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- Lutte ouvrière n°2293
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Il y a quatre-vingts ans, le 5 juillet 1932 : Le début de la dictature de Salazar au Portugal
Le 5 juillet 1932, le Dr Antonio de Oliveira Salazar devenait président du Conseil au Portugal. Agé de 43 ans, ce professeur d'économie à l'université de Coïmbra était depuis quatre ans ministre des Finances. Son accession à la tête du gouvernement marquait pour le pays une nouvelle époque : la dictature de « l'État nouveau ».
Une république instable
La république avait été proclamée le 5 octobre 1910, mettant fin à une monarchie impopulaire, percluse de dettes, en butte aux conspirations républicaines, comme l'attentat qui en 1908 avait coûté la vie au roi et au prince héritier.
Le régime républicain hérita de toutes les tares de la monarchie, sauf qu'il était anticlérical et eut contre lui la puissante Église catholique. Dans ce pays peu industrialisé de cinq millions d'habitants, économiquement dépendant de la Grande-Bretagne, la dette publique et le coût de la vie ne cessèrent d'augmenter, aggravés à partir de mars 1916 par la participation à la guerre de 1914-1918. L'instabilité politique atteignit des sommets : de 1910 à 1926, 45 gouvernements, neuf présidents de la République, sept Parlements, nombre de coups d'État, de putschs militaires, d'assassinats politiques.
La république devait aussi affronter l'agitation d'une classe ouvrière peu nombreuse mais combative et concentrée dans les ateliers et les ports de Lisbonne et Porto. Les ouvriers avaient espéré que la république leur apporterait une vie meilleure. Elle leur imposa le livret ouvrier et fit la chasse aux syndicalistes. La déception s'exprima par des émeutes, comme la « révolte de la patate » contre la famine en mai 1917, et de nombreuses grèves, que les bourgeois républicains réprimèrent férocement.
Les grands propriétaires terriens, les banquiers et les industriels se regroupèrent en 1924 en une sorte de parti, l'Union des intérêts économiques, qui était soutenu par l'Église catholique et les officiers coloniaux, car le Portugal avait conservé ses colonies africaines, Mozambique, Angola, Guinée et Cap-Vert.
La faible bourgeoisie portugaise aspirait à un régime fort, comme le fascisme qui venait de s'imposer en Italie. Après une première tentative manquée en 1925, le putsch de mai 1926 mit au pouvoir le général Gomes da Costa, héros des guerres coloniales et des tranchées des Flandres.
La faillite des militaires
Ce régime militaire se heurta aux mêmes problèmes que la république parlementaire. Les tentatives de coups d'État se succédèrent. Au bout d'un mois, Gomes da Costa fut lui-même victime d'un putsch.
Les grèves et révoltes ouvrières ne cessèrent pas. Mais la classe ouvrière n'avait pas de politique propre. Ses organisations syndicales, d'inspiration anarcho-syndicaliste, ne s'intéressaient pas aux ouvriers agricoles des grandes exploitations des plaines d'Alentejo, les laissant sous l'influence des prêtres et des propriétaires. Par parti pris antipolitique, elles refusèrent de prendre position contre le coup d'État de Gomes da Costa. Les dirigeants socialistes, quant à eux, étaient compromis avec le Parti républicain, à qui ils avaient fourni des ministres. Le jeune Parti communiste, créé dans la foulée de la Révolution russe, était de toute façon très faible et ne revendiquait en avril 1929 qu'une trentaine de militants organisés.
Impuissants à juguler aussi bien l'opposition populaire que la faillite économique, en 1928, les militaires au pouvoir firent appel à un ancien et éphémère ministre des Finances, Salazar, en acceptant de lui donner les pouvoirs exceptionnels pour réaliser son programme de redressement économique.
La « réussite » de Salazar
Issu d'un milieu modeste de province, catholique dévot menant une vie d'une austérité monacale, Salazar entreprit de rétablir les finances en réduisant brutalement les dépenses de l'État, en créant de nouveaux impôts, en imposant à tous l'austérité. Toute nouvelle dépense devait avoir son autorisation. Dès 1929 il obtenait un budget en équilibre. Puis il mit à profit la crise économique mondiale et la quasi-autarcie du pays pour rembourser la dette extérieure et faire de l'escudo une monnaie stable et forte.
Il dut affronter plusieurs putschs militaires ou républicains, mais put les écraser en s'appuyant sur la Garde nationale républicaine, qui devint vite une armée-bis, dotée d'équipements lourds. Et surtout il développa la police, fusionnant les polices secrètes de Lisbonne et de Porto en une Police d'information du ministère de l'Intérieur. Cette police fut au service des patrons et des grands propriétaires terriens. Les grèves furent réprimées d'une main de fer, à la grande satisfaction de l'Union des intérêts économiques.
La mise en place de la dictature
Salazar avait atteint ses objectifs. Il prit alors officiellement, en 1932, la direction du pays. Son gouvernement réussit à concilier les intérêts de toutes les couches de la bourgeoisie, excepté les anticléricaux irréductibles, leur garantissant la paix sociale et les associant à l'exploitation des colonies. Il proclama son « État nouveau », corporatiste, d'inspiration catholique, qu'il fit approuver par référendum le 19 mars 1933.
Le régime gardait des apparences de démocratie, avec des élections, des candidats d'opposition, mais surveillés de près par la police, parfois assassinés. La presse était soumise à une censure préalable. L'opposition républicaine, en liaison avec des secteurs de l'armée, fit régulièrement des tentatives de coup d'État, sans succès.
C'est sur la classe ouvrière que la dictature pesa de tout son poids. Ses mouvements furent réprimés et les organisations interdites. Le Statut national du travail, inspiré de la Charte du travail de Mussolini, créa des syndicats officiels. En échange d'un prélèvement de 2 % sur les salaires, les chômeurs avaient droit à une indemnisation... six mois après leur inscription au commissariat du chômage. En mai 1934, cette « fascisation » des syndicats suscita une grève générale. Dans le centre verrier de Marinha Grande, les ouvriers emprisonnèrent la police et un « soviet » ouvrier contrôla la ville quelques heures, avant d'être écrasé.
Les militants ouvriers étaient les cibles de choix de la police secrète. Celle-ci prit en 1945 le nom de Police intérieure et de défense de l'État (Pide). Appuyée sur un vaste réseau de mouchards, elle arrêtait, torturait, assassinait. Les prisonniers allaient pourrir dans les bagnes africains, comme celui du Tarrafal dans les îles du Cap-Vert, où des centaines de militants moururent des fièvres, de malnutrition et de mauvais traitements.
Le régime de Salazar n'était pas isolé, dans une Europe en train de se couvrir de dictatures. Il mit à profit les conflits internationaux, soutint Franco en Espagne, fournit l'Allemagne hitlérienne en minerais stratégiques, recycla l'or volé par les nazis aux Juifs ou aux pays occupés, décréta un deuil national pour la mort de Hitler. Officiellement le pays resta neutre, commerça avec les deux camps, et se rallia finalement aux Alliés en leur concédant en août 1942 la base des Açores.
Cette dictature allait durer plus de quarante ans. En septembre 1968 une hémorragie cérébrale mit fin au pouvoir personnel de Salazar, qui mourut en 1970. Dirigé par Marcelo Caetano, le régime lui survécut mais, miné par l'arriération économique et les guerres coloniales, il succomba au coup d'État des « Capitaines d'avril » en 1974, la « Révolution des oeillets ».