Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale : La crise de l'économie01/12/19891989Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1989/12/28.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale : La crise de l'économie

Etant donné la durée exceptionnellement longue d'une situation économique marquée par l'instabilité, par la persistance d'un chômage massif, par des soubresauts monétaires et par des krachs boursiers répétés, ainsi que par l'alternance dans la production de périodes de croissance et de stagnation, s'agit-il encore d'une des crises périodiques de l'économie capitaliste ou de son mode de fonctionnement normal pour une longue période ? Parler de la « poursuite de la reprise » pour cette année, comme le font ceux des commentateurs bourgeois qui donnent dans l'optimisme, n'a de signification que si l'on adopte la deuxième perspective.

La production est certes restée, l'an passé, globalement en augmentation pour la cinquième, voire, suivant le pays, pour la sixième année consécutive. Mais c'est une croissance modérée, dont le taux est inférieur au taux moyen des années d'avant le début de la crise. Dans le cas de la France par exemple, le taux de croissance de 3,4 % du produit intérieur brut en 1988 (et de 3 % estimé pour 1989), pour autant qu'on lui attribue une signification, est à comparer avec le taux de 5 %, moyenne annuelle de la période 1948 - 1973. C'est évidemment mieux que la stagnation, voire pour plusieurs grands pays comme les États-Unis, le franc recul du produit intérieur brut des années 1981 et 1982. Mais il n'y a lieu de parler de « reprise » que dans le cadre d'une alternance de hauts et de bas à l'intérieur d'une croissance globalement faible ou stagnante. Aucun organisme économique ne donne cher d'ailleurs de la prolongation même de cette « reprise » -là l'an prochain - mais il est vrai que leurs prévisions en la matière ont à peu près la rigueur des pronostics de Madame Soleil.

La croissance limitée de la production de cette année fait cependant couler beaucoup d'encre car elle semble être due en grande partie à une certaine reprise des investissements productifs. C'est principalement l'accroissement de la production de machines et de matériels d'équipement qui a alimenté tous les commentaires en rose sur la sortie de la crise.

Après avoir repoussé pendant plusieurs années les investissements nouveaux aux calendes grecques, préférant faire du profit sur de vieilles machines, un nombre un peu plus grand de capitalistes semblent avoir fait le choix d'investir dans du matériel nouveau. Mais les spécialistes du Fonds Monétaire International, devenu une sorte de super-police économique internationale, semblent considérer que cette tendance est plus due à la nécessité de remplacer des équipements devenus vraiment par trop obsolètes qu'à la perspective d'une nouvelle période d'élargissement du marché.

Par ailleurs, le fait que les investissements soient de nouveau en croissance ne signifie nullement que leur niveau atteigne celui d'avant la crise. Dans le cas de la France par exemple - comme le fait remarquer un récent article du Monde - malgré l'accroissement des investissements cette année comme l'an passé, « les investissements en volume de l'industrie retrouvaient à peine en 1988 le niveau de 1980 » ; et le taux d'investissement - la fraction de la valeur ajoutée consacrée aux investissements - reste « 3,5 points de moins que la moyenne observée avant le premier choc pétrolier ».

Les gouvernements comme les patronats continuent dans tous les pays à utiliser ce constat pour peser sur les salaires afin, disent-ils, que les investissements retrouvent un peu partout leur niveau d'avant la crise. Argumentation d'autant plus cynique que l'évolution des profits des grandes entreprises est en permanence en hausse depuis 1983 ou 1984, grâce précisément à la diminution de la part des salaires.

Les profits élevés continuent pour une large part à être canalisés vers les circuits financiers. La rentabilité retrouvée des entreprises alimente la convoitise des groupes financiers qui se livrent à des batailles acharnées pour acquérir des conglomérats entiers d'entreprises. Les Offres Publiques d'Achat (OPA) ne sont qu'une des formes les plus spectaculaires de ces opérations qui sont en général purement financières ou spéculatives. Même lorsque ces opérations conduisent à une concentration plus grande de capitaux, il s'agit de concentration financière et nullement de rationalisation de la production. Bien souvent, cependant, l'acquéreur se dépêche de dépecer le conglomérat acquis afin de rentrer au plus vite dans ses frais et réaliser un profit financier confortable au passage.

La multiplication de ces opérations qui mobilisent chaque fois des sommes fantastiques fait que, paradoxalement, alors qu'il y a déjà trop de monnaies, trop de crédit en circulation, l'argent manque. Alors, on en crée, encore et encore, sous forme de crédits de plus en plus douteux, comme ces fameux « junk bonds », ces obligations à haut risque, abondamment cités lors du dernier en date des krachs boursiers. La multiplication de ces formes de crédit s'ajoutant à l'abondance des monnaies, officielles ou officieuses (style euro-dollars), continue à faire peser sur le monde financier et bancaire une instabilité permanente.

Une coopération relativement étroite entre les grands États impérialistes et leurs banques centrales a, jusqu'à présent, toujours réussi à éviter la catastrophe d'un effondrement bancaire du genre de celui de 1929. Mais leur seul moyen d'intervention est, à chaque krach, de venir en aide au marché en achetant eux-mêmes pour soutenir les cours, ce qui vient avantageusement en aide aux banques en difficulté. Mais ces interventions elles-mêmes requièrent de la part des États des fonds importants, qu'ils se procurent soit en empruntant sur le marché financier international, soit en fabriquant de la monnaie supplémentaire. Il est significatif que le FMI par exemple, pour pouvoir intervenir plus vite, fait sans cesse augmenter la quote-part de ses membres les plus riches, et que ces membres, les États-Unis en premier lieu, règlent leur quote-part... en empruntant, c'est-à-dire en créant encore du crédit.

Il résulte de tout cela que, malgré l'abondance d'argent, les taux d'intérêts - c'est-à-dire le prix du crédit - restent élevés. Cela n'incite évidemment pas les capitalistes qui voudraient réellement investir dans la production à emprunter, sauf pour des investissements à la rentabilité immédiate et élevée (d'où le rachat d'entreprises). Cela continue en revanche à inciter ceux qui ont des fonds en abondance à les prêter sur le marché financier. Une des conséquences habituelles des crises cycliques de l'économie capitaliste était d'abaisser, à un moment ou à un autre, le taux d'intérêt, permettant ainsi aux capitalistes ayant survécu à la crise de retrouver de l'argent « bon marché », pour pouvoir réamorcer, le moment venu, les investissements. Une des caractéristiques de la crise présente, précisément en raison de la propension de tous les États - et derrière eux, des États-Unis, du FMI, de la Banque Mondiale, etc. - à intervenir à chaque menace de baisse de la production, comme à chaque krach, avec de l'argent et du crédit, c'est que l'argent est canalisé vers la finance, vers la spéculation, au détriment de la production.

La crise, malgré son caractère limité, a cependant joué son rôle traditionnel en pesant sur les salaires. L'abaissement des salaires - directement ou indirectement par le remplacement de certains emplois par d'autres, moins payés, ou encore, par le biais de l'inflation - est un fait général à tous les pays. Il revêt un caractère dramatique pour les travailleurs dans les pays à forte inflation comme l'Argentine ou la Yougoslavie.

Les laudateurs de l'économie libérale citent, à travers l'exemple des États-Unis ou de l'Angleterre - où le chômage a baissé dans des proportions notables - « l'efficacité » de cette politique de bas salaires comme moyen de créer des emplois. Outre le fait que, dans la plupart des pays, les travailleurs ont droit tout à la fois aux bas salaires et au chômage, le cynisme de ce genre d'observation montre à quel point les travailleurs n'ont rien à attendre de la reprise, quel que soit le sens que l'on donne à ce terme.

L'effondrement du coût de la main-d'oeuvre pousse, sans doute, à la création d'un certain type d'emploi. Mais outre l'injustice sociale fondamentale de ce genre de « résorption » du chômage, les emplois créés aux États-Unis ou en Angleterre ne procèdent nullement d'un redémarrage de la production industrielle. Il s'agit rarement d'emplois industriels supplémentaires, mais de « petits boulots » mal payés, le plus souvent dans le tertiaire ou dans des domaines marginaux où la main-d'oeuvre à bon marché a permis de faire survivre des petites entreprises déficitaires qui, autrement, n'auraient pas été rentables.

La diminution du chômage elle-même n'augmente dans ces conditions pratiquement pas la masse salariale distribuée, et en conséquence, n'élargit guère le marché de la consommation.

Ceux des membres de la bureaucratie russe qui prétendent que le retour au marché mondial apporterait plus de prospérité à la population soviétique sont d'autant plus cyniques qu'ils savent bien ce que cela signifierait pour les masses y compris dans le domaine des libertés qui ne pourraient être, si cela se posait, que très surveillées.

La crise, même si dans sa phase actuelle elle s'accommode d'un certain accroissement de la production et d'une certaine forme de diminution du chômage, représente toujours un immense gâchis économique, social, humain. Dans l'ensemble des pays riches, le nombre de chômeurs continue à avoisiner les 30 millions. Les pays de l'Est, après avoir longtemps choisi de répartir le travail en payant très mal les ouvriers, sont en passe de se reconvertir aux « vertus » du chômage ouvert. Les pays pauvres continuent à être étranglés et leurs classes exploitées crèvent dans la misère, alors que les capacités de production des pays riches - à commencer par leurs travailleurs - restent insuffisamment employées. Les spéculations sur l'éventualité d'une sortie réelle de la crise sont dans ces conditions tout à fait dérisoires. Même les plus optimistes des économistes bourgeois n'envisagent ni la résorption du chômage ni le retour à une croissance soutenue de l'économie, si tant est que cela ait jamais existé. L'économie basée sur le profit individuel ne promet rien de bon pour les années à venir. Le seul problème véritable qui se pose est de savoir quand le prolétariat sera à même non seulement de se défendre et d'arrêter la dégradation de ses conditions d'existence, mais de postuler à la direction de la société, afin de remplacer un ordre économique aberrant et coûteux pour la société par une économie rationnelle, visant la satisfaction des besoins de tous plutôt que l'augmentation du profit de quelques-uns.

23 octobre 89

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