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Ukraine : Un président élu au son du canon
Les dirigeants occidentaux ont donc bruyamment félicité l'heureux gagnant, le milliardaire Petro Porochenko, qui l'a emporté au premier tour avec 56 % des suffrages. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Poutine avait annoncé qu'il reconnaissait par avance celui que le scrutin désignerait. Enfin, là où il a pu se tenir. Car dans les républiques rebelles de Donetsk et Lougansk, bien des électeurs n'avaient nulle envie de participer à l'élection d'un président dont ils refusent l'autorité et qui fait tirer sur eux.
Le canon ne cesse de tonner dans l'Est depuis avril. À Donetsk, les combats ont fait une quarantaine de morts ces jours derniers parmi les miliciens prorusses et chez les militaires envoyés contre eux. Voilà cette « démocratie » que le nouvel élu incarnerait, à en croire les médias...
Se disant décidé à « briser le terrorisme » et à ne pas laisser le pays se « transformer en Somalie », Porochenko se veut un homme à poigne. Alors que depuis des mois le pouvoir central apparaît sans force et irrésolu, l'image que donne Porochenko a pu rassurer une partie de la population, y compris russophone. Elle a sans doute ainsi voté pour celui qui lui promettait de remettre de l'ordre dans le chaos et auquel s'était en outre ralliée la majeure partie de la caste dirigeante.
Car Porochenko est un pur produit de cette caste bureaucratico-affairiste. Milliardaire, il l'est devenu sur les ruines de l'Union soviétique, en bâtissant un groupe médiatique et commercial, sa firme Roshen inondant notamment l'ex-URSS en produits de confiserie industrielle. Comme ses comparses en affaires, Porochenko a bénéficié en cela du soutien des clans qui se sont succédé au pouvoir : il a flirté avec les dirigeants de la « révolution orange », mais a aussi soutenu le camp adverse. Il a participé à la création du Parti des régions du président déchu Ianoukovitch, dont il a été ministre de l'Économie. Personnage en vue du pouvoir précédent, il a apporté le soutien de sa chaîne de télévision aux manifestants du Maïdan, quand il apparut que le sort de Ianoukovitch allait basculer.
La plupart de ceux qui se sont le plus enrichis dans le pillage de l'économie, les oligarques, ont agi de même. Ils ont rallié les nouvelles autorités, et en sont même devenus les piliers à l'Assemblée, puis au gouvernement, à la tête des régions et maintenant à la présidence. Ils illustrent à leur façon la variante ukrainienne du « il faut que tout change pour que rien ne change » de fondamental.
En tout cas, pour les nantis, et au détriment de la population laborieuse, qu'elle ait un emploi misérable dans les mines de l'Est russophone ou qu'elle n'ait plus de travail dans l'Ouest ukrainophone. Les petites gens ne voulaient plus des oligarques voleurs et d'un régime corrompu. Eh bien, ils retrouvent la même engeance aux commandes. Mais cette fois, avec la bénédiction des grandes puissances impérialistes. Car elles escomptent déjà les bonnes affaires que ce pouvoir leur permettra de faire. Poutine, lui, va tenter maintenant de négocier avec Kiev la sauvegarde de certains intérêts de Moscou dans la région, après avoir bien montré qu'il laissait choir les bandes qui réclament qu'on rattache l'est de l'Ukraine à la Russie.
Porochenko dit qu'il ira dès que possible dans l'Est et qu'il accordera une large autonomie aux russophones. On verra. Mais ce que l'on voit, c'est que l'offensive de l'armée dans l'Est, qui ne ralentit pas, pousse toujours plus de gens à « choisir », contraints et forcés, le camp des nationalistes prorusses. Ce que l'on constate surtout, c'est que le jeu que l'Union européenne et les États-Unis ont mené en Ukraine, et les réactions que cela a provoquées de la part de la Russie, ont jeté le pays dans le chaos, et mis à feu et à sang ses provinces orientales. Et rien ne dit que l'incendie soit prêt de s'éteindre, quand s'affrontent des bandes nationalistes armées, de moins en moins contrôlables, qui s'activent à creuser un fossé de sang au sein de la population.
S'adressant à tout le pays, Porochenko a promis qu'il « le mènerait sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne ». Tous ses prédécesseurs ont déjà fait cette promesse qui n'engage à rien. Car ce n'est ni Kiev ni même Bruxelles qui en décident, mais Berlin, Londres et Paris. Et les puissances impérialistes d'Europe et d'Amérique ont décidé que, pour prix d'un prêt de 25 milliards à l'Ukraine, sa population allait devoir accepter que Porochenko et ses ministres privatisent à tout-va, coupent dans les dépenses sociales, baissent les salaires et les pensions...