Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - L'ordre mondial01/11/19911991Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1991/11/43.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - L'ordre mondial

 

Les hommes politiques qui ont besoin de slogans rejoignent les journalistes qui ont besoin de gros titres et des expressions comme « nouvel ordre mondial », que nous reprenons dans un autre texte pour la commodité du discours mais à laquelle nous mettons des guillemets, sont de cette nature. C'est-à-dire que plus elles sont vides, plus elles font de bruit. Il n'y a pas aujourd'hui de nouvel ordre mondial, même si l'URSS venait à disparaître.

Il y a, comme depuis le début du siècle, un ordre impérialiste mondial. Cet ordre impérialiste mondial s'est globalement maintenu, au travers de vicissitudes diverses.

Avant la Première Guerre mondiale, la plus grande puissance politique garante de l'ordre impérialiste mondial était l'Angleterre, même si, sur le plan économique, elle était déjà dépassée par les USA. La fin de la Première Guerre mondiale a marqué son déclin au profit des USA, situation qui n'a pas cessé depuis.

Cet ordre a été menacé à plusieurs reprises, et en particulier dans les dix années qui ont suivi la révolution russe. Mais dès 1924, la dégénérescence due à l'isolement de l'État ouvrier porteur de la révolution est devenue un facteur de stabilisation de l'ordre impérialiste mondial.

On ne peut dire si la révolution chinoise, en 1925-27, se serait transformée en révolution prolétarienne sans l'intervention de la bureaucratie soviétique, mais nous savons ce qu'il est advenu du Parti Communiste chinois en 1927 et des prolétaires qui lui faisaient confiance, à cause de la politique des dirigeants du Komintern.

On ne peut savoir ce qui serait advenu de l'Allemagne des années 1930 si le Komintern n'avait pas eu la politique criminelle qu'il a imposée au Parti Communiste allemand. Mais nous savons en tout cas ce que cette politique a donné, et pour l'Allemagne et, quelques années plus tard, pour le reste de l'Europe.

Nous ne savons pas si l'insurrection prolétarienne en Espagne en 1936 aurait débouché sur une véritable révolution sociale, mais l'on sait que la politique de Staline a favorisé la victoire de Franco.

Nous ne pouvons avoir la prétention de dire que les grèves de Juin 1936 en France auraient pris un caractère suffisamment politique, malgré le contexte international (c'est un ensemble où il aurait fallu une autre évolution, au moins en Espagne sinon en Allemagne) mais nous savons comment Thorez, aux ordres de Staline, a fait tout rentrer dans l'ordre et lié les mains de la classe ouvrière française juste avant la guerre.

En 1943-44-45, lorsqu'en Europe il n'y avait pratiquement plus, à certains moments, dans les pays ex-alliés ou occupés par l'Allemagne, d'appareil d'État, on ne peut savoir si la situation pouvait être grosse de révolutions sociales, mais on sait comment Staline a aidé l'impérialisme pour que cela ne se produise pas.

Dans l'après-guerre, grosse des révolutions coloniales, l'Union Soviétique a laissé l'initiative aux forces nationalistes. Le Parti Communiste chinois de Mao a même fourni un modèle de cadre organisationnel permettant d'empêcher le prolétariat de s'exprimer indépendamment et de représenter un danger pour la petite bourgeoisie nationaliste.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'URSS participe à l'ordre impérialiste mondial et, du vivant de Trotsky, elle a joué ce rôle d'une façon au moins aussi importante que par la suite.

Les années où cela a été déterminant, sont les années 1924 à 1933 (peut-être encore 1936), car une issue révolutionnaire aux crises qui se sont produites aurait d'une part porté un coup mortel à l'impérialisme affaibli par la crise de 1929, et d'autre part redonné vie à la révolution en URSS.

Lors de la Deuxième Guerre mondiale et à sa suite, la politique des dirigeants de l'URSS a été une des composantes de l'ordre impérialiste mondial. Le « nouvel ordre » de 1945 a été celui de Yalta, mais il a été remis en question par les révolutions coloniales qui ont commencé par l'indépendance des Indes en 1946, puis par la révolution chinoise de 1946 à 1949, avant quelques autres.

En fait, si l'on peut parler de modification de l'ordre impérialiste mondial, ce sont les révolutions coloniales qui l'ont amenée. En effet, du point de vue impérialiste, depuis la fin de ces luttes d'indépendance et d'émancipation du joug direct des puissances impérialistes colonisatrices ou protectrices, nous vivons dans une situation différente de celle qui a mené aux deux guerres impérialistes mondiales.

La guerre de 1914-18, puis celle de 1939-45, ont eu les mêmes causes fondamentales, à savoir que l'Allemagne, grande puissance industrielle européenne venue tard dans la course aux colonies, n'avait pas d'empire colonial comparable à ceux de l'Angleterre ou de la France. Même des petits pays comme la Hollande, la Belgique ou le Portugal, avaient autant de territoires coloniaux que l'Allemagne, sinon plus. L'industrie allemande, privée des chasses gardées que conféraient ces grands empires, n'avait pas d'accès direct à nombre de matières premières, n'avait pas de marchés protégés pour son industrie où le nombre d'habitants supplée à la faiblesse de leur pouvoir d'achat, elle n'avait pas non plus de sources de main-d'oeuvre à bon marché. Ce privilège d'ailleurs se retournait contre la France et l'Angleterre dont les industries vieillissaient, protégées qu'elles étaient par leur empire. La Première Guerre mondiale a été déclenchée par l'Allemagne pour remettre en cause cet état de choses. Les États-Unis d'ailleurs n'y voyaient pas d'inconvénient absolu car eux, en tant que grande puissance, étaient pour « la liberté des mers » et « la liberté du commerce », un peu comme l'Angleterre de la période précédente et pour les mêmes raisons était libre-échangiste (sauf dans ses colonies).

L'Allemagne n'a pas réussi puisque, à cause de l'intervention des USA du côté des plus faibles, elle perdit la guerre, ce qui consacrait en même temps l'hégémonie politique des USA sur l'ensemble des puissances impérialistes.

Cette défaite ne changea rien à sa situation et elle impliquait qu'à un moment ou à un autre l'impérialisme allemand tente de remettre en question l'ordre impérialiste mondial issu des traités de Versailles, de le remettre en question en Europe et de le remettre en question dans le monde, en tentant d'imposer par la force un nouveau partage des chasses gardées coloniales. Malgré sa puissance, l'Allemagne d'Hitler n'y réussit pas plus que celle du kaiser.

Le Japon qui, cette fois, avait choisi le mauvais camp, ou plus exactement qui, lors de la Première Guerre, avait choisi le camp des alliés et s'était vu ainsi attribuer les quelques colonies allemandes du Pacifique, avait dû se retourner en 1941 contre les USA dont il était déjà un concurrent économique direct et important. Son industrie avait prospéré, mais l'impérialisme japonais étouffait sur son île, coupé de sources de matières premières et surtout de pétrole. Il avait tenté la conquête de la Mandchourie industrialisée et de la Chine, mais cela n'avait pas suffi à désenclaver sa puissance industrielle. Il fut donc parmi les vaincus.

Ce que changea la révolution coloniale d'après-guerre, c'est qu'en une quinzaine d'années elle fit voler en éclats toutes les anciennes chasses gardées, tous les ex-empires coloniaux, tous les protectorats, tous les dominions, toutes ces unités économiques où quelques grandes puissances impérialistes se taillaient, au détriment des autres, des monopoles et la part du lion.

En accédant à l'indépendance, les pays ex-dominés rejoignirent à peu près librement ce qu'on appelle aujourd'hui le marché mondial. Là non plus, ce n'était pas pour déplaire aux USA, puissance non-coloniale si l'on excepte les rapports qu'ils entretenaient depuis Monroe avec des pays d'Amérique latine.

En tant que puissance économique majeure, ils étaient servis par la décolonisation qui créait un marché mondial unique des matières premières minérales ou agricoles, et un libre échange, à l'échelle de la planète, avec une libre pénétration des marchandises sur tous les marchés, sauf les barrières que pouvait tenter d'élever tel ou tel pays qui essayait de développer une économie tant soit peu indépendante.

Cette mondialisation de l'économie des ex-colonies n'était limitée que par l'emprise de quelques trusts et monopoles, mais qui ont vu rapidement réduire leur influence après les indépendances, ne serait-ce que par des nationalisations ou des expropriations, qui, comme l'indépendance politique, n'ont pas toujours abouti sans luttes.

Or, les principaux bénéficiaires impérialistes de cette nouvelle situation n'ont pas été que les USA. En effet, l'Allemagne, qui s'était battue deux fois, et le Japon une fois, dans des guerres totales, pour tenter de desserrer le carcan qui étouffait leur puissance industrielle, se sont vus comblés par cette nouvelle situation, sans avoir à se battre, sans se lancer dans une Troisième Guerre mondiale qu'ils n'étaient d'ailleurs plus en situation de mener.

Les ex-colonies, les ex-chasses gardées s'ouvraient devant leurs produits manufacturés, éventuellement leurs capitaux, et ils avaient le même accès que les autres aux matières premières, c'est-à-dire qu'ils pouvaient éventuellement surenchérir pour les acquérir, la guerre économique se livrant sur le terrain de la productivité des industries.

Evidemment, le marché mondial n'est pas entièrement libre, il est quelque peu réglementé. Différents organismes, tels l'OPEP et d'autres, interviennent pour peser sur le prix des matières premières, répartir les achats, éviter la concurrence anarchique à laquelle pourraient se livrer les grandes puissances impérialistes au niveau des matières premières. Mais ces organismes sont principalement placés sous le contrôle des USA, la France et l'Angleterre faisant définitivement figure de comparses.

Cette situation a cependant permis le développement économique considérable de la première puissance industrielle européenne qu'était l'Allemagne et de la seule puissance industrielle asiatique qu'était le Japon. Ils sont l'un et l'autre encore loin derrière les États-Unis, lesquels, indépendamment de leur puissance économique, conservent l'hégémonie politique, militaire, économique et réglementaire sur l'ensemble du monde, impérialistes compris.

On ne peut guère savoir comment cette situation évoluera et si elle peut aboutir à une nouvelle guerre mondiale. Tout ce qu'on peut dire, c'est que si les États-Unis étaient acculés, par quelque processus que ce soit, à s'engager intégralement et de toutes leurs forces dans un conflit avec quiconque, ils feraient en sorte de ne laisser aucune puissance, tant soit peu importante, à l'écart d'un tel conflit, soit dans leur camp soit dans celui d'en face, car ils ne pourraient tolérer de s'affaiblir pendant que les autres s'enrichissent en paix.

Eux-mêmes ont trop joué ce rôle de spectateurs au début des deux premières guerres mondiales pour permettre à quiconque de leur rejouer la même musique. De plus ils ont vécu, en petit, cette expérience lors de la guerre du Vietnam et ils n'auraient certainement pas tendance à la recommencer.

11 novembre 1991

 

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