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Meeting du 12 février à Paris : intervention de Annie Boubault
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Je m’appelle Annie Boubault, je suis factrice depuis 37 ans. Avant d’arriver à Paris, j’avais enchaîné pendant trois ans des CDD d’une semaine, car La Poste a toujours eu recours à des employés précaires. À mon arrivée au bureau principal du 18ème arrondissement de Paris en 1987, environ 700 personnes de tous services y travaillaient. Déjà l’État avait programmé la séparation de La Poste et de France Télécom. Il fallait rendre La Poste rentable, comme France Telecom qui était techniquement prête à l’être. La Poste avait trop de main-d’œuvre pour des appétits capitalistes.
En 2010, La Poste Société Anonyme a accéléré les réorganisations, c’est-à-dire les suppressions d’emplois. Dans le 18ème arrondissement, nous n’étions déjà plus que 190 facteurs et chauffeurs. Tous les deux ans, La Poste passe les effectifs à la moulinette et depuis fin 2021, nous ne sommes plus que 81, dont un tiers en intérim permanent, pour desservir cet arrondissement populaire de 194 000 habitants.
Le nombre de boîtes aux lettres et de rues n’a pas diminué. Moins on est nombreux, plus les tournées sont étendues, et il manque du temps pour tout. J’ai compté qu’en 3 heures de tournée, je n’ai eu qu'une minute et demie pour chacun des 111 immeubles de ma tournée. Autant dire qu’il faudrait être Superwoman pour accomplir cette prouesse chaque jour ! À chaque réorganisation, on repart à zéro car les plans ont été jetés avec les indications utiles ! Il faut un temps d’apprentissage non négligeable. Alors imaginez ce que vivent les remplaçants qui changent de tournée en permanence.
Le but de tout patron est de nous isoler, nous les travailleurs, les uns des autres. Dès que La Poste trouve un local de boutique vide, les facteurs sont dispersés en petits groupes, dans ce qu’on appelle maintenant des îlots. Par exemple dans le 18ème il y en a 5 : 7 facteurs avec deux facteurs-chefs ont un local « au plus près » du secteur qu’ils desservent. Leur tournée est préparée le matin par d’autres postiers avec lesquels ils n’ont aucun contact, et ils font uniquement de la distribution, avec une pause non payée de trois quarts d’heure le midi. Ce sont en majorité de jeunes intérimaires qui sont affectés aux îlots, formés à la va-vite, et poussés à faire des heures supplémentaires gratuites, et sans contestation. Les moindres dires, faits et gestes sont rapportés, et la direction débarque régulièrement pour mettre la pression.
Quant aux apprentis, leur formation est subventionnée par l’argent public, mais vu comment ils sont traités, ces emplois dits « aidés » n’aident que La Poste. Ils sont rapidement mis seuls sur les tournées pour faire des remplacements, et au bout d’un an, à condition qu’ils aient le permis de conduire, ils sont censés signer un CDI.
Eh bien, pas du tout ! Depuis plusieurs années, 2 jours avant la fin de leur contrat, La Poste félicite ceux qui ont brillamment été reçus à l’examen, et en plus qui ont leur permis, mais malheureusement, elle n’a pas de place à leur proposer.
Et le premier jour où ils se retrouvent au chômage, le chef d’équipe leur demande au téléphone s’ils veulent revenir travailler, mais en intérim !
La Poste a fait beaucoup d’efforts pour nous diviser avec différents contrats, statuts de fonctionnaires, CDI, CDD, intérim, apprentis, en nombreuses filiales aussi. Nous croisons dans la rue d’autres travailleurs qui font le même travail pour Amazon, Fedex, Colis-privés etc., ou qui distribuent la presse comme auto-entrepreneurs. Tout le secteur de la distribution est extrêmement rentable par l’utilisation du personnel précaire. Nous faisons tous le même travail pour des patrons concurrents entre eux, mais bien d’accord pour empocher le pactole sur notre dos.
Alors pour défendre nos intérêts communs, des emplois stables avec des salaires décents, il faudra qu’on s’unisse dans les grèves et dans la rue avec les dizaines de millions d’autres travailleurs.