Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Situation internationale - Allemagne01/10/19901990Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1990/11/35.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Situation internationale - Allemagne

L'année écoulée a vu la « question allemande » trouver une solution. Un terme a été mis à une division vieille de plus de 40 ans, séquelle de la « guerre froide ». Depuis le 3 octobre 1990, il n'y a plus juridiquement qu'une seule Allemagne. Un seul État, une seule police, une seule armée, une seule administration et un seul gouvernement. Les 16 millions d'habitants et les 108 000 km2 de l'ancienne RDA intègrent la RFA. L'Europe compte ainsi en son plein coeur une grande puissance capitaliste de près de 80 millions d'habitants et son centre de gravité est déplacé vers l'Est.

Ce bouleversement important s'est fait somme toute très légalement, très constitutionnellement, et très vite. La Loi Fondamentale (ou constitution) de l'ancienne RFA avait prévu la récupération des territoires de l'Est - précisément ceux de la RDA - par simple demande d'adhésion de ceux-ci à l'État fédéral. Le nouveau parlement est-allemand élu le 18 mars 1990, a trouvé la confortable majorité nécessaire de députés chrétiens-démocrates, libéraux et sociaux-démocrates, pour assurer la légalité de l'opération. Cela dit, le Deutsche Mark (Ouest) introduit dès le 1eir juillet 1990, a unifié de fait les deux Allemagnes avant la loi.

Les quatre Grands, dont Gorbatchev qui a obtenu pour la circonstance quelques milliards de marks, ont donné leur bénédiction à la « réunification » et ses conséquences. D'ici trois à quatre ans, les quelque 380 000 soldats soviétiques encasernés sur le territoire de l'ancienne RDA - du moins ceux qui n'auront pas déserté d'ici là - devront avoir quitté l'Allemagne avec les quelque 200 000 membres de leurs familles. Le gouvernement allemand assume d'ici là une bonne partie de leurs frais d'entretien. Le gros des troupes anglo-américano-françaises devraient de leur côté quitter dans des délais similaires le sol de l'ancienne RFA. Mais la participation de l'Allemagne unifiée à l'OTAN est acceptée par l'URSS.

Si l'unification allemande est le résultat du choix de l'URSS de lâcher les ex-Démocraties Populaires, la bourgeoisie allemande y trouve largement son intérêt. A divers titres. Sur le plan politique évidemment, c'est la revanche prise sur le « communisme » ou prétendu tel. Mais la grande bourgeoisie allemande ne se livre à aucune surenchère. Elle fait et refait plutôt méthodiquement ses comptes et ses études d' « économie prospective », en y intégrant les « biens » (terrains, matières premières, appareil productif et main d'oeuvre) du nouveau « Far-Est » et elle tente d'évaluer les profits qu'elle pourrait en tirer.

L'exploitation de l'ancienne RDA est à l'étude mais le grand capital ouest-allemand envisage d'accroître son influence à l'Est. Une partie des relations commerciales de l'ancienne RDA avec l'URSS et les autres pays de l'Est sera assumée par la nouvelle Allemagne, et ce n'est déjà pas négligeable.

Vis à vis des bourgeoisies concurrentes d'Europe, la grande bourgeoisie allemande se défend farouchement de vouloir rééditer l'aventure hitlérienne. C'est même pourquoi elle parle d ' « unification » et pas de « réunification » dont la particule renverrait au passé.

C'est un fait que la situation actuelle n'est en rien comparable avec la période de montée du nazisme. L'impérialisme allemand d'entre les deux guerres était puissant, certes, mais il était étranglé par les conditions du Traité de Versailles qui avait mis fin à la première guerre mondiale. Les Démocraties impérialistes anglaises et françaises, grandes puissances coloniales qui régnaient sur des empires et tiraient une bonne partie de leurs profits de l'esclavage, avaient condamné le voisin allemand à étouffer à l'intérieur de ses frontières, sans débouché pour ses marchandises et ses capitaux. L'impérialisme allemand ne fut pas l'unique responsable, loin de là, de l'avènement du troisième Reich hitlérien, de la seconde guerre mondiale et de sa barbarie.

Aujourd'hui, l'impérialisme allemand n'est pas acculé à une politique agressive. Au contraire. L'Allemagne est un pays qui retrouve son unité économique et qui voit son « hinterland » en quelque sorte réouvert.

Si les dirigeants des impérialismes européens rivaux, anglais et français en premier lieu, mettent en garde à l'occasion contre les dangers de la « Grande Allemagne », c'est seulement parce que son plus grand format représente pour eux une concurrence plus sévère.

Quant aux craintes que le PCF voudrait répandre ici, dans la classe ouvrière française, sur les dangers de « l'Allemagne revancharde », ou plus simplement sur les dangers pour la classe ouvrière française de l'Allemagne dominant l'Europe unie, elles sont plus à l'usage de la bourgeoisie que des travailleurs. Les bourgeoisies sont en concurrence. Renault et Volkswagen - à titre de simple exemple - se disputent le rachat des usines tchécoslovaques Skoda. Mais l'intérêt des travailleurs ne consiste pas à souhaiter ou permettre à « leurs » patrons de faire les meilleurs profits. L'intérêt de la classe ouvrière est d'instaurer le meilleur rapport de force entre elle et la bourgeoisie, et le pire des moyens est l'unité « nationale » entre la bourgeoisie et le prolétariat.

La petite-bourgeoisie démocratique ouest-allemande qui forme l'électorat des Verts et à laquelle l'extrême-gauche est très sensible, pousse aussi des cris d'alarme contre la « Grossdeutschland ». Pendant des mois, le courant « alternatif » et d'extrême-gauche a dirigé sa propagande - purement négative - « contre » l'unification, la présentant comme une poussée impérialiste et nationaliste dangereuse.

Ces derniers mois de marche accélérée vers la réunification ne sont pas allés sans manifestations de nationalisme. Mais en juillet dernier par exemple, il était bien difficile de dire ce qui, de la réunification prochaine ou de la première place au « Mondiale » de football, a le plus excité les passions chauvines.

Mais le courant « alternatif » au sens large, issu en partie de l'extrême gauche soixante-huitarde maoïste ou stalinisante, considérait la RDA comme un régime « socialiste », la « bonne Allemagne » - malgré la dictature anti-ouvrière et anti-populaire - qu'il aurait fallu préserver contre la « mauvaise ». L'Allemagne avait été découpée par le hasard des armes en 1945 et divisée ensuite à partir de la guerre froide ou par les aléas de la guerre froide et le respect des zones d'influence décidées à Yalta et à Potsdam et il était inconcevable de s'opposer aux aspirations à la réunification de l'ensemble de la population allemande.

L'intégration de l'ancienne RDA à l'économie ouest-allemande est sur rails. En introduisant sa monnaie, l'Ouest a introduit aussi ses marchandises et ses critères de rentabilité. Depuis l'unification monétaire, les biens de consommation occidentaux ont gagné le marché de l'ancienne RDA, même si tous les consommateurs, eux, n'ont pas gagné les moyens de se procurer ces marchandises. Mais la bourgeoisie allemande peut d'ores et déjà se féliciter que l'unification fasse marcher le commerce. A titre anecdotique, l'Allemagne est le seul grand pays riche où la vente des automobiles neuves a augmenté de façon significative là où les autres accusent une baisse. La raison en est que beaucoup d'Allemands de l'Ouest ont acheté une voiture neuve, pour remplacer celle qu'ils ont vendue d'occasion tout dernièrement sur le nouveau marché de RDA...

Cela dit, l'intégration de l'industrie est-allemande à celle de l'Ouest est seulement annoncée. La désétatisation et privatisation du potentiel économique de l'ancienne RDA sont seulement ébauchées. Un organisme spécialisé a été mis en place pour procéder à la vente de tout ou partie des quelque 8 000 entreprises du pays, avec à sa tête un des grands managers de l'industrie ouest-allemande. Mais jusqu'à présent, il y a davantage de travailleurs qui ont été mis au chômage total ou partiel (certes, avec des indemnités) qu'il n'y a de « repreneurs » ou actionnaires prêts à investir dans les entreprises en souffrance. La bourgeoisie ouest-allemande prend le temps de faire l'inventaire, et quand elle insiste sur l'état déplorable dans lequel serait le potentiel économique est-allemand, sur le fait qu'il ne vaudrait vraiment pas cher, c'est aussi pour faciliter aux trusts ouest-allemands rapaces le rachat des entreprises de l'Est au plus bas prix.

La bourgeoisie allemande est prête à faire tous les profits, à encaisser tous les dividendes, sans y laisser le moindre pfennig. Et c'est pourquoi l'État (l'État fédéral comme ceux des Länder, sans oublier les municipalités des grandes villes) vient à sa rescousse et finance largement la réunification. Des millions, des milliards de Marks sont débloqués pour ceci ou cela. Mais la bourgeoisie allemande va surtout financer la réunification avec l'argent de la grande masse des contribuables, qui, là-bas comme ici, sont surtout les travailleurs salariés. Ce sont eux qui vont faire les frais des augmentations plus que probables des impôts directs et indirects.

Les dirigeants de l'impérialisme allemand ont tout intérêt à une intégration économique réussie de l'ancienne RDA. Intérêt à transformer la main-d'oeuvre disponible de cette partie de l'Allemagne en main-d'oeuvre effectivement exploitée. Mais il lui faut éviter aussi qu'à cause d'une trop grande disparité, celle-ci soit tentée de quitter les régions de l'Est pour celles de l'Ouest et de grossir encore le nombre élevé - un million et demi depuis un peu plus d'un an - des nouveaux arrivés sur le territoire de l'ancienne RFA (venus de RDA, venus d'autres pays de l'Est mais naturalisés d'emblée s'ils pouvaient prouver leur « souche allemande », « réfugiés politiques » de divers pays du monde bénéficiant à ce titre du droit d'asile...et « touristes » ou émigrés clandestins).

Pour l'heure, les difficultés de l'Allemagne capitaliste réunifiée lui viendraient plutôt de ses succès. Son Mark, ses vitrines remplissent les rêves, si ce n'est les estomacs et les existences de centaines de milliers de travailleurs et de petits bourgeois de l'Est. Mais si l'Allemagne capitaliste est probablement en situation d'intégrer à son système d'exploitation une bonne partie de la classe ouvrière de l'ancienne Allemagne de l'Est, avec peut-être pour certains une augmentation de leur niveau de vie, elle n'est pourtant pas largement ouverte à tous. D'ores et déjà, à peine un an après la destruction des frontières de barbelés et du mur de Berlin, les dirigeants allemands (comme les dirigeants autrichiens), devant l'afflux d'immigrants économiques, sont dans la situation embarrassante de filtrer aux frontières, par des moyens administratifs ou même policiers.

Pour ce qui est de la classe ouvrière de l'ancienne RDA, sa situation économique est surtout incertaine. Les prix de produits alimentaires qui ne sont plus subventionnés par l'État ont beaucoup augmenté. Ceux de produits finis d'usage courant, « made in West Germany », ont plutôt baissé. L'inflation est surtout crainte dans le domaine des transports ou des loyers jusque là dix fois moins élevés qu'à l'Ouest.

Les salaires ont généralement été augmentés, de quelque 200 à 300 Marks mensuels (soit 700 à 1000 F.), dans les plus grandes branches mais ils n'atteignent encore qu'entre le tiers et la moitié du montant des salaires de l'Ouest. Pour une semaine de travail de généralement plus de 40 heures. Et les patrons prétendent ne pas pouvoir augmenter les salaires tant que la productivité du travail ne sera pas supérieure.

Le problème le plus préoccupant est celui du chômage, qui toucherait déjà plus d'un million de personnes. Il y aurait des centaines de milliers de salariés au chômage partiel, qui n'ont pas de travail ou très peu, mais restent à la disposition de leurs directions. L'État finance jusqu'à nouvel ordre le chômage total ou partiel.

Les craintes de la classe ouvrière se sont déjà exprimées par quelques grèves, quelques manifestations. Mais l'initiative semble en revenir à l'appareil syndical de l'Ouest, à la DGB et ses grands syndicats de branches, engagée dans l'entreprise de récupération des appareils syndicaux de l'Est. La direction de ces derniers, une brochette de hauts bureaucrates compromis avec l'ancien régime, s'est dissoute mais il reste un immense appareil, des millions d'adhérents formels, des locaux...parce que les syndicats liés à l'État de la RDA géraient une multitude d'activités sociales. Et l'OPA de la DGB ouest-allemande sur les beaux restes de l'ex-FDGB est-allemande est une affaire de haute importance qui explique probablement en partie que les syndicalistes venus de l'Ouest se montrent actifs, voire combatifs, et qu'ils s'appuient sur les inquiétudes voire le mécontentement de la classe ouvrière est-allemande pour organiser des grèves d'avertissement et protestations bien contrôlées. Mais le mécontentement peut emprunter ce chemin-là ou le déborder.

Dans l'ancienne RDA, personne ne regrette le temps des Ulbricht ou des Honecker. Et surtout pas les travailleurs qui en ont probablement le plus souffert. Les petits bourgeois, pour peu qu'ils aient eu l'échine un peu souple - et beaucoup l'ont eue - ont trouvé une multitude d'accommodements avec le régime. La classe ouvrière, elle, s'est vue interdite d'expression et d'organisation, car ce régime qui disait parler en son nom cherchait à dissimuler l'imposture.

Si bien que, malgré les incertitudes et les craintes quant à l'avenir économique qui existent dans la classe ouvrière et se mêlent à la satisfaction évidente de vivre désormais dans un système politique plus démocratique, sur le terrain politique, une forte majorité de travailleurs a voté pour la CDU, pour le grand parti de droite du chancelier Kohl, le champion de la réunification rondement menée. Les sociaux-démocrates, eux, qui défendent de la même façon les intérêts de la bourgeoisie allemande et sont également partisans de la réunification, n'ont pas su le dire aussi vite que Kohl et ont perdu sur le terrain politicien et électoral une longueur qu'ils n'ont apparemment pas rattrapée.

Si la classe ouvrière de l'Allemagne de l'Est semble avoir aujourd'hui, face à l'évolution actuelle, une attitude attentiste et accorder à l'équipe gagnante, le parti de Kohl, un certain « état de grâce », c'est aussi que les changements survenus en Allemagne depuis un an lui ont été en quelque sorte octroyés d'en haut, sans intervention autonome ni pression de sa part.

Même en octobre et novembre 1989, durant les deux mois où la RDA a connu de grandes manifestations de masses, la classe ouvrière ne s'est pas manifestée en tant que telle. Elle ne s'est donné nulle part, dans les entreprises ou les quartiers, des organes propres de pouvoir pour peser sur les événements et, sinon prendre ses propres affaires en mains, du moins faire pression sur les gouvernants les plus haïs ou, par la suite, sur la fameuse sécurité d'État, la Stasi tant décriée.

Il faut dire que ce mouvement de masse lui-même n'a pas été une révolution. Tous les lundis, à la même heure, sur le même parcours et pendant la même durée...Telles étaient les grandes manifestations silencieuses de Leipzig. Ce n'étaient pas des messes puisqu'elles avaient lieu après l'office, mais elles y ressemblaient.

Ces manifestations étaient certes massives, pouvant rassembler des centaines de milliers de personnes, et elles exprimaient indéniablement une grande détermination. Après quarante ans de dictature, les gens pouvaient enfin dire tous ensemble dans la rue ce dont ils ne voulaient plus. Mais ces manifestations n'ont pas duré longtemps.

Avec l'ouverture du mur de Berlin décidée le 9 novembre 1989 par le gouvernement, les premiers slogans et pancartes en faveur de la réunification sont apparus, à l'initiative de courants bourgeois de droite. Et le mouvement s'est alors dissout, par accord ou résignation, pour laisser aux amis de Kohl (politiciens, journalistes, hommes d'affaires qui ont littéralement envahi la RDA) presque tout le terrain. Et laisser ensuite parler les « tables rondes » ou autres parlements élus. Sans aucune flamme révolutionnaire, sans aucun débordement qui aurait égratigné les institutions. Des clans de politiciens se sont passés le relais, certains au tout début sachant accompagner ou utiliser les manifestations de masse. Mais tout est resté réglé comme du papier à musique, peut-être parce qu'un des premiers leaders du mouvement, Kurt Masur, en même temps que responsable du SED de Dresde était chef d'orchestre, tandis que le président du conseil Lothar de Maizière, lui, était violoniste...

L'offensive des grands partis politiques ouest-allemands sur la petite RDA, le poids de leurs fonctionnaires et de leurs moyens matériels, le tout allié à l'aspiration générale à une réunification sans histoire, a contribué à la marginalisation d'organisations petites-bourgeoises démocratiques comme « Neues Forum » qui avait pourtant exprimé le mouvement à ses tout débuts. Sur le terrain électoral, « Nouveau Forum » et quelques autres représentent quelque 5 % des voix, comme les écologistes-alternatifs dans l'ancienne RFA.

Les tentatives de rénovation de façade opérées par l'ex-parti au pouvoir en RDA, l'ancien parti communiste SED, devenu pour se plier à l'air du temps Parti de la Démocratie Socialiste (l'étiquette Social-Démocrate étant déjà prise par ailleurs) n'ont évidemment pas de quoi tromper les travailleurs qui ont subi son pouvoir sans partage depuis 40 ans. L'alliance électorale qu'il entend réaliser avec le petit parti communiste de l'ancienne Allemagne de l'Ouest, ou quelques militants se réclamant de l'écologie ou de l'extrême gauche, n'est évidemment pas une « alternative de gauche » au Parti Social Démocrate (SPD) qui puisse même seulement permettre à la classe ouvrière d'exprimer sa défiance vis à vis des politiciens bourgeois, CDU ou SPD, qui briguent ses suffrages.

Le bilan aujourd'hui pour les travailleurs n'est pas mesurable. Rien de ce qui s'est passé n'est leur propre bilan. Les travailleurs en tant que tels, en tant que classe qui aurait eu conscience de la spécificité de ses intérêts et de son rôle, ne sont pas intervenus. La classe ouvrière n'a exercé aucune pression propre, autonome. L'évolution s'est faite sans elle. Elle n'a eu qu'un rôle passif de masse satisfaite de l'aubaine de voir s'ouvrir les frontières et arriver en RDA la monnaie et les marchandises occidentales. Même aujourd'hui où le régime démocratique à l'occidentale serait propice à la floraison de formes d'organisation de classe, de type syndical ou politique, rien ne surgit d'en bas, autant évidemment qu'on puisse en juger, et la vie politique reste monopolisée par les mêmes partis, les mêmes appareils syndicaux que ceux de l'Ouest.

L'Allemagne capitaliste est peut-être à la veille d'un nouveau miracle économique. Ou plus exactement d'un prétendu miracle, qui est seulement celui de la transformation bien connue dans le système d'exploitation capitaliste, de la force de travail du plus grand nombre en surprofits pour quelques-uns. Ce miracle en grand a déjà eu lieu dans l'Allemagne d'après-guerre, dans les années 1945-50, où le capital allemand a trouvé à sa disposition quelques vingt millions de prolétaires sans feu ni lieu taillables et corvéables à merci. Aujourd'hui, il a à nouveau à sa disposition quelques millions d'une main d'oeuvre à bon marché.

La classe ouvrière allemande peut être bouleversée et régénérée par un tel brassage. Mais elle va avoir à se défendre.

La classe ouvrière de la partie Est de l'Allemagne va avoir à se défendre contre la rapacité du capital ainsi probablement que contre ses propres illusions dans ce système. L'apprentissage peut venir vite. La classe ouvrière d'Allemagne de l'Est est cultivée, avertie. Elle a déjà mené quelques luttes. Quelques grèves. Elle peut se rebiffer - et le fera probablement - contre l'inégalité des salaires entre régions de la même Allemagne si cette inégalité demeure. Elle peut refuser d'être payée moins sous prétexte que la prétendue plus grande vétusté que la moyenne en Allemagne de l'Ouest des infrastructures industrielles la rendrait moins productive. Elle peut apprendre elle aussi à marchander, négocier la réunification au prix fort, et assimiler vite, pour s'en servir, une des lois de la société capitaliste, à savoir qu'on ne peut se faire entendre que par la lutte et l'instauration d'un certain rapport de forces sociales.

La classe ouvrière de la partie Ouest a elle aussi du pain nouveau sur la planche. Elle est aujourd'hui confrontée à un considérable grossissement de ses rangs, avec l'afflux de ceux qui viennent de l'Est. Elle aura à lutter entre autres contre ses propres préjugés, contre tout ce qui peut diviser les travailleurs entre eux.

Maintenant que l'Allemagne capitaliste est réunifiée, la bourgeoisie renoue, et vite, son tissu de complicités mais aussi de concurrences à l'échelle du nouveau territoire. La classe ouvrière, de son côté, parce qu'elle n'est forte que lorsqu'elle sait s'unir, et parce que les siens n'ont pas entre eux d'intérêts fondamentaux divergents, pourrait utiliser la réunification pour en faire un champ plus vaste et plus favorable à ses luttes.

21 octobre 1990

 

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