Mars 1938 : l’Anschluss, un pas vers la Deuxième Guerre mondiale21/03/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/03/2590.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Mars 1938 : l’Anschluss, un pas vers la Deuxième Guerre mondiale

Le 12 mars 1938, les troupes allemandes franchissaient sans rencontrer de résistance la frontière de l’Autriche et celle-ci était intégrée au IIIe Reich. L’appareil d’État autrichien allait se mettre immédiatement au service du nazisme.

Dans les semaines précédant l’Anschluss, on avait comptabilisé 1 700 suicides parmi les secteurs de la population qui se sentaient menacés par la peste brune. Par la suite, les suicides qui eurent lieu ne furent pas recensés. Les persécutions contre la population juive ainsi que contre les minorités slaves se déchaînèrent immédiatement. De nombreuses arrestations d’opposants aux nazis eurent lieu, en particulier à Vienne, un nombre estimé au total à 70 000 personnes. Quant aux militants ouvriers qui croupissaient déjà en prison depuis des années, ils furent envoyés en camp de concentration.

Un mois plus tard, un référendum organisé dans tout le Reich avalisa le rattachement (Anschluss) de l’Autriche à l’Allemagne nazie. Les prêtres appelèrent en chaire à voter pour, mais le dirigeant social-démocrate Karl Renner, qui devait devenir en 1945 président de la Deuxième République autrichienne, en fit autant. La terreur fut telle qu’il y eut, en Autriche, 99,73 % de oui, bien plus que lors du plébiscite qui avait eu lieu en Allemagne en août 1934 : plus d’un an après la prise du pouvoir par les nazis, il y avait eu encore 10 % de non à Hitler.

Le régime de Dollfuss, fourrier du nazisme

Aujourd’hui, l’annexion de l’Autriche est le plus souvent mise sur le compte des seules velléités de conquête d’Hitler et du nationalisme allemand. Mais cette explication, bien insuffisante, permet surtout d’oublier que cette évolution n’était nullement inéluctable.

En novembre 1918, l’Empire vermoulu des Habsbourg s’était effondré et les différentes nationalités opprimées avaient pris leur indépendance. À Vienne et dans de nombreuses villes industrielles, des conseils ouvriers étaient apparus. L’appareil d’État était paralysé. La révolution sociale était à l’ordre du jour. Ce fut particulièrement le cas au printemps 1919, au moment où la révolution se développait aussi dans la Bavière et la Hongrie voisines. Avec le prolétariat allemand, la classe ouvrière autrichienne était une des plus organisées d’Europe. Dans cette Europe d’après-guerre en crise, elle aurait pu incarner une tout autre perspective que la nouvelle montée des nationalismes qui se préparait. Mais, au lieu de représenter une direction politique qui aurait la détermination nécessaire, la social-démocratie utilisa son poids considérable pour contenir la pression des masses.

Dès le danger révolutionnaire écarté, la bourgeoisie et ses représentants politiques se donnèrent l’objectif de « liquider les décombres révolutionnaires ». Concrètement, cela signifiait s’attaquer aux réformes qu’ils avaient dû concéder dans les années 1918-1920 pour éviter de tout perdre et donner à la social-démocratie les moyens politiques d’enrayer la poussée révolutionnaire. Au-delà, leur objectif était de s’attaquer aux traditions militantes qui existaient dans le prolétariat. Cela se traduisit en particulier par le renforcement de milices d’extrême droite s’attaquant aux militants ouvriers.

Nommé en mai 1932, le chancelier Dollfuss incarna au sommet de l’État cette volonté de répression. En mai 1933, il profita d’une crise parlementaire pour suspendre le Parlement, supprimer le droit de grève et de réunion, et interdire le Parti communiste. En février 1934, sentant l’affrontement imminent, les milices du Parti social-démocrate se lancèrent dans une insurrection. La direction du parti tergiversa, laissa les combattants sans directive et contribua à désorganiser l’action engagée. Dollfuss dut tout de même faire appel à l’armée pour venir à bout des militants ouvriers, qui tinrent quatre jours. Il y eut plusieurs centaines de morts. Le Parti social-démocrate fut dissous à son tour et ses militants pourchassés. Puis tous les partis furent éliminés et remplacés par un Front patriotique.

La voie était ouverte pour une évolution encore plus dictatoriale du régime. Le parti nazi, bien qu’interdit lui aussi, put se renforcer et occuper des positions dans l’appareil d’État. Dollfuss lui-même fut d’ailleurs assassiné, en juillet 1934, par un nazi autrichien.

Une Autriche allemande non viable

Dès lors, alors que les militants ouvriers étaient pourchassés et la classe ouvrière brisée, il n’y avait plus de force pouvant s’opposer à la montée de l’hitlérisme.

Hitler put aussi bénéficier de circonstances favorables, notamment auprès d’une partie de la population autrichienne, notamment dans les campagnes de ce pays encore majoritairement agricole, moins industrialisé que l’Allemagne. En 1938, avec un chômage en forte diminution, celle-ci pouvait sembler avoir surmonté la crise économique consécutive au krach de Wall Street de 1929, dans laquelle l’Autriche était encore largement plongée.

Le dictateur allemand pouvait aussi sembler répondre, à sa manière, à l’aspiration à l’unité. Après l’écroulement de l’Empire austro-hongrois, ce qu’on avait alors appelé l’Autriche allemande s’était retrouvée à la portion congrue, avec des frontières qui devaient fluctuer encore pendant deux ans et un isolement économique imposé par les vainqueurs. Conscients que le pays n’était pas vraiment viable, beaucoup d’Autrichiens étaient alors favorables au rattachement à l’Allemagne.

L’Assemblée nationale provisoire avait rédigé une Constitution déclarant : « L’Autriche allemande est une partie de la République allemande. » En 1921, les länder du Tyrol et de Salzbourg avaient voté à une quasi-unanimité (98 et 99 %) pour l’unification lors de référendums organisés dans ces régions. Mais les puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne, s’étaient fermement opposées à cette perspective, en particulier par le biais des traités de Versailles et de Saint-Germain.

La marche à la guerre

Face à l’Anschluss, aucune puissance ne protesta officiellement, sauf le lointain Mexique. Les mêmes qui s’étaient opposées à l’unification, en 1918, ne semblaient pas choquées que les nazis l’imposent par la terreur.

L’Autriche avalée, Hitler revendiqua le 12 septembre 1938 les Sudètes, une région peuplée de plus de trois millions d’Allemands que le partage de 1919 avait attribuée à la Tchécoslovaquie. Le 28 septembre, la conférence de Munich avalisa les desiderata du IIIe Reich. Elle réunissait Hitler, les représentants de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie, mais pas ceux de la principale intéressée, la Tchécoslovaquie ! Puis, au début de 1939, Hitler s’en prit au reste de ce pays, c’est-à-dire à des populations non allemandes, envahissant la Bohême-Moravie, occupant Prague le 15 mars et érigeant le territoire en protectorat. La Slovaquie autonome se déclara indépendante, pour se placer sous la protection de l’armée allemande. Quelques jours plus tard, à la suite d’un ultimatum, le gouvernement lituanien cédait la région de Memel à l’Allemagne. Il ne manquait plus que l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, en août 1939, pour que la Deuxième Guerre mondiale commence.

L’humanité s’enfonça alors à nouveau pour des années dans la barbarie. La responsabilité du nazisme et celle des impérialismes vainqueurs de la guerre de 1914-1918 étaient complémentaires et écrasantes.

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