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Editorial
Travailleurs de France ou immigrés : une seule et même classe ouvrière
Le sort que les gouvernants européens réservent aux migrants est une honte, une insulte à ce qui fait notre humanité.
Il a fallu une semaine pour que le gouvernement français daigne autoriser l’Ocean Viking à accoster à Toulon. Mais les 234 migrants qui étaient à son bord ne sont pas au bout de leur peine. Ils ont été débarqués dans une zone de triage, ce qui permettra au gouvernement d’expulser ceux dont la demande d’asile sera rejetée. Parmi les bénéficiaires, seule une cinquantaine resterait en France. Les deux tiers seront dispatchés, sans qu’ils aient leur mot à dire, dans les autres pays d’Europe.
Les migrants sont traités comme des parias et ils font l’objet d’un marchandage odieux entre pays européens. C’est à qui en refoulera le plus chez le voisin et en accueillera le moins. Cette politique est criminelle.
C’est elle qui a conduit à la mort de 27 naufragés dans la Manche en novembre 2021. Car il est désormais avéré que les secours gouvernementaux français ont refusé de secourir ces femmes et ces hommes qui étaient en train de se noyer. À leurs cris de détresse, les secours ont répondu : « T’entends pas ? Tu ne seras pas sauvé ». Autre échange : « Je suis dans l’eau »… « Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises ». Jusqu’où allons-nous aller dans la déshumanisation ?
La fermeture des frontières et la défense d’une identité ou d’une pureté ethnique fantasmées sont révoltantes. Et elles sont surtout d’un autre âge ! Le brassage de l’humanité n’a jamais été aussi poussé. La planète est devenue un grand village où, même sans partager la langue et la culture des femmes et des hommes vivant à des milliers de kilomètres, nous en partageons les malheurs et les espoirs. Et c’est maintenant qu’il faudrait multiplier les frontières et les rendre infranchissables ?
L’histoire de l’humanité est celle des migrations. Mais le capitalisme les a portées à une échelle industrielle. Il fallait des bras pour les plantations des colonies en Amérique ? Des millions d’Africains ont été soumis à l’esclavage et déportés en Amérique. À eux, se sont ajoutés, au 19ème siècle, des millions de paysans pauvres chassés d’Allemagne, d’Italie, de Pologne et de Russie par la misère.
Ici, quand la bourgeoisie française a eu besoin de bras pour exploiter les mines, faire tourner les usines, percer des tunnels et construire des voies de chemins de fer, elle a fait venir des millions de jeunes d’Italie ou de Pologne. Elle a envoyé des émissaires recruter dans les campagnes d’Algérie, du Maroc, de Tunisie…
Les prolétaires ont de tout temps été déplacés selon les besoins des capitalistes. C’est toujours le cas aujourd'hui. Au Qatar, les stades où va se jouer la Coupe du monde ont été construits par des immigrés venus du Népal, d’Inde, ou du Pakistan.
En France, pas un hôpital, pas un Ehpad, pas une société de gardiennage, pas un chantier, pas une usine ne fonctionnerait sans immigrés. Et pour pallier le manque de bras dans les secteurs où l’exploitation est la plus dure, le patronat réclame, encore aujourd'hui, plus de main-d’œuvre immigrée !
Ce sont les exploiteurs à la recherche de profits qui provoquent et façonnent les migrations. Mais tout en rassemblant et en mélangeant les travailleurs des quatre coins du monde, les capitalistes ont toujours eu pour politique de les diviser et de les dresser les uns contre les autres.
Nombre de patrons sont connus pour cela. C’est un des sports préférés de Bolloré, qui doit sa fortune aux travailleurs africains et a acheté la chaîne de télé Cnews pour cracher, du matin au soir, sur les immigrés ! Et il y a, bien sûr, tous les politiciens qui veulent faire carrière en misant sur les préjugés racistes et xénophobes.
Il ne faut pas marcher derrière ces gens-là. Ils sont les ennemis avérés des travailleurs. Ils divisent le monde ouvrier. Pour se défendre aujourd’hui et pour changer la société demain, il faut que les exploités agissent en tant que classe sociale.
Ce n’est possible qu’en comprenant que l’immigration n’est pas liée à une couleur de peau, à une origine ou à une nationalité. Elle fait partie de la condition ouvrière. Elle est le fruit de la domination des riches sur les pauvres. Le fruit de la domination de ceux qui possèdent les moyens de production sur ceux qui en sont démunis. Transformés en prolétaires, ceux-ci sont forcés de vendre leur force de travail là où ils le peuvent.
Les immigrés sont tous des travailleurs et quasiment tous les travailleurs sont des immigrés. S’ils n’ont pas changé de continent ou de pays, ils ont changé de région ou de ville. La fraternité de classe doit nous conduire à être du côté des migrants contre nos exploiteurs et nos gouvernants. Car c’est ensemble que nous aurons la force de briser les chaînes de l’exploitation.
Nathalie Arthaud