Les élections européennes en France : pour la première fois dans ce pays, des députés d'extrême gauche élus au Parlement européen01/07/19991999Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1999/07/44.png.484x700_q85_box-17%2C0%2C577%2C811_crop_detail.png

Les élections européennes en France : pour la première fois dans ce pays, des députés d'extrême gauche élus au Parlement européen

Les résultats que la liste Lutte Ouvrière - Ligue Communiste Révolutionnaire a obtenus dans ces élections européennes constituent un succès.

Un succès, parce que pour la première fois pour ce pays, il y aura des députés d'extrême gauche, des députés trotskystes, au Parlement européen. C'est d'ailleurs la première fois aussi que l'extrême gauche a des députés dans un parlement quelconque depuis bien longtemps. En tout cas, depuis ces années 1920 où l'extrême gauche était le Parti Communiste qui méritait encore son nom, car son objectif était la défense des intérêts politiques des travailleurs et la transformation révolutionnaire de la société.

C'est un succès surtout parce que l'élection de nos cinq camarades ne résulte pas de manoeuvres ou de combinaisons qui se pratiquent aussi bien à droite qu'à gauche, et qui permettent à des formations même peu représentatives d'avoir des députés, voire des ministres. Les Verts, par exemple, revendiquent bruyamment aujourd'hui un "rééquilibrage gouvernemental", euphémisme qui signifie qu'ils veulent autant ou plus de places de ministres que n'en a le PCF, en brandissant les 9,71 % qu'ils ont obtenus aux Européennes. Mais le seul résultat électoral obtenu en propre par les Verts la fois précédente, à l'échelle du pays, était les 3,3 % de Dominique Voynet lors de l'élection présidentielle de 1995. Ce qui a suffi pour que le Parti socialiste fasse aux Verts le cadeau de 6 places de députés lors des législatives de 1997, pour que Jospin nomme Dominique Voynet ministre et pour que les Verts deviennent une composante loyale du gouvernement de la "gauche plurielle", quitte à transiger avec le peu d'idées progressistes ou pacifistes dont se revendiquent ses militants.

Eh bien, nos candidats n'ont pas eu besoin de la protection ni du gouvernement, ni d'aucun des grands partis qui rêvent d'y être. Ils ont été élus sur la base de leurs idées et en défendant clairement, sans compromission, le programme de défense des intérêts des classes laborieuses qui a été la plate-forme commune à nos deux organisations.

Et les 5 % qui étaient nécessaires pour envoyer des députés révolutionnaires au Parlement européen sont d'autant plus remarquables que ce n'est pas un résultat accidentel. Depuis la présidentielle de 1995, c'est-à-dire depuis quatre ans, l'extrême gauche se maintient à ce score et confirme son électorat qui a déjà permis d'envoyer 22 représentants de Lutte Ouvrière ou de la Ligue Communiste Révolutionnaire dans des Conseils régionaux. Et c'est ce même électorat qui a donné à l'extrême gauche 914 680 voix, 5,18 % des suffrages exprimés.

Un électorat qui se reconnaît dans le langage de lutte de classe. Un électorat qui n'accepte pas, qui n'accepte plus, le chantage qui consiste à affirmer que le seul moyen de s'opposer à la droite et à l'extrême droite, c'est de voter pour la gauche gouvernementale, même lorsque cette gauche au gouvernement mène précisément la politique pro-patronale de la droite qu'elle prétend combattre. Un électorat qui reconnaît comme sien le programme que nous défendons depuis que le chômage a pris le caractère dramatique que nous voyons aujourd'hui.

L'idée fondamentale de ce programme est qu'il n'y a pas d'autre moyen de vaincre le chômage que de puiser dans les profits capitalistes et dans les fortunes que la grande bourgeoisie continue à accumuler, de façon scandaleuse, grâce à la crise qui dépouille les classes populaires.

Les 5 % obtenus par notre liste, c'est une moyenne. Dans un grand nombre de villes ouvrières, dans des régions ouvrières comme la banlieue parisienne, le Pas-de-Calais, le Nord, la Lorraine industrielle, nos résultats dépassent très largement cette moyenne. En revanche, nous n'avons percé ni à Neuilly ni dans le 16ème arrondissement de Paris et, à vrai dire, cela ne nous attriste pas du tout !

Oui, le score de notre liste a un caractère de classe, et nous en somme fiers. Ceux qui ont voté pour nous ne l'ont pas fait par hasard, mais parce qu'ils ont compris ou senti que nous étions les seuls dans ces élections à défendre vraiment les intérêts des travailleurs, des chômeurs, des jeunes. Nous étions les seuls à défendre les intérêts de celles et ceux qu'une économie capitaliste injuste et démente pousse vers le chômage et vers la misère, sans autre raison que l'accumulation de richesses plus grandes encore par une minorité privilégiée et parasite.

Les résultats montrent à leur manière, comme l'a montré la chaleur de l'accueil dans les milieux ouvriers pendant la campagne électorale, que notre programme rencontre l'oreille d'une fraction non négligeable de la classe sociale dont il défend les intérêts.

L'extrême gauche apparaît désormais comme une force politique significative et stable, même si ce n'est pour le moment que sur le plan électoral. Et cela compte pour l'avenir, et là, pas seulement sur le plan électoral.

L'intérêt politique que représentent aux yeux du patronat les partis de gauche a toujours été leur capacité de tromper, de stériliser les éléments les plus combatifs du monde du travail, directement ou en se servant de l'influence des confédérations syndicales. En 1981, Mitterrand, qui n'avait nullement besoin du soutien des députés communistes au Parlement, les a cependant intégrés au gouvernement. C'est le Parti Communiste qui avait alors le plus d'influence, et de loin, sur la très grande majorité des militants ouvriers. Donner au PC quelques places de ministres, c'était le moyen d'éviter que le PC devienne le canal où aurait pu passer la contestation de la politique gouvernementale par les classes laborieuses. Calcul réussi : les mesures les plus manifestement anti-ouvrières, grâce au fait qu'elles ont été défendues par un gouvernement socialiste et communiste, ont pu être présentées comme des mesures inévitables, nécessaires, dans l'intérêt bien compris des travailleurs eux-mêmes !

On sait de quel prix la classe ouvrière et le Parti Communiste lui-même ont payé cette participation gouvernementale. Combien de travailleurs ont été démoralisés de voir un gouvernement, bénéficiant du soutien et de la caution du Parti Communiste, prendre des mesures favorables au grand patronat, à la Bourse et aux banquiers ? Combien de militants, désorientés, ont définitivement abandonné le combat ?

Robert Hue propose, de façon plus honteusement ouverte encore, la même politique, néfaste pour l'ensemble des travailleurs, suicidaire pour les militants de son parti.

Eh bien, les gouvernements du présent et du futur, qui comptent ou compteront sur leur étiquette de "gauche" pour tromper et désarmer les travailleurs, doivent savoir qu'une partie encore très minoritaire, mais déjà significative de la classe ouvrière, commence à se reconnaître, en tous les cas sur le plan électoral, dans une extrême gauche qui n'est pas prête à vendre les intérêts des travailleurs pour le plat de lentilles d'une participation ministérielle.

Bien sûr, nous ne nous sommes pas présentés seulement pour nous compter en défendant un programme, mais aussi, au cas où il y aurait eu une radicalisation, pour permettre au mécontentement des travailleurs et, plus généralement des classes populaires, de s'exprimer sans ambiguïté. Nous avons dit et répété pendant la campagne électorale que si notre score était plus élevé, en nette progression par rapport aux résultats que l'extrême gauche obtient depuis quatre ans, cela serait l'expression électorale d'une telle radicalisation.

Certains médias ont pris cela pour une prévision de notre part. Une prévision qui semblait être partiellement corroborée par certains sondages qui donnaient à notre liste 7 %, voire 8 % des voix.

Mais, pour nous, les élections sont un thermomètre qui reflète les variations de l'opinion publique. Ce n'est pas le thermomètre qui fait la température et il ne dépend évidemment pas de nous que la radicalisation existe. Manifestement, notre résultat, comme celui du PCF et, au-delà l'ensemble des résultats, concordent pour montrer qu'il n'y a pas, pour le moment, une telle conscience généralisée de la nécessité de la lutte.

L'électorat d'extrême gauche ne s'est pas amplifié de façon importante par rapport à ce qu'il est depuis quatre ans. Le vote en faveur de notre liste n'a pas été assez en progrès pour indiquer une opposition massive à la politique gouvernementale venant des classes laborieuses. Il ne peut pas inquiéter le gouvernement au point qu'il ressente notre score comme une pression.

Mais c'est bien en tenant compte de cette situation, de cette absence de poussée à gauche et en pesant les mots comme nous pesons les chiffres, ainsi que nous en avons l'habitude, que nous disons que le résultat que nous avons obtenu est un levier pour l'avenir.

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