Hongrie - Le passage précipité à l'Ouest01/10/19891989Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1989/10/27.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Hongrie - Le passage précipité à l'Ouest

Voilà donc, en l'espace de quelques semaines, la Hongrie transformée de « république socialiste et populaire » en république tout court ; le parti stalinien au pouvoir changé en parti socialiste avec des chefs qui proclament que « le communisme n'est plus à l'ordre du jour » , mais qu'en revanche la Constitution devra s'inspirer des « valeurs de la démocratie bourgeoise et du socialisme démocratique » .

Le régime n'ayant été ni socialiste ni populaire auparavant, il n'y a pas eu grand-monde pour pleurer le changement de nom. Pas d'émotion particulière non plus dans la concentration ouvrière de Csepel à l'annonce que le parti au pouvoir depuis quarante ans ne portera plus dans son nom le qualificatif « ouvrier »... Mais ces gestes symboliques concluent une année où l'évolution de la Hongrie dans le sens de la réintégration à l'Occident s'est accélérée de façon spectaculaire.

Ce n'est pas, comme en Pologne, une formation d'opposition dans le genre de Solidarité qui est l'artisan de cette accélération des réformes, touchant la politique comme l'économie, mais le parti au pouvoir lui-même. Durant les mois écoulés, il a été comme atteint de frénésie pour défaire, d'en haut, ce qui avait été fait également d'en haut il y a quelque quarante ans.

 

Favoriser le fonctionnement capitaliste de l'économie

Sur le plan économique, il n'est plus seulement vaguement question d'un « retour à l'économie de marché ». L'objectif est officiellement de favoriser le fonctionnement capitaliste de l'économie. Tâche délicate, commente un récent article du Monde, qui cite un expert hongrois se plaignant de ce que « si beaucoup a été écrit sur la transition du capitalisme au socialisme, rien n'a été pensé sur l'inverse, le passage du socialisme au capitalisme » . L'ouverture, à la Faculté économique Karl-Marx de Budapest d'un cours de marketing et d'investissements subventionné par la Chambre de commerce des États-Unis répondra sans doute aux préoccupations théoriques de cet expert formé manifestement à une autre époque. Mais la question n'est nullement théorique.

Le passage, non pas du socialisme mais de l'économie très étatisée à une économie favorisant la propriété privée, l'enrichissement privé, le rétablissement de tous les liens avec l'économie occidentale, est largement entamé. Cette économie-là a commencé à se frayer son chemin il y a bien des années déjà sans que cela fût spectaculaire. Les réformes gouvernementales d'aujourd'hui ne font, en partie, que reconnaître et officialiser une évolution déjà engagée. Mais elles donnent en même temps à cette évolution une accélération considérable.

Tous les dogmes économiques du régime né entre 1947 et 1949, façonné alors par la poigne de fer de la bureaucratie soviétique, sont les uns après les autres abandonnés. Ils le sont, à coup sûr, dans les intentions proclamées des dirigeants, mais aussi, et de plus en plus, dans les faits, qu'il s'agisse de la nationalisation, de la planification ou du contrôle du commerce extérieur.

La progression du secteur privé n'est plus seulement le fait de ces dizaines de milliers de petits entrepreneurs qui envahissent, depuis plusieurs années déjà, le commerce, la restauration, l'hôtellerie, la production artisanale. Elle n'est même plus le fait de « l'accumulation primitive » réalisée dans ces secteurs par ces capitalistes privés hongrois qui, désormais, ont le droit d'employer jusqu'à 500 ouvriers (avec cette accumulation-là on n'irait pour l'instant pas bien loin). Elle découle, aussi, de la volonté proclamée du régime, de privatiser de grandes entreprises. « Tout est possible » - a déclaré au Figaro le haut-commissaire à la privatisation (eh oui, il en existe un !) - « vente de grandes entreprises à des firmes de l'ouest, privatisation de plusieurs banques et même de certaines administrations, comme celles des PTT ».

Les entreprises d'État se transforment à tour de bras en sociétés par actions. Juridiquement, elles sont désormais autorisées à vendre ces actions de façon à attirer les capitaux privés. Elles peuvent utiliser toute la panoplie des possibilités des sociétés par actions, comme l'augmentation du capital par exemple, dans le même but. La création d'une Bourse à Budapest n'est plus tout à fait un geste symbolique. Et si elle le demeure, quand même, dans une certaine mesure, c'est en raison de l'insuffisance des capitaux.

C'est évidemment un des grands problèmes du régime. Il ne suffit pas de mettre à l'encan les entreprises. Encore faut-il trouver des acheteurs. Les capitaux hongrois sont faibles. Cela n'est pas dû seulement à ces quarante ans passés où le régime, sous la pression plus ou moins importante de la bureaucratie soviétique, limitait plus ou moins la propriété et le profit privés. La bourgeoisie hongroise a toujours été faible coincée qu'elle fût, pendant toute une période historique, entre une aristocratie foncière écrasante et le capital occidental, essentiellement allemand ou assimilé. Les dirigeants du régime qui proclament leur volonté de mettre un terme à une parenthèse de quarante ans n'ignorent évidemment pas que, même pendant cette brève période pseudo-démocratique de 1945 à 1947 avec laquelle ils veulent renouer, après que l'aristocratie terrienne eut été chassée, et avant que le régime stalinien ne s'installât, l'industrie n'aurait pas pu démarrer sans la nationalisation de la plupart des entreprises.

C'était au lendemain de la guerre - et ils peuvent toujours espérer que la situation est aujourd'hui différente. Depuis, l'exploitation d'une classe ouvrière par deux fois écrasée - une fois lors de l'établissement du régime, une deuxième fois, au lendemain de la révolution de 1956 - a permis une accumulation étatique qui rend sans doute un certain nombre d'entreprises de nouveau rentables du point de vue du fonctionnement capitaliste. Mais combien ? D'après les estimations officielles, près de la moitié des entreprises ne sont pas rentables, malgré les salaires très bas (un ouvrier gagne dans les 600-800 F par mois). Et il s'agit d'estimations officielles.

Alors, privatiser ? Oui, l'intention y est. Mais les capitaux hongrois ne peuvent pas. Les capitaux étrangers le veulent-ils ? Le régime qui, en supprimant à peu près complètement le monopole du commerce extérieur, a voulu évidemment favoriser les quelque 1 500 sociétés hongroises qui commercent désormais directement avec l'étranger, veut également, par cette mesure, attirer les capitaux étrangers. Ceux-là ont désormais l'assurance de pouvoir intégrer une entreprise acquise en Hongrie dans le marché international avec autant de facilités que dans la plupart des pays capitalistes (et avec plus de facilités que dans bien des pays pauvres). Ils ont de surcroît droit à une fiscalité étudiée pour être très attractive.

La presse internationale a beaucoup parlé des premières grandes privatisations, comme celle de la branche matériel électrique de l'entreprise Ganz, acquise à 75% par Schlumberger, ou celle des lampes Tungsram (18 000 salariés) dont 49% des actions ont été vendues à un consortium bancaire auquel participent la BNP et le Crédit Lyonnais. Il y en a d'autres, de moindre taille. Un certain nombre d'entreprises, de la confection notamment, travaillant déjà comme sous-traitants pour des multinationales de l'habillement, ont été rachetées et transformées en filiales. Et la presse hongroise est pleine des démarchages, plus ou moins couronnés de succès, d'un certain nombre d'entreprises pour trouver des actionnaires en Occident.

Ce sont évidemment les entreprises qui marchent bien, et dont certaines - comme Tungsram par exemple - ont déjà des marchés sûrs en Occident, qui attirent les capitaux occidentaux. Bien plus exceptionnels sont les capitaux étrangers qui s'associeraient à des capitaux privés ou étatiques hongrois pour créer des entreprises nouvelles. Le capital occidental n'a certainement aucune raison de se comporter sur ce plan mieux en Hongrie que chez lui.

 

L'accélération

Cette accélération de l'évolution économique, avec ses à-côtés politiques - multipartisme, parlementarisme, distance de plus en plus ouvertement revendiquée à l'égard du Pacte de Varsovie, etc. - est évidemment favorisée par le contexte international, par l'attitude de l'Union soviétique. Cet universitaire cité par Le Figaro affirmant qu'il faut se presser car « dans deux ou trois ans, qui sait ce qui peut se passer à Moscou » éclaire peut-être les motivations immédiates de toute la classe politique hongroise pour accélérer les choses.

Il y a unanimité de toute cette classe politique pour accélérer la transition, sans heurt, sans explosion sociale ou politique. Il est significatif par exemple que le processus soit mené dans la complicité la plus complète entre le parti au pouvoir et la nébuleuse de l'opposition (cette dernière réservant ses attaques les plus violentes à la question de savoir quelle part les futurs partis de l'opposition auront de la propriété immobilière du parti au pouvoir).

Il est tout aussi significatif que, à la direction même du parti au pouvoir, il n'y ait pas eu besoin de « Bonaparte » pour imposer ce qui apparaît tout de même comme un tournant politique. Les débats au sein du parti ont été pratiquement publics, pendant cette année décisive commencée en mai 1988 par l'élimination de fait de Kadar. Les différentes phases de l'évolution se sont incarnées, à la tête du parti, par des dirigeants successifs, interchangeables. Le congrès où le parti s'est transformé en parti socialiste s'est déroulé en présence de journalistes d'une presse qui n'est plus bâillonnée ; il a vu s'affronter des plates-formes différentes dans la plus belle tradition des partis sociaux-démocrates de tout poil, et le vote ne fut pas acquis à l'unanimité.

Cette façon « démocratique » d'accélérer une évolution qui rompt de façon spectaculaire avec la politique de plusieurs décennies reflète un large consensus dans la société.

 

Soutien actif de la classe privilegiée, consensus passif des travailleurs

Les couches privilégiées se sont considérablement étoffées depuis une vingtaine d'années, en nombre sinon en richesse. Elles se sont, aussi, considérablement diversifiées.

Au début des années cinquante, la couche privilégiée était pour ainsi dire exclusivement constituée de la bureaucratie d'État (que l'appareil d'État lui-même, contrôlé par les Soviétiques, ait été par ailleurs de tout temps attiré par l'Occident, est encore un autre problème). C'est la dictature de cette couche privilégiée étatique, apparaissant comme l'instrument de la bureaucratie soviétique, qui suscita contre elle l'insurrection de 1956. L'insurrection écrasée par l'armée soviétique, la classe ouvrière qui en était de loin le principal acteur fut bâillonnée, jugulée. Mais après quelque cinq années de terreur, la bureaucratie soviétique laissa à celui qui passait alors pour son satrape local, Kadar, le champ libre pour une certaine libéralisation.

Cette libéralisation consistait, en contrepartie d'une stricte orthodoxie politique, à laisser une certaine marge de manoeuvre dans le domaine économique. Mais elle n'était pas socialement neutre. Pendant que la classe ouvrière se taisait, portant encore les stigmates de la répression, une série de mesures économiques favorisaient, déjà, le renforcement et l'enrichissement, dans le commerce ou dans l'agriculture, de la petite-bourgeoisie, une bourgeoisie authentique mais aux capitaux réduits. Avec les réformes économiques de 1966, donnant une assez large autonomie aux entreprises, intéressant leurs dirigeants aux résultats, et les autorisant à établir des liens avec l'Occident capitaliste, c'est du côté des « managers » surtout que la bureaucratie elle-même s'est étoffée.

Les réformes économiques de l'époque - comme d'ailleurs la libéralisation de certains aspects de la vie privée, les facilités plus grandes que partout ailleurs à l'Est de voyager à l'étranger - coïncidaient avec l'époque de relative prospérité en Occident. Les liens économiques, humains, avec l'Occident en furent facilités. C'est dans le même mouvement que la couche en extension des « nouveaux riches » du secteur privé ou coopératif, des « managers » plus ou moins autonomes d'entreprises d'État, s'est enrichie, a pris un poids tangible dans la société, et que ces gens ont tissé des liens entre eux et en ont tissés avec l'Occident.

Si le régime a su saisir si facilement et si vite l'opportunité offerte par l'ère Gorbatchev en URSS, c'est que le terrain était préparé, et qu'il avait une solide base sociale dans cette couche privilégiée dont aussi bien la composante privée que la composante « managers » avait infiniment plus intérêt à développer les relations économiques avec l'Occident capitaliste qu'à s'en tenir à la dépendance à l'égard de l'Union soviétique et à limiter ses ambitions économiques aux trocs commerciaux à l'intérieur du COMECOM.

Et sur ce terrain en tout cas, les aspirations de la couche privilégiée ne se heurtent absolument pas à la résistance de la classe ouvrière.

La classe ouvrière n'a jamais eu aucune raison de se sentir attachée à un régime qui lui a été imposé par la trique en 1947-1949. La nationalisation de l'économie ne résultait nullement d'une victoire de la classe ouvrière dans la guerre de classe contre la bourgeoisie : elle avait été imposée, d'en haut, et de l'extérieur, en même temps que l'interdiction des syndicats, les arrestations de militants dans les usines, le stakhanovisme, la condamnation pour sabotage des ouvriers qui ne marchaient pas droit. A aucun moment, les travailleurs n'ont eu le sentiment que ces entreprises nationalisées étaient les leurs, même si la propagande officielle ne manquait pas d'ânonner les insanités à ce sujet que le régime stalinien en URSS avait inventées.

Et puis, pour la classe ouvrière en Hongrie, le régime, c'est aussi l'écrasement de la révolution de 1956. Elle n'a vraiment aucune raison de se battre pour le maintien sur ses anciennes bases du parti qui fut l'auxiliaire des troupes russes dans la répression, ni pour le « socialisme » que cette répression a consolidé. Même si elle a toute raison de regarder avec un scepticisme certain tout ce beau monde qui, aujourd'hui, déclare le 23 octobre fête nationale, alors que même un Pozsgay, chef de file des réformateurs, était ministre de ce même Kadar qui fut à l'époque imposé au pays par les chars russes.

Evoquant les réactions déclenchées dans l'entreprise de céramique d'art Zsolnay par la visite des représentants de deux firmes américaines intéressées par le rachat de cette entreprise, le quotidien Magyar Nemzet a donné la parole au directeur en place : « Les hommes croient », raconte le directeur, « que les Américains vont venir, chasser les chefs et tripler les salaires » , pour ajouter « il est pourtant stupide de croire que le propriétaire futur donnera plus aux ouvriers que ce qui se pratique partout ailleurs dans le pays » .

Le directeur voit certainement plus clair en l'occurrence que les ouvriers, même si rien ne lui garantit que les cadres comme lui-même ne seront pas, en effet, chassés par les propriétaires américains pour cause d'inefficacité. Les salaires ne seront pas plus élevés dans les entreprises rachetées par l'Occident qu'ailleurs. Les capitaux américains ne s'investiront certainement pas en Hongrie pour rendre la vie des ouvriers meilleure, mais pour prélever sur eux de la plus-value. Cela, ils le feront certainement avec beaucoup plus d'efficacité que l'actuel propriétaire, l'État hongrois.

Ces capitaux vont-ils développer l'économie hongroise ? Pas plus qu'ils n'ont développé ou développent des pays au développement ou aux salaires comparables, comme le Portugal ou comme la Grèce, plutôt moins. Au mieux, si l'on peut dire, c'est-à-dire dans l'hypothèse où les capitaux occidentaux trouveraient de l'intérêt à investir directement dans un nombre significatif de grandes entreprises, ils vassaliseraient l'économie. Mais il est vrai que cela a été, de tout temps, le sort des économies des petits pays semi-développés d'Europe centrale. Ce n'est pas pour rien que l'ambition suprême de la classe privilégiée hongroise, aussi bien du secteur privé que du secteur public, se limite au fond à pouvoir servir d'intermédiaire au capital occidental.

La Hongrie pourra-t-elle continuer et au même rythme, l'évolution qui est la sienne ?

L'Union soviétique, dans les circonstances actuelles, n'a pas l'air de vouloir y mettre des obstacles. Il est par exemple significatif que sur la question la plus brûlante, celle de l'appartenance au Pacte de Varsovie, où les dirigeants de Budapest restent très prudents, sûrement pas par conviction idéologique mais par réalisme de petite nation accolée à une grande puissance, ce sont encore des officiels de Moscou qui envisagent, sans en être catastrophés, que la Hongrie se retire de l'alliance militaire pour devenir neutre.

Tant que l'évolution reste contrôlée d'en haut, il y a peu de chance de revoir une intervention soviétique comme en Tchécoslovaquie en 1968. Reste ouverte la question de ce que feraient les Soviétiques en cas d'explosion sociale ou politique comparable à celle de 1956. Mais les investissements américains ne suffisent pas nécessairement pour donner aux États-Unis l'envie de ravir à l'URSS le rôle de gardien de l'ordre dans la région.

Avec des capitaux occidentaux ou pas, de toute façon, ce qui attend la classe ouvrière en Hongrie, c'est une politique d'austérité d'autant plus drastique que les dirigeants locaux, susceptibles, eux, de reculer devant des mesures trop impopulaires, sont sous la pression permanente du FMI. La dette extérieure par habitant de la Hongrie est la plus élevée de tous les pays de l'Est ; et lorsque les organismes internationaux parlent d'aider la Hongrie, comme la Pologne, il s'agit de l'aider à imposer à sa population les sacrifices nécessaires pour payer les annuités de la dette. L'inflation s'est déjà élevée à 20 % ; le pouvoir d'achat des salariés et des retraités est en chute à peu près d'autant ; l'État supprime les unes après les autres les subventions qu'il accorde pour les produits de première nécessité ; et le chômage, inexistant il y a deux ou trois ans, commence à s'accroître.

Il est vrai qu'il y a, en contrepartie, le fait que, contrairement à la quasi-totalité des pays de l'Est, on trouve toutes les marchandises en Hongrie. A condition d'avoir de l'argent. La sélection ne se fait plus par pénurie réelle ou provoquée.

Il est vrai aussi que l'évolution en cours a valu à toute la population hongroise, y compris à la classe ouvrière, des libertés démocratiques dans ce pays, qui n'a guère connu au cours de ce siècle que des régimes autoritaires ou dictatoriaux, hormis de rares et courtes périodes et hormis aussi les deux révolutions de 1918-1919 et de 1956.

Lors des débats du Parlement - dont la quasi-totalité des députés sont des dignitaires élus sous Kadar - consacrés au multipartisme et aux nouvelles lois qui en assureront le fondement juridique, les arguments principaux du chef de file réformateur Pozsgay contre ceux qui craignent pour leurs places en cas d'élections moins contrôlées, ont tourné autour d'un avertissement : il vaut mieux procéder à des réformes à froid, que d'y être contraints par un bouleversement social. Il vaut mieux favoriser, même artificiellement, l'émergence d'une opposition crédible, plutôt que de courir le risque que, le parti au pouvoir étant discrédité, il ne se trouve personne pour prendre le relais.

Et ce n'était pas seulement un argument de bateleur d'estrade. Les transformations politiques de la Hongrie qui passionnent la caste politique et les couches privilégiées semblent laisser les travailleurs dans une morne indifférence, préoccupés que sont surtout ces derniers de boucler les fins de mois avec l'accélération de l'inflation. Mais en Hongrie, comme en Pologne, il y a une classe ouvrière qui a un poids social considérable et une longue tradition de lutte. A la différence cependant de la Pologne, il n'y a pas Solidarité issue de leurs rangs pour prêcher aux travailleurs l'acceptation de l'austérité. Et Solidarité ne s'improvise pas - et bien entendu les classes privilégiées ne tiennent pas à ce que les circonstances qui, en Pologne, ont permis à Solidarité de conquérir le crédit qui est le sien se répètent en Hongrie.

Alors évidemment, les dirigeants du régime peuvent tout à fait garder le contrôle d'une évolution dont certains aspects bénéficient d'un consensus général. La Hongrie peut stabiliser son évolution vers l'Occident dans le cadre d'un régime parlementaire à la portugaise, grecque... ou polonaise. Le régime peut donner, en guise de change aux mesures d'austérité qui vont s'aggraver, le multipartisme, l'alternance et, si cela ne suffit pas, le nationalisme anti-roumain ou l'irrédentisme à l'égard de la Transylvanie. Dans l'état actuel des choses, bien des indices indiquent malheureusement que cela suffit.

Mais personne ne peut préjuger des réactions de la classe ouvrière, ni de sa capacité de se saisir des possibilités supérieures d'expression et d'organisation que lui offre le régime pour renouer avec une tradition de luttes qui n'est pas si lointaine...

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