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- Lutte ouvrière n°2932
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Tunisie
Kaïs Saïed succède à Kaïs Saïed
Sans la moindre surprise, le président Kaïs Saïed, qui s’est emparé de tous les pouvoirs en juillet 2021, a été réélu le 6 octobre en Tunisie. Pour son second mandat, il obtient plus de 90 % des suffrages exprimés dans ce pays de près de 12 millions d’habitants, mais avec plus de 71 % d’abstentions.
Si les commentateurs proches du pouvoir qualifient le résultat de succès, les chiffres parlent d’eux-mêmes : au premier tour de la précédente présidentielle en 2019, Kaïs Saïed avait encore obtenu 49 % des voix, quand son prédécesseur Caïd Essebsi avait pu se prévaloir de 63 % en 2014. Bien des raisons ont éloigné des urnes la population en âge de voter. Après s’être massivement abstenus pour les élections législatives de fin 2022, vues déjà comme un simulacre, les électeurs ne sont guère plus nombreux à avoir été dupes de cette farce électorale, ainsi qualifiée par les partis de gauche qui appelaient tous au boycott. Plusieurs centaines de manifestants se sont d’ailleurs réunis le 4 octobre à Tunis, pour dénoncer les emprisonnements d’opposants.
De toute façon, le président dictateur n’a guère laissé place au doute. Sur les 17 candidats qui s’étaient malgré tout initialement fait connaître, seuls trois ont finalement été admis sur la ligne de départ. Trois autres candidats, initialement écartés par l’ISIE – l’instance toute dévouée à Saïed qui supervise les élections – avaient pourtant été réintégrés dans la liste par le tribunal administratif. Mais, par la magie d’une modification de dernière minute de la loi électorale, la prérogative d’arbitrer les contentieux en la matière a été retirée au dit tribunal administratif, et les trois ex-futurs candidats, anciens ministres ou anciennes personnalités proches des pouvoirs précédents, ont été renvoyés. Et encore, sur les deux adversaires restants le 6 octobre, l’un était incarcéré depuis début septembre, accusé d’avoir falsifié des parrainages.
Au demeurant, des dizaines d’opposants, personnalités politiques, artistes, journalistes… sont en prison, certains depuis des mois, le pouvoir de Kaïs Saïed pourchassant toute critique, grâce à un article de loi punissant l’usage de « fausses informations ». C’est ainsi que récemment, l’hebdomadaire Réalités s’est vu menacé du crime de « désinformation » pour avoir publié, le 26 septembre, un article sur le risque de pénurie de céréales, sujet sensible s’il en est dans une situation où les familles populaires peinent à se nourrir.
Si l’inflation, officiellement un peu au-dessous de 7 %, se stabilise, les prix alimentaires continuent de connaître une croissance à deux chiffres. La flambée des prix a surtout concerné la viande, bœuf et poulet, l’huile, les fruits secs, les légumes frais. Le sucre lui-même est cher et surtout rare : il disparaît des supermarchés dès l’ouverture. Les plus pauvres, en l’occurrence, ne sont pas seulement victimes de la hausse des matières premières agricoles, qui est une explication officielle. Ils pâtissent du dysfonctionnement des filières agricoles, c’est-à-dire de la corruption, qui n’a en aucune manière diminué malgré les promesses de Kaïs Saïed, et des marges qui disparaissent au fond des coffres et des poches de dirigeants bien placés.
Le chômage est toujours à 16 % officiellement, bien plus élevé dans les régions du centre et du centre-ouest en particulier parmi les jeunes. Le salaire moyen reste bien insuffisant avec un smig à 390 dinars (130 euros). La débrouille, la contrebande dans les régions frontalières sont des pis-aller qui ne réduisent pas la pauvreté et ne calment pas la colère. De nombreux jeunes, avec courage ou désespoir, ne voient que la traversée de la Méditerranée comme solution. Le pouvoir en profite pour se présenter comme un rempart contre les malheureux candidats à la mort en mer et a conclu en 2023 des accords avec des puissances européennes, dont l’Italie de Meloni, en échange de quelque 260 millions d’euros d’aides. Cela n’a pas empêché le service diplomatique européen, dans une note de juillet dernier, de s’inquiéter de constater en Tunisie une « nette détérioration du climat politique et un espace civique qui se rétrécit », ainsi que du « traitement des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés [qui] suscite une préoccupation croissante ». Inqualifiable hypocrisie des grandes puissances !