Meeting de campagne du 10 mai 2019 : discours de Jean-Pierre Mercier13/05/20192019Brochure/static/common/img/contenu-min.jpg

Brochure

Meeting de campagne du 10 mai 2019 : discours de Jean-Pierre Mercier

Au sommaire de la brochure

Sommaire

    Cette campagne pour les élections européennes est l’occasion, pour tous les politiciens de la bourgeoisie, de nous servir leurs mensonges sur l’Europe. 

    Pour les uns, du côté des souverainistes de droite comme de gauche, l’Europe est la cause de tous nos malheurs. Elle représenterait la fin de ce qu’ils appellent « l’indépendance nationale ». Et le chômage, la pauvreté qui grandit dans la classe ouvrière, le recul des droits des travailleurs, seraient autant de fléaux dus aux « diktats de Bruxelles ».

    Pour les autres, du côté de Macron, de ce qu’il reste du PS ou de la droite classique, la construction européenne est au contraire un monde merveilleux de paix, de fraternité et d’unité entre les peuples. C’est « l’Europe qui protège », comme le dit la candidate de Macron. 

    Les uns comme les autres mentent, et ils mentent consciemment.

    L’Europe n’est pas plus responsable des maux qui frappent le monde du travail qu’elle n’est une protection pour celui-ci. Elle n’est ni plus ni moins démocratique que l’État français, ni plus ni moins protectrice. 

    Elle n’empêchera même pas demain, si la situation économique et les intérêts des impérialismes rivaux l’exigent, que de nouvelles guerres éclatent au sein du continent européen. 

    Parce que la cause des fléaux qui frappent la classe ouvrière, ce n’est pas l’Europe : c’est le système capitaliste. 

    L’Union européenne, c’est simplement une organisation qui se superpose aux États capitalistes pour organiser la domination de la grande bourgeoisie en Europe. Une sorte d’associations de malfaiteurs à l’échelle d’une partie du continent.

    Concrètement, pour nous les travailleurs, qu’est-ce que c’est que cette « Union européenne » ? 

    C’est une série d’accords économiques et commerciaux qui ne garantissent qu’une chose : la libre circulation des capitaux et des marchandises entre moins d’une trentaine d’États et une monnaie unique conçue seulement pour faciliter les échanges commerciaux entre capitalistes. 

    Pour le reste, l’Union européenne est une illusion, car les États nationaux restent maîtres chez eux – en tout cas, pour les plus riches d’entre eux comme la France.

    Il y a certes une chose sur laquelle les capitalistes ont unifié l’Europe – mais ils n’ont pas eu besoin de l’Union européenne pour le faire : c’est la situation sociale dramatique des classes exploitées des pays qui la composent. Car il y a une chose que tous les travailleurs d’Europe partagent d’une façon ou d’un autre, c’est le chômage et l’exploitation.

    Certaines régions d’Europe sont littéralement dévastées par le chômage, par les fermetures d’entreprises en cascade. 

    Même d’après les statistiques officielles, dont on sait à quel point elles atténuent la réalité, dans plusieurs régions d’Espagne, d’Italie, de Grèce, de Grande-Bretagne, le chômage approche ou dépasse les 30 %. Un travailleur sur trois laissé sur le carreau ! À Mayotte qui, comme l’a dit Ghislaine, fait partie de l’Union européenne bien qu’étant en plein océan Indien comme héritage du passé colonial français, le chômage dépasse même les 35 %. Sur l’ensemble de la Grèce, le chômage dépassait encore les 19 % l’an dernier et les 15 % en Espagne.

    Et si les statistiques officielles indiquent des taux de chômage très inférieurs dans certains pays de l’Europe de l’Est, il n’y a aucun miracle économique là-dedans : il n’y a que la rapacité du patronat, qui profite des salaires de famine en vigueur dans ces pays pour y rouvrir des usines. En République tchèque, le salaire minimum est de 518 euros brut par mois ; en Hongrie 464 euros. En Bulgarie 286 euros par mois. 

    Ce n’est pas pour rien que des dizaines de milliers de travailleurs bulgares ou roumains fuient leur pays pour venir tenter leur chance en Europe de l’Ouest. C’est parce que leurs pays constituent le Tiers monde de l’Europe, où même en travaillant, on ne peut pas vivre. 

    C’est donc ça que ces politiciens bourgeois appellent une « Union ».

    Un groupe de pays dans lequel ils n’ont même pas été capables de créer un salaire minimum commun permettant de vivre dignement. Où, grâce à l’Union douanière et à la libre circulation du capital, un capitaliste français, allemand ou britannique peut d’un claquement de doigts fermer une usine dans son pays d’origine et la déplacer dans un pays où les salaires sont si dérisoires que ses profits s’en trouveront multipliés par deux ou dix. Ou, en d’autres termes, les travailleurs n’ont d’autre choix que de crever de misère au chômage dans certains pays, ou de crever au travail pour des salaires qui permettent à peine de survivre, dans d’autres.

    Exactement comme le disait Lénine, il y 100 ans à propos de la Société des nations – l’ancêtre de l’Onu – la Commission européenne n’est qu’une « caverne de brigands » qui ne savent s’entendre que quand il s’agit de dépecer les peuples à leur profit. Capables, peut-être, de créer une monnaie commune quand cela sert leurs intérêts, mais incapables ne serait-ce que d’imposer cette avancée élémentaire que serait la légalisation de l’IVG partout en Europe ! 

    ***

    Et même politiquement, l’Union européenne est une chimère. Quelle égalité peut-il exister dans le monde capitaliste, entre des puissances impérialistes comme la France et l’Allemagne d’un côté, et de l’autre, des pays qui n’ont jamais été autre chose que des vassaux de puissances plus riches et militairement plus puissantes qu’elles ? 

    Au sein même de l’Union européenne du 21ème siècle, les mêmes rapports de domination impérialiste subsistent, exactement comme ils ont subsisté au XIXe et au XXe siècle. 

    Avez-vous déjà vu beaucoup d’usines roumaines ou de banques bulgares s’installer en France ? Combien de travailleurs, ici, travaillent pour un capitaliste hongrois ? Pas beaucoup, et c’est peu de le dire ! Par contre, ils sont des millions de travailleurs roumains, bulgares, polonais, hongrois, à suer tous les jours du profit dans les usines françaises ou allemandes installées là-bas.

    Et cette domination économique se traduit directement par la domination politique qui, forcément, va avec. 

    En Europe, tous les États sont égaux paraît-il, mais il y en a qui sont plus égaux que d’autres. Il n’y a en fait qu’une poignée d’États – les anciennes grandes puissances coloniales – qui font la pluie et le beau temps au sein de la Commission européenne. Il n’y a qu’à se rappeler l’année 2011, au plus fort de la crise grecque, lorsque le Premier ministre grec d’alors, Georges Papandreou, avait été convoqué comme un laquais au G20 de Cannes par Sarkozy et Merkel et obligé de faire antichambre pendant plus de deux heures avant d’aller mettre un genou à terre devant les maîtres de l’Europe capitaliste ! 

    Il y a d’ailleurs, vraiment, beaucoup d’indécence de la part des souverainistes à la Mélenchon, lorsqu’ils osent affirmer que « la France », comme ils disent, est « opprimée », « vassalisée » par l’Europe. 

    Parce que, qu’ils le veuillent ou non, si certains États peuvent en effet se plaindre d’être traités comme quantité négligeable par l’Union européenne, la France n’en fait certainement pas partie ! 

    L’État français, avec sa puissance économique, financière et militaire, fait au contraire partie de ceux qui tiennent le fouet en Europe, ceux qui dictent les règles et les imposent. 

    C’est la Société générale, bien française, qui a contribué à ruiner la Grèce, pas l’inverse ! Parce que dans ce système capitaliste absurde, une seule grande banque est bien plus puissante que bien des États. Et n’en déplaisent à ceux qui, dans le but unique de flatter les préjugés nationalistes, prétendent que la France est « vassalisée » par la Banque centrale européenne, la BCE, et bien il faut rappeler qu’à eux quatre, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie possèdent 58 % du capital de la Banque centrale européenne ! Quand la Slovaquie, par exemple, en contrôle 0,77 %. 

    À votre avis, qui prend les décisions ? Qui est le seigneur et qui est le vassal ?

    Alors oui, pendant cette campagne européenne, bien sûr nous ne sommes pas de ceux qui repeignent l’Europe en rose pour vendre du rêve aux travailleurs. Le but de ces gens-là, c’est de tenter de faire oublier qu’ici, en France, là où ils ont été, sont ou seront au gouvernement, ils n’ont que de la sueur et des larmes à proposer au monde du travail.

    Mais jamais nous ne défendrons non plus les grossièretés nationalistes de ceux qui prétendent que l’Europe est une catastrophe, que les frontières nationales sont une protection pour les exploités, et qui pleurnichent sur « l’indépendance perdue » de la France ou qui gémissent sur le fait qu’avec l’euro, la France aurait perdu son « indépendance monétaire » au profit de la BCE ! 

    Rappelons leur qu’avant, au temps béni du « franc », c’était la Banque de France qui fixait la politique monétaire, et que pendant longtemps le conseil d’administration de la Banque de France a été directement composé des 200 plus gros capitalistes du pays. 

    Alors, si l’indépendance nationale signifie la soumission aux décisions des 200 familles les plus riches de France, nous la laissons bien volontiers à ceux à qui cela plaît, MAIS, nous, nous continuerons de revendiquer fièrement notre internationalisme, à dire haut et fort que nous pensons que notre principal ennemi est dans notre propre pays, et qu’il a pour nom : la grande bourgeoisie française !

    ***

    Oui, d’un bout à l’autre de l’Europe, les travailleurs sont soumis aux mêmes fléaux : le chômage et l’exploitation. 

    À l’échelle de l’Union européenne, il y avait au 1er janvier dernier 16,2 millions de travailleurs au chômage. 16,2 millions. C’est le nombre d’habitants cumulé du Danemark, de la Finlande et de l’Irlande. C’est comme si ces trois pays avaient été complètement dévastés et toute leur population écartée de toute activité de production.

    Voilà ce que la dictature du grand capital impose, dans une des régions les plus riches du monde. Plus de 16 millions de femmes et d’hommes valides, dotés de bras, de mains, de cerveaux, qui pourraient mettre leurs capacités au service de la collectivité par leur travail, mais qu’on a jetés par-dessus bord, et qu’on laisse se noyer avec, au mieux, quelques aides sociales là où cela existe. Ce seul fait devrait suffire à condamner, irrémédiablement, le capitalisme.

    Mais en plus, pendant que ces millions de travailleurs crèvent au chômage, des dizaines de millions d’autres, de leur côté, s’esquintent au travail, avec des cadences de plus en plus folles, pour des salaires de plus en plus dérisoires. C’est vrai, je l’ai dit, d’une région à l’autre de l’Europe et dans les deux sens : les capitalistes ferment des usines dans les pays les plus riches d’Europe pour les rouvrir dans ceux où les salaires sont les plus bas. 

    Mais ils ont aussi réussi à importer la main-d’œuvre qu’ils appellent « à bas coût » dans les pays les plus riches, par exemple à travers le système des travailleurs détachés qui date de 1996 : des ouvriers, des chauffeurs, des employés venus de Pologne ou de Roumanie sont employés en France, aujourd’hui, aux conditions sociales de leur pays d’origine, c’est-à-dire avec des salaires qui peuvent être jusqu’à deux fois inférieurs aux salaires les plus bas de ce pays. 

    C’est une infamie, mais cela n’a rien de nouveau : le capitalisme ne fait ici que refaire ce qu’il fait depuis toujours. 

    Sous le préfet Haussman, au XIXe siècle, Paris a été reconstruit par des ouvriers venus de Bretagne ou du Berry parce qu’ils coûtaient moins cher que les ouvriers parisiens ; tout au long du XXe siècle, les usines françaises ont tourné en surexploitant les ouvriers venus des colonies ou ex-colonies françaises d’Afrique ou du Maghreb ; et aujourd’hui, la directive « travailleurs détachés » permet de faire de même avec les travailleurs européens. 

    Il est donc stupide d’incriminer l’Europe sur ce terrain : c’est toute l’organisation sociale capitaliste qui fonctionne comme cela, en faisant jouer la concurrence entre les travailleurs… et ce n’est pas en sortant de l’Europe qu’on en finira avec ces pratiques : c’est en sortant du capitalisme.

    Mais pour les grands patrons, il n’y a même pas besoin d’aller chercher des travailleurs à l’autre bout de l’Europe pour leur faire accepter, par mille moyens, une exploitation toujours accrue : y compris ici en France, la pression du chômage, la peur de perdre son travail et de n’avoir plus les moyens de nourrir les siens, suffit à faire accepter aux travailleurs des salaires en baisse, des heures supplémentaires non payées, une dégradation permanente de leurs conditions de travail et de vie. 

    Dans le groupe PSA où je travaille, nous côtoyons chaque jour des travailleurs handicapés qui acceptent des postes non aménagés, bien trop durs pour leur état physique, et qui serrent les dents par crainte d’être reconnus inaptes et licenciés. 

    Le chômage est bien un cancer pour la société : un cancer parce qu’il condamne à la mort sociale des millions de travailleurs ; et un cancer parce qu’il s’étend à tout l’organisme social en exerçant une pression permanente sur tous ceux qui travaillent. Et parce que la misère, la démoralisation, la désespérance qu’il provoque conduisent immanquablement à une montée de l’individualisme, du chacun pour soi, de la violence, de la délinquance qui pourrit la vie des quartiers populaires. 

    Le chômage est une catastrophe qui touche les travailleurs sans emploi comme les travailleurs en activité, qui détruit peu à peu des régions entières, et que toute la collectivité paye d’une façon ou d’une autre. 

    Les politiciens bourgeois s’accordent tous à prétendre que vaincre le chômage serait sinon impossible, du moins si difficile, que cela prendrait des années ou des décennies. Et les porte-parole du Medef, eux, n’hésitent plus à dire que si l’on veut en finir avec le chômage de masse, il n’y a qu’à se montrer aussi « compétitifs » que d’autres pays – autrement dit que si le smic était en France de 286 euros brut par mois, comme en Bulgarie, les patrons consentiraient peut-être à embaucher. 

    Mais qu’est-ce que c’est que cette société dans laquelle nous n’avons le choix qu’entre nous accommoder d’un chômage endémique ou accepter de voir nos conditions de travail et de vie ramenées au XIXe siècle ? 

    Eh bien, nous refusons ce choix ! Et nous affirmons que oui, il serait possible non seulement que chacun ait un emploi, mais aussi un salaire qui permette de vivre dignement. Les moyens existent pour cela, et il faudra aller les chercher là où ils sont : dans les coffres-forts de la grande bourgeoisie !

    *******

    Affirmer cela, c’est la raison d’être de notre candidature à ces élections, comme à toutes les élections. Face à tous les mensonges, face à tous ceux qui prônent la résignation ou l’adaptation aux conditions dictées par les patrons, nous voulons défendre un programme de luttes, des mesures d’urgence que les travailleurs devront imposer par leurs mobilisations – parce que ce serait le seul, l’unique moyen d’enrayer la dégradation de nos conditions de vie. 

    Les travailleurs n’ont aucune raison d’accepter le chômage et les bas salaires. Ce que les politiciens bourgeois ne disent jamais, c’est qu’en réalité la résorption complète du chômage, c’est un problème simple ! Un problème qui pourrait être réglé presque du jour au lendemain avec deux mesures évidentes, de simple bon sens, deux mesures qui iraient dans le sens de l’intérêt général de la collectivité : imposer, de force, l’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous, sans perte de salaire – c’est-à-dire non seulement empêcher les patrons de licencier, mais les obliger à embaucher les chômeurs !

    Cela coûterait de l’argent à la bourgeoise ? Oui ! Et alors ? La résorption du chômage ferait économiser des milliards à la collectivité, elle permettrait à tous de vivre mieux, elle résoudrait bien des fléaux sociaux… Et c’est cela qui devrait compter, si le monde ne marchait pas sur la tête. 

    Mais sous le capitalisme, parce que c’est le profit qui gouverne le monde, il est considéré comme normal que toute la société paye, que toute la société se dégrade, que toute la société se délite, uniquement pour que la grande bourgeoisie continue de gagner de l’argent. Normal que l’ensemble de la collectivité, des hommes et des femmes qui la composent, fonctionne comme une gigantesque pompe à fric qui ne marche que dans un seul sens : vers les comptes en banque du grand patronat.

    Eh bien l’un de nos objectifs, dans cette campagne, c’est justement de dénoncer ce système, de dire – et nous sommes les seuls à le dire – que le problème n’est pas la répartition des richesses, ce n’est pas de prendre un peu aux uns pour donner aux autres : le problème central, c’est de remettre en cause la domination politique, économique et sociale du grand capital sur l’ensemble de la société.

    *********

    L’idéologie bourgeoise est capable de pénétrer tous les pores de la société, à travers les discours des hommes et des femmes politiques, des économistes, des éditorialistes – jusqu’à finalement paraître des vérités éternelles aux yeux même de la plupart des travailleurs. 

    Regardez ce qui se passe à chaque fois que Nathalie ou moi-même, sur un plateau de télévision, expliquons qu’il suffirait de faire payer la bourgeoisie pour résoudre radicalement le fléau du chômage. En face C’est la même réaction, unanime, : chez les politiciens de droite comme de gauche, on lève les bras au ciel d’un air épouvanté en criant « Faire payer les riches ? Mais enfin, vous n’y pensez pas ! C’est impossible ! Et la compétitivité ? ». 

    Eh bien si, nous y pensons. Nous y pensons même sans cesse quand nous voyons les ravages du chômage et de la pauvreté parmi les nôtres. Quand nous voyons à quel point la grande bourgeoisie croule littéralement sous le fric, au point de n’avoir plus la moindre idée de ce qu’elle pourrait en faire. 

    L’incendie de la cathédrale Notre-Dame est évidemment un désastre pour tous ceux qui sont attachés aux merveilles que l’ingéniosité et les mains des travailleurs ont su créer au cours des siècles. 

    Mais cette catastrophe culturelle est-elle plus grave que le fait que près d’un million de personnes mangent aux Restos du cœur ? Est-elle plus grave que la mort de 566 SDF dans la rue l’an dernier ? Que les millions de gens qui ne se soignent plus, parfois ne se chauffent plus l’hiver par manque d’argent ? Est-elle plus grave que les usines qui ferment, que les travailleurs jetés à la rue sans perspective de retrouver jamais un emploi, est-elle plus grave que les conséquences de la véritable guerre sociale que mènent chaque jour les patrons de ce pays contre le monde du travail ?

    Eh bien pour les grandes familles bourgeoises, il semble que oui, puisque ces gens, qui nous expliquent à longueur d’année, que remplacer un carreau cassé dans les usines va mettre en péril la compétitivité de l’entreprise, ont su trouver en un claquement de doigts un milliard d’euros pour Notre-Dame. 

    On ne sait pas trop si c’est parce que les Pinault ou Bolloré sont notoirement des grenouilles de bénitiers, ou si c’est juste l’occasion d’un bon coup de pub pas si cher. Je n’exagère pas : le budget publicitaire du seul groupe LVMH de Bernard Arnault est d’environ 140 millions d’euros par an. 

    Mais cette histoire a au moins un avantage : c’est que pour une fois, on les a vues sortir du bois, ces grandes familles bourgeoises d’habitude si discrètes. Celles dont personne ne parle, à part nous, Lutte ouvrière, qui répétons à longueur d’année qu’il faut faire payer le grand capital. Beaucoup nous demandent : mais qu’est-ce que c’est, la grande bourgeoisie ? Eh bien ! ce sont eux. Ce sont ces gens qui en 24 heures ont sorti de leur poche 100, 200 millions d’euros. Ce sont les Arnault, Pinaud, Bolloré, Bettencourt ! Un milliard en 48 h ! 

    Un milliard d’euros, pour vous donner un ordre d’idée, c’est la somme nécessaire pour payer, pendant un an, un salaire de 1 800 euros par mois cotisations comprises à 11 500 travailleurs !

    Alors oui, l’argent, l’argent nécessaire pour vaincre le chômage, il est là.

    Lors de notre dernière réunion publique, ici même, j’ai raconté que Bernard Arnault, en 2018, avait gagné le smic toutes les 20 secondes, trois smic à la minute. Eh bien camarades … Depuis les choses ont changé. Parce que ce chiffre que je donnais, c’était celui du mois de mars. Mais figurez-vous qu’entre mars et avril, Monsieur Arnault a fait quelques bonnes opérations spéculatives, et qu’en un mois, sa fortune a augmenté de … 10 milliards d’euros. 

    Vous avez bien entendu ? En un mois ! Cela veut dire que pendant cette période, la fortune d’Arnault a augmenté de 13,7 millions d’euros chaque heure, soit… 3 smic à chaque seconde. 

    Alors, vous pensez bien que ses 200 millions pour les bonnes œuvres, c’est une aumône : ça représente moins que ce qu’il a gagné en une seule journée.

    Alors oui, c’est bien à cette grande bourgeoisie de payer pour résorber le chômage. C’est à elle d’assurer des salaires corrects c’est-à-dire au moins 1 800 € net par mois, le minium nécessaire pour vivre. D’abord tout simplement parce qu’elle en a 1000 fois les moyens. 

    Et ensuite pour une raison encore plus évidente : c’est qu’elle en est, à 100 %, responsable. Ce sont eux qui dirigent la société. Ce sont eux qui prennent les décisions économiques. Ce sont eux qui sont aux commandes – ils nous le répètent assez, tous ces bourgeois qui ne cessent de rabâcher que leurs revenus faramineux se justifient par les risques qu’ils prennent à diriger la société. 

    Alors puisque ce sont eux qui dirigent, et bien qu’ils payent les dégâts provoqués par leurs agissements !

    Et pourtant, s’il y a une chose qui revient en boucle dans les discours des politiciens et des experts de tout poil, c’est que la résorption du chômage ne doit, surtout pas coûter un centime aux capitalistes ! Que l’État paye ! que les travailleurs payent ! que les associations se débrouillent à faire la quête pour nourrir les chômeurs en fin de droit ! 

    Mais eux, les riches ? les seuls et uniques responsables, ne devraient jamais avoir à mettre la main à la poche ? Il serait normal que les ouvriers, leurs familles, leurs enfants, soient la variable d’ajustement de la société capitaliste, qu’on puisse les prendre et les jeter quand cela arrange les bourgeois, que l’on puisse gâcher des millions de vies, broyer des millions de familles ouvrières, uniquement pour présenter un bilan comptable qui plaira aux actionnaires et à la Bourse ? 

    Eh bien nous, nous ne le pensons pas. Nous affirmons qu’il faut faire payer les riches en imposant l’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous, qu’il faut imposer des augmentations massives des salaires, des pensions et des allocations, parce qu’il n’est pas possible de vivre aujourd’hui avec moins de 1 800 euros par mois ! Et ces salaires, pensions et allocations devront, nécessairement, être indexées sur la hausse réelle des prix, parce que nous n’avons aucune raison d’accepter que les hausses de salaires soient dévorées par l’inflation.

    Et nous affirmons que ce ne sera qu’un début surtout, parce que les travailleurs devront faire en sorte, tôt ou tard, de retirer définitivement à la grande bourgeoisie ses moyens de nuire à toute la société, en lui disputant directement le pouvoir !

    Et la première étape, pour disputer le pouvoir aux capitalistes, ce sera d’imposer le contrôle de la population sur leurs agissements. Un tel contrôle sera indispensable ne serait-ce que pour rendre effectif ce que je viens d’évoquer, c’est-à-dire l’indexation des salaires et des pensions sur la hausse des prix. 

    Mais la lutte contre le chômage supposerait aussi de contrôler ce que font les capitalistes, et pourquoi ils le font. 

    Lorsque l’on apprend qu’une entreprise multimilliardaire comme Auchan, avec à sa tête la 5e fortune du pays, la famille Mulliez et ses 38 milliards d’euros vient d’annoncer la vente de 21 hypermarchés, menaçant l’emploi de plus de 800 salariés, on mesure la nécessité d’un contrôle des travailleurs sur les décisions de ces gens-là. Parce que seul un tel contrôle permettrait de lever le voile sur les vraies raisons de leurs décisions, permettrait de révéler combien d’argent il y a et où il se cache, permettrait de montrer combien d’argent les Mulliez gagnent sur le dos de chaque caissière, chaque manutentionnaire qu’ils exploitent, chaque petit fournisseur qu’ils grugent !

    Cette nécessité du contrôle – du contrôle ouvrier – nous la défendons pendant cette campagne, comme nous le faisons depuis des années – et comme le mouvement communiste révolutionnaire le fait depuis toujours. 

    Si cette idée est fondamentale, c’est parce qu’elle repose sur le fait que nous, les travailleurs, nous sommes la source de toute la production de richesses, nous sommes ceux qui faisons, tout fonctionner. Autrement dit, nous sommes les seuls qui pouvons collectivement exercer ce contrôle, parce que nous occupons déjà tous les postes stratégiques de la société capitaliste : l’élaboration des marchandises, leur production, leur transport, leur distribution, c’est nous qui les réalisons. La comptabilité des entreprises, c’est nous qui la faisons. La circulation des richesses, c’est nous qui l’assurons. Les réseaux qui permettent la production, les échanges, même les transferts de capitaux, ils sont déjà entre nos mains. Non parce que nous les possédons, mais parce que nous les construisons, nous les contrôlons, nous les faisons fonctionner, nous les entretenons.

    En Mai 68, une affiche célèbre disait : « Le patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui. » C’est la même idée, et c’est une idée qui ne date pas d’hier, elle date des débuts même du mouvement ouvrier organisé. 

    C’est la conscience, qu’il faudra retrouver, de la place centrale qu’occupe le prolétariat dans la production et l’organisation capitalistes. L’idée que quand la classe ouvrière reprendra conscience de sa force et décidera de s’en servir, elle sera capable d’ôter toute capacité d’agir à la grande bourgeoisie, pourtant si puissante aujourd’hui. 

    La bourgeoisie, ses hommes politiques et son appareil d’État dominent la société, mais c’est uniquement parce qu’il y a des millions d’hommes et de femmes payés une misère qui le permettent ! 

    Mais un jour viendra où non seulement les ouvriers ne voudront plus faire tourner la pompe à profit dans les usines, mais où les bourgeois ne trouveront plus un chauffeur routier ou un cheminot pour transporter leurs richesses, plus un opérateur de réseau pour faire passer leurs communications téléphoniques, plus une secrétaire pour taper leurs courriers, plus un travailleur pour alimenter leurs limousines et leurs jets en carburant, plus un employé pour virer leurs capitaux d’un compte à un autre, même plus un domestique pour leur préparer à manger ! 

    C’est à ce moment-là, en l’expérimentant, que le prolétariat mesurera sa force et comprendra que s’il est déjà capable de faire tourner toute la société, il est aussi, armé de sa conscience, capable de la diriger !

    Ces idées, nous les défendons ici en France, mais elles devront être défendues partout. Parce que l’Europe et le monde, pour nous, sont constitués d’une seule et même classe ouvrière, qui a partout les mêmes intérêts, partout la même place, et aura partout la même force quand elle renouera avec la conscience.

    Nous les entendons chaque jour, les empoisonneurs de la conscience ouvrière qui répètent que nous devons nous méfier des travailleurs de Moldavie ou de Roumanie, que notre ennemi est le travailleur détaché de Pologne ou de Bulgarie… Ceux qui, comme Jean-Luc Mélenchon lui-même lors d’un discours en juillet 2016, prétendent que « chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, il vole le pain aux travailleurs qui se trouvent sur place ». 

    Et bien face à ces insanités, nous ne cesserons jamais de chercher à répandre dans la conscience ouvrière qu’aucun travailleur que la misère oblige à changer de région pour chercher du travail ne peut être traité de voleur, car les seuls voleurs, ce sont les parasites capitalistes qui se nourrissent et s’enrichissent du travail des autres ! 

    Comme tous les ouvriers de l’automobile, je travaille dans une usine où coexistent des dizaines de nationalités différentes. À PSA Poissy, il y a bien plus de nationalités qu’il n’y a de pays dans toute l’Union européenne. 

    Et au-delà des différences de culture et de langue, nous connaissons tous le même sort quand la sonnerie retentit à 5 h 20 du matin et que la chaîne commence à avancer. Tous, le même épuisement lorsque la journée se termine et qu’un patron nous a obligés à passer sept heures, et parfois plus, à refaire 1000 fois le même geste. Tous, les mêmes douleurs dans les articulations et dans les muscles parce que les cadences sont toujours plus dures. 

    Et ce que les ouvriers partagent au sein de cette usine, des milliers d’autres le partagent d’un bout à l’autre du continent : parce que PSA, pour rationnaliser sa production, a un seul et unique modèle d’usine de montage, que ce soit à Poissy, à Rennes, à Sochaux, à Trnva en Slovaquie ou à Kolyn en République tchèque. Même plan, même organisation, mêmes machines, n’importe quel ouvrier de n’importe laquelle de ces usines pourrait être transporté dans une autre pour y faire les yeux fermés le même travail sans changer un geste. 

     Oui, dans les usines, les chantiers, les bureaux de toute l’Europe, il n’y a qu’une seule classe ouvrière, une masse immense de travailleurs qui produisent tout pour la même économie, qui sont exploités par les mêmes capitalistes, qui connaissent tous la même peur du chômage et les mêmes problèmes de fin de mois difficiles, ou impossibles. 

    Et dans cette Europe, comme partout ailleurs, les seuls étrangers ce sont les étrangers au monde du travail, c’est-à-dire les exploiteurs. 

    Ce qui fait la différence entre les hommes, ce n’est pas la langue, la culture ou le pays dans lequel le hasard les a faits naître. C’est le compte en banque. 

    Les frontières, pour nous, ne sont pas géographiques, ce sont des frontières de classe, la frontière politique et sociale qui sépare ceux qui vivent de leur travail et ceux qui vivent du travail des autres. 

    Dans un des poèmes de Jacques Prévert, La Crosse en l’air, un travailleur parisien, veilleur de nuit, part à Rome et y rencontre un autre travailleur et Prévert écrit : « Un Italien qui n’a pas de travail, un Romain, un Romain qui crève la faim. Le Romain fait des gestes avec les mains. Ces gestes, le veilleur de nuit les comprend : ce sont des gestes pareils aux siens. Un pour serrer la ceinture, un pour montrer les devantures, un autre geste avec la main à plat au-dessus du pavé, ça veut dire qu’on a des enfants, c’est un Romain qui a trois enfants – et pas de travail. Ils se comprennent avec très peu de mots, le Romain et le Parisien. »

    Eh bien camarades, nous sommes bien certains qu’un jour viendra où « avec très peu de mots », les travailleurs de France et ceux d’Europe recommenceront à se comprendre aussi, parce qu’ils se mettront à parler ensemble le langage de la lutte des classes – le langage du prolétariat. Qu’à l’inverse de tous les préjugés nationalistes, racistes, protectionnistes, renaîtra un jour la conscience qui permettra à tous les prolétaires de comprendre que d’où qu’ils viennent, où qu’ils vivent, où qu’ils se fassent exploiter, ils sont des frères de classe, qui tous ensemble lèveront un jour le drapeau de la révolte sociale, avec inscrit dessus en français, en allemand, en polonais, en italien ou en hongrois : Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ! 

     

    Partager