- Accueil
- Lutte ouvrière n°2743
- Turquie : Erdogan face à la révolte étudiante
Dans le monde
Turquie : Erdogan face à la révolte étudiante
Le 9 février, une intervention militaire turque dans le nord de l’Irak s’est terminée par un fiasco pour le gouvernement Erdogan. Une fois de plus, celui-ci tentait de répondre à ses difficultés intérieures en se lançant dans une aventure militaire. Cette opération s’est retournée contre lui.
Le pouvoir voulait faire diversion face à la révolte d’une partie du monde étudiant. Depuis le début janvier, les 15 000 étudiants et les enseignants de la prestigieuse université du Bosphore, à Istanbul, manifestent. Utilisant ses pleins pouvoirs, le gouvernement Erdogan y a nommé d’autorité le nouveau recteur, Melih Bulu, membre du parti présidentiel AKP et ancien candidat non élu aux élections législatives. Or celui-ci n’a, selon les étudiants, ni les qualités ni le prestige attendus pour cette fonction. D’autre part, la tradition universitaire voudrait que ce soit les enseignants eux-mêmes qui choisissent leur recteur. Mais il est évident aussi que la protestation contre cette nomination cristallise l’opposition aux méthodes autoritaires du pouvoir.
Ces dernières années il y a eu d’autres cas similaires, qui n’ont généré que quelques protestations vite réprimées. Mais cette fois-ci la décision d’Erdogan ne passe pas dans une université qui, tout comme l’université du Moyen-Orient OTU à Ankara, fonctionne sur le modèle occidental, avec un enseignement en anglais et des traditions bien ancrées. Les étudiants, avec l’appui de leurs enseignants, ont protesté et occupé l’université. Le gouvernement a réagi en envoyant la police tenter de mater ces étudiants, immédiatement qualifiés de « terroristes », comme c’est le cas pour tout opposant. Cela n’a pas empêché l’occupation de continuer, accompagnée de manifestations dans divers quartiers. Des centaines d’arrestations ont eu lieu et des dizaines sont opérées chaque jour, même si souvent les étudiants sont ensuite rapidement relâchés.
Dans le contexte d’un mécontentement croissant, dans une Turquie qui s’enfonce dans la crise économique, le pouvoir a senti le danger. Cette protestation déterminée a le soutien d’une partie de l’opinion publique et, malgré une presse très contrôlée, sa popularité s’exprime sur les réseaux sociaux. Bien mieux, les étudiants de plusieurs autres universités de grandes villes, d’Istanbul à Ankara, Izmir ou Bursa, ont manifesté leur soutien, au risque d’être arrêtés eux aussi. La répression et les calomnies n’ont réussi ni à faire cesser le mouvement, ni à l’empêcher de rencontrer une sympathie croissante.
C’est face à cela qu’Erdogan a tenté une de ces diversions dont il est coutumier, même quand elles coûtent de nombreuses vies. Le 8 février, mobilisant les médias qu’il contrôle en presque-totalité, il a promis une grande nouvelle pour les jours suivants. Le lendemain, une importante opération militaire était lancée dans la région de Gara au nord de l’Irak, contrôlée par la guérilla kurde du PKK, qui y utilise certaines grottes comme prisons. Le but était d’attaquer par surprise pour libérer treize cadres de l’armée et des Renseignements généraux turcs détenus depuis plusieurs années par le PKK, et ainsi pouvoir annoncer une grande victoire militaire. En fait, l’opération a été un fiasco pour le pouvoir turc car, si une cinquantaine de membres du PKK ont été tués, les prisonniers ont été exécutés et trois autres militaires turcs tués. En guise de grande nouvelle, Erdogan n’avait à son actif qu’un désastre et a déchaîné les critiques.
La mesure d’autorité du pouvoir pour imposer son homme à la tête d’une université aura peut-être été la provocation de trop, alors que la crise met l’État turc au bord de la faillite et que l’inflation et le chômage rongent le pouvoir d’achat de la population. Les manifestations étudiantes, à partir d’un fait apparemment mineur, sont en train de démontrer que ni les arrestations continuelles ni les aventures militaires ne peuvent stopper l’expression du mécontentement. Bien d’autres pouvoirs politiques se sont cassé les dents sur une telle situation, et Erdogan et son régime sont peut-être en train de découvrir qu’ils ne sont pas éternels.