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La grève de Saint-Nazaire, les bureaucratie syndicales et l'OCI

« Informations Ouvrières », mensuel publié par l'OCI (section française du Comité International), commentant « la grève des mensuels à Saint-Nazaire » dans son supplément ronéoté, N° 332, en date du 1er avril 1967, écrit : « Les Voix Ouvrières, à Saint-Nazaire, au nom du trotskysme défigurent le trotskysme. Ils rejettent l'organisation syndicale, outil élémentaire de la défense des intérêts ouvriers, en l'assimilant aux directions traîtres, et, dans le même temps lancent, ici, des mots d'ordre aventuristes, hors de la réalité, tandis qu'à Rhodiaceta, ils approuvent la capitulation ».

D'ailleurs, la soi-disant capitulation de « Voix Ouvrière » à Rhodiaceta avait déjà été évoquée dans le supplément précédant d' « Informations Ouvrières », N° 331, du 28 mars. Il y était écrit en effet : « Ce groupe ( « Voix Ouvrière » - NDLR), le jour même où les éléments les plus conscients des travailleurs de chez Rhodia refusent de rentrer, ce groupe est totalement sur la ligne de la reprise et il a cette formule admirable : « Cependant ( ?) sur le plan de Rhodia, nous avons acculé le patron moralement ». A la bonne votre ! La victoire « morale » leur sert de justificatif à leur capitulation devant les appareils ».

Ainsi, « Informations Ouvrières » n'a pas trouvé de meilleure raison pour nous accuser de capituler devant les appareils qu'une maigre phrase tirée de la VO Rodiaceta Lyon-Vaise N° 24. Cette phrase ne peut certes, en rien, pour un lecteur de bonne foi, signifier par elle-même une capitulation quelconque. Tirée de son contexte, elle ne signifie rien. Or, dans le texte dont elle fait partie, nous écrivions : « Les organisations syndicales qui sont puissantes dans l'ensemble du pays n'ont pas essayé d'organiser la grève de tous les travailleurs ensemble, et maintenant leurs dirigeants essaient de nous faire accepter ce qu'eux ont accepté dans les discussions avec les patrons. Nous savons tous comment les travailleurs des 4 x 8 ont répondu hier à cela. Nous n'avons pas mené cette longue grève pour aboutir à un aussi faible résultat et ces travailleurs ont raison ».

Mais ce passage-là de la VO Rhodiaceta, « Informations Ouvrières » ne le livre pas à ses lecteurs. « Informations Ouvrières » préfère leur mentir sciemment et tronquer les textes. Curieux procédé pour des gens qui prétendent défendre la figure du trotskysme.

Quant à nos positions « aventuristes » dans le conflit de Saint-Nazaire, là-dessus, pas un mot. Pas la moindre citation ou le moindre fait à l'appui de cette accusation. Et c'est bien dommage. Car un examen approfondi sur la tactique à employer dans les mouvements de grève qui se développent en France actuellement serait certainement de la plus grande utilité aux militants révolutionnaires. Comme il serait de plus grand intérêt d'examiner sérieusement le travail syndical, tel que le conçoivent et le pratiquent les différents groupes d'extrême-gauche.

Quand les patrons n'osent pas affronter les travailleurs...

Ainsi, « Informations Ouvrières », dans le même temps où « Voix Ouvrière » est taxé d'aventurisme, apporte un soutien inconditionnel à l'Union Départementale de Force Ouvrière, de Loire-Atlantique. Dans son même N° 332, il est expliqué que, à Saint-Nazaire, la bourgeoisie « n'a pas encore décidé l'affrontement ». Pourquoi ? Parce qu'elle craint l'extension de la lutte à Nantes et que « Nantes entrant dans la lutte, ce n'est pas seulement quelques milliers de travailleurs de plus, c'est aussi l'avant-garde révolutionnaire implantée dans les organisations syndicales, offrant la perspective de la lutte anticapitaliste par la réalisation du front unique ouvrier ». Heureux Nazairiens, grévistes depuis deux mois ou lock-outés depuis un et demi maintenant ! Quelle chance ils ont de vivre et de travailler à soixante kilomètres de l'avant-garde révolutionnaire et syndicaliste française, ou pour parler clair, car c'est d'elle qu'il s'agit, de l'UD-FO de Loire-Atlantique !

La chose n'étant pas courante, il vaut certainement la peine d'examiner les terribles menaces que celle-ci fit et fait peser sur les patrons Nazairiens au point que ceux-ci n'ont rien osé de plus que laisser plus de 3 000 mensuels en grève totale depuis deux mois et lock-outer la plus grosse entreprise non seulement de la ville, mais de toute la région.

Le 1er mars, les 3 200 mensuels de la métallurgie nazairienne, après une grève d'avertissement d'une journée le 18 février, se mettaient en grève illimitée. Ils estimaient que leurs salaires avaient pris un retard de 16 %, sur ceux des mensuels de la métallurgie parisienne et demandaient dans un premier temps un rattrapage de 8 % (celui-ci devant s'ajouter à l'augmentation normale prévue cette année, c'est-à-dire environ 4 %).

Le 21 mars, la direction des Chantiers de l'Atlantique, principale entreprise de Saint-Nazaire, prétextant que le travail ne pouvait plus être assuré sans la maîtrise et les employés mensuels en grève, lock-outait son personnel horaire, 6000 ouvriers. Cette mesure patronale était prévisible. Tout le monde à Saint-Nazaire, y compris tous les ouvriers des Chantiers, l'attendaient plus ou moins et la redoutaient. Pourtant, aucun syndicat (ni CGT, ni F0, ni CFDT qui ont une importance à peu prés égale dans l'entreprise), n'avait préparé les travailleurs à l'affronter et proposé une riposte adéquate. Aussi, l'initiative fut-elle entièrement laissée au patron, dont les travailleurs durent subir la volonté, faute d'avoir envisagé, quand il le fallait, comment il était possible de répondre (par l'occupation de l'usine, par exemple).

De toute manière, la direction des Chantiers, en lock-outant les trois quarts des ouvriers encore au travail liait leur sort, qu'ils le veuillent ou non, à celui du quart déjà en grève depuis trois semaines. Les horaires n'auraient plus rien eu à perdre à joindre leur lutte à celle des mensuels, et à mettre en avant, non pas la simple demande de réouverture des Chantiers, mais leur propre revendication qui était, dans le fond, semblable à celle des mensuels. Les syndicats avaient en effet mis en avant, ceci avant la grève, et fait adopter par l'ensemble des travailleurs la revendication d'une augmentation de salaire de 12 %. Justifiée par la nécessité de réajuster les salaires après la diminution des horaires passés de 48 à 44 heures il y a quelque temps, elle se traduisait par 50 centimes de l'heure pour tous.

Mais au lieu de joindre les luttes des horaires et des mensuels, les dirigeants syndicaux prirent au contraire grand soin de les séparer. Meetings et manifestations distinctes furent organisés chaque jour pour chaque catégorie du personnel.

Pour les syndicats, il était bien entendu que les horaires lock-outés n'étaient pas en lutte pour leurs revendications. D'ailleurs, dans les premiers temps du lock-out, ils continuaient à discuter un accord d'Entreprise avec la direction des chantiers. Et pour que cela soit bien clair, les syndicats, de leur propre chef, sans consulter les travailleurs cette fois, réduisirent les revendications des horaires. La CGT, dans ses discussions avec les autorités ne parla bientôt plus que de 30 centimes, les autres syndicats FO et CFDT acceptaient sans protester.

La politique de l'UD-FO

La politique suivie par les directions syndicales nazairiennes est donc claire. Mais celle des directions départementales a-t-elle été différente ? et en quoi ? « Informations Ouvrières » écrit que « les UD de Loire-Atlantique, à l'initiative de l'UD-FO ont traduit dans les faits « la volonté de la classe exprimée par l'avant-garde révolutionnaire implantée d'étendre le combat ». Informations Ouvrières » en voit la preuve dans « le meeting interprofessionnel central à Nantes avec les travailleurs de Saint-Nazaire, regroupant plus de 10 000 manifestants ».

En réalité, ce meeting, tenu le 30 mars, fut un échec, et ressenti comme tel pour beaucoup de travailleurs nazairiens. Ceux-ci étaient plusieurs milliers à s'être déplacés à Nantes. Les travailleurs nantais par contre étaient beaucoup moins que prévu : quelques milliers, au plus, à participer à la manifestation et au meeting communs.

Pourtant le 19 février 1964, lors d'une précédente marche sur Nantes des travailleurs de Saint-Nazaire, à la suite de licenciements aux mêmes Chantiers de l'Atlantique, un meeting commun avait réuni à la même place plus de 50.000 personnes. Si on comparait les deux journées, il n'y avait que le choix entre deux conclusions : ou bien, aujourd'hui, les travailleurs nantais n'étaient pas prêts à se battre et à entrer an lutte aux côtés de ceux de Saint-Nazaire... ou bien les UD n'avaient pas fait correctement leur travail pour préparer ce meeting.

La seconde conclusion s'impose, quand on sait que l'appel à débrayer pour se joindre à la manifestation ne s'adressait pas à tous les travailleurs, mais à certaines corporations ou entreprises seulement. La première était celle que les dirigeants syndicalistes voulaient implicitement faire entendre aux travailleurs nazairiens (et par là qu'il était vain d'attendre une extension de la lutte) tout en essayant d'entretenir le mythe qu'ils avaient fait tout ce qu'ils pouvaient en leur faveur.

Preuve en est fournie par l'attitude adoptée par les leaders syndicalistes les jours suivants. Le 6 avril, à Saint-Nazaire, une réunion des représentants des mensuels avait lieu avec les secrétaires des trois Unions Départementales CGT, FO et CFDT, pour voir comment mettre fin au conflit. Et quelques jours plus tard, Hébert, secrétaire de l'UD-FO précisément, déclarait, dans une réunion du syndicat des horaires FO, toujours à Saint-Nazaire, que le mouvement ne pouvait pas être étendu... car la CGT était contre. Si, à l'heure ou nous écrivons, la grève dure toujours, ce n'est vraiment pas la faute des leaders syndicalistes.

D'ailleurs lors du meeting du 30 mars à Nantes, où il prit la parole au nom de l'UD-FO, Hébert ne dit rien, pas plus que les représentants de la CGT et de la CFDT, sur les perspectives du mouvement nazairien, sur ce que grévistes et lock-outés pouvaient faire, sur les réelles possibilités d'extension du conflit, sur ce que les directions des syndicats comptaient faire de leur côté. C'est pourtant de cela, c'est-à-dire de perspectives pour leur lutte, qu'avaient besoin d'entendre parler les travailleurs venus là. Ces perspectives, personne ne les a données, pas plus les leaders de FO que les autres. Evidemment, puisque les jours suivants, ils s'employaient tous à expliquer aux travailleurs en grève qu'il fallait mettra fin au conflit.

Hébert, dans son discours du 30 mars, dit pourtant quelque chose d'original. « Pas d'arbitrage du gouvernement obligatoire » lança-t-il comme mot d'ordre. En France, l'arbitrage du gouvernement, proposé il est vrai à chaque conflit, n'est obligatoire que parce que les syndicats veulent bien se plier à cette procédure. la formule n'a donc pas grand sens. Elle n'en avait aucun pour les grévistes.

Mais peut-être n'était-ce pas pour eux qu'à cette minute Hébert parlait, mais seulement pour les gens de l'OCI pour qui cette formule signifiait (qui l'aurait cru) « concrètement : la condamnation de l'accord Rhodiaceta » ( « Informations Ouvrières » - op. cité). L'ennui c'est que « concrètement », Hébert s'est bien gardé de dire qu'il condamnait l'accord Rhodiaceta. A une formule claire qui aurait pu être comprise de tous, Hébert en a préféré une autre sibylline et qui demandait une traduction « concrète ». Une traduction qui pouvait être différente pour chacun et que les autres bureaucrates syndicaux n'ont eu aucune peine à traduire à leur façon : « libre discussion avec les patrons » répètent-ils tous, à tous les vents.

Mais pour l'OCI, justifier à tout prix la politique des dirigeants de FO à Nantes est un besoin, car c'est sur eux et sur leur « alliance » que repose toute la politique des militants de l'OCI depuis des années. Aussi, par on ne sait quelle grâce sanctifiante, tout ce qu'ils font ou proposent devient par là même « révolutionnaire ».

« Le syndicat des métaux FO de Nantes l'a exprimé, en proposant ainsi que la CGT : une augmentation générale pour les travailleurs nantais de 0,25 F de l'heure, soit environ 8 %, le double du plan », écrit encore « Informations Ouvrières » N° 332. 25 centimes de l'heure, cela signifie peut-être le double du plan pour les travailleurs nantais. L'ennui, c'est que cela signifiait aussi, dans le contexte de la lutte nazairienne, deux autres choses, oubliées par « Informations Ouvrières ».

D'abord que, « concrètement », les syndicats proposaient d'entrer en lutte (négligeons pour le moment le fait qu'ils aient oublié aussi de définir par quels moyens) pour 4 % d'augmentation supplémentaire, puisque 4 % sont de toute manière plus ou moins accordés d'avance suivant le plan. Or, le conflit de Saint-Nazaire prouve qu'une lutte très longue est sans doute nécessaire pour faire céder les patrons. Un calcul rapide montre vite que l'enjeu n'en vaut pas la chandelle. Les ouvriers se battent quand l'objectif vaut les sacrifices consentis. Celui proposé par les syndicats nantais ne les vaut guère.

Ensuite, c'était la justification de l'escamotage, dont nous avons parlé plus haut, des syndicats nazairiens qui ont réduit arbitrairement la revendication des horaires de 0,50 F à 0,30 F. Aux travailleurs qui demandaient des comptes, les dirigeants syndicalistes locaux ont pu facilement répondre (et ils ne s'en sont pas privés), qu'il fallait être réalistes et que l'exemple des revendications des Nantais prouvait bien qu'il fallait en rabattre sur les 50 centimes. Voilà, toujours « concrètement » ce que signifiait l'initiative de l'UD-FO.

L'OCI et le travail syndical.

Au mépris de toute vérité, l'OCI prétend que nous refusons de faire du travail dans les syndicats, bien que ses dirigeants ne puissent pas ne pas savoir que tous nos camarades, en particulier tous ceux qui animent une VO d'entreprise, militent également dans les syndicats. En premier lieu dans la CGT, ensuite, quand ce n'est plus possible dans cette centrale du fait de la répression stalinienne, à FO. Mais ce qui est vrai, par contre, c'est que ce que nous entendons par travail syndical n'a rien à voir avec le type d'activités pratiqué par l'OCI

Pour « Voix Ouvrière », il s'agit de défendre dans les syndicats et à travers un travail de type syndicaliste, une ligne politique révolutionnaire, indépendamment des desiderata, de la politique ou des combines des appareils bureaucratisés.

Pour l'OCI, au contraire - et l'exemple de la grève de Saint-Nazaire et du soutien à la politique de l'UD-FO de Loire-Atlantique le montre - faire du « travail syndical » consiste à chercher parmi les différents appareils ou leaders syndicaux, celui ou ceux à qui l'on apportera son appui. Le résultat « concret » est simple : on sert de force d'appoint à une politique qui n'a rien de révolutionnaire et ne sert certainement pas les intérêts de la classe ouvrière.

Au bout du compte, on se met au service d'une boutique syndicale contre une autre. Pour faire pendant au panégyrique de l'UD-FO, le même numéro de « Informations Ouvrières » est ainsi rempli de sarcasmes à l'adresse de la CFDT. Elle a, nous dit-on, « refusé de s'associer à un appel des Unions Locales de la CGT, de la CGT-FO et de la FEN, appelant à voter pour un candidat ouvrier, sur les bases définies intersyndicalement contre le Ve Plan et la politique des revenus, contre le Plan Fouchet et pour la laïcité ». C'est certainement vrai. Nous savons d'ailleurs fort bien que les dirigeants CFDT ne valent pas mieux que les autres. Et bien que l'attitude en l'occurrence de la CGT, de FO et de la FEN ne nous semble nullement un critère de politique ouvrière, vouer aux gémonies, sans recours, les organisations traîtres qui refusent de se battre sur une ligne politique de classe, paraîtrait faire preuve d'une intransigeance révolutionnaire de bon aloi.

L'ennui, c'est que cette intransigeance, l'OCI ne l'a pas envers tous. Hébert, il y a quelque temps, appela ouvertement et publiquement à soutenir la candidature du maire de Nantes André Morice. Morice est un radical, chaud partisan en son temps de l'Algérie française, au point d'être le promoteur de la fameuse « ligne Morice », ensemble de fortifications qui devait en théorie couper l'Algérie de la Tunisie et empêcher les infiltrations FLN (il est vrai que l'affaire a aussi rapporté, paraît-il, beaucoup d'argent à ceux qui l'ont lancée). En tous cas, l'OCI ne peut certainement pas le considérer comme un « candidat ouvrier ».

Pourtant, les camarades de l'OCI à l'époque, n'ont condamné l'attitude de Hébert que du bout des lèvres. Ils n'ont jamais écrit qu'il était un « jaune » comme ils le font aujourd'hui de la CFDT « organisation jaune » ( « Informations Ouvrières » N° 332). Ils ont même conservé leurs excellentes relations avec lui, et il a toujours le droit d'être compté par eux parmi l'avant-garde révolutionnaire. « Une lutte au couteau » est à engager contre nous, écrit « Informations Ouvrières », qui nous définit aimablement et plaisamment comme « un courant petit bourgeois qui ballotte au gré des appareils de l'opportunisme au gauchisme ». Aucun doute en effet que si l'OCI n'a d'autre politique que de se mettre au service de certains bureaucrates, ceux-ci n'exigent d'elle, un jour ou l'autre, qu'elle donne des gages contre des militants révolutionnaires. Elle a commencé d'ailleurs tant il est évident que le N° 332 de « Informations Ouvrières » est destiné à flaire plaisir à certains dirigeants syndicalistes de Loire-Atlantique, qui par ailleurs voient d'un fort mauvais oeil l'activité de « Voix Ouvrière » à Saint-Nazaire. Il est vrai aussi que celle-ci est davantage préoccupée des intérêts de l'ensemble des travailleurs que de ceux de dirigeants réformistes, fusent-ils des réformistes de gauche.

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