Brochure
Meeting de campagne du 10 mai 2019 : discours de Ghislaine Joachim-Arnaud
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Sommaire
L’histoire de l’impérialisme français a fait que je suis française et européenne bien que je vive et que je milite en Martinique, à 7000 km d’ici. Il en est de même pour mon camarade Jean-Marie Nomertin, également sur la liste Lutte ouvrière, qui vit et milite en Guadeloupe, ainsi que pour Jean-Yves Payet qui réside et milite à La Réunion.
Nous sommes conviés à nous prononcer sur l’avenir de l’Europe, en même temps que des dizaines de milliers d’électeurs dispersés de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique, de Tahiti à la Guyane, de Mayotte à St-Pierre-et-Miquelon.
Cette situation juridique résulte de plusieurs siècles d’histoire, marqués par le brigandage capitaliste à l’échelle du monde, du trafic d’esclaves au génocide de peuples amérindiens et de bien d’autres. Marqués aussi par l’économie de plantation, à laquelle nombre de ces peuples dispersés ont dû participer, certainement pas de gré, mais de force, qui a construit la fortune de la grande bourgeoisie française.
Alors, notre présence sur la liste, c’est une protestation contre tout ce passé et surtout contre la façon dont ce passé se perpétue encore aujourd’hui de multiples manières, ne serait-ce que parce que les parasites les plus riches sur le sol des Antilles dites françaises sont les descendants des anciens propriétaires d’esclaves.
Oh, l’esclavage de l’ancien temps a été remplacé par une autre forme d’esclavage, l’esclavage salarial ! Mais la domination sociale est toujours exercée par une minorité, mélangeant actionnaires des grandes sociétés modernes et descendants d’esclavagistes.
Eh bien, malgré la dispersion des confettis qui restent de l’ancien empire colonial français, les opprimés des Antilles jusqu’à la Polynésie en passant par La Réunion ou Mayotte ont en commun justement d’être des exploités et des opprimés !
Et nous nous retrouvons tout naturellement avec nos sœurs et nos frères de classe, quels que soient le lieu où ils vivent et la couleur de leur peau.
L’Union européenne, les gouvernements français et les dirigeants locaux veulent nous faire croire à longueur de temps que nous devons tout à la soi-disant manne européenne, comme à celle de l’état français. Nous serions non seulement des assistés de la France mais aussi ceux de l’Europe. Nous ne serions que des estomacs gavés avec un entonnoir par lequel couleraient les millions de l’Europe.
Les assistés, oui il y en a, mais ce sont les capitalistes, les classes riches qui reçoivent de l'Union européenne et de l'état français régulièrement des millions d'euros de subventions et d'aides.
La défiscalisation en outre-mer et les nombreuses niches fiscales font des ex-colonies françaises pratiquement des petits paradis fiscaux pour le grand patronat, les riches, la classe aisée. Beaucoup de riches aussi n'ayant jamais mis les pieds ni en Guadeloupe ni en Martinique placent leur argent dans les îles car investir là-bas c’est bénéficier d’une niche fiscale. Et en grande partie dans l'immobilier.
Mais cela ne nous change pas beaucoup par rapport aux plus beaux temps des colonies, car bien des capitalistes, qui exploitaient jusqu'au sang les travailleurs de la canne à sucre et qui possédaient les sociétés anonymes sucrières, comme feu le baron Empain par exemple, ne sont jamais venus aux Antilles, se contentant d'empocher les profits à 7000 km. Et c'était le cas pour bien des sociétés capitalistes qui prospéraient dans les colonies d'Afrique et d'Asie.
Alors, l'Union Européenne ne fait que reprendre à son compte la vieille politique coloniale.
En 2015, l'UE déclarait, et cela toujours en faveur des capitalistes et des riches : " l’Union Européenne confirme que les aides à l’investissement outre-mer sont conformes au droit communautaire "
Les assistés ne sont donc pas ceux qui travaillent de 8 h jusqu'à parfois 10 h par jour pour des salaires de misère, et ce ne sont certainement pas les chômeurs permanents dont le taux varie, même d’après les chiffres officiels, de 11,6 % en Nouvelle Calédonie à 35 % à Mayotte en passant par les 22 % aux Antilles-Guyane et 24 % à La Réunion.
On nous dit que les routes, les ponts, les hôpitaux, les écoles et autres réalisations sont dus à la manne européenne, comme ils étaient, nous disait-on jadis, dus aux dits « bienfaits de la colonisation ».De grands panneaux publicitaires sont là pour nous rappeler sans cesse que « l'Europe a fait ci, l'Europe a fait ça ».
Mais ce n’est pas pour nous, travailleurs et population laborieuse, que tout cela est réalisé.
Ce sont les grosses sociétés qui bénéficient des marchés ouverts par l’argent public dont celui de l’Europe. Ce sont ces sociétés qui en tirent des profits en perpétuant les bas salaires, les conditions de travail pénibles pour empocher le plus de profits possible.
Si, par exemple, en Martinique, les fonds européens ont participé pour plus de 60 millions d’euros à la réalisation du TCSP (transport en commun en site propre), ils rapportent surtout subventions et gros profits aux capitalistes de la multinationale Vinci.
Dans l'agriculture, ce sont les plus gros planteurs de banane, et singulièrement des descendants des vieilles familles d'origine esclavagistes comme les Hayot ou les Aubery, qui empochent subvention sur subvention européenne. L'entonnoir, c'est eux qui l'ont et par lequel ils sont gavés de millions.
Au total, 129 millions d'euros de subventions ont été versés aux planteurs de banane des Antilles françaises en 2017 ! Et il en est ainsi chaque année.
Ce sont les plus gros planteurs qui perçoivent le plus gros des subventions, car elles sont versées au prorata de la surface plantée et de la production.
Les voilà, les assistés de l'Europe et de l'État français. Et ces subventions, ils les reçoivent après avoir déjà accaparé le profit tiré de l'exploitation éhontée des travailleurs de la banane. Il en est de même pour une série de possédants de grosses entreprises agricoles dans le secteur de l'élevage, de la viande, du bâtiment, des ponts et chaussées.
Certains gros planteurs aux Antilles sont même déçus qu’il n’y ait pas plus de cyclones ou de grands vents car, après, ils empochent à ces occasions toutes sortes d'aides et subventions européennes supplémentaires et mettent leurs travailleurs en chômage technique. Alors, parfois, ils inventent et transforment un vent en cyclone pour toucher plus de subventions.
La grève des ouvriers de la banane en 2017 en Guadeloupe a mis en lumière les conditions de travail infernales des ouvriers sur les plantations et le non respect des droits les plus élémentaires des travailleurs. Port de plusieurs tonnes de bananes à bras d'hommes et plusieurs kilomètres à effectuer à pied ainsi chaque jour. Sans compter le non respect par les patrons de certains jours fériés, et des heures de travail légales. À cela viennent s'ajouter les déformations morphologiques, les maladies musculo-squelettiques dues au travail répétitif, les maladies respiratoires, les maladies de peau, les cancers dus aux pesticides, une surmortalité chez les ouvriers agricoles en raison des pesticides comme le chlordécone et toute une série d'autres aussi nocifs.
Ce n'est que par leur lutte constante que les ouvriers agricoles parviennent à se faire respecter un peu plus face à leurs patrons et à freiner la dégradation de leurs conditions de travail.
Dans l'outre-mer, les séquelles coloniales, qui s'ajoutent à l'exploitation capitaliste ordinaire, suscitent des luttes ouvrières fortes depuis de nombreuses années et des poussées de fièvre sociale. Ce fut le cas en Guadeloupe, Martinique, Guyane et à La Réunion en 2009.
En mars avril et mai 2017, les travailleurs de Guyane et la population laborieuse ont déclenché une révolte générale contre la dégradation de leurs conditions de vie et de travail !
C’est dans l’île de La Réunion que le mouvement des gilets jaunes a pris le plus d’ampleur.
Aux Antilles, les grèves sont fréquentes, dures et parfois longues. La dernière en date fut celle des salariés de Carrefour-Milenis-Promocash, en particulier les caissières, qui a duré 80 jours, de novembre à mars dernier.
Ce sont ces luttes qui dans le passé ont permis aux travailleurs d'obtenir même les maigres avantages qu'avaient déjà obtenus leurs frères de classe en France. Il a fallu des années de lutte pour que les travailleurs antillais, guyanais, réunionnais obtiennent ne serait-ce que le même SMIC que dans l'hexagone, les mêmes allocations familiales et sociales.
Dans les ex-colonies françaises, il y a le feu sous la cendre. Ce sont des brulots sociaux qui s'enflamment périodiquement, comme en 2009 le mouvement contre la « profitation ».
En votant pour la liste "Contre le grand capital, le camp des travailleurs", les travailleurs d'outre-mer comme les travailleurs de France, ne changeront pas les choses. Mais ils pourront s'exprimer contre l'exploitation capitaliste et impérialiste de l'État français.
Dans ses ex-colonies où tant de décisions sont prises par l’État central, à 7000, 10.000, voire 12.000 km de distance, sans se préoccuper de l’avis des populations locales, leur servir cette pseudo-démocratie qui consiste à les faire se prononcer sur l’Europe dénote un mépris cynique.
Il n'est alors pas surprenant que la population d'outre-mer ne se sente pas concernée par ces élections. Et cela se traduit par une abstention record à l'élection européenne dans les pays d'outre-mer. 90 % d'abstention en Guadeloupe en 2014 et plus de 88 % en Martinique, 90 % en Guyane, près de 80 % à La Réunion.
Ce mépris pour les confettis de l'ex-empire colonial français, eh bien, nous pouvons le retourner à l'envoyeur en le lui faisant savoir, et cela dans son propre jeu électoral faussement démocratique !
Nous, c'est-à-dire les travailleurs, nous, les membres des classes populaires, travailleurs, jobeurs, chômeurs, petits paysans ou petits marchands, parce que c'est nous qui subissons le plus ce mépris, pas seulement lors des élections européennes mais tous les jours, parce que les exploités, les plus dominés, ceux qui subissent le plus le racisme et les séquelles coloniales, c'est nous. Bien sûr, nous le leur renvoyons en pleine figure lors de nos manifestations et de nos grèves !
Mais, en votant pour la seule liste qui se revendique du camp des travailleurs, nous pouvons affirmer notre appartenance à ce camp et notre approbation des exigences mises en avant par cette liste : pour des augmentations de salaire, pour des embauches massives et la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire.
Les électeurs de ce qu’il reste de l’ancien empire colonial français ont, certes, toutes les raisons de se désintéresser de ces élections. Mais s'abstenir n'est pas toujours la meilleure des solutions. Elle l'est lorsque nous n'avons pas d'autre choix. Or là, il se trouve que les travailleurs d'outre-mer ont le choix de dire, par leur vote pour la liste de Lutte ouvrière, que nous sommes exploités en tant que travailleurs, dominés et méprisés en tant que peuple.
Alors disons-le ! Disons-le en mettant un bulletin pour la seule liste qui milite pour la fin du système capitaliste !