Centrafrique - La barbarie de l’impérialisme français20/01/20142014Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2014/01/couv157_0.png.484x700_q85_box-27%2C0%2C1300%2C1841_crop_detail.png

Centrafrique - La barbarie de l’impérialisme français

Alors que 2 800 militaires français sont encore présents au Mali, le gouvernement a engagé une nouvelle intervention militaire en Afrique, envoyant début décembre dernier 1 600 soldats en Centrafrique.

François Hollande avait osé dire en octobre 2012 lors d'un discours à Dakar au Sénégal : « Le temps de la Françafrique est révolu. » Après l'opération au Mali, celle en Centrafrique vient au contraire illustrer à quel point l'impérialisme français s'agrippe à son ancien empire colonial en Afrique.

Gouvernement et médias ont martelé depuis le début qu'en Centrafrique l'armée française s'interposait entre chrétiens et musulmans, qu'elle y allait pour empêcher un génocide. En réalité, des milices rivales que la France a soutenues tour à tour s'affrontent dans la capitale et dans plusieurs endroits du pays. Et la population, prise au piège, tente de fuir les zones de conflit. Dans ce pays de 4,4 millions d'habitants, le nombre de réfugiés, qui était déjà très important, s'est encore accru depuis le début de l'intervention française pour atteindre au moins 700 000 personnes, dont plus de 300 000 rien que dans la capitale, Bangui.

Comme il l'a fait lors de ses précédentes opérations militaires en Centrafrique, l'impérialisme français cherche à s'assurer que la clique qui va se retrouver au pouvoir lui sera soumise. Et bien loin de chercher à « s'interposer » entre les milices, l'intervention de l'armée française vise au contraire à choisir un camp sur lequel s'appuyer pour représenter ses intérêts. Mais les centaines voire les milliers de victimes, la mort de deux soldats français quelques jours à peine après le début de l'intervention, et les manifestations contre la présence française, montrent que l'affaire est loin d'être réglée. Au lieu d'avoir pacifié la situation, l'arrivée des troupes françaises l'a au contraire envenimée.

L'impérialisme français est fondamentalement responsable de tout ce chaos. C'est lui qui a laissé les milices de la Seleka (terme qui veut dire « coalition » en sango, la langue officielle centrafricaine) déloger l'ancien président François Bozizé parce qu'il était devenu trop indépendant à ses yeux. Et c'est lui qui désormais cherche à s'appuyer sur les milices dites « anti-balaka » (« anti-machettes »), plus ou moins liées au précédent pouvoir, pour affaiblir voire remplacer l'actuel président, Michel Djotodia.

Et au-delà de ces dernières manigances de l'impérialisme français, toute la courte histoire de la Centrafrique est marquée par l'oppression et le pillage par la France.

Un pays ravagé par la colonisation

La région d'Afrique correspondant à la Centrafrique actuelle s'appelait du temps de la colonisation l'Oubangui-Chari. Elle constituait, avec le Gabon, le Tchad et une partie du Congo, l'Afrique équatoriale française (AEF). Et ce bout d'empire que la France s'était taillé au cœur de l'Afrique de la fin du 19e au début du 20e siècle se transforma en véritable bagne pour les populations locales, de façon analogue à ce qui se passait en Afrique occidentale française, l'AOF.

En 1899, l'État français partagea largement le territoire en concessions attribuées à une quarantaine de sociétés privées. Ces compagnies, qui trafiquaient de l'ivoire et surtout du caoutchouc, considéraient les hommes se trouvant sur leur territoire comme leur propriété, les transformant quasiment en esclaves.

À cela vint s'ajouter le système du « portage ». Prêtes à piller le pays sans vergogne, ces compagnies commerciales ne souhaitaient pas investir dans la moindre infrastructure, construction de routes ou de chemins de fer, même pour transporter leurs propres marchandises. Alors, avec l'aide de l'administration coloniale française, de 1890 à 1930, elles réquisitionnèrent les populations pour transporter leurs marchandises à dos d'homme. Le portage n'était quasiment pas rémunéré. Les porteurs, qui n'étaient ni nourris ni logés, devaient parcourir avec des charges de 30 kg parfois des centaines de kilomètres. En 1905, le temps consacré au portage était d'au moins 24 jours par an, sans compter les autres travaux forcés que l'administration imposait, comme l'entretien des pistes ou la récolte du caoutchouc. Les ravages du portage, de l'exploitation féroce sur les concessions et des maladies furent tels que la population de la région formant l'AEF, qui était estimée entre 10 et 15 millions d'individus au début du 20e siècle, s'effondra, selon les recensements de l'administration coloniale, à 3 millions au début des années 1920.

Ce qui mit fin au portage fut le besoin de main-d'œuvre pour d'autres travaux, entre autres la construction du chemin de fer Congo-Océan. Ce ne fut pas moins barbare. Entre 1921 et 1934, il fallait non seulement des bras pour construire le chemin de fer mais aussi des vivres pour nourrir les ouvriers. Les populations d'Oubangui-Chari furent mises à contribution pour les deux par le travail forcé et les réquisitions. Le journaliste Albert Londres, qui rendit compte de la férocité de l'exploitation sur le chantier du chemin de fer Congo-Océan dans son livre Terre d'Ébène (1928), écrivait :

« La désolation des hommes me parut sans nom ; ils se traînent le long de la voie comme des fantômes nostalgiques. Les cris, les calottes ne les raniment plus. On croirait que, rêvant à leur lointain Oubangui, ils cherchent en tâtonnant l'entrée d'un cimetière. »

Les populations ne se laissèrent pas faire. Et l'administration coloniale eut à affronter des révoltes des tribus bayas entre 1929 et 1931.

Après la Deuxième Guerre mondiale, l'empire colonial prit le nom d'Union française et la loi du 11 avril 1946 supprimait officiellement le travail forcé. La réaction de la chambre de commerce de Bangui, la future capitale de la Centrafrique, illustre l'état d'esprit profondément raciste du milieu colonial français une dizaine d'années avant l'indépendance :

« Il apparaît d'abord que les mesures qui viennent d'être adoptées ne peuvent convenir qu'à des populations moins arriérées que celles de l'AEF. Il est évident que la suppression du travail forcé est interprétée, ici, comme la consécration légale du droit de ne rien faire (...) Une rapide diminution de la production cotonnière est à craindre (...) Aucun de ceux qui connaissent ces pays ne peut croire qu'un texte suffira à modifier brusquement la mentalité de l'homme noir. »

La formidable vague de luttes qui souleva les peuples coloniaux partout dans le monde à partir de la fin la Deuxième Guerre mondiale ébranla l'empire colonial français en Indochine à partir de 1945, à Madagascar en 1947, ou encore en Algérie en 1945 puis à partir de 1954. En Afrique noire, dans la partie occidentale de l'empire colonial français, c'est-à-dire l'AOF, c'est par la puissante grève de 1947, grève racontée dans le roman d'Ousmane Sembene Les Bouts de bois de Dieu (1960), que les cheminots de tout le réseau qui s'étendait de Dakar au Niger effrayèrent la puissance coloniale.

Cette pression générale obligea l'impérialisme français à mettre lui-même en place une « décolonisation contrôlée » dans les zones de son empire où il avait encore vraiment la main. Ce fut la décolonisation engagée par de Gaulle entre 1958 et 1960. Menée d'en haut, elle visait en réalité à y maintenir l'emprise de l'impérialisme français en morcelant ces vastes territoires en de nombreux États non viables. En ce qui concerne l'ancienne AEF notamment, la politique de l' État français consista à mettre tout son poids pour s'opposer à la formation d'un grand État unifié indépendant recouvrant toute l'ancienne AEF, idée que portait alors le leader nationaliste centrafricain Barthélémy Boganda, et qu'il appelait les « États-Unis de l'Afrique latine ».

Il est évident qu'une entité unique indépendante regroupant toute l'ancienne AEF aurait été infiniment plus viable et plus rationnelle que ce découpage entre petits États qui rendait leur économie au contraire très dépendante de l'ancienne métropole. Et c'était encore plus vrai pour la Centrafrique, pays sans accès à la mer, enclavé au milieu du continent. Mais c'est dans ces conditions, dans le cadre des frontières nationales que l'impérialisme français avait fixées, que la République centrafricaine (RCA) vit le jour en 1958.

Une indépendance de façade, sous le contrôle de l'armée française

Le sous-sol de la Centrafrique est riche en or et en diamant. Et de grandes entreprises françaises y ont des intérêts, comme Bolloré dans la logistique et le transport fluvial, le groupe Castel pour les boissons et le sucre, le groupe Total pour le stockage et la distribution des produits pétroliers, la CFAO (Compagnie française de l'Afrique occidentale) pour la distribution automobile, ou encore Orange, présente depuis 2007. Mais ce n'est pas ce qui était et est encore le plus important pour l'impérialisme. C'est avant tout pour des raisons diplomatiques et stratégiques que la France a toujours tenu à maintenir sa domination sur ce pays.

Comme nombre d'ex-colonies françaises, les représentants de la Centrafrique à l'Assemblée des Nations unies sont des votants sur lesquels la France peut s'appuyer pour défendre ses intérêts impérialistes. D'une certaine manière, ils font partie du personnel politique de l'impérialisme français et lui permettent d'essayer de continuer à jouer à la grande puissance.

Mais surtout, la Centrafrique a toujours été un atout stratégique militaire irremplaçable pour l'impérialisme, une base armée en plein cœur de l'Afrique. La France a eu en Centrafrique une présence militaire presque ininterrompue depuis l'indépendance. Bouar, ville à l'ouest du pays, et Bangui, la capitale, ont été parmi les bases militaires les plus importantes de la France à l'étranger.

Dans cette optique, l'État français a constamment manœuvré pour que les différentes cliques politico-militaires qui se sont succédé au pouvoir soient toujours bien disposées envers lui. À plusieurs reprises, l'armée française est même intervenue directement pour écarter un dirigeant un tout petit peu trop indépendant et mettre en place un remplaçant plus docile.

Rapidement après l'indépendance, l'armée centrafricaine renversa le président de l'époque, David Dacko, et prit le pouvoir à travers le « putsch de la Saint-Sylvestre » du 31 décembre 1965 du général Jean-Bedel Bokassa. C'était sous l'impulsion de la France.

Bokassa avait servi dans les troupes coloniales françaises. Durant la Deuxième Guerre mondiale, il avait pris part au débarquement en Provence en 1944. Il avait combattu en Indochine et en Algérie, du côté français évidemment, et obtenu la Légion d'honneur et la Croix de guerre. Bokassa est toujours resté un nostalgique de l'armée française, au point qu'une fois, lors d'un cocktail officiel, il salua le général Bigeard, ancien officier des guerres d'Indochine et d'Algérie sous les ordres duquel il avait servi, par un : « Nom de Dieu, Vive la Coloniale ! »

Bokassa, devenu tout-puissant en Centrafrique par la grâce de l'impérialisme français, laissa libre cours à tous ses délires. Après douze ans de dictature féroce, il se fit même couronner Empereur de Centrafrique le 4 décembre 1977. Le président français de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, s'était rendu à plusieurs occasions en Centrafrique pour des voyages privés, mais il n'osa tout de même pas assister au sacre grotesque de Bokassa 1er. Il se fit représenter par son ministre de la Coopération, Robert Galley, et aussi par son cousin germain, François Giscard d'Estaing, administrateur de sociétés françaises en Afrique. Deux années plus tard, la presse sortit « l'affaire des diamants de Bokassa », révélant que le « président-empereur » avait offert des plaquettes de diamants à Valéry Giscard d'Estaing.

Ces délires de Bokassa gênaient peut-être un peu certains dirigeants politiques français vis-à-vis de leur propre opinion publique, mais ils s'en accommodaient. Quant aux emprisonnements sommaires, à la terreur et même aux massacres d'opposants, tout cela était dans la continuité du régime colonial. Ce qui poussa finalement la France à lâcher Bokassa et à organiser une opération militaire pour le déloger fut un problème d'un tout autre ordre.

Le régime de Bokassa était de plus en plus contesté en Centrafrique. En janvier 1979, il fit réprimer des manifestations lycéennes puis assassiner une centaine de jeunes qui avaient été emprisonnés. Sentant sa position instable, et craignant une action de la France pour l'écarter, Bokassa chercha des appuis ailleurs et il en trouva du côté de la Libye, qui elle-même cherchait des alliés de circonstance à coups de pétrodollars. C'est justement ce qui précipita l'intervention militaire française.

Les 20 et 21 septembre 1979, l'armée française lança l'opération « Barracuda ». 1 000 parachutistes apportèrent dans leur valise le remplaçant de Bokassa, qui n'était autre que David Dacko, son prédécesseur ! Il faut croire que l'impérialisme français préférait commencer par remettre en place un pion connu.

Les soldats français occupèrent la capitale, Bangui. Ils se chargèrent des opérations de police, montèrent la garde devant le palais présidentiel et d'autres bâtiments publics, et imposèrent le couvre-feu. Une comédie de démocratie et d'élections fut mise en place. Mais l'armée ne tarda pas à reprendre le pouvoir. Le 1er septembre 1981, le général André Kolingba, à la tête d'un Comité militaire de redressement national, interdit tous les partis. Le pouvoir de Kolingba dura plus d'une dizaine d'années, de 1981 à 1993.

Derrière Dacko puis Kolingba, il y avait toujours l'armée française. Et ce n'était pas qu'une formule, un homme l'incarnait : le colonel Jean-Claude Mansion. Mansion, qui dirigeait la coopération militaire française en Centrafrique, était surnommé le « proconsul ». Le journal Jeune Afrique dit de lui qu'il était le « véritable maître du pays ». Le journaliste français Pierre Haski ajoute : « Mansion n'était pas seulement au cœur de l'appareil d'État, il était l'État... » Ce fut une période de présence militaire française intense en Centrafrique.

En 1993, à l'occasion de nouvelles élections présidentielles dont la logistique avait été assurée par l'armée française elle-même, Kolingba fut écarté du pouvoir et remplacé par Ange-Félix Patassé.

Les conséquences de la crise économique mondiale

Au début des années 1990, l'approfondissement de la crise économique mondiale entraîna l'Afrique dans une spirale d'appauvrissement généralisé. Étranglée par sa dette, par la chute du cours des matières premières, par le reflux des capitaux, l'Afrique vit sa production reculer, et sa participation au commerce mondial divisée par deux en dix ans. Le Produit intérieur brut de toute l'Afrique subsaharienne (Afrique du Sud comprise) s'établit en 1991 au niveau de celui des Pays-Bas, et 35 % de la population étaient réduits à la famine permanente.

Dans la zone d'influence française, cela s'exprima en plus par une autre mesure brutale : la dévaluation du franc CFA. Cette monnaie unique avait été imposée par la France dans presque tout son ex-empire colonial et c'est la France qui en maîtrisait l'émission. Le 12 janvier 1994, la valeur du franc CFA fut divisée par deux, faisant exploser les prix de tous les produits liés un tant soit peu à l'importation, ce qui massacra d'un coup les possibilités de subsistance des plus pauvres.

Cette aggravation de la misère eut aussi des conséquences politiques sur la stabilité des dictatures africaines en place. On vit de plus en plus de mutineries de soldats dues au non-paiement des salaires. Ce mécontentement à l'intérieur même des troupes fut alors utilisé par tous les aspirants dictateurs pour fomenter des coups d'État et s'installer au pouvoir.

Pour la population pauvre, la crise économique, en plus de ses conséquences directes, apportait le fléau des milices. Ces cliques militaires, issues de la décomposition des armées officielles ou des guérillas des pays voisins, trouvèrent des soutiens du côté des régimes ou des puissances impérialistes rivales, qui en retour les utilisèrent pour évincer un dirigeant trop indépendant.

Ainsi, alors que l'État fantoche centrafricain issu de la décolonisation se décomposait, ces milices purent prendre possession de régions entières où elles firent régner leur loi, terrorisant et rackettant la population.

Au printemps 1996, Patassé, menacé par une mutinerie de soldats non payés, fut sauvé par une intervention militaire de 2 400 légionnaires, parachutistes et autres commandos de l'armée française. Une autre mutinerie eut lieu en 1996, ainsi qu'une tentative de coup d'État en mai 2001. À chaque fois, Patassé put s'en tirer.

Mais en mars 2003, il fut renversé par François Bozizé, un ancien général de l'armée de Bokassa. Ce dernier dut le succès de son coup au soutien de l'armée tchadienne, elle-même soutenue par la France.

Des manœuvres de l'impérialisme à l'intervention militaire directe

L'impérialisme français espérait sûrement avoir trouvé une solution durable en misant sur Bozizé. Mais quelques années après son accession au pouvoir, de nouvelles instabilités se développèrent.

Une rébellion rassemblant des ex-compagnons déçus de Bozizé, des anciens officiers de Patassé et d'autres soldats en manque de paye, se mit en place dans le nord du pays. Des combats éclatèrent en novembre 2006 à Birao, à la frontière avec le Tchad et le Soudan, entre cette rébellion et les forces armées centrafricaines, les FACA. Toute la petite ville fut ravagée. Des viols et des assassinats se produisirent ; 70 % des maisons furent brûlées et pillées, et toutes les réserves de mil partirent en fumée, préparant une famine certaine pour la population locale, déjà misérable.

Prise en étau entre les milices rebelles et les FACA du président Bozizé, la population prit la fuite en brousse ou ailleurs, et près de 150 000 personnes furent déplacées dans cette première phase de la guerre civile.

L'essentiel des exactions dont témoignèrent les organisations humanitaires fut le fait des FACA. Or, ces FACA étaient soutenues par la France, par l'intermédiaire de raids aériens de Mirage F1 et par une assistance militaire permanente comme au temps du colonel Mansion. Cette fois-ci, l'homme de l'impérialisme français était le général Henri-Alain Guillou. Ce premier conflit prit fin temporairement en 2007.

Mais le pouvoir de Bozizé soulevait de plus en plus de mécontents. La rébellion se remobilisa et s'unifia en 2012 en une coalition, la Seleka. C'est ce qui poussa l'impérialisme français à changer son fusil d'épaule. D'autant plus que Bozizé, craignant de plus en plus d'être lâché par la France et le Tchad, chercha des soutiens en se tournant vers une autre puissance régionale, l'Afrique du Sud. Il mit en place un accord de coopération militaire avec l'Afrique du Sud, qui envoya un contingent de plusieurs centaines de soldats.

Cette nouvelle attitude indépendante de Bozizé décida la France à le laisser tomber. Et lorsque la coalition hétéroclite des rebelles de la Seleka fut en position de force, c'est avec l'assentiment de Paris qu'elle marcha sur Bangui, délogea Bozizé et mit à la place Michel Djotodia.

Ce dernier, ou plutôt le pouvoir qu'il était censé représenter, avait encore moins d'autorité que le précédent. À peine Bozizé écarté, la Seleka se révéla être ce qu'elle était : des bandes armées rivales. Et sa dissolution officielle a signifié son éclatement mais pas son désarmement. Chacun des groupes armés a cherché à trouver une zone du pays ou de la capitale où imposer son pouvoir, ne serait-ce que pour rançonner la population.

Par-dessus cela, de nouvelles milices ont vu le jour, issues des débris des anciennes FACA de Bozizé. Ce sont ces milices qu'on appelle les « anti-balaka » (« anti-machettes ») et qui, elles, recrutent dans les populations chrétiennes.

L'opération militaire française actuelle

Dans ce contexte toujours plus chaotique, le 5 décembre dernier, l'impérialisme français a décidé d'intervenir directement. La France a envoyé ses propres troupes, tout en comptant aussi s'appuyer sur un fort contingent de soldats africains regroupés dans la force d'intervention de l'ONU, la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique).

Comme il est de coutume, pour justifier son intervention militaire aux yeux de sa propre opinion publique, le gouvernement français a cherché à avoir un mandat de l'ONU. Il l'a obtenu, les autres puissances impérialistes n'ayant pas cherché à contester à la France le rôle de gendarme dans cette partie de son ex-empire colonial.

Alors, pour la seconde fois en moins d'un an, Hollande a remis son treillis militaire, perpétuant ainsi la tradition des dirigeants du Parti socialiste d'assumer l'enclenchement des guerres et expéditions militaires quand les intérêts de la bourgeoisie française le réclament.

L'intervention française vise à trouver une solution de rechange au pouvoir actuel en cherchant à s'appuyer sur un camp contre un autre : les soldats français ont ainsi désarmé les milices de l'ex-Seleka sans s'en prendre aux milices anti-balaka. Cela a laissé le champ libre à ces dernières, qui en ont profité pour passer à l'offensive et commettre des exactions contre les populations musulmanes dont sont originaires les miliciens de l'ex-Seleka.

En retour, des soldats du contingent tchadien de la Misca, proches des ex-Seleka, se sont directement affrontés aux anti-balaka, et même à d'autres contingents de la Misca, comme les Burundais car, eux, soutiennent les anti-balaka.

Ainsi, les troupes sur lesquelles la France comptait s'appuyer pour rétablir son ordre échappent à sa propre autorité. L'impérialisme français est comme un apprenti sorcier devant des forces qu'il a invoquées et qu'il n'arrive pas à maîtriser. C'est ce qui explique les appels au secours de Hollande vis-à-vis de l'ONU, demandant à celle-ci de jouer « un rôle plus important » c'est-à-dire d'aider la France en mettant sous son autorité militaire d'autres troupes plus soumises.

Tout ce chaos n'a évidemment fait qu'empirer dramatiquement la situation de la population. Les réfugiés se sont ajoutés aux réfugiés. Un tiers de la population de la capitale a fui ses habitations, effrayé par la menace des milices en tout genre. Plus généralement, dans tout le pays, la population déjà très pauvre est en butte à la famine. Selon l'ONU, la moitié des 4,4 millions de Centrafricains est en situation d'assistance humanitaire et plus du quart a besoin d'une aide alimentaire.

Un des aspects les plus crapuleux de la propagande actuelle justifiant l'intervention militaire est celui qui consiste à présenter celle-ci comme une interposition entre deux parties de la population dressées l'une contre l'autre, de parler de « conflit religieux » voire de « guerre ethnique ». Cela revient à rendre la population responsable des exactions qui sont le fait de milices, et à faire passer les victimes pour des bourreaux.

La population centrafricaine est le fruit du regroupement, par la colonisation, de populations d'ethnies et de religions différentes. Selon un recensement de 2003, il y a à l'échelle du pays environ 80 % de chrétiens, 10 % de musulmans et 10 % d'animistes. Mais il y a encore très peu de temps, musulmans et chrétiens cohabitaient sans aucun problème dans plusieurs endroits du pays et quartiers de la capitale.

Ce sont les échauffourées incessantes entre milices, avec leurs balles perdues qui tuent et estropient aveuglément, et les expéditions punitives qui ont créé un climat de terreur et défiance. Comme cela s'est passé dans d'autres pays d'Afrique, telle la Côte d'Ivoire, quand des quartiers pauvres étaient pris au piège de la rivalité de clans militaires rivaux, les gens ont fui.

Alors, à force d'exactions et de massacres, la situation peut dégénérer et des pans de plus en plus importants de la population peuvent être emportés dans une folie de vengeance sans fin. Si une telle spirale infernale s'enclenchait, là encore le vrai responsable serait l'impérialisme.

En 1994, au Rwanda, des centaines de milliers de gens furent massacrés par l'armée du pouvoir Hutu et ses milices de supplétifs. Ce fut avec la complicité totale et même l'appui de la France, avec son assistance militaire avant et après le génocide. Car la France a misé sur cette clique militaire pour barrer la route à des rebelles qui remettaient en cause sa domination sur la région. Et cela « coûte que coûte », pour reprendre l'expression de l'ex-ministre socialiste des Affaires étrangères Hubert Védrine, interrogé des années plus tard sur la politique de Mitterrand au Rwanda, politique qu'il justifiait.

Oui, la situation en Centrafrique est dramatique pour la population. Et ce sont l'armée française et l'impérialisme français qui sont les éléments les plus menaçants. Alors, la première des choses que nous devons dire à propos de cette intervention militaire, tout comme à propos de celle au Mali est : Troupes françaises hors d'Afrique !

6 janvier 2014

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