Grande-Bretagne - Les travaillistes, les dirigeants syndicaux et l'offensive patronale contre les salaires01/12/19971997Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1997/12/31.png.484x700_q85_box-18%2C0%2C576%2C807_crop_detail.png

Grande-Bretagne - Les travaillistes, les dirigeants syndicaux et l'offensive patronale contre les salaires

Cela fait longtemps qu'en Grande-Bretagne on assiste à une diminution régulière de la part du revenu national revenant aux salariés en activité, tandis qu'augmente celle revenant aux capitalistes.

Mais depuis le temps que les chiffres officiels indiquent un recul du chômage, cette tendance aurait dû s'inverser. Or il n'en a rien été. Ainsi, au cours des cinq années de la dernière législature (1992-1997), sous le gouvernement conservateur de John Major, la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut a reculé de 4 %, tandis que la part des revenus des entreprises s'accroissait d'autant. Au cours de la même période, le montant total annuel des profits nets des entreprises et celui des dividendes payés aux actionnaires ont augmenté respectivement de 58 % et de 103 %, alors que le total annuel des salaires versés n'augmentait que d'un peu plus de 10 % et encore faut-il rappeler que ce chiffre inclut les confortables émoluments des hauts cadres du privé.

Ces chiffres soulignent l'érosion des salaires qui affecte de larges secteurs de la classe ouvrière britannique. Et sans doute bon nombre de ceux qui ont voté pour le Parti Travailliste lors des élections législatives de mai dernier l'ont-ils fait en partie dans l'espoir qu'une défaite des Conservateurs mettrait au moins un terme à cette érosion. Mais stopper l'offensive patronale contre les salaires n'est pas, et n'a jamais été, l'objectif du leader travailliste Tony Blair. Il semblerait qu'au contraire, maintenant que les travaillistes sont de retour au pouvoir, on assiste non pas à un ralentissement mais à une intensification de cette offensive.

Pour réduire la masse salariale, la principale méthode utilisée jusqu'ici par le patronat a consisté à changer le statut de nombreux travailleurs, en développant la sous-traitance, les emplois à temps partiel et la précarité. En général, ces travailleurs ont vu leurs salaires baisser de façon importante.

En revanche, dans la plupart des cas, les salaires des travailleurs qui ont conservé un emploi fixe à plein temps dans les grandes entreprises du secteur privé ont été moins touchés, même si eux aussi ont vu leurs conditions de travail s'aggraver considérablement, en particulier dans les secteurs de production. Leurs salaires sont sans doute restés à la traîne de l'inflation (sauf dans certains secteurs plus "sensibles", comme l'automobile), mais les cas de diminution pure et simple de salaire ont été exceptionnels. Malgré le faible niveau de combativité, le risque d'une riposte hypothétique a suffi à convaincre le patronat de ne pas aller trop loin dans ce sens.

Mais cette situation est peut-être en train de changer, si l'on en juge par une série d'accords salariaux récents comportant des clauses inhabituelles visant à abaisser les salaires des nouveaux embauchés. Il est vrai qu'une telle évolution ne ferait que prendre à la lettre le mot d'ordre de Blair en faveur d'un "marché du travail flexible".

Sous traitance and co

Les services publics privatisés offrent l'exemple typique des méthodes utilisées par la plupart des employeurs pour réduire les coûts salariaux. Dans un premier temps, ils ont supprimé des emplois par dizaines de milliers et augmenté la charge de travail des salariés restants. Mais cette méthode a ses limites quand, par exemple, les suppressions massives d'emplois finissent par causer des accidents graves, comme cela a été le cas dans les chemins de fer. Pour continuer à réduire la masse salariale, il leur a fallu trouver le moyen de réduire les salaires eux-mêmes.

La sous-traitance a été la méthode la plus couramment utilisée : l'entreprise se débarrassant d'une activité qu'elle assurait jusque-là elle-meme en la cédant en général avec le personnel concerné à une autre entreprise, qui pouvait, elle, diminuer les salaires, n'étant pas soumise aux mêmes accords salariaux.

A partir du milieu des années quatre-vingt, les gouvernements conservateurs ont donné l'exemple en appliquant cette politique dans le secteur public. Il y a eu, par exemple, l'obligation faite aux services municipaux, de santé et certains secteurs de la fonction publique de lancer des appels d'offre publics pour l'accomplissement de certaines tâches jusque-là réalisées par ces services avec leur propre personnel (voirie, collecte des ordures, entretien des HLM, comptabilité et examens de laboratoire dans les hôpitaux, nettoyage et entretien électrique, etc.). Moyennant quoi un grand nombre d'activités de ce type ont été sous-traitées au soumissionnaire proposant le plus bas prix, pour des périodes allant de un à trois ans. On a assisté alors à la multiplication d'entreprises concurrentes, plus ou moins éphémères, proposant leurs services dans tous les domaines, depuis le nettoyage industriel jusqu'aux travaux de laboratoire les plus sophistiqués, dans des conditions où elles ne pouvaient dégager des profits qu'en réduisant considérablement les coûts salariaux.

Aujourd'hui, ce système s'est encore perfectionné. Dans les hôpitaux par exemple, le contrat de nettoyage est parfois entre les mains du second, du troisième, voire du quatrième sous-traitant depuis l'introduction de cette politique chaque changement d'employeur s'accompagnant d'une érosion des salaires et d'une aggravation des conditions de travail. Sur ce plan, l'exemple du mouvement des employées du nettoyage de l'hôpital de Hillingdon, dans la banlieue ouest de Londres, parle de lui- même. Ces employées se sont mises en grève lorsque leur nouvel employeur sous-traitant, Pall Mall, a voulu réduire leurs salaires de 20 %. Elles ont toutes été licenciées su-le-champ et continuent, depuis, à assurer un piquet de grève quotidien à l'hôpital. Cela fait maintenant plus de deux ans et il y a quelques mois leur ancien employeur a été remplacé par un autre sous-traitant, prêt à faire faire le travail pour encore moins cher...

Il existe une réglementation sur les transferts d'activités, connue sous le nom de TUPE, qui a été adoptée par le parlement britannique en application d'une directive européenne. TUPE est censée protéger les travailleurs, leurs emplois et leurs conditions de travail pendant un an après le transfert. Mais cette réglementation, déjà peu contraignante, est constamment battue en brèche. Tout récemment, on a assisté à une nouvelle tentative pour rendre cette réglementation inopérante par le biais de la jurisprudence. Au cours du procès, une municipalité travailliste, représentée par l'épouse de Tony Blair qui est une avocate de renom, a obtenu le droit de reprendre une activité en diminuant les salaires sur le champ les employés ayant été licenciés par le précédent sous- traitant avant le transfert, le juge a estimé que TUPE ne s'appliquait pas à leur cas. Si ce jugement fait jurisprudence, il ne restera rien de la réglementation des transferts d'activités.

Mais même quand la réglementation TUPE est respectée, les nouveaux embauchés le sont toujours sur la base de contrats différents et encore plus défavorables. Cette année, par exemple, à la gare londonienne de King's Cross, la société exploitante de la gare, Railtrack, a sous-traité le nettoyage des quais à la société Serco, qui a repris les travailleurs employés par Railtrack. Mais seuls les contrats permanents étaient couverts par TUPE et ont conservé leurs salaires. En revanche les travailleurs en contrats temporaires ne l'étaient pas et se sont vu imposer au bout de quatre mois 20 % d'heures en plus pour 8 % de salaire en moins.

Les grandes entreprises privées ont suivi l'exemple de l'État en développant à leur tour la sous-traitance, en particulier la sous-traitance sur site.

Chez Ford (UK), par exemple, cela a commencé il y a plus de dix ans, lorsque le nettoyage des usines a été passé en sous-traitance. Auparavant, tous les ouvriers du nettoyage étaient employés directement par Ford. Le plus souvent, c'étaient des OS usés par le travail à la chaîne ou encore des ouvriers frappés d'invalidité légère. Ils touchaient pratiquement le même salaire que sur chaîne. Aujourd'hui, le taux horaire des agents de nettoyage employés par ISI, le sous-traitant assurant le nettoyage de l'usine londonienne Ford-Dagenham, n'est plus que les deux-tiers du taux moyen sur chaîne. De même, quand Ford a passé en sous-traitance la fabrication des sièges de voiture à la société Johnsons, les ouvriers embauchés dans la nouvelle usine, construite spécialement pour Johnsons sur le site même de Dagenham, se sont vu proposer un salaire inférieur de 20 % au salaire qu'ils touchaient auparavant chez Ford. Aujourd'hui la sous-traitance continue à se développer, atteignant environ 15 % de l'effectif ouvrier sur le site de Dagenham, et Alex Trotman, le directeur général de Ford- International, peut se vanter dans son rapport annuel d'avoir réussi à améliorer les profits en 1997 grâce à une politique de "réduction agressive des coûts".

Il y a aujourd'hui une nuée de "cow-boys" sous-traitants sur site, qui vivent de contrats de sous-traitance décrochés ici ou là. Les emplois que créent ces sous-traitants sont le plus souvent temporaires, voire à la tâche, ce qui leur permet de disposer d'une main-d'oeuvre privée de droits sur le plan légal, puisque les maigres protections prévues par la loi ne s'appliquent en général qu'à partir de deux ans de présence. En d'autres termes, la sous-traitance a ajouté aux suppressions d'emplois massives et aux baisses de salaires, la prolifération d'emplois précaires et sous-payés.

Travail à temps partiel, exploitation à plein temps

Autre méthode chère aux employeurs pour diminuer la masse salariale, le temps partiel. Les gouvernements conservateurs ont favorisé son introduction en fixant un seuil d'heures en dessous duquel les patrons bénéficient d'une remise sur les cotisations sociales et de contraintes allégées dans le domaine de la protection de l'emploi. Par ailleurs, les employeurs étaient complètement exonérés de cotisations sociales ainsi que de l'obligation de payer des primes de licenciement ou des congés de maternité lorsque le salaire était inférieur à un certain seuil. Ces mesures ont évidemment encouragé le patronat à offrir des salaires aussi bas que possible pour un horaire hebdomadaire minimum. Bien sûr, les temps partiels employés dans ces conditions n'avaient guère les moyens de refuser les heures supplémentaires qui leur étaient proposées à l'occasion, en fonction des besoins des patrons. C'était tout bénéfice pour le patron.

La montée en force du temps partiel a marqué les deux dernières décennies, mais elle s'est particulièrement accentuée au cours des quatre ou cinq dernières années. Au total, le nombre d'emplois à plein temps a chuté de 20 % depuis 20 ans. Tandis que 43 % des emplois "créés" entre 1992 et 1996 ont été des temps partiels. En 1981, il y avait 4,5 millions de travailleurs à temps partiel, représentant 21,2 % des salariés. En 1991, ils étaient 5,7 millions, soit 26,4 % des salariés. Aujourd'hui, ils sont environ 7 millions, c'est-à-dire un peu plus de 30 % des salariés.

La plupart de ces emplois à temps partiel se trouvent dans les secteurs du commerce de détail, de la restauration, du nettoyage et certains secteurs de bureaux. La plupart des chaînes de supermarchés, y compris celle de Lord Sainsbury, la dernière recrue des travaillistes à la Chambre des Lords, ont appliqué brutalement cette politique il y a déjà quelques années, en imposant le temps partiel à la majorité de leurs employés, pratiquement du jour au lendemain. Mais d'autres secteurs ont fait de même, en particulier la poste qui vise à imposer le temps partiel à la moitié de ses effectifs.

On trouve aussi des temps partiels dans un nombre croissant d'usines de production. Ford (UK) a introduit le temps partiel il y a environ cinq ans, recrutant des ouvriers les lundis et vendredis, pour compenser l'absentéisme plus important ces jours-là. En réalité, ces travailleurs ont très vite fait des semaines complètes, pour pallier le blocage de l'embauche à plein temps. Mais leurs avantages sociaux, leurs vacances, leurs congés-maladie, etc., n'en étaient pas moins calculés sur leur horaire de base c'était tout bénéfice pour Ford aux dépens de ces "temps partiels" à plein temps. Depuis, le temps partiel est devenu le seul moyen de se faire embaucher sur chaîne : on fait miroiter aux temps partiels la possibilité d'un poste à plein temps s'ils se montrent compétents, assidus au travail et suffisamment "flexibles" face aux exigences de l'encadrement.

Depuis 1994, les temps partiels bénéficient des mêmes protections que les salariés à plein temps en cas de suppression d'emploi ou de licenciement abusif, dès lors que leur horaire hebdomadaire dépasse un certain seuil. Mais ce n'est pas le cas en ce qui concerne les congés-maladie, congés payés et retraites (à ce jour, 60 % des temps partiels sont privés de tels droits). Or en juin dernier, une réglementation adoptée dans le cadre de la Charte Sociale européenne (Charte à laquelle la Grande-Bretagne a fini par adhérer) garantirait aux temps partiels les mêmes droits qu'aux salariés à plein temps tout en excluant la plupart des statuts précaires. En théorie, la nouvelle réglementation européenne devrait avoir force de loi en Grande-Bretagne d'ici deux ans. En pratique, comme toujours en Grande-Bretagne avec ce genre de réglementations, l'absence de recours légal rapide et efficace signifie que les travailleurs concernés, surtout ceux des petites entreprises, risquent de ne guère voir de changement.

Les mille et une combines pour réduire les salaires

Il serait trop long d'énumérer tous les trucs et stratagèmes auxquels ont recours les entreprises pour réduire encore plus les salaires. Nous nous contenterons de deux exemples très répandus.

Le statut de travailleur "indépendant" n'est en fait rien d'autre que de la sous-traitance réduite à sa plus simple expression : le travailleur individuel devient son propre employeur. Au milieu des années quatre-vingt, on en fit le prototype de la future "société autosuffisante" prônée par la démagogie populiste de Thatcher. On créa diverses incitations fiscales en faveur des "indépendants" et, à l'époque, de nombreux salariés licenciés par leur entreprise se virent offrir de reprendre leur poste pourvu qu'ils acceptent le statut d'"indépendants". Pour le patron, c'était tout bénéfice : il n'avait pas à payer de cotisations sociales, congés payés ou congés-maladie ; le salaire pouvait être fixé arbitrairement ; il n'était plus question de majoration pour heures supplémentaires, ni d'ailleurs d'heures supplémentaires, puisque le travail se faisait souvent à la tâche. Qui plus est, le travailleur "indépendant" n'était pas couvert par les réglementations d'hygiène et de sécurité. Bref, c'était (du point de vue patronal s'entend) l'idéal de ce que Thatcher appelait la "libre entreprise".

Mais dès que ces travailleurs "indépendants" furent confrontés au percepteur, et à la nécessité de payer eux-mêmes toutes leurs cotisations sociales, ils réalisèrent qu'il s'agissait d'un marché de dupes, surtout lorsque leur salaire était bas. Et cela stoppa le développement des "indépendants" dans certains secteurs, en particulier les secteurs de production.

Néanmoins, le travail "indépendant" s'est tout de même développé dans le bâtiment, où les emplois stables avaient toujours été rares, même chez les géants du secteur. Malgré cette précarité, il y avait, depuis des années, des accords minimum entre travailleurs et confédérations patronales, sur les salaires et les conditions de travail. Avec la crise du bâtiment, à la fin des années quatre-vingt, les patrons saisirent l'occasion d'imposer à leurs ouvriers le statut d'"indépendants", échappant dès lors à tout accord national, et donc pour des salaires bien inférieurs à ce qu'ils étaient auparavant. De sorte qu'aujourd'hui, la plupart des anciens accords nationaux de la profession ont été vidés de leur contenu, quand ils n'ont pas tout simplement disparu.

Mais le travail "indépendant" n'est pas l'exclusivité des secteurs où le travail est traditionnellement précaire. Il existe aussi dans certains secteurs de haute technologie. GKN-Westland, par exemple, qui fabrique entre autres des hélicoptères et autres matériels de défense dans le sud-ouest de l'Angleterre, emploie un nombre relativement important de techniciens hautement qualifiés à statut "indépendant", sans aucune garantie d'emploi à long terme. Et si leurs salaires sont à peu près convenables, c'est tout simplement parce que GKN a du mal, pour le moment, à trouver des techniciens suffisamment qualifiés.

Le salaire "lié aux résultats" est une autre supercherie destinée à réduire les salaires "en douceur". Cette formule, introduite par les conservateurs, fait dépendre une partie du salaire des profits de l'entreprise, partie qui est alors exonérée de l'impôt sur le revenu. Lors de l'introduction de ce système, tout est calculé pour que le salaire net reste inchangé. En revanche, la somme déboursée par le patron diminue de l'équivalent de l'allègement d'impôts consenti par l'État au salarié. Tout se passe comme s'il n'y avait pas de diminution de salaire... en apparence. Mais il est très rare que les profits soient jugés suffisamment élevés pour faire augmenter la partie du salaire liée aux résultats. En revanche, les baisses de profits entraînent le plus souvent une baisse de salaire, à laquelle le patron a beau jeu de prétendre, comptes à l'appui... qu'il n'y est pour rien.

Bien sûr, la manière dont ces changements sont en général expliqués aux travailleurs vise surtout à les convaincre qu'ils y ont avantage plutôt qu'à leur faire comprendre comment ça marche. Et du coup, la valeur exacte du salaire de base garanti devient une abstraction, enveloppée d'un flou artistique de plus en plus impénétrable avec le temps. C'est d'ailleurs aussi l'un des objectifs recherchés : dans ces conditions les contrats salariaux perdent une grande partie de leur intérêt, puisqu'isl ne garantissent pas la paie.

La popularité, auprès des entreprises, de cette formule qui relève du tour de passe-passe n'est pas étonnante. Plus de 10 000 PME employant au total 2,6 millions de travailleurs s'en servaient à la fin de 1996. Si bien que le dernier gouvernement conservateur a fini par décider de supprimer la formule d'ici à l'an 2000, estimant qu'elle lui coûtait trop cher en manque à gagner sur les impôts. Dès aujourd'hui, les entreprises se préparent à cette éventualité et les travailleurs risquent de voir la partie de leur salaire "liée aux résultats" s'amenuiser petit à petit sans raison apparente.

La bataille des salaires continue

Aujourd'hui, les grandes entreprises ne peuvent plus se cantonner à ces vieux stratagèmes pour continuer à réduire la masse salariale. Le travail à temps partiel est en passe de devenir moins rentable à cause des nouvelles réglementations européennes. Le travail "indépendant" passe mal auprès des travailleurs de nombreux secteurs d'activité. La sous-traitance reste une possibilité intéressante pour les patrons, mais il y a des limites à ce qui peut être sous-traité, comme il y a des limites à la confiance que les entreprises peuvent avoir dans les "cow boys" de la sous-traitance. Quant aux astuces du type salaire "lié aux résultats", leur avenir est incertain.

Alors, certaines entreprises cherchent à négocier des accords salariaux qui prévoient des diminutions de salaire pour les années à venir. L'exemple le plus frappant en a été le conflit de l'été dernier à British Airways.

Ce conflit a démarré après l'annonce faite en 1996 par la direction de son intention de baisser ses coûts de dix milliards de francs par an d'ici à l'an 2000 autrement dit, d'augmenter ses profits d'autant. Elle annonçait en même temps une première vague de 5 000 suppressions d'emplois, tout en promettant d'en rétablir 2000... si cela se révélait possible.

Ce plan a été la cause d'un certain nombre de conflits. Cette année, les employés au sol du secteur restauration de British Airways ont appris que la direction entendait céder cette activité à un sous-traitant, contrairement aux promesses faites il y a trois ans. Les employés des bagages et du fret se sont retrouvés avec leurs salaires gelés pour les deux années à venir, en échange de la "sécurité de l'emploi". Et pour couronner le tout, 9 000 salariés en cabine se sont vu proposer un accord salarial prévoyant une réduction de 19 % du salaire d'embauche, des horaires accrus et le paiement des heures supplémentaires au taux horaire normal. Dans leur cas, British Airways entendait "économiser" 420 millions de francs par an à leurs dépens. Ce qui a conduit à une grève en juillet qui a paralysé les vols de la compagnie pendant près d'une semaine.

Des entreprises de moindre importance ont aussi tenté le même genre de manoeuvres. Début 1997, une compagnie privatisée de chemins de fer, Great North Eastern Railway, a proposé à son personnel de restauration un projet d'accord salarial stipulant que le salaire des futurs embauchés serait déterminé par "les conditions du marché", sans s'engager sur aucun chiffre. Face à l'indignation que cela a suscitée, la compagnie a finalement chiffré le salaire d'embauche qu'elle proposait : 10 000 francs de moins par an que pour les salariés existants faisant le même travail.

Dans les compagnies de bus, l'étude annuelle publiée en 1997 par le syndicat des transports signale de nombreux exemples similaires, dans tout le pays. A Liverpool, chez MTL, le sixième groupe de bus du pays, les salaires des nouveaux conducteurs ont été réduits de 18 %. Clydeside Buse, qui appartient au groupe Cowie (troisième entreprise du pays), ne s'est pas contenté de diminuer le salaire des nouveaux conducteurs ; il leur a aussi supprimé les congés-maladie et les congés payés. Dans une autre entreprise du groupe Cowie, Crosville Wales, les conducteurs débutants sont un peu mieux payés, mais ils perdent les augmentations à l'ancienneté, les congés-maladie et ne reçoivent que 2 000 F pour leurs deux semaines de congés annuels. Un certain nombre de compagnies, dont quelques-unes appartiennent à Stagecoach (numéro deux du secteur), ont aussi imposé des salaires inférieurs aux nouveaux embauchés pour des périodes allant de un an à trois ans.

Les patrons du bâtiment tentent aussi d'imposer un système semblable aux électriciens, sous un emballage il est vrai quelque peu différent. Au cours des discussions qui ont lieu en ce moment pour conclure l'accord salarial des trois ans à venir, les représentants patronaux ont proposé l'instauration d'une nouvelle qualification d'électricien comportant une formation plus courte et un taux horaire inférieur de 25 %. A ces ouvriers, les patrons voudraient confier toutes sortes de tâches qui, selon eux, bloquent les électriciens et les empêchent de se consacrer pleinement à des travaux plus qualifiés. On imagine facilement que si les patrons ont gain de cause, bon nombre d'électriciens risquent bientôt d'être remplacés par de nouveaux embauchés sous-payés !

Il y a un point commun entre ces différents exemples, qu'il s'agisse de l'instauration d'une échelle de salaires à deux vitesses ou de la création de qualifications moins bien payées sur la base d'une formation au rabais : il s'agit dans tous les cas de diminuer le salaire de catégories entières de travailleurs permanents à plein temps dans le cadre d'accords salariaux dûment négociés avec les syndicats. Et c'est là un phénomène nouveau, comparé aux méthodes traditionnelles utilisées au cours des deux dernières décennies.

Les ambitions des bureaucrates syndicaux

Quelle est donc aujourd'hui l'attitude des dirigeants syndicaux face à l'intensification des attaques du patronat contre les salaires ?

En septembre, le congrès annuel du TUC, la confédération qui regroupe la plupart des syndicats, en a donné une idée en s'efforçant d'éluder les problèmes les plus urgents auxquels la classe ouvrière est confrontée.

Comme on pouvait s'y attendre, ce congrès a été avant tout une grand'messe en l'honneur du nouveau gouvernement travailliste. Pour la première fois dans l'histoire syndicale, on y a même vu à la tribune le primat de l'Eglise anglicane, l'archevêque de Canterbury, dont l'homélie a fait écho aux discours moralisateurs du secrétaire général du TUC, John Monks. Celui-ci s'est en effet borné à exhorter les patrons à montrer désormais plus de compréhension à l'égard du "nouveau syndicalisme" (pendant syndical du "nouveau travaillisme" de Tony Blair) tout en exprimant l'espoir que le souvenir de la princesse Diana amène "l'épanouissement d'une nouvelle compassion"...

Comme on pouvait s'y attendre également, Blair y est allé de son sermon, affirmant sans la moindre ambiguïté que rien ne le ferait s'écarter de sa promesse de créer un "marché du travail flexible", et que "la guerilla sociale, les grèves sans vote préalable par correspondance, les piquets de grève volants, les grèves de solidarité, et tout le reste" n'avaient désormais plus de raison d'être.

Quand il s'est agi de discuter enfin de vrais problèmes, tels que celui de la flexibilité, les dirigeants syndicaux ont parlé de l'explosion du travail à temps partiel et temporaire comme d'un fait accompli, se bornant à réclamer des droits "décents" pour les travailleurs concernés. Mais aucun n'a pris la peine d'expliquer comment ces travailleurs pourraient user de ces droits "décents" alors qu'ils n'ont même pas celui d'avoir un emploi décent.

Il n'a bien entendu pas été question d'action. Ni face aux réticences évidentes de Blair à braver l'hostilité du CBI (équivalent britannique du CNPF) pour remplir ses vagues promesses électorales sur les droits syndicaux ; ni face à son refus de rien changer aux lois anti- grève des précédents gouvernements conservateurs. Il y avait bien une résolution sur ce dernier point, mais elle n'a même pas été soumise à la discussion sous prétexte que son rapporteur, le président des mineurs Arthur Scargill, n'était pas dans la salle lorsqu'elle a été mise à l'ordre du jour. Pur "hasard", bien sûr...

Faut-il s'étonner dans ces conditions que le dernier jour du congrès ait été consacré pour l'essentiel à la création de Union Energy ("Energie Syndicale"), une entreprise contrôlée par le TUC qui vendra du courant à bas prix aux syndiqués, en jouant sur la déréglementation de l'électricité. Drôle de façon de renforcer le courant syndical...

Surtout, les dirigeants syndicaux n'ont pas indiqué la moindre intention de s'opposer aux attaques patronales contre les salaires et les conditions de travail. Au contraire, ils ont fait en sorte que la question du salaire minimum ne soit même pas abordée, bien que UNISON (le syndicat des personnels municipaux et de santé le plus grand syndicat du pays) ait présenté une résolution à ce sujet.

En revanche, c'est au cours de ce congrès qu'a été rendu public l'accord passé entre le syndicat des transports T&G et la direction de British Airways. Cet accord a été applaudi comme un succès majeur sans aucun doute un modèle du "nouveau partenariat" entre patronat et syndicats prôné tout au long du congrès par John Monks.

Mais c'est surtout d'un modèle de bradage des intérêts des travailleurs qu'il s'agit. Au lendemain de la grève des personnels de cabine, en juillet dernier, Bill Morris, le leader du T&G, qui est considéré comme l'un des chefs de file de la "gauche" du mouvement syndical, était intervenu en personne dans le conflit. Dans la revue mensuelle du T&G, Morris expliquait ainsi sa démarche : "Conformément à notre souci de travailler à l'amélioration de la compétitivité des entreprises qui emploient des membres du T&G, nous ferons nos propres propositions à British Airways pour l'aider à réaliser les économies de coût dont elle a besoin." C'est donc sur cette base que l'accord a été finalement conclu : les 420 millions de francs d'économies annuelles exigées par British Airways seront réalisées pour partie par une baisse du salaire de base à l'embauche de 10 000 F par an, et par un allongement de l'horaire effectif de travail de tous les personnels de cabine, anciens et nouveaux. L'intervention personnelle de Bill Morris dans le conflit n'aura donc servi qu'à aider British Airways à augmenter ses profits contre les revendications des grévistes de juillet.

D'après les responsables du T&G, le point essentiel est qu'à la suite de cet accord, British Airways a accepté de "discuter" de la restructuration salariale que la compagnie comptait imposer auparavant sans autre forme de procès. Comme l'a expliqué George Ryde, responsable national du syndicat pour le transport aérien, "nous pouvons maintenant débattre de la restructuration sans avoir à discuter en même temps du problème des économies". Ainsi le T&G a "gagné" le droit de s'asseoir à la table des négociations et, par la même occasion, celui de conserver des relations cordiales avec la direction de British Airways. Mais ce qu'y auront gagné les personnels de cabine quand la compagnie commencera à remplacer les anciens par des nouveaux payés au rabais, est une autre affaire !

Cette servilité des dirigeants syndicaux est d'autant plus lamentable qu'en juillet, les grévistes de British Airways avaient su, eux, résister aux pressions, chantage et intimidation de la compagnie. Mais il en faut visiblement plus pour réfréner l'enthousiasme d'un Bill Morris à jouer les conseillers en management.

En tout cas, l'affaire de British Airways montre sans ambiguïté ce que les directions syndicales entendent par "nouveau partenariat". Ce n'est pas seulement, comme l'ont cru bien des militants syndicalistes du rang, un simple "truc" médiatique qui aurait été conçu pour faciliter le retour des travaillistes au pouvoir. Avec l'accord British Airways comme "vitrine" et la promotion que lui assure la personnalité d'un leader de "gauche" comme Morris, les dirigeants syndicaux sont en train de dire au patronat : "Vous voulez être plus compétitifs, rendre votre main-d'oeuvre plus flexible, augmenter vos profits ? Nous sommes là pour ça, nous les "nouveaux syndicalistes", et nous pouvons vous être d'une aide précieuse, pourvu que vous nous en donniez l'occasion ainsi que la reconnaissance à laquelle nous aspirons".

Ce qui se joue aujourd'hui sous les yeux des travailleurs est lourd de dangers. Dans le passé, jamais les bureaucrates syndicaux n'ont cherché à s'appuyer sur les capacités de lutte des travailleurs pour empêcher les entreprises d'augmenter leurs profits au détriment de l'emploi. Aujourd'hui ils en sont à prêter la main aux attaques en règle du patronat contre les salaires.

"A travail égal, salaire égal" est un très vieux slogan du mouvement ouvrier à la fois un principe de base et une nécessité pour unifier les rangs des travailleurs. La classe ouvrière britannique a payé, et continue à payer très cher le fait que, avec l'aide des bureaucrates syndicaux, le patronat puisse jouer les salariés sous-traitants contre ceux qui sont permanents, les travailleurs qui ont un emploi contre ceux qui n'en ont pas, etc. Aujourd'hui les dirigeants syndicaux en sont à séparer les intérêts des nouveaux embauchés de ceux des "anciens", aidant de ce fait les patrons à créer de nouvelles divisions dans les rangs des travailleurs.

Cela rend d'autant plus vitale la nécessité d'une lutte d'ensemble contre ces attaques. Une lutte qui devra unir toutes les catégories de la classe ouvrière jeunes et vieux, salariés et chômeurs, contrats fixes et temporaires, temps partiels et temps pleins dans une contre-offensive face au patronat et à ses attaques contre les salaires mais aussi face aux directions syndicales.

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