Grande-Bretagne - la classe ouvrière face à la crise du logement, de Thatcher à Blair01/10/20012001Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2001/10/60.png.484x700_q85_box-16%2C0%2C579%2C813_crop_detail.png

Grande-Bretagne - la classe ouvrière face à la crise du logement, de Thatcher à Blair

Au cours des vingt dernières années, la classe ouvrière britannique a connu une aggravation considérable de ses conditions de logement. A cela vient s'ajouter aujourd'hui une explosion brutale des prix immobiliers qui fait régulièrement la Une des journaux depuis quelques mois. Non pas que les barons de la presse auraient soudain découvert les conditions de logement du monde du travail. Non, leur ton alarmé fait seulement écho aux inconvénients que le boom immobilier cause aux entreprises et à certaines couches de la petite bourgeoisie.

En effet, on estime que, calculé sur l'ensemble du pays, le prix d'achat moyen d'un logement dépasse aujourd'hui les 110 000 livres (1,2 million de francs), et bien au-delà dans les zones urbaines. Depuis le dernier record établi lors du boom de la fin des années quatre-vingts, les prix immobiliers ont ainsi pratiquement doublé, augmentant deux fois plus vite que les prix à la consommation. A Londres, la ville la plus touchée par cette explosion, l'immobilier a ainsi augmenté de 37 % au cours de la seule année écoulée.

Du coup, les grandes entreprises se plaignent de difficultés à obtenir de leurs cadres supérieurs la mobilité qu'elles souhaitent, tandis qu'une partie de la petite bourgeoisie aisée a du mal à trouver des logements qui conviennent à la fois à ses habitudes de confort et à ses moyens financiers, ou redoute de voir la valeur de ses biens immobiliers disparaître en fumée le jour où la bulle immobilière explosera.

Voilà le genre de "difficultés" sur lesquelles les médias britanniques versent des larmes de crocodile ces temps-ci. C'est pour parer à ces mêmes "difficultés" que Blair, suivant en cela la même logique de classe que la presse, s'est mis à offrir ce que les milieux d'affaires anglo-saxons appellent des "poignées de main en or" ("golden handshakes"), autrement dit des primes destinées à attirer 10 000 "travailleurs-clés" dans la capitale en leur faisant miroiter la prise en charge par l'État d'une partie du prix d'achat de leur nouveau logement (jusqu'à 20 % ou un maximum de 275 000F). Quant aux bénéficiaires, ils seront choisis parmi les cadres administratifs et techniques les mieux payés de la Santé, de l'Education et... de la police.

Tout comme les médias ne prennent même pas la peine de mentionner les graves conséquences de ce boom immobilier pour les plus pauvres, Blair n'a pas cru bon de débloquer de fonds d'urgence à leur profit. Et pourtant ce boom représente une catastrophe pour des millions de travailleurs modestes les mêmes qui étaient déjà victimes d'une crise du logement endémique. Car pour ces travailleurs ce boom signifie qu'ils ne peuvent plus se permettre d'acheter quoi que ce soit à Londres et dans la plupart des grandes villes, pas même le logement le plus minable, pas plus qu'ils ne peuvent se permettre les loyers exorbitants exigés par les loueurs privés, même pour une chambre minuscule dans une location partagée (forme de location privée devenue très répandue en Grande-Bretagne, où chaque chambre est louée à un célibataire ou un couple, avec ou sans enfant, tous les locataires partageant la cuisine, les sanitaires et parfois, mais rarement, une pièce commune).

Avec le marché immobilier qui n'en finit plus de connaître des hauts et des bas, les allocations sociales qui diminuent comme peau de chagrin, la précarisation et les pertes de salaire subies par de nombreux travailleurs ces dernières années, la seule option viable pour des millions de familles ouvrières serait de louer des logements sociaux abordables et donc bénéficiant de subventions de l'État. Or c'est justement là que le bât blesse.

Car, depuis vingt ans, la politique des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir conservateurs aussi bien que travaillistes a été de se débarrasser progressivement du logement social par différents biais.

Cette politique a déjà eu pour effet de contraindre un grand nombre de familles à bas revenus à acheter un logement, même quand elles n'en avaient pas les moyens. Et du coup, par un sinistre retour de manivelle, cette politique a également contribué à alimenter la spéculation immobilière en gonflant artificiellement la demande de logements à l'achat. De ce fait, elle est l'un des facteurs à l'origine de l'explosion actuelle des prix immobiliers et de l'aggravation de la situation des familles modestes qui en résulte.

De ce point de vue, le gouvernement Blair porte une lourde responsabilité. Non seulement parce qu'il a poursuivi la politique réactionnaire des gouvernements conservateurs précédents en matière de logement, mais surtout parce qu'il est en train de développer cette politique sur une échelle dont même les conservateurs les plus enragés n'avaient jamais osé rêver. En effet, si Blair parvient à ses fins, on en reviendra bientôt à la situation du début du 20e siècle, lorsque le logement social dépendait quasi exclusivement d'institutions plus ou moins "charitables".

Quand le logement social sert à... subventionner les profits

C'est au lendemain de la Première Guerre mondiale que, pour la première fois, l'État est intervenu dans le logement à une échelle significative. La promesse de "logements dignes de nos héros", faite par le Premier ministre libéral Lloyd George, s'inscrivait dans une politique, largement faite de démagogie, visant à "acheter" la paix sociale. Mais surtout, le programme de construction de logements sociaux qui en résulta fut l'un des nombreux moyens dont usa le gouvernement d'alors pour subventionner les profits de la bourgeoisie. La loi Addison de 1919 donna aux collectivités locales de nouveaux pouvoirs leur permettant de construire des logements tout en leur apportant des subventions d'État pour le faire. Mais en même temps, elle accorda les mêmes subventions aux promoteurs du privé. Et lorsque, en 1921, en plein milieu d'une crise économique qui jeta plus d'un million de travailleurs à la rue, les municipalités perdirent leurs subventions au logement sous prétexte d'austérité, les promoteurs privés, eux, les conservèrent révélant ainsi le véritable objectif de ces subventions.

Ce fut la loi sur le logement adoptée par le premier gouvernement travailliste, en 1924, qui donna pour la première fois un statut permanent au logement social d'État. On alloua aux collectivités locales une subvention d'État proportionnelle à leurs recettes fiscales afin de financer la construction de logements sociaux et de maintenir leurs loyers à un niveau modéré.

Le gouvernement travailliste fut renversé moins d'un an après son arrivée au pouvoir. Mais sa législation sur le logement demeura en vigueur pendant dix ans, dont la moitié sous des gouvernements conservateurs, bien qu'avec des subventions un peu réduites. Il faut dire que pendant cette décennie l'économie du pays ne connut pas de véritable reprise. Et même les conservateurs les plus réactionnaires considéraient ce type de subventions d'État comme un "mal" nécessaire : non pas pour venir en aide aux plus démunis, bien sûr (encore que la grève générale de 1926 et la peur qu'elle engendra chez les bourgeois y furent sans doute pour quelque chose), mais pour maintenir à flot les profits des industriels du bâtiment auxquels les promoteurs privés ne passaient pas assez de commandes. En tout cas, au cours de cette décennie, 500 000 logements sociaux furent ainsi construits par les municipalités. Et même si les bénéficiaires ne furent pas les plus démunis, mais plutôt des cols blancs et ouvriers qualifiés qui pouvaient se permettre de payer un loyer parce qu'ils avaient échappé au chômage, cela marqua néanmoins un progrès pour toute une fraction de la classe ouvrière.

La loi de 1924 fut finalement abolie en 1933, par le gouvernement dit "national", une coalition des conservateurs et de dissidents libéraux et travaillistes dont le but était de faire payer à la population laborieuse la crise qui menaçait les profits de la bourgeoisie britannique. La construction de logements sociaux par les municipalités se réduisit considérablement et le nombre de locataires du secteur privé augmenta dans les mêmes proportions.

La Seconde Guerre mondiale ramena la même sorte de démagogie que la précédente. A ceci près, néanmoins, qu'en plus d'avoir à remettre sur pied l'industrie du bâtiment, le gouvernement travailliste d'Attlee avait également à reconstruire 450 000 maisons qui avaient été détruites par les bombardements de la guerre, pour l'essentiel dans les quartiers ouvriers. De nouveau les subventions d'État furent partagées entre municipalités et promoteurs privés, mais cette fois, l'avantage fut donné aux premières. Les grandes villes furent encouragées à créer des départements dits de "main-d'oeuvre directe", capables d'assurer non seulement la maintenance du parc immobilier existant mais également l'essentiel des travaux nécessaires à la construction de logements neufs, à l'exception du gros oeuvre. Ainsi les grandes municipalités de province et chacune des principales municipalités de l'agglomération londonienne eurent-elles à leur disposition plusieurs milliers d'ouvriers qualifiés pour développer de nouveaux projets et des subventions pour les financer.

C'est sous l'égide de cette politique que fut engagé le plus grand programme de construction sociale jamais vu dans le pays, bien que l'essentiel en ait été réalisé sous les gouvernements conservateurs qui suivirent, entre 1951 et 1955.

En 1955, néanmoins, le gouvernement conservateur estima que la crise du logement avait été résorbée. C'était loin d'être le cas, comme le montrait, par exemple, la présence des nombreuses "cages" préfabriquées, installées pour parer au plus pressé en 1945-1947, qui auraient dû être remplacées dans le cadre de ce programme (certaines sont d'ailleurs encore là aujourd'hui !). Mais les promoteurs réclamaient des mesures pour faire remonter les prix immobiliers. Les subventions aux municipalités furent donc réduites au minimum, tandis que les subventions aux promoteurs privés restèrent inchangées. Qui plus est, pour inciter les municipalités à réduire leurs dépenses de logement, le gouvernement leur retira les prêts à faible taux d'intérêt que leur consentait l'État depuis 1947, les obligeant à recourir aux banques lesquelles, bien entendu, se frottèrent les mains. De sorte qu'en 1958, pour la première fois depuis la fin de la guerre, le secteur privé construisit plus de logements que les municipalités. Et si la construction de logements sociaux continua quand même, ce fut au prix d'un accroissement considérable de l'endettement des municipalités.

Pour l'essentiel, ce fut la même politique qui resta en vigueur au cours des vingt-cinq ans qui suivirent, sous tous les gouvernements, conservateurs comme travaillistes. De sorte que, à partir du début des années soixante, les municipalités se trouvèrent paralysées par le service de leur dette (en 1969, par exemple, 90 % des loyers municipaux payés dans l'agglomération de Londres allaient au service de la dette immobilière).

Il y eut bien quelques tentatives pour réduire l'endettement des municipalités, en particulier au milieu des années soixante, sous le gouvernement travailliste de Harold Wilson. Mais elles furent assorties de contraintes si drastiques sur les coûts de construction que les conséquences en furent parfois catastrophiques. On vit des réalisations monstrueuses, où les normes de confort, d'hygiène et de sécurité les plus élémentaires étaient ignorées. A tel point qu'un certain nombre de ces constructions, essentiellement des tours, durent être démolies sans jamais avoir été entièrement occupées.

Derrière le "rêve" de l'accession à la propriété

Lorsque Thatcher arriva au pouvoir, en 1979, il y avait 6,5 millions de logements municipaux en Angleterre et au pays de Galles, dont une majorité de maisons individuelles suivant la tradition urbaine britannique.

L'une des premières mesures de Thatcher fut d'exiger une forte hausse des loyers sociaux, qui doublèrent dans la plupart des villes. Puis, ayant ainsi rendu les loyers des logements municipaux moins attractifs pour les locataires les moins défavorisés (les réductions de loyers étant réservées aux plus bas revenus), elle reprit à son compte une clause introduite par le précédent gouvernement travailliste mais peu utilisée jusqu'alors la clause du "droit de rachat", qui permettait aux locataires d'acheter leur logement après un certain nombre d'années d'occupation. Et Thatcher en fit l'instrument de la plus importante privatisation de son régime.

Les travaillistes avaient introduit cette clause par pure démagogie électorale. Mais les prix de vente, fixés juste en dessous du prix du marché, étaient encore bien trop élevés pour l'écrasante majorité des locataires, d'autant que les taux d'intérêt pratiqués dans cette période d'inflation élevée gonflaient considérablement les traites.

Thatcher tourna la difficulté, d'abord en réduisant considérablement les prix de vente pour les locataires de longue date, ensuite en offrant à tout nouvel accédant à la propriété la possibilité de déduire de l'impôt sur le revenu une partie du montant de ses traites, enfin en assouplissant les règles fixant le paiement comptant minimum pour obtenir un prêt. Moyennant quoi, les conditions d'achat pouvaient paraître tolérables pour un ouvrier qualifié ayant occupé son logement avec sa famille depuis au moins 15 ans.

En s'attribuant ainsi le mérite d'avoir permis à un grand nombre de familles ouvrières de croire avoir gravi un échelon social en devenant propriétaires de leurs logements, Thatcher espérait gagner le soutien loyal et durable d'une fraction de l'électorat traditionnel du Parti Travailliste ce qu'elle réussit effectivement, au moins jusqu'au début des années quatre-vingt-dix.

Mais tout aussi important sans doute était l'objectif économique poursuivi. Au lieu de laisser les municipalités se servir du produit de la vente de leurs logements pour en construire d'autres ou même pour effectuer les réparations en souffrance sur leur parc de logements, Thatcher les obligea à ne s'en servir que pour rembourser une partie de leurs dettes. De sorte que toute cette politique revint dans les faits à privatiser une partie de la dette publique, qui fut transférée des municipalités qui l'avaient contractée aux anciens locataires désormais accédants à la propriété. Et comme dans toutes les privatisations, la bourgeoisie en eut largement pour son argent. Tout un monde d'intermédiaires homme de lois, experts immobiliers et autres conseillers financiers eut l'occasion de percevoir sa dîme au passage. Et surtout, les grandes institutions financières y gagnèrent un bonus substantiel pour les années à venir, dans la mesure où les taux d'intérêt consentis aux particuliers étaient supérieurs à ceux consentis aux municipalités.

Ce transfert de la dette publique des municipalités aux anciens locataires prit des proportions considérables. Pendant les 18 années de gouvernement conservateur, 1,9 million de logements municipaux furent vendus à leurs occupants. Le montant total de la recette qui en résulta pour l'État s'éleva à 26 milliards de livres (286 milliards de francs) bien plus que ce que rapportèrent les plus grandes privatisations effectuées durant la même période dans l'industrie nationalisée ou les services publics.

Dans de nombreuses cités ouvrières, un fossé se creusa entre les nouveaux "propriétaires" et les locataires. Et on vit les dirigeants des administrations municipales jouer sur ces divisions pour, par exemple, briser la résistance des locataires à des augmentations de loyers ou de charges. Dans les cités les moins délabrées, où les accédants à la propriété étaient plus nombreux, les locataires restants durent subir des pressions parfois intolérables pour acheter ou partir. Contre les plus pauvres, on usa de tous les prétextes pour justifier leur expulsion, du moindre retard de loyer au "crime" de "mauvais voisinage".

Les accédants à la propriété ne furent guère mieux traités que les locataires, que ce soit par Thatcher ou par les municipalités. Bientôt ils durent se rendre à l'évidence : si en tant que "propriétaires" ils pouvaient désormais effectuer les réparations qu'ils souhaitaient dans leur propre logement, en revanche les parties communes de leurs cités continuaient à se dégrader faute de crédits municipaux. Contrairement à ce que Thatcher leur avait fait miroiter, leurs logements se révélèrent invendables après les deux ans d'attente minimum prévus par la loi. Pour beaucoup, s'écroula l'espoir d'échapper enfin à cet environnement sordide. D'autres s'aperçurent bientôt que, malgré les termes alléchants des sociétés de crédit, ils ne pouvaient tout simplement pas faire face aux traites. Lorsqu'ils allèrent trouver leurs municipalités dans l'espoir de revenir à leur statut antérieur, ils furent éconduits : les règles édictées par Thatcher précisaient explicitement qu'ils ne pouvaient plus faire machine arrière. Au bout du compte, nombre de familles furent expulsées par les organismes de prêt immobilier et contraintes d'aller s'entasser dans des hébergements d'urgence pendant des mois, voire des années, en attendant que se libère un logement municipal. Pour ceux-là, le "capitalisme populaire" tant vanté par Thatcher se termina en banqueroute dramatique.

Comment se débarrasser des cités ouvrières

Pour Thatcher, la vente des logements sociaux à leurs occupants allait de pair avec la réduction des dépenses publiques affectées au logement social. Les municipalités perdirent donc l'essentiel de leurs subventions au logement et elles durent désormais financer leur politique du logement avec la seule recette de leurs loyers, sans même pouvoir recourir à l'emprunt.

Or, l'augmentation brutale des loyers municipaux et la hausse parallèle des loyers privés, à un moment où le chômage augmentait rapidement, entraînèrent une explosion des loyers impayés. Les municipalités se trouvèrent menacées de faillite tandis que les loueurs privés commencèrent à ruer dans les brancards. Du coup, Thatcher dut introduire une nouvelle forme de subvention au logement social, cette fois sous la forme d'une allocation logement destinée à payer tout ou partie du loyer des plus pauvres. Mais pour bien marquer qu'il ne s'agissait pas pour autant d'un retour aux subventions d'antan, la nouvelle allocation fut étendue aux locataires du secteur privé et servit aussi à payer les intérêts (mais pas le principal) de la dette immobilière des accédants à la propriété frappés par le chômage. Cela ne suffit pas pour autant à faire rentrer les loyers. Quelques années plus tard, pour empêcher les bénéficiaires de se servir de cette allocation pour payer leurs factures plus urgentes, telles que celles d'électricité, Thatcher ordonna que le montant de cette allocation soit versé directement aux municipalités, propriétaires privés et sociétés de prêt immobilier.

Au bilan, du fait de la dégradation croissante des revenus des plus pauvres, la politique d'austérité de Thatcher n'empêcha pas, dans ce domaine en tout cas, une... augmentation des dépenses sociales. Ainsi, au cours de la deuxième moitié du règne des conservateurs, si le budget annuel de l'aide au logement social baissa sans doute de 2,6 milliards de livres (28,6 milliards de francs), celui de l'allocation logement augmenta, lui, de 5,5 milliards de livres (60,5 milliards de francs). Il est vrai qu'il y avait une différence de taille entre ces deux budgets car si la quasi-totalité du premier allait aux municipalités, plus d'un tiers du second allait directement dans les poches des loueurs privés et des établissements financiers. Car évidemment, pour les conservateurs, les subventions d'État n'avaient rien de répréhensible pourvu qu'elles profitent... au secteur privé.

Avec une telle réduction du budget logement des municipalités, la construction de nouveaux logements municipaux tomba peu à peu, de 80 000 logements par an environ en 1980 à 46 000 en 1996. Mais ce furent surtout les dépenses de maintenance-réparation qui souffrirent le plus. Particulièrement lorsque, à partir de la fin des années quatre-vingts, les grandes municipalités se virent intimer l'ordre de démanteler leurs départements de "main-d'oeuvre directe" ce qui représenta à l'échelle du pays plusieurs dizaines de milliers de suppressions d'emplois et de sous-traiter la réparation-maintenance au privé. Au manque de fonds s'ajouta le chaos créé par la multitude de sous-traitants plus préoccupés de justifier leurs rallongements de factures que d'effectuer les travaux demandés. Les retards s'accumulèrent, la décrépitude augmenta dans les cités et un nombre croissant de logements devinrent inlouables parce que "impropres à l'habitation humaine", suivant les critères définis par le gouvernement lui-même. La combinaison de cette décrépitude et de l'aggravation de la pauvreté à l'échelle du pays donna naissance aux cités dégradées, marquées par l'insécurité et la drogue, qui sont devenues aujourd'hui la norme dans bien des quartiers ouvriers.

Cet état de fait n'arrangeait pourtant pas les affaires des conservateurs. Non pas parce que le sort des pauvres les empêchait de dormir, bien sûr, mais parce que du coup, leur objectif de se débarrasser des logements municipaux par le "droit au rachat" avait peu de chances de se réaliser. Et effectivement, dès la fin des années quatre-vingts, les ventes aux locataires tombèrent pratiquement à zéro.

Les conservateurs changèrent donc de méthode. Au lieu de se débarrasser des logements municipaux un par un, ils décidèrent d'y aller par cités entières. La loi sur le logement de 1988 ouvrit la voie à la vente par les municipalités de tout ou partie de leur parc immobilier (locataires inclus) à des "organismes sans but lucratif". Le prétexte avancé devant l'opinion publique pour justifier ces transferts en bloc fut que, contrairement aux municipalités dont les possibilités d'emprunt étaient gelées par la volonté du gouvernement de ne pas augmenter la dette publique, ces organismes auraient toute latitude d'emprunter les sommes nécessaires à la réparation des cités ouvrières.

Les "organismes sans but lucratif" prévus par la loi devaient être choisis parmi des organismes existants, les "Housing Associations", ou créés suivant le même modèle. Ces Housing Associations venaient en fait tout droit de l'époque où les seuls logements sociaux existants étaient aux mains d'organismes charitables créés par des groupes religieux ou encore de richissimes philanthropes (tels ceux créés au 19e siècle par l'industriel de la confiserie Rowntree ou le financier Peabody, qui existent encore aujourd'hui). La loi prévoyait que ces organismes financeraient à la fois l'achat des cités visées et les réparations nécessaires en empruntant auprès des banques, essentiellement en offrant comme gages leurs rentrées de loyers futures. Par ailleurs, ces Housing Associations auraient théoriquement la possibilité de construire de nouveaux logements, en utilisant le même type de financement et en bénéficiant même de subventions (très limitées, il est vrai) de l'État.

Une fois de plus, la loi de 1988 visait à la privatisation de la dette publique liée au logement social, en la transférant, cette fois, aux organismes qui se porteraient acquéreurs.

Quant aux locataires, la loi se gardait bien de préciser ce que ces transferts allaient leur coûter. Au contraire, elle faisait tout pour les rendre alléchants et "démocratiques". Ainsi, elle promettait aux locataires que non seulement ils auraient un droit de veto sur la vente de leur cité (par voie de référendum), mais qu'en plus ils seraient représentés au comité directeur de l'organisme acquéreur.

Mais, en fait de droit de veto, les locataires se trouvèrent pris au piège d'un chantage : soit rester avec la municipalité, avec la certitude de voir leur cité se dégrader encore plus, soit voter pour le transfert, dans l'espoir de voir une amélioration, mais sans savoir quel en serait le prix à payer.

Or, les conséquences devinrent visibles dès les premiers transferts. Si les droits des locataires existants étaient pour l'essentiel protégés, il n'en allait pas de même pour les nouveaux locataires qui perdaient une partie des protections dont avaient bénéficié les locataires des municipalités (en particulier, il devenait beaucoup plus facile de les expulser en cas d'arriérés de loyer). Quant aux loyers, ils n'étaient plus régis par la même réglementation encadrant les loyers municipaux. En substance, les Housing Associations avaient le droit de faire payer aux locataires, dans certaines limites, toute réparation ou amélioration de l'état de leur cité par une augmentation de loyer et il fallait s'attendre à ce que les banques poussent dans ce sens. Effectivement, huit ans plus tard, une enquête effectuée parmi les cités ainsi transférées accusait une augmentation moyenne de 25 % des loyers par rapport à des cités équivalentes restées sous contrôle municipal.

Cela étant dit, les conservateurs ne réussirent pas à aller bien loin avec cette politique. Seules des collectivités locales rurales qu'ils contrôlaient se montrèrent intéressées. Il fallut attendre 1996 pour que la première municipalité un peu importante commence à faire des plans dans ce sens, et encore pour une toute petite partie de son parc de logements. Au total, seuls 250 000 logements furent transférés sous les conservateurs, soit une moyenne annuelle de 31 250 logements, c'est-à-dire moins que le nombre de logements neufs encore construits par les municipalités durant cette période.

Les travaillistes prennent le relais

Ces transferts en bloc ne furent donc pas le franc succès que les conservateurs avaient espéré. Au cours de leur dernière année au pouvoir, en 1996, le ministre du Logement d'alors, David Curry, fit une dernière tentative pour faire pression sur les municipalités, en les menaçant de réduire l'ensemble de leur budget si les transferts n'atteignaient pas les 100 000 logements par an. A l'époque, le porte-parole du Parti Travailliste sur le logement à la Chambre des communes, Nick Raynsford, dénonça cette menace comme "la dernière convulsion désespérée d'un gouvernement moribond", ajoutant fort justement que "transférer des logements en bloc d'un propriétaire à un autre ne peut compenser le manque de ressources".

Pourtant, une fois les travaillistes de retour au pouvoir, en mai 1997, et Raynsford installé au ministère du Logement, son langage changea du tout au tout. Pour lui, désormais, les transferts en bloc devenaient non seulement acceptables, mais indispensables, parce que, selon lui, le gouvernement ne pouvait se permettre de financer la facture des réparations à faire, alors estimée à un total de 20 milliards de livres (220 milliards de francs).

Mais comme le gouvernement travailliste allait le montrer très vite, il était décidé non seulement à poursuivre la politique de ses prédécesseurs, mais à se montrer encore plus efficace et déterminé dans sa mise en oeuvre. Et c'est ce qui se passa pour le logement social comme pour le reste.

Pour faire passer la pilule de ce revirement politique, les leaders travaillistes eurent recours à un tour de passe-passe éculé : à défaut de changer le contenu de la politique de leurs prédécesseurs, ils en changèrent l'emballage, c'est-à-dire le vocabulaire. Ainsi les organismes acquéreurs dans le cadre des transferts en bloc reçurent le nom de "propriétaires sociaux accrédités" et il fut exigé d'eux de se montrer plus "démocratiques" en réservant la moitié des sièges de leurs organes de direction à un mélange de conseillers municipaux et de locataires (de sorte que les locataires étaient quand même sûrs d'être minoritaires !).

Mais il ne fut pas question d'augmenter les fonds mis par l'État à la disposition des municipalités, pas plus pour la construction de nouveaux logements que pour la réparation des anciens. En fait, Blair reprit à son compte l'intégralité du budget prévisionnel fait par ses prédécesseurs pour les deux années à venir budget qui incluait en particulier une réduction en valeur réelle des fonds alloués au logement.

L'emballage "social" et "démocratique" dont Blair habilla les transferts en bloc laissa donc les locataires en butte au même chantage.

D'un autre côté, le gouvernement travailliste disposait d'un atout que ses prédécesseurs n'avaient pas eu le fait que pratiquement toutes les grandes municipalités étaient dirigées par des majorités travaillistes. Raynsford espérait donc obtenir des résultats rapides, d'autant que Blair faisait miroiter à ces municipalités la possibilité que l'État reprenne tout ou partie de leurs dettes de logement, suivant la bonne volonté qu'elles mettraient à transférer leur parc.

Néanmoins les espoirs du gouvernement travailliste furent déçus. Et ceci principalement du fait de la résistance opposée par les municipalités elles-mêmes. Il se trouvait souvent des conseillers municipaux honnêtes, suffisamment proches de leurs électeurs pour vouloir mettre des bâtons dans les roues aux projets de transferts et même s'ils n'étaient qu'une infime minorité et s'ils se cantonnaient à user de recours juridiques, cela suffisait souvent à bloquer la machine, au moins temporairement. Et puis il y avait la résistance passive de nombre d'élus et de cadres supérieurs des grandes municipalités, y compris parfois des inconditionnels de Blair, qui voyaient d'un très mauvais oeil la perspective de perdre le poids social lié à l'administration de dizaines de milliers de logements, et en particulier le clientélisme que cela permettait d'entretenir. Enfin, quelle majorité municipale ne craignait pas la possibilité du rejet d'un transfert par les locataires risquant du même coup de compromettre sa réélection ?

En outre, les transferts en bloc se heurtèrent à des obstacles financiers. Parfois les organismes candidats à l'acquisition de cités ouvrières ne parvenaient pas à trouver de financement auprès des banques, surtout s'il s'agissait de cités très dégradées et à moitié vides de ce fait. C'est ainsi, par exemple, que la moitié des 94 000 logements municipaux de Glasgow (l'une des premières cibles de Blair) était officiellement considérée bonne pour la démolition. Quelle banque aurait accepté de consentir un prêt sur la seule garantie de tels taudis ?

Du coup, dans les premiers temps au moins, le gouvernement travailliste ne fit pas beaucoup mieux que ses prédécesseurs : en janvier 2000, après deux ans et demi de pouvoir, il n'avait encore réussi à transférer que 110 000 logements, soit une moyenne annuelle d'environ 40 % supérieure à celle des conservateurs.

Pour amadouer les municipalités réticentes, Blair annonçait l'introduction d'un nouveau type de transfert, dans lequel lesdites municipalités conserveraient la propriété de leurs logements mais créeraient des sociétés "indépendantes" ad hoc, de statut privé, auxquelles elles transféreraient toute l'administration de leurs logements. Ces sociétés pourraient emprunter aux banques (dans certaines limites) sans que cela alourdisse la dette publique mais, bien qu'"indépendantes" sur le papier, rien n'empêcherait alors les municipalités de caser leurs "amis" aux postes de direction. Il est vrai que les municipalités qui choisiraient cette option ne bénéficieraient pas de la reprise d'une partie de leur dette par l'État. Mais ce type de transfert leur retirerait une très grosse épine du pied puisqu'elles n'auraient pas à le soumettre aux locataires par voie de référendum.

Pour les locataires, ce nouveau type de transfert ne changeait rien. En revanche, vis-à-vis des municipalités, il pouvait lever un certain nombre de réticences responsables du peu de succès de la politique de Blair jusqu'alors.

Blair se montre maintenant plus prudent. Le communiqué de presse publié par le département de l'Environnement au lendemain des élections de juin dernier proclamait : "Les locataires de plus de 328 000 logements municipaux bénéficieront d'un programme de réparations et d'améliorations de leurs logements dans les deux années à venir". Bien sûr, il s'agit là de la façon dont Blair décrit les transferts. Qu'importe si ces "réparations et améliorations" restent du domaine du voeu pieux tant qu'elles n'ont pas été réalisées et si les locataires auront à en payer la note par des hausses de loyer !

Gagnants et perdants

Les principaux bénéficiaires de la politique de transferts en bloc sont les entreprises du secteur financier. D'après les chiffres officiels, un total de 9,2 milliards de livres (101 milliards de francs) de prêts a été consenti pour financer ces transferts. L'essentiel de cette manne (et surtout de la rente qu'elle représente du fait des intérêts encourus) revient à un nombre infime de groupes financiers, en tête desquels on trouve la troisième banque du pays (Natwest-Royal Bank of Scotland) et les deux premières sociétés de crédit immobilier (Nationwide et Halifax). Qui plus est, ces mêmes requins de la finance seront les mieux placés pour consentir d'autres prêts pour financer les investissements futurs des "propriétaires sociaux", et au passage pour peser sur la nature de ces investissements.

A en juger par l'exemple des Housing Associations qui servent de modèle à ces "propriétaires sociaux", les locataires risquent bien souvent de ne jamais voir la couleur de leurs investissements.

En effet, le vocable de "propriétaire social" introduit par les travaillistes est une tromperie délibérée, et cela à bien des titres. Il sous-entend que la seule activité de ces "propriétaires sociaux" est d'administrer des logements sociaux et cela non pas pour faire des profits mais pour le seul bénéfice des locataires. Or, d'une façon générale, ces "propriétaires sociaux" même s'ils sont réputés "sans but lucratif" opèrent comme des entreprises privées, avec les mêmes sinécures dotées de hauts salaires, de plans de retraite individuels et autres véhicules de fonction, les mêmes budgets de représentation et de "relations publiques", bref le même parasitisme. Et, d'une façon ou d'une autre, il faut bien payer la note pour tous ces frais dispendieux, qui s'ajoutent, bien sûr, au service de leur dette.

Les plus petits "propriétaires sociaux", ceux qui n'administrent que quelques dizaines de logements (et ils sont des centaines), n'ont pas le choix : ils doivent faire avec le revenu des loyers et, pour certains, quelques maigres subventions gouvernementales. Ce qui ne leur laisse guère de place pour le luxe.

Mais il en va autrement des plus gros, des mastodontes comme la North British Housing Association qui possède 40 000 logements locatifs, soit l'équivalent du parc municipal de deux villes ouvrières de taille moyenne. Ceux-là s'orientent vers des activités plus profitables. Certains ont créé des filiales à but lucratif (ce qui est parfaitement légal tant que les profits de ces filiales sont entièrement utilisés par la société-mère pour son fonctionnement ou ses investissements). Ces filiales sont parfois des sociétés-conseil offrant d'aider les municipalités à mettre au point des... opérations de transfert. D'autres, encore plus fréquemment, s'occupent de promotion immobilière, activité d'autant plus lucrative qu'elle est encouragée par le gouvernement à grand renfort de subventions, y compris pour la construction de logements destinés à la vente. Ainsi, le plus grand "propriétaire social" du sud-est de l'Angleterre (une fondation charitable créée au début du siècle par un legs du richissime financier Samuel Lewis), qui est propriétaire de 30 000 logements locatifs, possède également des terrains sur lesquels il a construit et vendu 16 000 logements au fil des ans.

Inutile de dire que pour ces "propriétaires sociaux" géants, les problèmes des locataires des logements sociaux qu'ils possèdent ne pèsent pas lourd face à la gestion de ces autres activités bien plus lucratives.

Il est vrai que, de ce point de vue, les choses ne changeront pas beaucoup pour les locataires transférés. Car, contrairement à ce qui se dit souvent, dans les milieux de la "gauche" travailliste en particulier, ils ne perdent pas un prétendu "contrôle démocratique" qu'ils auraient eu auparavant sur le fonctionnement de leurs cités. Les municipalités n'ont jamais été des propriétaires particulièrement bienveillants. Il pouvait leur arriver de se montrer laxistes, mais cela ne les empêchait pas de tomber à bras raccourcis, de la façon la plus bureaucratique, sur le locataire qui avait le malheur de tomber dans leur collimateur. De même qu'elles n'ont jamais laissé aux locataires le moindre contrôle sur leurs cités. Tout au plus pouvaient-ils voter tous les quatre ans pour changer de conseiller municipal (chaque conseiller est élu par une circonscription de quelques milliers d'électeurs, correspondant à la taille d'une cité moyenne) sans que cet élu ait le moindre poids dans un conseil qui en comptait en général 40, 60 ou plus, et qui manquait de toute façon de ressources. Le seul "contrôle démocratique" qu'aient jamais exercé les locataires, ils l'ont fait au travers des nombreuses luttes qu'ils ont menées, en particulier contre les augmentations de loyers.

En revanche, la politique de Blair risque de coûter cher aux locataires municipaux et à la classe ouvrière dans son ensemble, sur deux plans. D'une part en faisant passer le logement social sous le contrôle plus ou moins direct des requins de la finance et en renchérissant le coût du logement pour la majorité. D'autre part, en réduisant encore plus les dépenses publiques consacrées à la construction et à l'entretien de logements sociaux pour les familles les plus pauvres.

La classe ouvrière et la crise du logement

Le gouvernement travailliste a le culot de prétendre que sa politique vise à résorber la montagne des réparations en attente. Mais les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis l'élection de Blair en 1997, le coût estimé des réparations qu'il serait indispensable d'effectuer sur les logements sociaux est passé de 18 à 22 milliards de livres (de 198 à 242 milliards de francs) !

De plus, le gel des budgets logement des municipalités signifie que la construction de nouveaux logements sociaux repose entièrement sur les "propriétaires sociaux", qui ne font pourtant pas grand-chose dans ce domaine. Ainsi, alors que sous les conservateurs le nombre de logements municipaux construits chaque année ne tomba jamais en dessous des 45 000, l'année dernière, du fait des mesures budgétaires de Blair, il est tombé à... 500. Pendant ce temps le nombre des logements locatifs abordables construits par les "propriétaires sociaux" stagnait en dessous de 20 000 par an.

On peut comparer ces chiffres à ceux publiés par Shelter, un groupe d'aide aux sans-abri. Ce groupe a calculé que, pour garantir un logement aux sans-abri d'aujourd'hui et aux familles à faible revenu de demain, il faudra construire un minimum de 100 000 logements sociaux par an pendant les dix années à venir. Cela signifie que le nombre des sans-logis et des familles vivant dans des conditions de surpeuplement d'après Shelter, en moyenne 400 000 foyers se sont trouvés dans cette situation au cours des dix dernières années risque d'augmenter de façon importante dans la période qui vient. Et si tel est le cas, la responsabilité en incombera essentiellement au gouvernement travailliste.

La politique de Blair dans ce domaine a d'autres conséquences tout aussi graves pour les travailleurs : l'amertume et l'aliénation qu'elle entraîne dans ces cités ouvrières qui s'enfoncent de plus en plus dans la dégradation matérielle et sociale. On a pu en voir l'expression à l'occasion des émeutes qui ont éclaté entre mai et juillet cette année dans des villes ouvrières comme Oldham, Burnley et Bradford, entre autres, sans parler du meurtre d'un réfugié kurde dans une cité de Glasgow au mois d'août. Chaque fois, ce sont des tensions raciales alimentées par la pauvreté et des conditions de logements sordides qui ont constitué le facteur déclenchant de ces événements. Blair a eu tôt fait d'en rejeter la responsabilité sur les provocations des nervis d'extrême droite. Mais pourquoi la démagogie de ces groupuscules insignifiants qui, pour l'essentiel, consiste à accuser les immigrants de monopoliser les logements sociaux aux dépens des citoyens britanniques trouve-t-elle un écho ? Sinon justement parce que toute une partie de la population pauvre métropolitaine vit dans des cités dégradées et surpeuplées ?

La classe ouvrière britannique ne peut pas se permettre de se laisser diviser et affaiblir par le cancer du racisme. Elle doit combattre toute politique (dans le domaine du logement comme dans tous les autres d'ailleurs) qui enferme sa fraction la plus pauvre dans des ghettos-taudis et la relègue du même coup en marge de la société.

Pas plus d'ailleurs que les travailleurs ne doivent tomber dans le piège de fausses divisions. Voilà longtemps que dans les milieux syndicalistes "de gauche" on accuse l'accession à la propriété d'avoir "coupé les jambes" à la classe ouvrière une façon, pour des militants laissés sans perspective par la passivité (sinon la complicité) de leurs dirigeants face à la politique réactionnaire des gouvernements et du patronat, de rejeter la faute sur leur propre classe. Et pourtant, aujourd'hui de tels propos n'ont même plus de sens (si tant est qu'ils en aient jamais eu). Car, dans le monde du travail, les attaques du patronat contre le niveau de vie des travailleurs et la hausse des loyers tendent à tout niveler par le bas. Tandis que la location devient de plus en plus onéreuse, une fraction croissante des accédants à la propriété se trouve ramenée au statut de locataires à vie des organismes de crédit par le jeu des rééchelonnements destinés à compenser le poids des traites devenu trop lourd.

A l'ensemble de la classe ouvrière, la crise du logement pose ainsi des problèmes matériels immédiats en même temps que des problèmes plus lourds de conséquences. Car, en l'absence d'une perspective offrant un espoir aux travailleurs les plus démunis de sortir de leur situation actuelle, elle fournit un terrain fertile au développement de préjugés réactionnaires potentiellement mortels pour les travailleurs.

Mais, pour autant, il serait faux d'aspirer à un retour aux prétendus "bons vieux jours" du logement social sous contrôle municipal ou de se laisser bercer par le rêve d'un "système de logement équitable".

En 1872, dans sa brochure La question du logement, Friedrich Engels écrivait déjà, à propos de la crise du logement subie par la classe ouvrière :

"Elle est nécessairement produite par la forme bourgeoise de la société : une société ne peut exister sans crise du logement lorsque la grande masse des travailleurs ne dispose exclusivement que de son salaire, c'est-à-dire de la somme des moyens indispensables à sa subsistance et à sa reproduction ; lorsque sans cesse de nouvelles améliorations mécaniques, etc., retirent leur travail à des masses d'ouvriers ; lorsque des crises industrielles violentes et cycliques déterminent, d'une part, l'existence d'une forte armée de réserve de chômeurs et, d'autre part, jettent momentanément à la rue la grande masse des travailleurs ; lorsque ceux-ci sont entassés dans les grandes villes et cela à un rythme plus rapide que celui de la construction des logements dans les circonstances actuelles et que pour les plus ignobles taudis il se trouve toujours des locataires. (...) Dans une telle société la crise du logement n'est pas un hasard, c'est une institution nécessaire ; elle ne peut être éliminée ainsi que ses répercussions sur la santé, etc., que si l'ordre social tout entier dont elle découle est transformé de fond en comble."

Oui, comme la lutte contre la pauvreté, contre le chômage ou pour l'amélioration du niveau de vie de ceux qui produisent toutes les richesses dans cette société, la lutte contre la crise du logement ne peut être efficace que dans le cadre d'un combat aux objectifs bien plus ambitieux la mise à bas de l'exploitation capitaliste.

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