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Algérie-France
surenchère et vrais enjeux
La crise diplomatique franco-algérienne, déclenchée l’été dernier après la reconnaissance par le gouvernement français de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, n’en finit pas d’être instrumentalisée de part et d’autre de la Méditerranée.
Après l’épisode Doualemn, du nom de l’« influenceur » expulsé précipitamment vers l’Algérie, les dirigeants de droite et d’extrême droite ont, dans une surenchère nationaliste qui flatte tous les nostalgiques de l’Algérie française, exigé que la France lave ce qu’ils considèrent comme un affront. Bruno Retailleau, qui avait ordonné l’expulsion, propose « d’abroger les accords de 1968 » accusés de favoriser une vague migratoire en provenance d’Algérie. Darmanin qui, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, avait divisé par deux le nombre de visas accordés aux Algériens, propose, lui, de supprimer les visas diplomatiques délivrés aux dignitaires du pouvoir algérien. Désireux de ne pas se laisser doubler sur sa droite, Éric Ciotti, allié du RN, a qualifié l’Algérie d’État voyou. Quant à Marine Le Pen, elle a déclaré que « la colonisation n’avait pas été un drame pour le peuple algérien » et que si elle arrivait au pouvoir elle ferait avec l’Algérie « ce que Donald Trump a fait avec la Colombie ».
Si ces politiciens espèrent capitaliser des voix lors des prochaines élections en surfant sur les préjugés xénophobes, cette surenchère est jugée irresponsable par les dirigeants des 6 000 entreprises implantées en Algérie. Leur représentant, Michel Bisac, dénonce l’« hystérisation » du débat qui « ne rend pas service » aux opérateurs français. « On ne s’assoit pas sur 4 milliards et demi d’euros d’exportations françaises vers l’Algérie », a-t-il dit. Certains craignent d’être remplacés par des fournisseurs turcs ou chinois, de même que les céréaliers français ont été largement supplantés par leurs concurrents russes, alors que l’Algérie était un de leurs plus gros clients.
Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, a temporisé, en affirmant qu’au Sahel, « sur le terrain militaire, du renseignement ou du contre-terrorisme, nous avons besoin d’une bonne coordination entre Alger et Paris ». De son côté, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a exigé la décontamination des sites pollués par les essais nucléaires français au Sahara. Il a aussi protesté contre « le traitement indigne réservé aux ressortissants algériens à leur arrivée dans les aéroports français ». Il espère ainsi apparaître comme le protecteur d’une diaspora inquiète d’être la cible de l’extrême droite.
Au-delà de ces instrumentalisations, derrière le bras de fer entre les deux pays, il y a aussi la volonté de la bourgeoisie algérienne de renégocier l’accord signé en 2001 avec l’Union européenne, par l’intermédiaire de la France, et qu’elle juge aujourd’hui défavorable. Troisième fournisseur de l’Union européenne en gaz et en GNL (gaz naturel liquéfié), elle veut pouvoir désormais y exporter librement du ciment, des minerais, des produits agricoles et alimentaires, ce qui n’est pas le cas actuellement. Récemment, l’Union européenne avait même brandi des normes sanitaires pour interdire l’entrée des pots de la pâte à tartiner algérienne El Mordjene, que les gourmands s’arrachaient. Tebboune espère-t-il que Macron intercédera en sa faveur ?
Moins que jamais, les travailleurs des deux pays n’ont à épouser les querelles de leurs dirigeants respectifs, qui sont prêts à les dresser les uns contre les autres pour la prospérité de leurs affaires.