Textes de la Conférence Nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - La détente et ses limites01/12/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/12/21_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Textes de la Conférence Nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - La détente et ses limites

Après la signature, en décembre 1987, du traité sur l'élimination des fusées à portée intermédiaire en Europe - acquise principalement en raison des concessions des dirigeants soviétiques - les relations entre les États Unis et l'Union Soviétique ont continué à évoluer dans le sens de la détente.

Le rapprochement entre les deux grandes puissances a été illustré, tout au long de l'année, par une succession de négociations, visant à éliminer quelques unes des zones de tensions existant dans le monde où les deux grandes puissances sont impliquées, directement ou par alliés interposés.

L'annonce spectaculaire du retrait des troupes soviétiques de l'Afghanistan, même si ces troupes sont encore loin d'être toutes parties, semble mettre un terme à une intervention militaire que la bureaucratie était incapable de gagner et qui lui coûtait cher. La présence des troupes d'occupation soviétique en Afghanistan mettait par ailleurs la bureaucratie soviétique et sa diplomatie en mauvaise posture par rapport aux États de la région et hypothéquait dans une certaine mesure la politique de détente avec Washington que Gorbatchev avait l'intention d'accentuer (bien que les États Unis, tout en fournissant des armes à la résistance afghane, n'étaient pas mécontents que l'URSS assume sa part dans le maintien de l'ordre dans cette région du monde - et subisse par la même occasion l'impopularité qui en découle).

Le retrait des troupes soviétiques ne signifie cependant pas nécessairement la fin de la guerre en Afghanistan.

Le régime de Kaboul, en faisant appel aux troupes soviétiques, a certes fait la démonstration de son impopularité. Mais il n'est pas dit que la direction de la résistance afghane, une coalition de chefs féodaux et religieux, réactionnaires et rivaux entre eux, bénéficie d'un soutien populaire suffisant pour vaincre rapidement le régime en place. Une fois les troupes d'occupation étrangères parties, disparaîtra une des principales raisons qui ont exacerbé le nationalisme afghan et alimenté la résistance ; en même temps que disparaîtra un des facteurs d'unification entre factions rivales, toutes hostiles certes au régime « marxiste » de Kaboul, mais divisées également par des oppositions religieuses ou ethniques, quand ce n'est pas simplement par la soif de pouvoir de leurs chefs.

Mais même si la guerre civile devait encore durer, elle sera comme une de ces innombrables guerres internes qui continuent à déchirer un grand nombre de pays pauvres, et non pas une zone de friction entre grandes puissances.

L'entente entre les deux grandes puissances et leurs pressions sur leurs alliés directs ou indirects ont contribué à l'amorce de négociations dans d'autres zones également.

En Angola, parallèlement à une intensification des combats entre l'armée gouvernementale soutenue par des Cubains et l'opposition armée de l'UNITA appuyée par l'intervention directe de forces sud-africaines, des négociations ont abouti à la décision de l'évacuation des troupes cubaines et du retrait des Sud Africains.

Le Vietnam de son côté a annoncé qu'il retirera ses troupes du Cambodge. Ses dirigeants semblent avoir engagé des négociations en vue d'un réglement politique négocié avec toutes les parties cambodgiennes, c'est-à-dire y compris non seulement Norodom Sihanouk, mais aussi les fous sanguinaires dits Khmers Rouges contre lesquels les troupes vietnamiennes étaient précisément intervenues avec, à l'époque, le consentement d'une grande partie de la population cambodgienne elle-même.

Au Nicaragua, le gouvernement sandiniste, sous la pression non déguisée de Moscou, a fait une série de gestes en direction des États Unis et s'est engagé, dans le cadre d'une « commission nationale de réconciliation » présidée par le très pro-américain et anti-sandiniste cardinal de Managua, dans une discussion avec les Contra qui s'est concrétisée en avril par un premier accord officiel de cessez-le-feu.

L'armistice entre l'Iran et l'Irak se situe également dans ce contexte de détente. Quel que soit cependant le règlement qui sortira des négociations engagées entre ces deux pays - s'il en sort un - leurs peuples auront payé par plus d'un million de morts, par des destructions considérables, par un endettement colossal à l'égard des marchands d'armes, la politique nationaliste guerrière de leurs régimes respectifs et le jeu des grandes puissances impérialistes qui ont entretenu, politiquement et matériellement, une guerre qui affaiblissait deux puissances régionales difficiles à contrôler, voire hostiles.

La rapidité avec laquelle se sont engagées des négociations dans un nombre important de zones de conflit, dès lors que les deux grandes puissances sont parvenues à la signature de l'accord principal, le traité de désarmement partiel, montre le rôle que jouent les deux grandes puissances dans l'entretien et dans l'exacerbation de ces conflits. Elle montre aussi, pour ce qui concerne plus spécialement l'Union Soviétique, que si la bureaucratie soutient tel ou tel mouvement de résistance, tel ou tel gouvernement qui veut montrer un peu d'indépendance par rapport à l'impérialisme américain, ce n'est pas dans l'intérêt des peuples concernés, mais pour s'en servir comme d'une éventuelle monnaie d'échange, susceptible d'imposer sa participation dans les grandes négociations l'associant aux États Unis comme partenaire dans les tâches de maintien de l'ordre à l'échelle de la planète.

Mais l'année écoulée a également montré que les grandes puissances, tantôt incendiaires tantôt pompiers, ne sont pas au bout de leurs peines.

Dans la partie du monde, en particulier, directement dominée par l'impérialisme, les multiples formes d'oppressions, aggravées par la crise et par l'appauvrissement plus grand encore qu'elle entraîne dans les classes laborieuses, ont entraîné en permanence, tantôt ici, tantôt là, des manifestations, des révoltes, des explosions de colère.

La « révolte des pierres » en Palestine occupée a duré toute l'année et l'armée israélienne, malgré sa politique de répression, n'est pas parvenue à la briser.

Le peuple israélien lui-même paie, par une militarisation croissante de la société, par la montée de fanatismes religieux moyennâgeux, le rôle de gendarme contre les peuples de la région et en particulier, contre le peuple palestinien, que son État accepte d'assumer depuis sa création. Ce n'est plus dans des guerres susceptibles d'être présentées comme plus ou moins glorieuses contre les armées des dictateurs arabes du voisinage, mais dans ces actions de garde-chiourme contre des adolescents palestiniens armés seulement de cailloux, que l'armée israélienne révèle son véritable rôle et le sionisme, l'impasse où il conduit.

Il faut cependant ajouter que c'est le rôle de l'armée israélienne qui compte, plus que la violence de la répression elle-même si, pour ce qui est de la violence contre des adolescents désarmés, le régime algérien a montré qu'il n'était pas en retard sur Israël, en fusillant en quelques jours autant sinon plus d'adolescents de son propre peuple, que l'armée israélienne n'a assassiné de jeunes Palestiniens en une année de « révolte des pierres ».

Le peuple palestinien démontre dans cette révolte son énergie et sa combativité. Mais ses dirigeants qui se situent, comme ceux du camp d'en face, sur le terrain du nationalisme, ne peuvent et ne veulent conduire ce combat au mieux, que vers la création d'un mini-État palestinien qui laisserait entiers la plupart des problèmes des masses qui se battent. Y compris les problèmes de l'oppression. La création d'un État palestinien indépendant donnerait certes satisfaction à une des aspirations du peuple palestinien. L'exemple que vient d'administrer l'Algérie, comme les innombrables autres exemples que donnent périodiquement ou en permanence, de la Syrie à la Jordanie, en passant par l'Irak ou l'Egypte, les États arabes dont l'indépendance sert de modèle à l'OLP, illustrent cependant le fait que les masses palestiniennes n'ont pas à espérer d'un appareil d'État national une oppression moins féroce et plus de liberté que ne leur donne le régime sioniste.

Le potentiel révolutionnaire des masses palestiniennes pourrait soulever toutes les masses pauvres du Moyen Orient et être le point de départ d'une révolution susceptible de débarrasser ces masses de toutes les dictatures, et même de celle, sociale, des classes riches sur les classes pauvres. Mais l'OLP est viscéralement opposée à la politique de classe que cela exige.

En Birmanie, c'est un coup de colère parti des milieux estudiantins contre un régime oppressif qui a mis en mouvement les masses qui ont eu raison du dictateur en place.

Il est cependant significatif que, après la Corée du Sud où, l'an passé, le mouvement des étudiants pour la démocratisation a été relayé par une véritable révolte de la classe ouvrière, exigeant une augmentation importante des salaires et une réduction de la durée du travail, quelques uns des plus importants mouvements de masse dans les pays pauvres aient été marqués cette année encore par une participation importante des travailleurs.

L'explosion qui s'est produite en Algérie est partie elle-même de grèves et de mouvements dans la classe ouvrière. Et c'est une classe ouvrière puissante, relativement concentrée, liée et pour cause au mouvement ouvrier en France, ayant hérité du temps du combat contre le colonialisme français, des traditions de lutte. Malgré sa violence dans la répression, le régime algérien n'est pas au bout de ses peines. S'il a cependant bénéficié d'un long répit, c'est parce que les masses algériennes en menant précisément cette guerre d'émancipation contre le colonialisme français qui leur a donné leurs traditions de lutte, l'ont menée sous la direction d'une organisation nationaliste qui ne pouvait que leur forger de nouvelles chaînes. Habituées aux combats, y compris armés, elles se sont cependant trouvées politiquement et moralement désarmées pour se retourner contre les anciens dirigeants de leurs combats, devenus dirigeants et profiteurs d'une dictature. Mais le mouvement ouvrier français porte une grande responsabilité dans cet état de choses, lui dont une partie des dirigeants avaient honteusement soutenu la guerre coloniale - à certains moments comme les chefs du PC, ou tout le temps comme les chefs du PS - et dont même la petite fraction qui ne s'était pas compromise avec le colonialisme n'a pas été capable d'aider à la constitution d'une organisation révolutionnaire prolétarienne susceptible de contester au FLN la direction de la lutte contre l'occupation coloniale.

Il y eut des luttes ouvrières plus ou moins importantes dans plusieurs pays d'Amérique Latine, en Afrique du Sud. Il y eut une véritable vague de grèves et une agitation sociale violente en République Dominicaine contre la vie chère et pour des augmentations de salaires.

Même dans le Liban déchiré par des conflits nationaux et religieux, partagé entre bandes armées rivales, subissant les chocs d'intérêts entre grandes puissances impérialistes et petites puissances régionales, plusieurs grèves et manifestations protestant contre l'inflation, le chômage et exigeant des augmentations de salaires ont uni dans une même lutte les travailleurs des différents secteurs de Beyrouth séparés par des barbelés.

La classe ouvrière de ces pays a montré dans ces mouvements sa puissance et sa combativité. Pour qu'elle puisse s'affirmer comme le leader des masses populaires de ces pays où la situation est explosive, il lui manque la conscience politique et l'organisation susceptible de l'incarner.

 

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