Le problème palestinien01/07/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Article du mensuel

Le problème palestinien

Le problème palestinien et le conflit judéo-arabe qui en découle viennent de connaître un sanglant rebondissement. Aujourd'hui les armes se sont tues mais tout le monde reste convaincu que la victoire militaire d'Israël n'a rien réglé. La propagande farouchement pro-Israël et anti-arabe de la grande presse, y compris celle qui se dit « de gauche » comme le « Nouvel Observateur » a troublé bien des consciences et de nombreux militants révolutionnaires ont eu du mal à défendre une position correcte sur ce problème.

Il faut bien dire que si la liaison de l'État sioniste avec l'impérialisme en général, et l'impérialisme américain en particulier, est apparue évidente à tous, les surenchères chauvines, voire racistes, d'un certain nombre de dirigeants arabes - Ahmed Choukeiry, le leader de l'Organisation de Libération de la Palestine, en est l'exemple le plus caractéristique - ont poussé un certain nombre de militants trotskystes à rejeter dos à dos Arabes et Israéliens et à adopter dans le conflit une position défaitiste dans les deux camps.

Pour notre part, nous nous sommes déclarés solidaires des pays arabes et notre position se fonde sur l'analyse des camps en présence dans cette guerre. Mais un historique de l'implantation Juive en Palestine permettra de mieux comprendre notre point de vue.

Le mouvement sioniste, c'est-à-dire le système politique qui veut regrouper les Israélites en Palestine pour résoudre le problème Juif, est né à la fin du XIXe siècle. Son fondateur, Herzl, avocat viennois qui avait vécu à Paris l'affaire Dreyfus, s'adresse pour réaliser son projet d'État juif d'abord à Guillaume II - en faisant valoir l'avantage pour l'Allemagne d'une population Juive en majorité de langue allemande dans une région convoitée par le Kaiser puis au Sultan de Turquie, enfin à l'Angleterre. Cette dernière, en 1917, dans une déclaration du ministre Balfour apporta son appui à la réalisation d'un « Foyer National Juif » en Palestine.

Après la première guerre mondiale, la Palestine, ex-colonie turque, passa sous mandat britannique. L'émigration juive dans le pays s'accéléra.

De 80 000 en 1914, pour une population de 1/2 million d'Arabes, les Juifs représentaient 22 % de la population en 1922 et 26 % en 1929.

Après cette date, les persécutions nazies provoquent un afflux massif d'immigrants, bien que les Britanniques, pour donner des gages aux pays arabes alliés potentiels dans la guerre qui se préparait, aient pris des mesures contre cette immigration.

En 1947, à la veille de la création de l'État d'Israël, la Palestine comptait 600 000 Juifs pour 1 200 000 Arabes.

En Palestine, les Juifs se heurtèrent bien vite à la population arabe. cette époque la Palestine avait les mêmes caractéristiques que la plupart des colonies sous-développées. De faibles industries aux mains de l'impérialisme, côtoyaient les immenses domaines appartenant à des propriétaires fonciers et sur lesquels travaillaient des fellahs misérables.

La moitié des terres était entre les mains de 250 familles féodales et les usuriers, souvent les féodaux eux-mêmes, régnaient en maîtres. Dans un rapport sur « le développement et les entreprises agraires en Palestine 1931-32 » par L. French, on trouve cette remarque : « Dans une région militaire s'étendant sur les trois sous-districts, il y a 14 percepteurs gouvernementaux ; un seul usurier, dans un seul de ces sous-districts, emploie 26 hommes pour collecter ses intérêts.

Un autre rapport notait que 23,9 % de ce que le fellah produisait lui revenait, et il versait 48,8 % en impôts et redevances de toutes sortes aux féodaux et à l'État. T. Cliff, dirigeant trotskyste palestinien avait calculé en novembre 1945 que si une famille de 6 personnes (père, mère, 4 enfants) était emprisonnée et nourrie par le gouvernement, son revenu-annuel serait de 42,3 livres, alors qu'en liberté, la même famille n'en gagne que 18.

Par l'intermédiaire de ses organisations communautaires tel le Fonds National Juif (K.K.L.) l'implantation de la population juive fut en fait directement dirigée contre la population agricole arabe. Le K.K.L. achetait des terres aux féodal et en expulsait tous les paysans arabes pour y mettre à la place des colons juifs. Ainsi dans la vallée de Jezreel, 20 villages furent rayés de la carte, la terre que les paysans arabes avaient toujours travaillée, ayant été rachetée à son propriétaire, le banquier syrien Sursuk, par le K.K.L.. Les exemples de ce genre furent courants dans toute la Palestine. Les dizaines de milliers de paysans chassés de leurs terres se retrouvèrent sans travail d'autant plus que les fermes collectives juives refusaient systématiquement d'employer des ouvriers agricoles arabes, le sionisme prescrivant la libération sociale par le « travail juif ».

Dans les villes, la bourgeoisie juive connut un très faible développement. En effet, la plupart des branches industrielles étaient aux mains des sociétés étrangères. Toute faible qu'elle fût, la bourgeoisie juive, plus dynamique, parvint peu à peu à supplanter la bourgeoisie arabe mais resta jusqu'à la proclamation de l'État d'Israël un parent pauvre du capital étranger.

A l'époque du mandat, le capital étranger (principalement anglais) représentait les 3/4 du capital total investi en Palestine, le capital juif 1/5 environ et le capital arabe de 2 à 3 %. Dès l'origine, la bourgeoisie juive et les dirigeants de l'Agence Juive, qui représentaient une population minoritaire dans le pays se placèrent sous l'aile de l'impérialisme anglais. Dans un livre paru en 1944, Camille Huysmanns, leader de la IIe Internationale et, par là, lié aux dirigeants Sionistes qui s'en réclamaient (Ben Gourion - Moshé Sharett) mettait en lumière la stabilité de la population juive en Palestine et l'utilité d'un État juif au sein du Commonwealth pour la sécurité du canal de Suez.

Dans le Journal « Ha'aretz » du 26 octobre 1945, Sneh, aujourd'hui leader stalinien, mais à l'époque social-démocrate écrivait : « L'un des mauvais principes du système traditionnel (de la politique anglaise) est que les autorités britanniques ne font des compromis qu'avec ceux qui savent comment déranger et briser la paix, alors qu'elles ont coutume de traiter à la légère et de trahir un allié fidèle, patient et pacifique. Nous ne voyons pas la moindre contradiction entre une immigration massive, un État juif et des bases larges et solides pour l'Angleterre dans ce pays ».

Dans le même ordre d'idée, alors qu'il y avait en Palestine, proportionnellement à la population, 6,7 fois plus de policiers qu'en Grande-Bretagne, l'Agence Juive réclamait l'arrivée de renforts de police pour maintenir en paix... les Arabes. Mais elle ne se préoccupa jamais du fait qu'en Palestine le budget consacré à l'éducation et à la santé était cinq fois plus faible qu'en Angleterre. Mieux, elle protesta parce qu'elle estimait que, dans une répartition de ce budget au prorata du nombre d'enfants, les Juifs seraient désavantagés. Bien évidemment, l'impérialisme anglais profita de la « bonne volonté » et de l'inféodation des dirigeants sionistes, qui dès le début étaient ses laquais, pour dévier contre les Juifs le mécontentement des masses arabes. De grands mouvements des masses arabes qui secouèrent la Palestine en 1936-1939 (grèves générales, bagarres avec la police, guérillas...) se terminèrent la plupart du temps en insurrections anti-juives. Par exemple, une compagnie anglaise qui montait une entreprise en Palestine nommait un directeur juif. Aussitôt une grève ou un boycott des ouvriers arabes de l'entreprise se transformait en manifestation anti-juive. La Histadrut, le syndicat sioniste, collabora avec les Anglais pour faire échouer le mouvement populaire des masses arabes. Par exemple, alors que les travailleurs arabes boycottaient la compagnie Steel Bros., la Histadrut lui fournit de la main-d'oeuvre juive et lui permit ainsi de triompher.

Les compagnies anglaises d'ailleurs s'accommodaient fort bien de l'antagonisme judéo-arabe lorsqu'elles-mêmes ne l'attisaient pas.

Par exemple, « l'Anglo-American Tobacco Company » était propriétaire d'une usine à Tel Aviv (Maspero) n'employant que ces ouvriers juifs et vendant sous le slogan « achetez les produits 100 % juifs » ; et une autre (Karaman) fournissant le marché arabe, n'employant que des Arabes et faisant de la propagande contre la vente des terres aux Juifs. Mais, bien entendu, la déviation de la lutte anti-impérialiste des masses arabes, ne put se faire que grâce à la complicité des dirigeants nationalistes arabes. Les féodaux et la bourgeoisie ne tenaient nullement à expulser l'impérialisme, mais tout juste à prendre la place de la bourgeoisie juive.

Il est tout à fait remarquable qu'à la conférence des leaders arabes qui se tint à Londres en février 1939, ni Oni Bey Abd el Ali représentant les gros propriétaires fonciers féodaux, ni les partisans de Nachabibi, de tendance bourgeoise et collaborationniste, ni aucun des pays arabes, ne réclamèrent l'indépendance... mais l'interdiction de l'émigration juive et de la vente des terres aux Juifs.

Mais, pendant que les leaders nationalistes arabes cherchaient le compromis avec l'impérialisme anglais, des milliers de partisans armés qui se soulevaient contre l'impérialisme furent abattus par les Anglais qui, bien entendu, prétendaient n'avoir agi ainsi que pour protéger... les Juifs. Ce qui renforça encore un peu plus l'hostilité des Arabes envers la communauté juive.

Pendant la seconde guerre mondiale, les dirigeants sionistes renforcèrent encore, s'il était possible, leur lien avec l'impérialisme anglais. Quant à certains leaders arabes, tel le grand mufti de Jérusalem Haj Amin el Husseini, qui avaient été des agents de l'Angleterre de 1917 à 1939, ils passèrent sous la coupe de l'impérialisme Allemand et Husseini finit la guerre à Berlin.

De la seconde guerre mondiale à la création de l'etat d'Israël

L'élément nouveau de l'après-guerre, fut l'afflux massif des rescapés des camps de la mort qui aiguisa encore la contradiction. Les masses arabes identifièrent cette vague à de nouvelles expulsions pour elles, et leur hostilité grandit encore. Ceci favorisa un nouveau mouvement de guérilla contre les Juifs.

De leur côté, les dirigeants de l'Agence Juive, qui n'étaient pas du tout disposés à engager la lutte contre l'impérialisme anglais, se sentaient de plus en plus dépassés par les organisations nationalistes armées comme le Stern et l'Irgoun.

La décision de l'ONU de 1947 de partager la Palestine en deux États, l'un juif, l'autre arabe, si elle était conforme à ce qu'avait toujours souhaité l'Agence Juive, exacerba la lutte. Les Arabes palestiniens se rendaient parfaitement compte qu'ils étaient les premières victimes de ce partage car la colonisation juive n'englobait que 7 % du territoire palestinien et le partage donnait aux Juifs plus de 50 % de l'ancienne Palestine. Bien plus, les sionistes révisionnistes (extrême-droite) revendiquaient la « Palestine historique », c'est-à-dire la totalité du mandat britannique.

Jusqu'à la proclamation de l'État d'Israël, en mai 1948, les organisations nationalistes juives entreprirent des massacres sanglants pour faire fuir la population arabe du futur territoire de l'État d'Israël.

A Der Yassin, en avril 1948, l'Irgoun massacra 254 Arabes dont plus de 130 femmes et enfants et le même mois, le Stern fit sauter le rapide Le Caire-Haïffa faisant 48 morts et 61 blessés, tous arabes.

A la fin d'avril, l'Irgoun attaqua la ville arabe de Jaffa, séparée de Tel Aviv par un simple faubourg, ce qui entraîna la fuite de 15 000 civils arabes.

A Saint-Jean-d'Acre, les groupes terroristes juifs laissèrent quelques heures à des milliers d'Arabes pour quitter la ville.

Le 2 mai 1948, 20 000 Arabes quittèrent Tibériade à la suite d'une attaque de la Hagana, le 12 juillet, à Ramleh et à Lydda, les Israéliens donnèrent une demi-heure à la population arabe pour quitter ces villes. Ce délai passé, les troupes juives enfoncèrent les portes. 30 000 personnes au moins partirent à pied en abandonnant tout.

Ces exemples sont sans doute suffisants pour détruire le mythe du « bon » sioniste, conseillant à son « ami » arabe trompé par les sirènes jordaniennes ou égyptiennes de rester dans le pays. Ce mythe ne tient pas debout lorsque l'on sait que l'historien Childers, qui a eu accès au British Museum à l'enregistrement de toutes les émissions en provenance du Moyen-Orient en 1948, est formel : pas un seul instant les radios arabes ne donnèrent l'ordre aux Palestiniens de s'enfuir. Au contraire, les appels à rester en Palestine furent nombreux. Par contre du côté sioniste, les cadavres atrocement mutilés des victimes de Der Yassin furent photographiés et ces photos largement diffusées dans la population arabe, avec comme légende : « Si vous ne partez pas, voilà ce qui vous arrivera ! »

Un autre mythe est celui de l'aide complète apportée aux Arabes par l'Angleterre contre les Juifs. L'attitude de l'Angleterre fut plus subtile, il s'agissait pour elle de laisser Juifs et Arabes se combattre sans que l'un prenne l'avantage sur l'autre.

Par exemple, en janvier 1948, lorsque des Palestiniens venus de Syrie attaquèrent le kibboutz Dan et Kfar Sold, ce n'est pas seulement la milice juive qui les repoussa, (elle aurait sans doute été battue) mais les blindés et les Spitfire de l'armée britannique. Et, lors de l'attaque de Jaffa, les mêmes blindés protégeront les Arabes mal armés contre l'Irgoun. Cette attitude de l'Angleterre faisait écrire à l'envoyé du « Monde » au Moyen-Orient, le 8 mai 1948 : « on a l'impression nette que les blindés et l'aviation de Sa Majesté ont pour mission essentielle de veiller à ce que l'équilibre entre Juifs et Arabes soit rigoureusement maintenu ».

Ainsi, plus que jamais, la Grande-Bretagne apparaît-elle comme l'arbitre de la situation.

La solution de partage, telle que l'avait préconisée l'ONU en novembre 1947, recueillit aussitôt l'assentiment des États-Unis. L'Angleterre avait sur la question une position plus réservée, puisque les régimes féodaux arabes qu'elle soutenait y étaient hostiles. Tout naturellement, l'Agence Juive quitta alors l'aile de son protecteur anglais, partagé entre son soutien aux féodaux arabes et la bourgeoisie juive, pour se placer sous celle, infiniment plus puissante et plus hospitalière, des USA. Déjà au Congrès sioniste de Bâle en 1946, Goldman, polémiquant contre les sionistes de gauche de l'Hachomer Hatzair qui préconisaient un État bi-national judéo-arabe, et contre les révisionnistes (extrême-droite) qui affirmaient le droit des Juifs sur toute la Palestine, rappelait que le mouvement sioniste ne pouvait que se rallier à une solution de partage, puisque le State Department américain s'y montrait favorable.

Les deux États qui sur le papier furent créés par l'ONU étaient l'un et l'autre invivables. Ils étaient divisés chacun en trois parties, séparées entre elles par des couloirs communs aux deux États. A côté d'un tel puzzle, le Pakistan, coupé en deux par des milliers de kilomètres de territoire indien, apparaît presque comme une solution raisonnable.

La seconde phase de la guerre, commença en mai 1948, lorsque l'État d'Israël fut proclamé. Il faut souligner que l'entrée en guerre contre l'État sioniste de sept pays arabes n'avait strictement rien à voir avec les droits du peuple palestinien, droits qui ne furent que le prétexte à cette intervention comme la suite allait le montrer.

On assista, dès le début de la guerre, à des courses poursuites entre Abdallah de Jordanie et Farouk d'Egypte, pour s'emparer de la plus grande partie possible du territoire palestinien. Les troupes d'Arabie Séoudite, pour leur part, se contentèrent d'annexer le port d'Akaba avant les Jordaniens, à la grande fureur d'Abdallah.

De son côté, l'armée israélienne, tout en se défendant contre les armées arabes, arrondissait l'État juif, bien entendu aux dépens des Arabes palestiniens.

Mieux armées, mieux entraînées que les armées arabes et bénéficiant surtout d'un appui incontestable au sein de sa population juive, les forces armées israéliennes infligèrent de sévères défaites aux armées arabes, armées de mercenaires, corrompues et mal payées, sans aucun soutien populaire.

Par peur d'un effondrement généralisé de tous les régimes féodaux de la région, consécutif à la défaite militaire trop lourde, l'Angleterre intervint alors militairement aux côtés des Arabes. Au début de 1949, les troupes britanniques prirent position à Akaba, face aux soldats israéliens et des blindés furent massés dans le Sinaï pour stopper l'avance israélienne dans cette région. En janvier 1949, après que la D.C.A. israélienne eut abattu cinq chasseurs britanniques, le ton monta alors, et Londres envisagea une intervention armée directe contre Israël.

Mais, tout devait rentrer dans l'ordre en vingt-quatre heures, lorsque les USA ordonnèrent aux troupes israéliennes de quitter le territoire égyptien, ce qu'elles firent immédiatement, et déclarèrent qu'ils considéraient comme clos l'incident provoqué par la destruction des appareils.

Désormais, les USA apparaîtront comme le véritable arbitre de la situation et supplanteront l'Angleterre au Moyen-Orient.

Les armées israéliennes et arabes signèrent des armistices sur les lignes de front et ce statu quo territorial dura jusqu'au 5 juin 1967.

La plus grande partie de l'ancienne Palestine était occupée par l'armée israélienne et les troupes d'Abdallah occupèrent la Cisjordanie qui fut officiellement absorbée par la Jordanie en avril 1950. Pour leur part, les Egyptiens occupaient la zone de Gaza. L'État arabe palestinien prévu par l'ONU avait disparu de la carte.

... Et les révolutionnaires

Face au problème palestinien et au conflit judéo-arabe, les révolutionnaires ont toujours milité pour une union des travailleurs juifs et arabes contre l'impérialisme, mais comment cette position de principe s'est-elle traduite concrètement sur le terrain ?

Dés avant la création de l'État d'Israël, les internationalistes dénonçaient le sionisme qui mettait les masses juives au service de l'impérialisme, et contre la création d'un État juif qui ne servirait qu'à polariser le mécontentement des masses arabes contre lui plutôt que contre l'impérialisme.

Le groupe trotskyste de Palestine milita toujours pour une Palestine unifiée, qui ne serait obtenue que par une lutte unie des ouvriers juifs et arabes.

Malheureusement, les sionistes d'une part, les nationalistes arabes de l'autre, furent les plus forts. En fait la guerre judéo-arabe de 1947-48, et la création de l'État d'Israël, furent une défaite pour l'ensemble de la classe ouvrière du Moyen-Orient. Le prolétariat arabe, essentiellement le prolétariat égyptien, qui avait derrière lui de grandes traditions de lutte, se retrouva désorienté, et la bourgeoisie égyptienne, à l'époque de Farouk simple instrument des Anglais, put sans mal identifier aux yeux des masses populaires Israël et l'impérialisme.

En Israël, de ce point de vue, la situation pour le prolétariat fut encore plus catastrophique. L'immense majorité de la classe ouvrière se retrouva fermement derrière « son » gouvernement pour faire face au « péril arabe ». Et cette attitude chauvine, raciste, ravivée une première fois par l'expédition de Suez, et une seconde par les événements récents, est le plus lourd fardeau que porteront encore longtemps les travailleurs juifs.

Devant une telle situation, c'est presque un lieu commun que d'affirmer que les révolutionnaires ont eu raison de lutter contre la création d'un État juif en Palestine.

Mais après la création de l'État d'Israël, les militants internationalistes ont continué à mener une politique marxiste révolutionnaire. Ne se sentant nullement liés par le « statu quo » de 1948, ils ont réclamé le droit des réfugiés palestiniens à regagner leur foyer, l'égalité complète des droits pour les arabes israéliens, et surtout pour les uns et les autres, le droit de disposer d'eux-mêmes, jusqu'à y compris la libre séparation des régions de l'État d'Israël à majorité arabe. C'est-à-dire le droit, pour les Arabes israéliens de se détacher de l'État d'Israël et de forcer s'ils le désirent un État indépendant. Cette revendication s'applique aussi aux parties de la Palestine qui ont été intégrées à la Jordanie et à l'Egypte.

C'est pourquoi les révolutionnaires ne doivent pas demander seulement l'évacuation des territoires occupés par Israël depuis le 5 juin, mais aussi la libre disposition des Arabes israéliens.

En Israël même, les Arabes forment les couches les plus prolétarisées de la population. 89,4 % d'entre eux sont des ouvriers, manoeuvres, domestiques et, sur ce nombre, 36,7 % sont des ouvriers agricoles et 11 % des manouvres (contre respectivement 14,4 % et 3 % chez les Juifs). De plus, avec la crise économique que connaît Israël, un grand nombre des 150 000 chômeurs sont des travailleurs arabes.

Même situation dramatique chez les petits paysans puisque depuis 1948, 34 000 ont été expropriés, ce qui représente environ 40 % des terres travaillées par les arabes.

Alors qu'ils représentent 11 % de la population, ils ne forment que 1 % des étudiants, 2 % des employés de l'État et ne reçoivent que 2,5 % des crédits destinés à l'habitation.

Sur le plan politique, bien qu'en théorie ils aient les même droits que les Juifs, la discrimination existe partout. Le « régime militaire » sous lequel vivait la population arabe jusqu'à ces dernières années (passeports intérieurs, permis de circuler, couvre-feu, etc.) a été aboli officiellement il y a un peu plus d'un an, mais en fait subsiste. La seule organisation politique arabe « El Ard » (La Terre) qui voulait se présenter aux élections, a été interdite sous prétexte d'atteinte à l'intégrité du territoire. Le seul quotidien de langue arabe a disparu.

Tous ces faits montrent ce que signifie en fait l'État sioniste : l'oppression de la minorité arabe par la majorité juive.

C'est pourquoi la lutte pour le socialisme dans cette partie du monde passe pour les révolutionnaires israéliens, par la lutte pour la désionisation de l'État israélien. L'abolition de la religion juive comme religion d'État, l'instauration d'un état civil laïque, l'abolition de la loi du retour qui fait de chaque Juif un citoyen de plein droit de l'État d'Israël (alors que le million de réfugiés palestiniens est considéré comme étranger) sont les principaux points de ce programme.

La situation aujourd'hui

Mais si le problème palestinien n'a guère évolué depuis 1948, par contre un certain nombre de bouleversements ont eu lieu dans le Moyen-Orient. La monarchie hachémite d'Irak s'est effondrée, Farouk a perdu son trône et, en Egypte et en Syrie sont apparus des régimes qui, sur une base bourgeoise et nationaliste, ont tenté de s'opposer à l'impérialisme. Il ne s'agit nullement pour nous d'idéaliser ces régimes et de découvrir en leur sein ne serait-ce qu'un soupçon de « socialisme arabe ». Mais dans leur défense limitée et timide contre l'impérialisme, un des principaux obstacles auquel se sont heurtés les pays arabes, a été l'État d'Israël.

C'est d'Israël que partent les troupes lorsque Nasser nationalise le canal de Suez en 1956, c'est Israël qui autorisera les avions anglais à survoler son territoire pour qu'ils puissent porter secours à la monarchie irakienne en 1958. C'est encore Israël qui menace d'intervention les réfugiés arabes de Jordanie si ceux-ci tentent de renverser Hussein. C'est Israël enfin qui, il y a quelques mois, avertissait publiquement que son armée était prête à renverser le gouvernement « révolutionnaire » syrien.

Depuis 1948, s'il n'a pas été le seul, l'État sioniste a été sans doute le plus puissant allié de l'impérialisme en général et de l'impérialisme américain en particulier au Moyen-Orient. Si un Hussein est tenu en mains par les Anglais, si un Fayçal l'est de son côté par les Américains, aucun d'entre eux ne serait capable d'écraser une révolution populaire. Ce n'est certainement pas le cas de l'État d'Israël qui, bien armé, bien entraîné, disposant d'un appui populaire incontestable, apparaît comme l'ennemi le plus redoutable des peuples de cette région.

Dans le conflit qui vient d'éclater, il est aujourd'hui évident pour tout le monde que les Américains se tenaient derrière Israël et que l'agression était en fait dirigée principalement contre la Syrie et contre l'Egypte, pays qui ont tenté de se libérer plus ou moins de l'impérialisme. Le fait que Hussein et Fayçal se soient retrouvés dans le même camp ne changeait strictement pas la nature du conflit. La moitié de la population jordanienne est formée de Palestiniens, et ne pas entrer en guerre signifiait pour Hussein devoir faire face à une insurrection populaire. Ce n'était nullement l'impérialisme qui poussait la monarchie hachémite dans la guerre, mais la peur des masses populaires.

Ne parlons pas ici de Fayçal qui s'est déclaré en guerre par pure démagogie, au même titre d'ailleurs que les Boumedienne, les Bourguiba ou le Koweit. Ce qui est non moins certain pour les révolutionnaires, c'est que la politique chauvine et anti-juive des Nasser, des Nourredine, ne se différenciait nullement de celle menée avant eux par Farouk ou Zaim.

Que par leurs déclarations racistes, les dirigeants arabes aient permis aux dirigeants sionistes de duper leur peuple et de réaliser l'union sacrée, que la classe ouvrière arabe et les masses populaires se soient sans doute laissées prendre au chauvinisme de leur bourgeoisie, aucun révolutionnaire socialiste n'en doute un seul instant. Mais tout ceci n'est pas suffisant pour renvoyer dos à dos Israël et les pays arabes.

Notre soutien aux pays arabes ne signifie nullement l'alignement sur les leaders nationalistes. Au contraire, les révolutionnaires ont dénoncé la collusion entre Nasser, Hussein et Fayçal, c'est-à-dire l'appui apporté par Nasser aux monarchies les plus réactionnaires de la région. Ils expliquent que la propagande anti-juive d'un Choukeiry, de la Syrie ou de l'Egypte, ne donne pas d'autre choix aux masses israéliennes que de tuer ou d'être tué, et que, par cette propagande, les leaders arabes, malgré leurs déclarations, montrent leur nature profondément réactionnaire et anti-socialiste.

Mais, en s'inféodant à leur bourgeoisie, les travailleurs juifs se sont inféodés à l'impérialisme, en s'inféodant aux Nasser, aux Nourredine, les travailleurs arabes remettaient leur sort entre les mains de dirigeants bourgeois ou petit-bourgeois, anti-ouvriers, mais qui, dans une certaine mesure, s'opposaient à l'impérialisme. C'est pourquoi les révolutionnaires dans la lutte se trouvaient aux cotés des pays arabes et non dans le camp israélien. Cette position n'est ni simple ni commode. Mais elle est, quoi qu'on puisse en penser, extrêmement claire.

L'État d'Israël n'est pas la solution du problème juif, il ne peut pas l'être. Que l'État d'Israël existe ou n'existe pas, la solution du problème juif pour la dizaine de millions de Juifs de la terre, c'est en même temps la solution pour tous les opprimés, c'est le socialisme. Être contre l'État d'Israël, être contre sa politique, être contre même son existence, ce n'est pas prendre le parti de ceux qui, dans le passé, dans le présent ou encore dans l'avenir, ont opprimé, oppriment ou opprimeront, les Juifs. Il n'est que de voir ceux qui, dans l'éventail politique français ont soutenu le plus violemment Israël, pour s'en rendre compte.

Ceci dit et posé, nous ne considérons pas que la disparition de l'État d'Israël soit nécessaire ou souhaitable. Nous pensons même que son existence pourrait être bénéfique à toute la population arabe et juive du Moyen-Orient. De même que nous pensions, et que nous pensons toujours, qu'il est regrettable que Pieds Noirs et Arabes n'aient pas su se fondre dans une Algérie indépendante. Quel pays cela aurait pu être !

Nous sommes contre le fait que l'État d'Israël joue à l'heure actuelle au Moyen-Orient le rôle qu'y jouait dans le passé la Légion arabe : légion étrangère de l'impérialisme.

Nous sommes contre la politique des dirigeants arabes qui dit qu'il faut effacer de la carte l'État d'Israël. En soi, cette disparition ne réglerait rien pour les peuples arabes.

Pour que l'État d'Israël puisse être bénéfique aux Juifs et aux arabes du Moyen-Orient, il lui faudrait une politique et une structure socialistes. Il faudrait que la minorité nationale, arabe ou juive, n'y soit pas opprimée, car un peuple qui en opprime un autre, n'est pas un peuple libre. Au point de vue politique, il lui faudrait lutter pour le socialisme mondial - car c'est la seule lutte anti-impérialiste possible et lutter contre l'impérialisme, parce qu'il n'est pas question, sans la destruction du capitalisme mondial, de socialisme même dans un seul kibbutz.

Pour les Juifs de Palestine, c'est la seule voie. Pour les Arabes du Moyen-Orient, c'est aussi la seule voie. C'est pourquoi nous avons une telle position politique, à la fois contre la politique des dirigeants israéliens et celle des dirigeants arabes.

En cas de conflit entre Israël et les États arabes, par contre, nous sommes aux côtés des derniers, car la politique des dirigeants arabes est peut-être contraire aux intérêts de leur peuple, mais les dirigeants israéliens combattent pour l'impérialisme. Dans une guerre entre la démocratie américaine et le sultan du Koweit, nous ne regarderions pas où est la République et où est la Monarchie, mais où est l'impérialisme.

Le peuple juif a d'autres possibilités que la guerre pour se prémunir contre les intentions bellicistes des dirigeants arabes. Qu'il consacre, ne serait-ce que la dixième partie de l'énergie qu'il met à faire la guerre, à lutter contre la politique de ses propres dirigeants, et il pourra se réserver un avenir meilleur.

Bien sûr, un conflit peut aboutir, par la victoire des États arabes, à ce qu'Israël disparaisse. Or, ce ne sont pas les révolutionnaires qui choisissent ce risque, mais les dirigeants israéliens et, en dernière analyse, le peuple juif. En Algérie aussi le problème du million d'européens était posé par tout le monde dans les mêmes termes, l'indépendance algérienne signifiant « le départ ou le massacre » du million d'européens. Il y avait une autre solution pour les Européens, et c'est parce que nous savions qu'il existait cette autre solution, solution pour laquelle nous militons, que nous étions dans le conflit aux côtés des Algériens.

Ou il y a la solution socialiste, ou lorsqu'on la rejette, il n'y a pas de solution, et alors là, sauf quand il s'agit de conflits entre deux impérialistes, il faut choisir son camp. Ceux qui choisissent celui de l'impérialisme nous les plaignons peut-être, comme nous plaignons les soldats américains au Vietnam, nais nous ne pouvons choisir leur camp.

C'est pourquoi, tout en considérant que c'est une politique criminelle de la part des dirigeants arabes de s'en prendre à Israël en tant qu'État, et au peuple Juif en tant que tel, c'est-à-dire implicitement en étant pour l'existence d'Israël, nous sommes, en cas de conflit ouvert, du côté des Arabes, même si cela devait se traduire par la fin d'Israël, tout comme la guerre d'Algérie s'est traduite par le départ des Pieds-noirs, ou comme un mouvement d'indépendance en Afrique du Sud pourrait se traduire par le départ des blancs, (cela ne veut pas dire que nous sommes contre les Européens en tant que nations, ou contre les blancs en tant que race). La politique d'un État regroupant deux millions de Juifs n'a rien à voir avec le sort et la libération des dix millions de Juifs qui vivent par le monde.

Nota : les chiffres d'avant 1945 sont, en général, tirés des articles de T. Cliff dans « IVe Internationale » - 1946 - certains autres de Weinstock dans « Partisans » - N° 18-20.

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