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Cycloïde de révolutions

Au printemps 1960, il y a un an, le régime policier de Syngman Rhee s'effondrait. A l'occasion d'élections - que l'on savait d'avance truquées - l'agitation qui avait commencé dans les milieux étudiants menaçait de prendre des proportions telles que les Américains retirèrent leur appui au dictateur de la Corée du Sud, qu'ils avaient soutenu sans défaillance jusqu'alors, y compris au travers d'une guerre. L'opposition « libérale » et « démocratique » avec, à sa tête, John Myung Chang, vint au pouvoir. La presse nous rapporta alors l'enthousiasme qui accueillit ce nouveau gouvernement qui devait ouvrir, nous dit-on à la Corée une période de démocratie, de liberté et de renouveau économique et social.

Un an plus tard, le 16 mai dernier, un coup d'État dirigé par une junte militaire renversait le gouvernement de John Chang. Jusqu'ici, il n'y a eu aucune réaction des masses coréennes, même étudiantes ; John Chang, passé à l'annonce du coup d'État dans la clandestinité, se livrait aux généraux au bout de deux jours. Le président de la République démissionnait. La junte militaire présidée par le général Chang Do Yon s'emparait de tous les pouvoirs, interdisait les partis politiques, emprisonnait les journalistes et les militants socialistes ou simplement de gauche, sous prétexte de lutter contre la corruption. De toute évidence, une nouvelle dictature à la Syngman Rhee s'installait en Corée du Sud.

Un an a donc suffi aux libéraux et démocrates coréens pour user leur crédit politique et perdre le pouvoir. Certes, c'est l'usage de la force militaire qui les a balayés mais, et c'est bien là le plus grave, cette force militaire n'aurait pu le faire aussi facilement si l'équipe gouvernementale n'avait pas été plus ou moins déconsidérée aux yeux des masses.

En juillet dernier, de véritables élections furent organisées pendant que les divers partis politiques - le parti communiste excepté - purent se reconstituer légalement. Mais on n'alla pas plus loin dans la voie des réformes, que ce changement politique.

Aucun des véritables problèmes qui se posent sur les plans économique, social ou même politique, ne furent résolus, chômage et misère n'ont pas changé depuis Syngman Rhee et la réunification des deux Corées semble aussi éloignée qu'auparavant.

C'est pour cela que, depuis le début de cette année, on voyait l'agitation sociale et politique reprendre dans le pays. En mars dernier, des manifestations violentes éclataient à Séoul pour demander la démission du cabinet Chang, « incapable de relever le niveau de vie des masses » ( Le Monde du 17.5.61) ; la répression se faisait de plus on plus dure contre les activités clandestines des communistes. A l'Université de Séoul, une « Ligue nationale pour la réunification » était créée.

Ainsi il était de plus on plus clair pour les masses que l'instauration d'un régime parlementaire plus ou moins démocratique ne résolvait en soi aucun des grands problèmes économiques et sociaux. En revanche, la droite pouvait craindre que ce cadre parlementaire ne permette aux besoins et à la volonté populaires de s'exprimer de plus en plus ouvertement et que l'on assiste, lors des élections, à un glissement à gauche de plus en plus net dans la mesure où grandissait l'exaspération des masses. De cette manière, aussi bien à gauche qu'à droite, le système parlementaire se trouvait condamné et il était de plus en plus évident que l'épreuve de force inévitable entre les masses et la Droite qui représente les intérêts liés des impérialistes et de la bourgeoisie coréenne, déborderait largement le cadre légaliste du Parlement. En fait, pour la bourgeoisie coréenne, il n'y avait que deux solutions : ou bien les libéraux, reniant leur programme démocratique, réinstallaient eux-mêmes peu à peu une dictature capable de contenir les masses par la force, ou bien l'extrême-droite, représentée particulièrement par l'armée, chassait les libéraux et installait sa propre dictature. Si les chemins étaient différents, la conclusion était la même.

En fait, nous avons là encore une fois, la preuve de l'impossibilité d'un régime parlementaire démocratique bourgeois dans les pays dits sous-développés. Les problèmes qui se posent à ces pays ne pourraient être résolus que par un bouleversement radical des structures sociales et économiques. Mais cela exige la rupture avec l'impérialisme qui domine ces pays. En Corée, où les USA entretiennent 50 000 hommes de troupe et où l'armée tout entière, forte de 700 000 hommes, est équipée par les USA et sous commandement américain, sous couleur de l'ONU - comme ailleurs, cette lutte contre l'impérialisme ne peut être menée dans le cadre d'un parlement bourgeois, mais seulement dans celui d'une lutte radicale des masses pour leurs objectifs propres.

Les hommes politiques qui se refusent à mener la lutte sur ce terrain - même si au départ ils sont portés au pouvoir par la volonté des masses sur des revendications démocratiques - n'auront bientôt plus qu'à se transformer à leur tour en dictateurs, ou alors à laisser la place à la dictature d'un autre, s'ils ne se sentent pas de taille à l'installer eux-mêmes.

Cette évolution est le propre de tous les pays semi-coloniaux ou ex-coloniaux parvenus à l'indépendance politique. Les gouvernements de ces pays qui doivent leur existence aux aspirations des masses, qui font que l'impérialisme les tolère, ont pour rôle de maintenir la domination de l'impérialisme sur leurs propres peuples - ce qui fait que l'impérialisme les soutient. La nature bonapartiste de leur pouvoir repose sur l'antagonisme des forces qui les soutiennent. Ils gardent le pouvoir tant qu'ils peuvent « résoudre », en réalité contenir, cet antagonisme.

En particulier, dès que les masses n'ont plus d'illusions sur leur compte, ils perdent l'un des facteurs de leur existence et se transforment en dictatures militaires, ouvertement appuyées par l'impérialisme jusqu'à l'explosion populaire suivante, qui à notre époque ne manque pas de se produire dans des délais plus ou moins brefs, et alors l'impérialisme les rejette comme un ustensile usagé pour accorder son appui à une équipe, pour un temps, moins compromise.

C'est ce phénomène qui explique l'instabilité des régimes de tous ces pays, que ce soit d'Asie (Corée, Laos, etc...), du Moyen-Orient (Iran, Irak, Turquie), d'Afrique (Egypte, Congo...), d'Amérique (il y en a trop).

L'exception étant Cuba où, jusqu'où et jusqu'à quand, les actuels dirigeants ont entrepris une lutte ouverte contre l'impérialisme.

Seule la prise-du pouvoir dans ces pays par le prolétariat révolutionnaire pourra, on transformant la société pour la mettre au service exclusif des plus humbles, rompre ce mouvement cyclique et entraîner ces peuples dans la voie de la révolution socialiste.

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