L'extrême gauche dans la campagne01/04/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/04/52_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

L'extrême gauche dans la campagne

L'extrême gauche gagne... en nombre de candidats...

Dans ces élections, l'extrême gauche n'a pas obtenu de résultats ni très importants, ni très significatifs. Si la grande presse et la télévision ont mentionné et commenté un peu plus largement que de coutume son score global, 3,3 % du total des suffrages exprimés, c'est que l'extrême-gauche a quand même battu un record - celui du nombre total de candidats présentés, soit 1 046 selon les chiffres officiels - et surtout que les quelque 900 000 à un million de voix qu'elle a recueillies n'étaient pas négligeables pour l'issue de la lutte électorale entre la droite et la gauche au second tour.

...mais réalise des scores plutôt stationnaires

Globalement, l'extrême gauche conserve les voix qu'elle avait obtenues aux élections antérieures, en particulier aux législatives de 1973.

Nombre de voix% du total des suffrages exprimés

1973776 717 [fn]Chiffres publiés par Le Monde dans son numéro spécial de mars 1973.[/fn]3,29%

1978901 449 [fn]Nos propres estimations.[/fn]3,3%

A cinq ans d'intervalle, le « score global » de l'extrême-gauche semble donc s'être maintenu, autant du moins qu'on puisse en juger, car de multiples facteurs ont varié. Ce ne sont plus exactement les mêmes organisations qui sont présentes, ou elles ne le sont plus dans le même nombre de circonscriptions ; ce ne sont plus non plus les mêmes alliances, ni les mêmes politiques, ne serait-ce qu' en raison du contexte politique différent. Ce que l'on peut dire, c'est que si le nombre total de candidats a plus que doublé, les scores de chacune des tendances auraient plutôt légèrement baissé. Et quant à savoir si la multiplicité des candidatures, et donc la division, a nuit ou pas à l'ensemble de l'extrême gauche, ce ne semble pas être le cas. Le tableau ci-dessous semble indiquer que le nombre total des suffrages de l'extrême gauche augmente, en moyenne, en fonction du nombre de candidats présents dans la circonscription.

L'extrême gauche n'a pas retrouvé, le 12 mars, les scores relativement importants qu'elle avait réalisés dans certaines grandes villes aux dernières élections municipales (de 5 à 12 %). Les mêmes électeurs ne se déterminent pas forcément de la même façon selon qu'il s'agit d'élections municipales, cantonales, législatives ou présidentielles. A ces élections législatives, l'enjeu que certains jugeaient important - envoyer ou non la gauche au gouvernement - a certainement incité bien des électeurs, pourtant attentifs et sensibles à l'extrême gauche, à donner d'emblée leur voix à l'une ou l'autre des grandes formations de la gauche, par souci d'efficacité, croyaient-ils.

Nombre de circonscriptionsLutte Ouvrière«Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs»Front AutogestionnaireScore global (total) de l'extrême gauche

1872,15 %2,15 %

691,47 %0,85 %2,32 %

1041,56 %2,24 %3,80 %

1101,30 %0,82 %2,19 %4,31 %

% des suffrages exprimés

Mais c'est surtout l'absence générale de poussée à gauche dans le pays qui explique la stagnation de l'extrême gauche, comme elle explique d'ailleurs celle du Parti Communiste. Une radicalisation sur le terrain électoral, exprimée par un accroissement significatif des scores de l'extrême gauche ne pouvait se concevoir que sur la lancée d'un raz de marée a gauche... qui n'a pas eu lieu.

La politique électorale du PSU

Le PSU a fait le choix de ne pas apparaître en tant que tel à ces élections, mais de se fondre aux côtés de diverses personnalités et représentants de courants écologistes, féministes, régionalistes dans un « Front Autogestionnaire ».

Plus ambigu que jamais, le PSU a manifestement cherché à ménager la chèvre et le chou. Tout d'abord, il n'a pas voulu mécontenter la fraction la plus « gauchiste » de son public en ralliant ouvertement l'Union de la gauche, mais par ailleurs, il n'a pas voulu non plus se démarquer de façon trop critique de l'Union de la gauche. Peut-être, celIe-ci remportant la victoire, le PSU se verrait-il octroyer quelque siège ou strapontin ministériel.

Ainsi les candidats du psu, et plus largement du front autogestionnaire, sont pour la plupart apparus comme des candidats neutres, contournant prudemment les problèmes politiques, se déclarant au mieux timidement « critiques de gauche » de la gauche - mais sans plus d'explication - et ils ont surtout présenté leurs candidatures comme des protestations, des « témoignages », les unes des luttes écologistes, les autres des luttes féministes ou encore régionalistes.

En particulier, le Front Autogestionnaire a cherché à drainer vers lui les voix des écologistes de gauche, insatisfaits de l'apolitisme militant affiché dans ces élections par la plupart des courants écologistes.

Pour ce qui est du PSU lui-même, Il n'est plus à coup sûr la force politique qu'il était aux élections de 1973 - où il donnait encore l'image d'une formation gauchiste et contestataire. Les cinq années qui se sont écoulées l'ont vu se rapprocher de plus en plus nettement de l'Union de la gauche et perdre, au profit de celIe-ci, certains de ses dirigeants - dont Rocard - et un pan entier de son organisation, passés avec armes et bagages au Parti Socialiste. Si le PSU vit toujours, il n'a pas cessé, du moins jusqu'à ces élections, d'être laminé par l'attirance de ses dirigeants, de ses membres et aussi de ses électeurs, vers les grands partis de gauche.

Les scores du PSU et du Front autogestionnaire

A leur façon, les scores réalisés par le Front Autogestionnaire le 12 mars, comparés à ceux du PSU en 1973 reflètent la perte de vitesse de ce dernier.

Selon nos calculs, pour les 152 circonscriptions où étaient présents, et le PSU en 1973 et le Front Autogestionnaire en 1978, les scores comparatifs sont les suivants

- PSU en 1973 : 337 927 voix, soit 4,42 % des suffrages exprimés. - Front - Autogestionnaire en 1978 : 209 700 voix, soit 2,24 % des suffrages exprimés.

Et c'est la même différence qu'accusent les scores globaux.

C'est dans les circonscriptions où les candidats écologistes ne leur faisaient pas concurrence que ceux du Front Autogestionnaire ont fait le plus de voix. C'est dans les deux circonscriptions où, dès le premier tour, le Parti Communiste s'est désisté en faveur de ses candidats, Bourdet et Depaquit, que le PSU a bien sûr réalisé ses plus forts scores.

Mais, mises à part ces quelques exceptions, la tendance est à une baisse très nette.

La politique électorale de la LCR

La LCR, dont les candidats à ces élections se sont présentés avec l'OCT et les CCA sous l'étiquette commune « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs », a totalement axé sa campagne sur le thème de l'« Unité ouvrière », et l'Appel, lancé le 5 mars, à la veille du premier tour, par le Comité Central de la LCR, en est bien significatif.

« Au premier tour », - déclare d'emblée cet Appel - « vous pouvez désavouer la politique de division du Parti Socialiste et du Parti Communiste » et un peu plus loin : « En faisant ce choix (voter pour les candidatures « Pour le socialisme, le pouvoir aux travaileurs » ), vous opposerez à la division votre volonté d'unité, pour que ça change pour de bon ». L' « Unité ouvrière », prônée par la LCR n'était donc rien d'autre que l'Union retrouvée entre le Parti Communiste et le Parti Socialiste, la réconciliation et l'alliance électorale entre Mitterrand et Marchais.

Pas un mot dans cet Appel lancé aux travailleurs, sur l'enjeu réel de la fausse querelle dans la gauche ; pas un mot surtout, sur le rôle que Mitterrand et Marchais s'apprêtaient à jouer au gouvernement, au cas - et il était considéré comme très probable - où les urnes les y auraient portés.

En guise de seules critiques formulées dans ce texte aux dirigeants communistes et socialistes, la dénonciation du compromis avec le « groupuscule bourgeois » des radicaux de gauche, et celle de la timidité du programme revendicatif.

Malgré l'étiquette « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs », la LCR n'a finalement milité durant toute cette campagne qu'en faveur de l'union et de la victoire électorale des partis de gauche. Dès avant le premier tour d'ailleurs, et c'est bien significatif, elle dépensait plus d'ardeur et d'insistance à appeler à voter au second tour pour les « candidats ouvriers », et ceux-ci à se désister mutuellement pour les mieux placés d'entre eux, qu'elle n'en mettait à appeler à voter dès le premier tour pour ses propres candidats.

La LCR a en quelque sorte démissionné ; elle s'est refusé, même sous forme d'axes de campagne partiels, à critiquer vraiment les dirigeants de gauche, à dire clairement aux travailleurs que ces dirigeants des « partis ouvriers » s'apprêtaient à mener au gouvernement la politique de la bourgeoisie, c'est-à-dire même avec d'autres mots, la même politique que la droite.

La LCR n'a pas contribué à ouvrir, pour les travailleurs, la perspective d'une politique autonome, et, dans ces conditions d'ailleurs, sa politique était condamnée à l'impuissance et à l'inefficacité, en cas de victoire électorale de l'union de la gauche, comme dans le cas contraire.

Si une réelle poussée à gauche s'était manifestée, et avait entraîné sur sa lancée une réelle radicalisation de l'électorat populaire, ce n'est probablement pas sur les candidatures LCR qu'elle se serait cristallisée, tant celles-ci ne sont apparues que comme des soutiens - timidement critiques - du PC et du PS.

Et aujourd'hui, après la défaite électorale de la gauche, la LCR se trouve dans la situation dérisoire d'en appeler encore à une unité PC-PS plus chimérique encore que jamais.

Et ce n'est pas un hasard si dès le lendemain du 19 mars, la LCR n'a pas consacré tous ses efforts à redonner le moral à ceux des travailleurs qui l'avaient perdu, à leur expliquer que la défaite électorale de la gauche n'en était pas une pour eux et que, de toutes façons, ils auraient eu à lutter exactement de la même façon, si ce n'est dans des conditions morales pires, contre un gouvernement de gauche, qu'ils ne doivent le faire contre un gouvernement de droite.

Mais pour dire cette vérité-là aux travailleurs, dès le 20 mars, il aurait fallu l'avoir crue et dite avant, ce que n'a pas fait la LCR, conduite ainsi aujourd'hui à se lamenter sur la pseudo « trahison » des Rocard et des Marchais.

Les scores des candidatures « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs »

Les scores de la LCR ne sont pas non plus sensiblement différents de ceux qu'elle avait réalisés aux élections antérieures. Le 12 mars dernier, les candidatures « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs » ont recueilli 94 257 voix, soit 0,34 % du total des suffrages exprimés, et environ 0,9 % des suffrages exprimés dans les 184 circonscriptions où elles étaient présentes.

Par rapport au score de Krivine, en 1974 (soit 93 990 voix et 0,36 % des suffrages exprimés pour toute la France), c'est mieux, bien sûr, par rapport aux résultats des législatives de 1973 où les 90 candidats de la LCR avaient recueilli 87 000 voix et 1,80 % des suffrages exprimés, ceux de cette année accusent une baisse de près de la moitié. Cela dit, la concurrence très serrée entre organisations d'extrême-gauche, cette année, interdit vraiment toute conclusion à ce sujet.

La campagne électorale de Lutte Ouvrière

Pour ces élections législatives du 12 mars 1978, nous avons fait le choix politique de présenter des candidats partout, dans chacune des 470 circonscriptions que compte la France continentale.

Pour le petit groupe que nous sommes, cela a représenté un effort considérable, des dépenses importantes en argent, en temps, en énergie. Mais le plus important à nos yeux était que nos forces, notre capital politique et organisationnel, puissent servir aux mieux les intérêts des travailleurs dans ces élections. Le plus important était que dans chacune des circonscriptions de ce pays, les travailleurs et les petites gens qui le souhaitaient. puissent faire un geste utile pour eux, qu'ils puissent exprimer à la fois leur dégoût et leur rejet de la droite, et leur défiance à l'égard d'une gauche qui, une fois au gouvernement, mènerait fondamentalement la même politique anti-ouvrière. Et il fallait que nous soyons présents partout pour que tous, quel que soit le lieu de leur bureau de vote, aient la possibilité de faire ce geste - utile, de voter le plus à gauche possible.

Par notre présence politique sur tout le territoire national, nous avons donc offert à un éventuel courant critique, un courant de contestation de la gauche sur sa propre gauche, de s'exprimer, de montrer son existence et, peut-être sa force. Et si nous nous sommes portés résolument candidats à la députation, malgré la faible audience de notre mouvement - et malgré aussi l'injustice de la loi électorale qui veut qu' avec près de 500 000 voix, Lutte Ouvrière n'ait pas un seul député - c'était dans la même perspective, pour que cette contestation, cette radicalisation éventuelle sur le terrain électoral survive aux urnes et se donne des porte-parole au sein même du Parlement.

Ce que nous avons dit dans cette campagne correspondait aux objectifs que nous nous étions fixés. Ce n'est pas sur l'intégralité de notre programme politique que nous avons appelé les travailleurs à se déterminer, mais essentiellement sur une critique du programme de la gauche et de ses projets une fois au gouvernement puisque sa victoire était donnée pour très probable.

Nous avons appelé à la défiance à l'égard de la politique présente et future de cette gauche : défiance à l'égard de sa politique de « maintien en état » de l'arme atomique, défiance à l'égard de la timidité de ses promesses sociales, défiance à l'égard de sa volonté politique de gouverner sous les ordres du politicien de droite Giscard. Et c'est dans les événements de l'actualité politique quotidienne que nous avons puisé les aliments de notre campagne politique.

Et s'il faut tirer un bilan, nous pensons qu'il est à inscrire à l'actif de l'extrême gauche révolutionnaire que l'un de ses courants ait réussi à défendre une politique électorale à l'échelle nationale. C'est une avancée importante, pour nous-mêmes, pour l'ensemble de cette extrême gauche, et surtout pour le courant trotskyste auquel nous appartenons.

Les scores de Lutte Ouvrière

Nos scores du 12 mars 1978 - 474 401 voix, soit 1,70 % des suffrages exprimés - sont légèrement inférieurs à la fois en pourcentage et en voix par rapport à ceux des présidentielles de 1974, et en pourcentage, mais pas en nombre absolu de voix puisque nous nous présentions cette année partout, par rapport aux législatives de 1973.

Nombre de voix% des suffrages exprimés

Législatives de 1973 (sur 171 circonscriptions)194 8892,30 %

Présidentielles de 1974595 2472,33 %

Législatives de 1978 (sur 470 circonscriptions)474 4011,70 %

La différence de quelque 100 000 voix qui existe entre nos scores de 1978 et ceux d'Arlette Laguiller aux présidentielles de 1974 peut s'expliquer par la différence des moyens audio-visuels mis à notre disposition : 45 minutes en 1974, contre 7 minutes radio-télévisées seulement cette année.

Par rapport aux présidentielles, notre intervention dans la campagne s'est limitée à nos seules forces, sur le terrain, et n'a pu compter sur nos interventions télévisées. mais cependant, le score que nous avons réalisé dans la 4e circonscription du puy-de dôme, celle de thiers-amber où la candidature d'arlette laguiller a recueilli 8,41 % des suffrages exprimés - bien plus que les autres candidats de lutte ouvrière, et bien plus aussi qu'elle-même n'avait réalisé en 1974 dans la même circonscription - prouve bien qu'une fraction significative de l'électorat populaire se prononce en faveur de nos axes politiques de campagne dès lors qu'il a de plus amples moyens de les connaître et de les juger.

Certes, nous savons bien que pour une organisation révolutionnaire, aucune publicité, aucune campagne politique, aussi efficace soit-elle, ne peut remplacer l'implantation militante, la confiance acquise auprès des travailleurs et des petites gens par la participation à leurs côtés à leurs luttes quotidiennes.

Mais les résultats de la 4e circonscription du Puy-de-Dôme confirment que tout faible que soit encore notre courant, nous pouvons nous faire entendre et admettre d'une fraction significative de l'électorat populaire :ceux justement que nous considérons comme les nôtres, que nous avons cherché à toucher durant cette campagne et auprès desquels nous continuerons a lutter dans les mois et les années qui viennent.

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