Les militants révolutionnaires et l'activité syndicale01/05/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les militants révolutionnaires et l'activité syndicale

Toutes les organisations qui se réclament du trotskysme, du Programme de Transition, admettent qu'il est nécessaire de militer au sein des syndicats ouvriers, même bureaucratisés, réformistes, staliniens ou fascistes.

Mais, comme sur beaucoup d'autres points du programme, les problèmes se posent dans la façon de passer aux actes. Le défaut de nombre de trotskystes du passé et du présent est de considérer qu'être dans le cadre du Programme de Transition est en soi suffisant et que n'importe quelle activité syndicale convient. Les raisonnements théoriques, les points du programme deviennent, pour ces militants, des couvertures palliant des pratiques sans principe. C'est un domaine, parmi d'autres, que les militants de la IVe Internationale ont insuffisamment exploré. Nous voudrions, en plusieurs articles, essayer de montrer ce qu'une organisation révolutionnaire doit faire au sein des syndicats dans les conditions françaises actuelles, et ce qu'elle ne doit pas y faire.

L'organisation syndicale française la plus puissante est, sans conteste, la Confédération Générale du Travail, la CGT.

Cette organisation compte, d'après elle, un million et demi de syndiqués (un peu plus de 10 % des salariés). Il est difficile de se rendre compte dans quelle mesure ce chiffre est correct car la CGT, comme toutes les autres centrales d'ailleurs, ne publie guère de statistiques incontestables sur ses effectifs. Il est probablement, en réalité, exagéré de 30 à 50 %. L'appareil de la CGT est entièrement entre les mains du Parti communiste français.

La deuxième centrale syndicale, du point de vue de l'importance est la Confédération française démocratique du travail, la CFDT, qui est la nouvelle dénomination de la Confédération française des travailleurs chrétiens. Elle annonce 700 000 syndiqués et en a réellement 300 à 400 000. Malgré la perte de l'étiquette confessionnelle, cette centrale reste marquée par ses origines, et si les syndicats chrétiens ne sont plus les syndicats patronaux qu'ils étaient à leur naissance, la CFDT est une centrale ultra-réformiste, malgré un certain radicalisme et un certain gauchisme qui lui a d'ailleurs fait gagner beaucoup d'influence durant ces dix dernières années.

La troisième centrale syndicale importante est la Confédération générale du travail Force Ouvrière, la CGT-FO. Incomparablement plus faible que la CGT (400 000 syndiqués annoncés, la moitié en réalité). La CGT-FO provient d'une scission en 1947, de la CGT. FO est liée avec la social-démocratie française. En 1947, les ministres communistes venaient d'être évincés du gouvernement, c'était la fin de l'Union Sacrée qui avait suivi la guerre, il fallait aux ministres socialistes un contrepoids « ouvrier » à la puissance de la CGT où l'appareil stalinien dominait largement celui de ceux que l'on appelait encore alors, les « réformistes », bien que ce terme les distinguât peu des staliniens.

Depuis cette époque, la CGT-Force Ouvrière joua systématiquement le rôle de chien de garde du capital et de soutien des gouvernements qui se sont succédés de 1947 à ce jour, avec peut-être un peu plus de distance depuis l'arrivée de de Gaulle au pouvoir. En fait, la CGT joua le même rôle, mais la CGT-FO le joua ouvertement. Durant toute une période ce fut le syndicat « jaune » par excellence. La CGT-FO brisa ou tenta de briser systématiquement toutes les grèves déclenchées par la CGT. La politique de cette centrale fut si droitière qu'elle permit à la Confédération chrétienne de mener une politique d'alliance avec la CGT, politique qui lui valut des progrès importants et l'amena même à changer son nom pour supprimer la référence chrétienne, marquant par là qu'elle était prête, vis-à-vis de la bourgeoisie, à reprendre la succession des réformistes trop compromis. Ajoutons d'ailleurs que, dans la suite et l'enchevêtrement des complots qui ramenèrent de Gaulle au pouvoir lors des événements du 13 mai 1958, la CGT-FO fut partie prenante, au moins par l'intermédiaire de deux de ses Secrétaires Confédéraux (l'un, Lafond, fut exclu, et l'autre, Lebourre, contraint de démissionner après des révélations parues dans la grande presse quelques années plus tard). On peut à peine tempérer ces appréciations par le fait que la CGT-FO lors de sa création, a rallié la majorité des opposants de gauche au stalinisme, et en particulier, beaucoup de militants anarcho-syndicalistes. Certains syndicats locaux, ou même des Unions départementales sont ainsi dirigés par des militants qui ne sont pas liés avec l'appareil d'État, comme l'est Force Ouvrière dans son ensemble. C'est ainsi qu'à deux reprises, en 1953 et en 1955 des militants FO furent à l'origine de grèves qui eurent une grosse répercussion dans le pays tout entier. Nous aurons l'occasion de revenir sur le caractère de Force Ouvrière dans un prochain article.

A part ces trois centrales, de loin les plus importantes, et dont les deux secondes n'atteignent pas l'importance à elles deux de la seule CGT, il en existe d'autres, d'importance moindre, négligeables en ce qui concerne notre propos.

Citons la Confédération générale des cadres, la CGC, centrale qui, comme son nom l'indique, regroupe des syndicats de cadres et agents de maîtrise. Il s'agit bien entendu de syndicats assez corporatistes d'esprit, le plus souvent pro-patronaux. Ces syndicats ont évidemment un certain succès dans le milieu qui est le leur, au point d'ailleurs d'avoir entraîné la CGT et la CGT-FO à créer des syndicats de « mensuels », différents des syndicats ouvriers, pour tenter de séduire les cadres.

Pour mémoire, nous citerons aussi la CFTC « maintenue », composée de ceux qui n'ont pas accepté le changement d'étiquette lors de la création de la CFDT, et la Confédération générale des syndicats indépendants, regroupant des syndicats « autonomes », dont les meilleurs sont corporatistes et les pires pro-fascistes.

Il faut cependant faire une place à part aux syndicats d'enseignants. En effet, dans ces syndicats, qui regroupent les enseignants appartenant à l'enseignement « public » (par opposition à l'enseignement « privé », le plus souvent confessionnel), la scission de 1947 n'a pas eu lieu. Les deux tendances, stalinienne et réformiste, s'y affrontent de même que, d'ailleurs, différentes tendances d'extrême-gauche. La Fédération de l'Education Nationale, la FEN (dont le syndicat le plus puissant est le Syndicat National des Instituteurs, le SNI) est donc devenue indépendante des deux centrales puisqu'elle n'a rallié ni l'une ni l'autre.

Cette longue introduction était nécessaire pour montrer que, s'il est indiscutable que les militants révolutionnaires doivent militer dans les syndicats ouvriers, la nature des syndicats dans lesquels ils militeront n'est pas sans importance. Bien entendu un parti révolutionnaire puissant devrait avoir des militants dans tous ou presque, pour des raisons diverses, mais il consacrerait cependant l'essentiel de ses forces à l'activité au sein du syndicat le plus puissant, celui qui compte le plus de travailleurs dans ses rangs, c'est-à-dire la CGT. A fortiori, un petit groupe de la taille des organisations trotskystes en France, doit-il consacrer tous ses efforts à la CGT.

En fait, ce n'est guère facile, pour un ensemble de raisons que nous verrons plus tard, mais il s'agit là d'un choix politique.

En effet, la CGT n'est pas seulement la centrale syndicale la plus puissante, c'est aussi, nous l'avons dit, une centrale syndicale dominée par l'appareil stalinien. Toute l'influence qu'a le PCF au sein de la classe ouvrière, toute la structure du parti dans les entreprises repose sur la CGT.

Depuis plusieurs années en effet, on peut dire que la classe ouvrière n'est pas organisée.

La CGT (comme les autres) ne réunit pour ainsi dire jamais ses adhérents. Dans les grandes comme les petites entreprises, il n'y a jamais ou presque de réunions ou d'assemblées de syndiqués. La vie de l'organisation syndicale est assurée par les délégués du personnel et du comité d'entreprise qui utilisent à cet effet une grande partie des heures qui leur sont attribuées par La loi, pour l'exercice de leur mandat (sur le temps de travail et payées comme travaillées). Les seules réunions syndicales qui ont lieu se tiennent pendant les heures de travail, sur les heures de délégation, et ne réunissent donc que des militants bénéficiant, à un titre ou à un autre, d'heures de délégués, excluant ainsi la majorité des syndiqués. Les dirigeants syndicaux invoquent comme justification, le peu d'empressement des travailleurs à consacrer du temps à une réunion syndicale après une journée de travail : les délégués, selon eux, n'ont pas à faire l'effort d'organiser de telles réunions, pour permettre à quelques travailleurs peu nombreux de se réunir avec eux ( « s'il y en a un ou deux qui le veulent vraiment, on peut toujours se débrouiller pour leur procurer des « heures » ). En fait, les dirigeants syndicaux ne tiennent pas à réunir les travailleurs du rang, ils ont ainsi les mains plus libres, éventuellement même pour opposer les militants, les délégués, à ceux, syndiqués et ouvriers du rang, qui ne sont pas capables en temps ordinaire de s'occuper du syndicat, et qui voudraient, parfois, lors des grèves par exemple, savoir mieux que les militants syndicaux, ce qu'il faut faire ou ne pas faire. C'est ainsi que, par exemple, dans un numéro récent de « France Nouvelle », hebdomadaire central du PCF, on pouvait lire que si les travailleurs de Rhodiaceta-Besançon n'étaient pas satisfaits de l'accord signé par les syndicats qui mit fin à leur grève, c'est parce que le prolétariat de cette ville était encore de création récente à partir le la paysannerie, et qu'il n'avait pas encore l'expérience de ce qui pouvait être obtenu par la lutte gréviste et de ce qui ne le pouvait pas.

Il y a, et il y eut, évidemment quelques exceptions, dans certaines entreprises ou à certaines époques, mais le fait général est que les syndicats ne réunissent pas les travailleurs, même pas leurs propres syndiqués. Être syndiqué, à l'heure actuelle, se résume à payer plus ou moins régulièrement un timbre syndical. Le fait général est aussi que l'existence actuelle des syndicats repose sur les « heures de délégués ».

C'est pourquoi l'existence du PCF dans les entreprises repose aussi, à l'heure actuelle, sur cette institution. Le PCF qui contrôle l'appareil syndical, réserve en priorité les postes de délégués à ses militants et l'activité du PC dans les entreprises (réunions, éditions de tracts) est souvent effectuée, elle aussi, sur les heures de délégués et, même parfois, grâce aux locaux et au matériel syndical. Nombre des militants ouvriers du PCF n'ont guère le coeur à se réunir sur la base de l'entreprise, s'ils n'ont pas la possibilité de le faire sur le temps de travail. Il faut noter que le PCF fait plus d'efforts pour réunir ses membres, qu'il n'en fait pour réunir les syndiqués, mais qu'en fait, il se contente fort bien de les réunir sur la base locale, au lieu de les réunir sur la base de l'entreprise.

C'est pourquoi nous écrivions plus haut que l'existence même du PCF dans les entreprises repose sur la CGT. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'expliquer longuement que c'est à l'activité syndicale de ses militants que le PCF doit la majeure partie de son influence dans les entreprises. Le PCF en tant que tel n'y a que très peu d'influence, par l'intermédiaire de la CGT il en a une énorme.

Nous n'insisterons pas sur les causes, les motifs et la base sociale de la politique stalinienne, mais il est hors de doute, qu'en France, depuis vingt-cinq ans, le mouvement stalinien est la force contre-révolutionnaire la plus efficace qui soit. Ni la social-démocratie, largement minoritaire depuis la guerre, ni les autres bureaucraties syndicales, qui n'ont un peu d'influence que depuis quelques années, n'auraient eu la force de paralyser la classe ouvrière française, comme le PCF et la CGT l'ont paralysée depuis vingt-cinq ans. Dire que la bourgeoisie française n'a pu mener sa politique et se maintenir en selle depuis la fin de la guerre sans grands remous sociaux que grâce au PCF et à la CGT, n'est que l'exacte réalité.

C'est donc la raison majeure qu'ont les travailleurs révolutionnaires de militer à la CGT et pas ailleurs, car c'est auprès des travailleurs influencés par le PCF, que la contestation doit se faire. C'est la démonstration de ce qu'est réellement la politique stalinienne qui doit être faite. Tourner le dos à l'appareil stalinien sous prétexte qu'il faut militer au sein des appareils, et qu'il est infiniment plus facile de pénétrer dans l'appareil réformiste que dans l'appareil de la CGT est un non-sens. C'est pourtant le choix que font pratiquement, au nom du Programme de Transition, certains militants trotskystes (cas de l'OCI du Comité International). Bien sûr, ce choix ils ne le revendiquent pas ouvertement, ils ne le peuvent pas, mais ce n'en est que pire.

Militer archi-conspirativement au sein de l'appareil CGT, pour ne pas se faire exclure, au point d'être complice de tout ou presque, en ne s'adressant jamais aux syndiqués et, a fortiori, jamais à l'ensemble des travailleurs (80 à 90 %) est un égal non sens, c'est pourtant la politique que mène pratiquement l'organisation française qui dépend du Secrétariat Unifié (PCI). Notons que l'OCI pratique aussi quelquefois cette politique. C'est ainsi que, par exemple, à la Rhodiaceta Lyon Vaise, alors que les ouvriers des équipes ne voulaient pas reprendre le travail et tentaient de s'opposer par la force à la reprise, un militant de l'OCI, délégué de la CGT a, comme les autres délégués, demandé aux travailleurs de reprendre le travail quoi qu'il en pensât lui-même, parce que, dit-il, « les staliniens me surveillaient ». Ce n'est pas que ce militant manque de courage. Il applique simplement la politique de son organisation : il faut s'adresser aux appareils syndicaux mais pas aux travailleurs. Cela n'empêchera pas d'ailleurs ce militant de se faire probablement exclure de la CGT, pour activité « fractionnelle ». Cela n'a pas gêné l'OCI, avec l'absence de scrupules qui la caractérise, pour écrire que nous nous étions prononcés pour la reprise du travail (ce qui est faux, bien sûr).

Militer syndicalement au sein de la CGT est donc l'une des tâches essentielles des trotskystes dans les entreprises. C'est difficile, cela nécessite des précautions mais aussi le respect de certains principes. Car, là non plus, il ne suffit pas de faire ce raisonnement fondamental, il faut encore avoir une pratique juste. De plus, l'activité syndicale, n'est pas la seule activité que doivent avoir les trotskystes dans les entreprises. Il ne faut pas oublier que 80 à 90 % des travailleurs ne sont pas syndiqués, et que 90 % de ceux qui le sont n'assistent jamais à une réunion. Or, aucun groupe trotskyste, à part notre organisation, n'a, ne serait-ce qu'une publication touchant l'ensemble des travailleurs d'une entreprise.

Ce sont ces problèmes que nous comptons aborder dans nos prochaines parutions, en commençant par la nature, les possibilités et les limites de l'activité que les trotskystes doivent mener au sein de la CGT.

 

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