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- Lutte ouvrière n°2930
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Dans le monde
Nouvelle-Calédonie
un jour de fête qui est un jour de deuil
Jeudi 19 septembre, deux hommes, des Kanaks, ont été tués par la gendarmerie à Saint-Louis, portant le nombre de morts depuis le 13 mai en Nouvelle-Calédonie à 13, dont 11 Kanaks.
Craignant une reprise des émeutes à l’approche du 24 septembre, date anniversaire de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie, l’effectif militaire et policier sur l’archipel a été porté à 6 000 hommes. Pour l’État français, le 24 septembre est la « fête de la citoyenneté qui doit rassembler toute la Nouvelle-Calédonie et ses communautés et non diviser », un sommet d’hypocrisie qui vise à faire oublier le passé et le présent. En 1853, la France a jeté son dévolu sur cet archipel, vaste et semblant peu peuplé. Elle en fera un nouveau bagne, car dans celui de Guyane, les condamnés meurent en quelques mois. On y comptera jusqu’à 12 000 condamnés, criminels de droit commun, révoltés d’Algérie et rescapés de la Commune de Paris, employés comme des esclaves à construire les infrastructures du pays.
Quant aux Kanaks, habitant l’archipel depuis trois mille ans, l’administration, foncièrement raciste, les repoussait loin de leurs terres fertiles, enfermés dans des réserves territoriales. La même administration regroupa les clans en tribus et en chefferies qu’elle inventa pour l’occasion et leur imposa le statut d’indigénat, les privant de quasiment tout droit. Des dizaines de révoltes, durement réprimées, tentèrent de s’opposer jusque dans les années 1920 à la colonisation française. Entre les maladies importées lors des premiers contacts avec les Européens et les guerres que lui mena l’armée française, la population kanake fut du 18e au 20e siècle probablement divisée par dix, pour ne plus compter que 27 000 personnes dans les années 1920, 100 000 aujourd’hui.
Alors, si la droite loyaliste sort les drapeaux bleu-blanc-rouge le 24 septembre pour fêter la colonisation, c’est pour les Kanaks jour de deuil. Après la révolte kanake des années 1984-1988, l’État français a bien tenté d’enterrer ce passé, en intégrant des notables kanaks au jeu institutionnel et à l’économie. Mais sa réaction depuis le 13 mai montre que dans le fond rien n’a changé.
Ainsi, la commune de Saint-Louis est enfermée depuis plusieurs semaines entre deux verrous militaires constitués de blindés. La raison invoquée par la gendarmerie est la présence d’une bande de jeunes recherchés par la justice, tirant sur les militaires et s’attaquant aux automobilistes. Ces jeunes ont en fait été acculés dans une impasse. S’ils se rendent, ils savent qu’ils iront directement à Camp-Est, en prison, pour des années, s’entasser à quatre dans neuf mètres carrés, vingt-deux heures sur vingt-quatre. Ces jeunes n’ont tué personne. Mais quand, après que deux Kanaks ont été tués le 19 septembre, le général de gendarmerie Matthéos déclare à la presse : « Nous sommes face à des gens qui préfèrent mourir que se rendre », quand le haut-commissaire dit à propos de ces jeunes : « je n’ai qu’un conseil à leur donner, c’est de se rendre. C’est la seule issue qui leur sauvera la vie », ils ne font qu’affirmer que les gendarmes ont le droit de tirer pour tuer, qu’ils ont rétabli de fait la peine de mort.
L’État français et la droite loyaliste craignaient que la mobilisation kanake reprenne le 24 septembre. En tout cas, toutes les raisons de la colère persistent. La loi sur le dégel du corps électoral n’est que suspendue mais surtout les discriminations, le racisme et l’oppression que subissent Kanaks et Océaniens n’ont pas disparu. Pour cela, les travailleurs de toutes les communautés devront en finir avec la domination de ceux qui en profitent, la bourgeoisie française et caldoche.