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Dans le monde
Russie : Affaires de dettes
Après l'effondrement du rouble en août 1998, les Etats occidentaux et les institutions financières internationales ayant ouvert des crédits à la Russie lui avaient octroyé une suspension du remboursement de ses dettes. Ils ne pouvaient agir autrement, l'Etat russe étant insolvable.
Un an et demi après, les finances publiques russes se sont un peu redressées du fait de ce moratoire, et surtout de la flambée des cours du pétrole dont la Russie est un des premiers exportateurs mondiaux. Du coup, ses créditeurs reviennent à la charge, à commencer par le principal d'entre eux, l'Allemagne.
Le chancelier Schröder vient d'annoncer que le Premier ministre russe Kassionov lui a proposé d'éteindre la dette russe à l'égard de l'Allemagne en échange d'actions des meilleures entreprises russes, en particulier le géant mondial du gaz, Gazprom. Schröder a eu l'air tout sauf ravi. Un quotidien russe, Kommersant, l'a présenté comme «venant de comprendre qu'il ne reverra plus son argent». Evidemment ! Quand ces crédits n'ont pas servi uniquement à subventionner les patrons occidentaux exportant vers la Russie, ils ont été détournés par les dirigeants russes au niveau central et régional. Et le plus connu d'entre eux, l'ex-président Eltsine, vient d'être absous par la justice russe d'un scandale financier dont l'accusait la Suisse.
Quant à la possibilité de «se payer sur la bête» - en reprenant des sociétés, comme le Premier ministre russe l'a proposé à Schröder - cela a de quoi sembler aussi peu sérieux aux capitalistes occidentaux que les perspectives de développement du «marché» russe qu'on leur avait fait miroiter. Car ils savent à quoi s'en tenir. Un journal anglophone, publié en Russie pour les hommes d'affaires occidentaux, a souligné le caractère irréaliste de la proposition de Kassionov, rapportant que «la capitalisation boursière totale des entreprises russes s'établit autour de 52 milliards de dollars, alors que la Russie doit à l'Allemagne 22 milliards de dollars». Si l'on y ajoute ce que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, le Japon et d'autres réclament à la Russie, celle-ci pourrait céder les actions de toutes ses entreprises... qu'elle resterait endettée.
Et surtout, l'Etat central russe n'a nul moyen de forcer les chefs des régions et les dirigeants des grands groupes étatisés ou privés à se départir de ce contrôle sur «leurs» entreprises qui permet à une foule de bureaucrates et d'affairistes russes de s'enrichir.
En outre, si d'aventure les créditeurs de la Russie parvenaient à se faire remettre ces entreprises, ils ne sauraient probablement pas quoi faire de la plupart d'entre elles. Car ils n'auraient pas plus de moyens que l'Etat central russe - et sûrement moins que lui - de contrôler à distance comment les autorités politiques et économiques locales géreraient leurs biens, c'est-à-dire continueraient à les piller. Quant à celles qui se verraient menacées d'être écartées de la poule aux oeufs d'or par les nouveaux propriétaires, elles pourraient chercher à se maintenir en selle en s'appuyant sur le mécontentement des travailleurs - comme cela se passe déjà dans certaines sociétés russes revendues à des groupes occidentaux.
Alors, c'est à la population travailleuse russe que les Kassionov, Poutine - et à travers eux, les Schröder et compagnie - vont continuer à présenter la note de ces dettes dont elle n'a jamais vu la moindre contrepartie.