été créée. Il s'agissait alors, après le scandale du sang contaminé, de confier le contrôle du médicament à une « agence indépendante », au lieu du ministère de la Santé à qui il incombait jusque-là. On voit ce que cela a donné.
En fait, c'est le système économique tout entier qui est responsable. Un système où chaque laboratoire travaille dans le plus grand secret en concurrence avec tous les autres, parce que c'est le premier qui décrochera le brevet d'une découverte qui décrochera la timbale. Et la timbale est souvent si lucrative qu'elle vaut bien, de la part des industriels et des gouvernants, quelques arrangements avec la sécurité sanitaire et la santé des patients.
En 2006 Jean-François Dehecq, alors patron de SanofiAventis, le rappelait sans scrupule à la tribune d'une convention interne de l'UMP : « Vous les députés, vous adorez venir inaugurer mes centres de recherche et mes usines. J'aimerais que vous vous en souveniez quand vous êtes assis à l'Assemblée nationale, quand vous votez les lois. »