Le succès du RN : ce qui a ouvert un boulevard à l’extrême droite03/07/20242024Journal/medias/journalarticle/images/2024/07/P5-1_ter_Menu_OK_Lupo.jpg.420x236_q85_box-0%2C0%2C800%2C450_crop_detail.jpg

Élections législatives

Le succès du RN : ce qui a ouvert un boulevard à l’extrême droite

Le 30 juin, le RN de Le Pen et Bardella a recueilli plus de dix millions de voix et 34 % des suffrages après avoir été largement en tête des élections européennes. Il est en passe d’obtenir une majorité de députés au Parlement et de former un gouvernement.

Illustration - ce qui a ouvert un boulevard à l’extrême droite

Le RN a réussi à agréger à la clientèle traditionnelle de l’extrême droite, militaires, policiers, nostalgiques des colonies, petits patrons haineux, catholiques traditionnalistes, etc., une fraction importante de l’électorat ouvrier. Les derniers scrutins lui ont aussi apporté des voix venant de la droite et du centre, celles de petits bourgeois aisés qui craignent le chaos et l’impuissance macronienne. Mais, le 30 juin, il s’est encore renforcé parmi les travailleurs salariés, comme on a pu le constater dans les bureaux de vote des quartiers populaires des villes petites et moyennes.

Les militants ouvriers du Nord, par exemple, région ouvrière s’il en est, sont en droit de se demander comment on en est arrivé là. On peut mesurer la dégringolade depuis les élections législatives de 1981. Cette année-là, qui vit l’arrivée de Mitterrand à la présidence, le Nord avait envoyé treize députés PS, six PC et seulement quatre de droite à l’Assemblée. Personne ne parlait de l’extrême droite, qui recueillait 0,3 % des suffrages dans le département. Mais ce 30 juin 2024, six députés RN y ont été élus au premier tour et le parti lepeniste est en position de remporter un bon nombre des quinze circonscriptions en ballotage. Entre ces deux dates, la gauche a été au gouvernement pendant vingt-et-un ans.

Disparition des militants ouvriers

Durant un siècle, cette gauche a pu rester responsable ou coresponsable des institutions territoriales, locales, associatives et sociales du département. Les partis de gauche, PS et PCF avaient hérité de ces responsabilités grâce au travail de générations de militants ouvriers depuis le 19e siècle, au cours de durs combats et de vies entières dévouées à la défense de leur classe. Malgré les trahisons des directions politiques, l’union sacrée en 1914 pour les unes, le stalinisme pour les autres, les militants des usines et des quartiers populaires avaient continué à structurer la classe ouvrière.

Dans les années 1950 et les décennies suivantes, tout travailleur avait dans sa famille ou chez ses voisins un militant ouvrier, cultivé, organisateur. Chaque apprenti, en entrant à l’usine, rencontrait un militant syndical qui lui expliquait le monde et les classes sociales. Et ces militants se retrouvaient dans les mairies, les associations, les comités de locataires, les maisons de la culture, les fanfares et les bibliothèques.

En même temps, l’intégration, poussée jusqu’à devenir complète, des appareils politiques et syndicaux dans la société bourgeoise faisait son œuvre. Après avoir remplacé l’internationalisme par le patriotisme, l’espoir de la révolution par les élections, la dignité par les compromissions, après avoir choisi la métropole contre les peuples coloniaux en révolte, le PS puis le PCF ont de plus en plus converti les militants bénévoles en animateurs appointés par les municipalités, les associations et organismes divers. Au lieu d’aider la classe ouvrière à s’organiser ils l’ont habituée à dépendre des aides publiques, au lieu de la préparer à son rôle historique, ils lui ont demandé de bien voter et cela devait suffire. Enfin, après avoir œuvré des années durant pour faire élire un gouvernement de gauche, les militants ouvriers ont dû à partir de 1981 soutenir des « camarades ministres » qui, pourtant, gouvernaient pour le grand patronat.

Les trahisons de la gauche

Les militants à qui on a demandé au fil des gouvernements de gauche d’approuver et de faire approuver par leurs camarades de travail le blocage des salaires, les licenciements massifs, les privatisations, le forfait hospitalier, les flots de propagande propatronale ont ainsi perdu tout repère politique autre que le vague espoir d’un changement venu des urnes, électoralisme impuissant à conjurer la dégradation de plus en plus rapide des conditions de vie et de travail de la population.

Ce recul militant, bien plus profond encore que ce qui est mesuré par le passage du PCF de 20 à 3 % des voix, fait que des millions de travailleurs de moins de quarante ans, à part la toute petite minorité qui travaille dans les grandes entreprises et encore, n’a jamais rencontré de militant ouvrier en chair et en os, quelqu’un que l’on fréquente des années durant, en qui on puisse avoir confiance. Les amuseurs de la gauche de gouvernement, gestionnaires du capital, ambianceurs de défilés festifs, sensibles à toutes les modes, sont loin d’en tenir lieu, quand bien même ils le voudraient. Or la conscience de classe a besoin de militants pour exister, faute de quoi ne surnagent que les idées dominantes, celles de la classe dominante, par définition.

Ce vide politique et humain, aggravé par le passage de Hollande au pouvoir, la morgue de Macron, le fait que la gauche a contribué par deux fois à faire élire ce dernier, ont déroulé un tapis rouge au RN dans les corons du Nord et les cités ouvrières de Lorraine. La haine, justifiée, de Macron et des siens, le fait que la gauche s’y est pratiquement assimilée, conjugués aux éternelles illusions électorales, conduisent dans ces conditions au vote RN. Ainsi, dans une des fractions les plus opprimées de la classe ouvrière, le vote pour des bonimenteurs capables de faire des promesses mais défenseurs fanatiques du capitalisme et de tout ce qui tient les prolétaires en tutelle est devenu un « vote ouvrier ».

La classe ouvrière doit retrouver sa conscience, ses militants et son organisation.

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