Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Les relations Est-Ouest et leurs conséquences01/10/19901990Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1990/11/35.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Les relations Est-Ouest et leurs conséquences

Pour tout le monde, à l'Ouest comme à l'Est, l'année écoulée aura confirmé que la guerre froide est définitivement terminée. La détente, instaurée avec l'arrivée de Gorbatchev au pouvoir, est devenue rapprochement, qui s'est transformé en coopération, sans doute loin d'être toujours franche et loyale, mais coopération incontestablement tout de même. Il ne se passe pas de mois sans que les deux responsables de la politique étrangère des États-Unis et de l'URSS ne se consultent, souvent à plusieurs reprises. Et à lire ou entendre les médias, Chevarnadzé-Baker mériteraient incontestablement le titre de couple de l'année. En dix mois, depuis leur rencontre à Malte, en décembre 1989, il n'y a pas eu moins de trois rencontres au sommet, entre Gorbatchev et Bush.

Pour arriver à cela, c'est l'URSS qui a fait non seulement les premiers mais pratiquement tous les pas. Le monde impérialiste, sous la direction des États-Unis, s'est contenté de répondre aux avances des dirigeants soviétiques, et souvent d'ailleurs, plus par de bonnes paroles que par des gestes concrets. Il est vrai que, souvent aussi, ce qui devrait passer pour un geste d'apaisement de la part des Soviétiques a des raisons tellement évidentes que le camp d'en face, sûr de l'obtenir de toute manière, n'a aucune raison de faire la moindre concession. Que ce soit le retrait des troupes d'Afghanistan, il y a deux ans, ou maintenant des pays d'Europe de l'Est, il se fait trop sous l'empire de la nécessité pour être négocié en bonne position avec les Occidentaux.

En matière d'armement, les discussions et négociations ont continué tous azimuts, et pas seulement à Genève ou à Vienne, où elles se poursuivent depuis des années sinon des décennies. Durant l'année écoulée, plusieurs accords de principe ont été conclus : accord pour la réduction des forces américaines et soviétiques stationnées en Europe, par exemple, ou encore accord sur la limitation des essais nucléaires.

En fait, au-delà des flots de démonstrations de bonne volonté, les résultats concrets restent limités. Généralement ces accords n'ont fait qu'entériner des réductions d'armements ou des renoncements à la mise en chantier de nouveaux armements, qui de toute manière auraient été décidés, qu'il y ait accord ou pas. Ce désarmement tout relatif était inscrit dans les faits, soit parce que cet armement est démodé soit parce qu'il ne correspond plus à la nouvelle situation, soit parce que la course aux armements, coûtant de plus en plus cher, a tout de même une limite, en tout cas en temps de paix, y compris pour les super-puissances que sont l'URSS et les États-Unis. Ainsi, par exemple, les États-Unis ont renoncé à moderniser les missiles à courte portée et l'artillerie nucléaire de l'OTAN en Europe. Cette renonciation devrait aboutir, paraît-il, à leur disparition prochaine, mais le retrait, inévitable à brève ou moyenne échéance, des forces soviétiques de l'Europe de l'Est, rend ces armes beaucoup moins utiles de toute manière.

Tout s'est passé comme si l'URSS, dont l'économie déjà mal en point était écrasée sous les contraintes du budget militaire, avait momentanément déclaré pouce, et que les États-Unis, moins pressés peut-être, mais tout de même très heureux du prétexte ou de l'occasion que leur donne l'URSS, avaient sauté dessus pour calmer un jeu dans lequel ils s'essoufflaient aussi. Mais cela, au mieux, gèle la situation où elle en est actuellement. Les stocks d'armes sont de toute manière si importants que ces réductions ne changent rien ni aux possibilités d'une guerre planétaire, ni au rapport des forces. Et les recherches en matière d'armement, chimique, nucléaire, balistique, se poursuivent, en particulier aux États-Unis, ce qui montre bien qu'ils n'écartent nullement l'éventualité de la guerre.

Devant les difficultés qui semblent aller croissant pour les dirigeants actuels de l'Union Soviétique, l'appui politique du monde impérialiste à Gorbatchev a semblé aller lui aussi croissant. L'attribution du prix Nobel au président de l'URSS en est le dernier et spectaculaire symbole.

Plus concrètement, cela s'est marqué, il y a quelques mois, par les conseils ouverts et publics aux gouvernements baltes, qui parlaient de sécession et d'indépendance, de rechercher l'entente avec Moscou plutôt que la confrontation. Et le refus de l'Occident de leur apporter l'aide financière qu'ils demandaient a transformé ces conseils en quasi injonction.

Il est vrai que ce refus d'apporter un soutien financier aux Baltes n'a probablement pas pour seule raison le désir de complaire à Gorbatchev et de ne pas accroître ses difficultés. D'une manière générale les gouvernements occidentaux, comme les capitalistes eux-mêmes, font preuve d'une extrême prudence dans les engagements financiers qu'ils pourraient prendre aussi bien vis-à-vis de l'URSS que des Démocraties Populaires. Le monde impérialiste s'interroge toujours sur l'avenir de ces pays, craint là-bas l'instauration d'un état d'anarchie durable, est rien moins que sûr des possibilités d'y investir et d'en tirer des profits qui vaillent d'en prendre le risque.

Du coup, malgré leur désir d'aider Gorbatchev à maîtriser la situation et à éviter d'aller vers une pagaille dont ils redoutent les conséquences pour le monde entier, ils n'ont pas voulu ou pas pu, jusqu'ici, apporter à l'URSS les aides financières que ses dirigeants réclament pourtant à cor et à cri. L'initiative de la création de la BERD, qui s'est voulue spectaculaire, et publicitaire pour certains gouvernements européens, français en particulier, mais dont l'efficacité reste pour l'instant à vérifier, n'a pas changé cette situation. Ces réticences aussi bien des États, les États-Unis en tête, que des organismes financiers internationaux, que des capitalistes privés limitent évidemment l'aide que le monde impérialiste apporte à Gorbatchev.

Le rapprochement entre les États-Unis et l'URSS s'est traduit dès le début par une coopération dans le but de trouver une solution aux multiples conflits locaux et régionaux qui existaient à travers le monde. Depuis l'Afghanistan - dont l'armée russe s'est retirée en même temps que les États-Unis réduisaient leur aide aux guérillas - jusqu'au sud de l'Afrique - accession de la Namibie à l'indépendance, retrait des troupes cubaines de l'Angola, négociations entamées entre le gouvernement sud-africain et l'ANC - en passant par le Nicaragua - suppression de l'aide américaine à la Contra, élections et passage sans résistance des sandinistes du pouvoir dans l'opposition - les États-Unis et l'URSS ont travaillé de concert, ouvertement ou en sous-main, pour trouver des solutions aux conflits. Ils ont en tout cas fait pression ensemble pour que les parties en présence aillent vers un accord.

Cette coopération pour faire régner l'ordre dans le monde s'est poursuivie de plus belle cette année. L'illustration la plus récente, mais aussi la plus éclatante en est, évidemment, l'affaire du Golfe. En votant toutes les condamnations de l'Irak à l'ONU, en désavouant ainsi son allié, en acceptant de donner solennellement son appui aux États-Unis dans un sommet Bush-Gorbatchev, afin que le monde entier n'ait pas le moindre doute sur la réalité de l'entente, l'URSS a d'abord réaffirmé que la base de sa politique aujourd'hui c'est la coopération pleine et entière avec l'impérialisme.

Concrètement, bien entendu, cette allégeance ouverte de l'URSS à l'ordre impérialiste, accentuée par le fait que les difficultés politiques à l'intérieur de ses frontières suffisent amplement à l'occuper, aboutit à laisser les mains plus libres aux États-Unis, comme aux puissances impérialistes secondaires.

Aujourd'hui, les États-Unis peuvent envisager une intervention militaire pour défendre leurs intérêts dans le monde, sans que se dessine immédiatement un nouveau point de friction avec l'autre super-puissance ou, plus exactement, sans craindre de la trouver en face, appuyant en sous-main les récalcitrants ou les opposants que visent cette intervention. Le principe, appliqué pendant plusieurs décennies, que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », et qui amena sinon à créer des foyers de tension dans le monde, du moins à mettre de l'huile sur bon nombre d'entre eux, n'a plus cours.

Ainsi c'est d'un coeur plus léger que les États-Unis ont pu décider d'intervenir militairement à Panama, pour mettre à la raison un de leurs propres mercenaires, mais qui faisait sa mauvaise tête. Le déploiement de centaines de milliers de soldats américains en Arabie est la dernière, mais non la moindre illustration de cette atmosphère. De même, ces derniers mois, un certain nombre d'interventions mineures par le nombre de soldats employés, américaine au Libéria, française au Gabon et franco-belge au Ruanda. De telles interventions ne sont certes pas nouvelles, et les impérialistes se sont toujours réservé le droit de maintenir leur ordre par la force militaire, quand ils en avaient les moyens, même quand l'URSS ne les soutenait pas. Qu'elle leur donne sa bénédiction pour ce faire, aujourd'hui, ne peut évidemment que leur faciliter la tâche.

Si la nouvelle sainte alliance russo-américaine a éliminé certains foyers de tensions, et mis sur la voie de la solution un certain nombre de conflits, elle est cependant loin d'être parvenue à pacifier le monde. Certains conflits continuent sans que l'on ait le moins du monde avancé vers une solution, en Palestine ou au Liban par exemple. D'autres, nouveaux, ont éclaté, pas seulement celui autour du Koweit, mais aussi en divers points de l'Afrique. Et, ici ou là, des tensions anciennes menacent de nouveau, entre l'Inde ou le Pakistan, par exemple.

C'est que la raison fondamentale des innombrables conflits et tensions à travers le monde n'était pas l'opposition entre les États-Unis et l'URSS, même au beau temps de celle-ci. La guerre froide faisait, certes, que le moindre conflit local pouvait aboutir à une confrontation, indirecte, entre l'URSS et les États-Unis. Soit le soutien de l'une ou de l'autre de ces deux grandes puissances à une partie amenait la seconde à soutenir la partie adverse, soit au contraire l'une des parties faisait appel à l'une ou l'autre, assurée que la compétition entre elles les amenait inéluctablement à essayer de prendre des positions dans le simple but de ne pas laisser l'autre s'en emparer. C'est ainsi que d'innombrables mouvements ou gouvernements nationalistes ont pu trouver un soutien, petit ou grand, généralement du côté de l'URSS, car leur premier ennemi était d'abord les États-Unis, la France ou l'Angleterre, mais parfois aussi du côté des États-Unis : la guérilla afghane en est un exemple.

Ce jeu-là qui a marqué, pendant trois ou quatre décennies, les relations internationales, n'a plus cours pour le moment. Cela limitera peut-être les possibilités de mouvements ou de gouvernements nationalistes.

D'un autre côté, paradoxalement, cela peut offrir, à certains, davantage de liberté pour remettre en cause la situation établie. Aujourd'hui, en effet, la remise en cause d'une situation locale peut apparaître pour ce qu'elle est, et sans autre enjeu. Elle ne devrait plus inquiéter forcément l'un ou l'autre des deux grands. C'est peut-être le calcul que fit Saddam Hussein en s'emparant du Koweit. Et c'est sans doute aussi la volonté de marquer que ce n'était pas parce qu'il n'y avait plus de guerre froide, que n'importe qui pourrait se permettre de remettre en question frontières, États ou situations acquises, qui fit réagir aussi spectaculairement les États-Unis.

Le monde débarrassé, pour le moment, par réddition de l'URSS, de l'antagonisme URSS-États-Unis, n'est pas débarrassé pour autant de toute possibilité de conflits à l'avenir entre ces deux puissances. Il n'est pas débarrassé non plus pour cela des contradictions de toutes sortes créées par le capitalisme et l'impérialisme. Au contraire même, d'une certaine façon, elles devraient apparaître plus directement, sans être masquées en tout ou partie par l'opposition des deux super-puissances.

Il est de bon ton, parmi « l'establishment politique » international, de s'interroger si l'opposition Est-Ouest disparue ne va pas faire place à celle Nord-Sud. Ces formulations géographiques ont pour but de masquer l'opposition des riches contre les pauvres du monde, et fondamentalement du prolétariat contre la bourgeoisie de la planète.

Et c'est effectivement cette opposition fondamentale, irréductible, qui prépare inéluctablement de nouveaux conflits, de nouveaux foyers de tensions, et, nous l'espérons, de nouvelles révolutions à travers le monde. Gorbatchev et Bush peuvent bien s'entendre, ils n'y peuvent rien.

Pour les révolutionnaires communistes, il n'est pas question de déplorer ces conflits au nom du pacifisme, mais d'abord de savoir choisir son camp, et ensuite, même si nos faibles forces actuelles ne semblent pas mettre ce problème à l'ordre du jour, de savoir comment, éventuellement, les utiliser pour qu'ils prennent la voie de la révolution prolétarienne consciente.

21 octobre 1990

Partager