Grande-Bretagne : Les élections parlementaires et l'absence des révolutionnaires01/06/19871987Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1987/06/10_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Grande-Bretagne : Les élections parlementaires et l'absence des révolutionnaires

 

Les élections parlementaires du 11 juin sont maintenant terminées. Pour la troisième fois, Thatcher est revenue au gouvernement avec une majorité absolue, bien que réduite.

 

Une élection sans enjeu pour la classe ouvrière

 

Les élections ne peuvent jamais rapporter grand chose à la classe ouvrière. Mais celles-ci ont certainement suscité encore moins d'illusions et d'intérêt que d'habitude, comme l'a montré le peu de commentaire émis à ce sujet dans les entreprises.

Pour commencer, Thatcher a dit clairement qu'il ne fallait pas s'attendre à une atténuation de ses attaques contre la classe ouvrière. Par exemple, elle a annoncé un certain nombre de mesures telles que des stages de « formation » obligatoires pour les jeunes chômeurs et de nouvelles réductions des dépenses sociales.

Tout ce qu'elle a dit était destiné à plaire aux classes moyennes qui constituent l'électorat traditionnel des conservateurs, mais aussi à ceux qui, dans la population, estiment que leur situation s'est améliorée malgré la crise. En particulier, sa façon de marteler l'idée éculée selon laquelle le vrai problème, la vraie cause de toutes les difficultés économiques du pays, c'est ce qu'elle ose appeler le niveau « élevé » des salaires et des indemnités de chômage !

Mise à part cette image ouvertement anti-ouvrière, le succès de Thatcher a été d'autant plus aisé quelle n'avait pas d'opposant sérieux.

Après une courte période de succès dans de précédentes élections partielles, l'alliance - qui réunit le Parti Libéral et le Parti Social-démocrate - s'en est sortie avec moins de sièges que lors des élections de 1983, prouvant ainsi son incapacité à briser le système du bipartisme.

Quant au Parti Travailliste, non seulement il s'est montré incapable de gagner les voix petites-bourgeoises qu'il lui fallait pour revenir au gouvernement, mais il n'est même pas vraiment parvenu à mobiliser son propre électorat traditionnel.

Pendant toute la campagne électorale, le leader travailliste Neil Kinnock a consacré bien plus de temps à expliquer aux travailleurs qu'ils ne devaient rien attendre de significatif de la part d'un gouvernement travailliste, qu'à chercher à gagner le soutien des travailleurs.

En cette période de crise, les travaillistes, comme tous les sociaux-démocrates des pays industriels, préfèrent le risque de la défaite électorale plutôt que de venir au gouvernement grâce aux suffrages de travailleurs qui espéreraient quelque chose d'eux. Pour eux, c'est le risque d'avoir à faire à une classe ouvrière les poussant en avant ou leur demandant des comptes qui est celui qu'ils veulent éviter avant tout. Ainsi, le seul argument électoral de Kinnock a été « Débarrassez-vous de Thatcher », un argument de poids compte tenu de l'étendue de la haine contre le Premier ministre, mais, comme l'ont montré les résultats, qui n'a pas suffi et de loin à soulever une vague d'enthousiasme dans l'électorat ouvrier.

Aussi forte qu'ait été l'hostilité à Thatcher, un grand nombre de travailleurs se montraient sans illusion à l'égard des principaux protagonistes, y compris le Parti Travailliste. Bien que le nombre de votants ait été plus important qu'en 1983, un grand nombre d'électeurs n'avaient même pas jugé bon de s'inscrire sur les listes électorales, en tout près de trois millions selon les chiffres officiels dont la plupart appartiennent aux couches les plus modestes de la population. Certains croyaient peut-être à une plus grande bienveillance dont pourrait faire preuve un gouvernement travailliste dans ses attaques contre la classe ouvrière, mais la plupart des ouvriers n'avaient aucune illusion quant au changement qui pourrait résulter des élections. Ils savaient qu'en votant pour l'un des trois principaux partis, ils ne pouvaient en fin de compte qu'apporter leur soutien à une variété ou une autre de politique anti-ouvrière.

 

Où étaient les révolutionnaires ?

 

Compte tenu de cet état d'esprit général, compte tenu aussi du contexte dans lequel se déroulaient ces élections - après une série de défaites subies par divers secteurs de la classe ouvrière au cours desquelles les dirigeants travaillistes ont pris ouvertement parti contre ceux qui se battaient - les révolutionnaires auraient pu se saisir de cette occasion des élections pour faire entendre largement un son de cloche auquel personne n'est plus habitué depuis longtemps en Grande-Bretagne.

Des candidats révolutionnaires se présentant dans un grand nombre, sinon dans toutes, des 650 circonscriptions auraient pu faire entendre ce que beaucoup de travailleurs ressentaient : de l'hostilité envers les conservateurs et les jumeaux de l'Alliance, et de la défiance envers le Parti Travailliste. Ce faisant, les révolutionnaires auraient offert un autre choix aux travailleurs, un moyen de donner tout de même quelque utilité à leur bulletin de vote.

Deux très petites organisations d'extrême-gauche ont choisi, et c'est tout à leur crédit, de présenter des candidats. Le RCP (Parti Communiste Révolutionnaire) dans quatorze circonscriptions sous la bannière d'un « Front Rouge », et l'aile du WRP de Gerry Healy (Parti Révolutionnaire des Travailleurs) dans sept circonscriptions. Que les motifs de ces organisations en présentant des candidats aient tenu plus à des préoccupations publicitaires et de recrutement qu'à ce qu'elles considéraient comme leur responsabilité vis-à-vis de la classe ouvrière est un autre problème qui dépasse le cadre du présent article. Mais quels qu'aient été leurs motifs, le fait est que ces organisations ont présenté des candidats dans vingt et une circonscriptions alors que pratiquement tous les groupes révolutionnaires, y compris les deux plus importants - la tendance du Militant et le SWP (Parti Socialiste des Travailleurs) - , appelaient à voter travailliste avec, en petits caractères, des réserves diverses. De ce fait, la politique des principaux partis est restée incontestée sur le plan national au cours de ces élections.

Combien de travailleurs ont voté travailliste à contre-coeur, uniquement parce qu'ils voulaient voter contre Thatcher et ne voyaient pas comment le faire autrement ? Combien d'électeurs travaillistes de toujours se sont abstenus cette fois-ci, écoeurés ? Combien de travailleurs éprouvaient-ils assez de colère contre les grands partis pour être prêts à lexprimer en votant pour des candidats révolutionnaires ?

Comme la plupart des groupes révolutionnaires ont choisi de ne pas présenter de candidatsd, on ne le saura jamais. Bien pire, ces travailleurs ne le sauront eux-mêmes jamais. Quant aux dirigeants travaillistes, ils pourront se vanter d'avoir obtenu le soutien de l'écrasante majorité de la classe ouvrière pour leur politique droitière !

Les élections ne peuvent être qu'un thermomètre permettant de mesurer l'état d'esprit de la classe ouvrière. Celles-ci auraient pu offrir la possibilité à ce nombreux travailleurs de faire entendre leur colère et leur écoeurement, de se compter et de se sentir moins isolés. Elles auraient pu servir à donner un avertissement, àThatcher comme à Kinnock, en montrant qu'une fraction de la classe ouvrière, même petite, voyait la nécessité de leur dire cette colère et cet écoeurement. Compte tenu de la politique des grands partis, seuls les révolutionnaires pouvaient offrir une telle possibilité, mais ils y ont renoncé.

 

Un choix politique qui dépasse largement le cadre de ces élections

 

Il serait bien trop long d'examiner un à un tous les arguments avancés par les différents groupes pour justifier leur refus d'intervenir de façon indépendante dans ces élections. Mais il y en a au moins un que tous partagent, bien qu'avec des formulations diverses : présenter des candidats aurait coupé les révolutionnaires des militants travaillistes.

Bien sûr cet argument n'a rien d'étonnant de la part des groupes entristes qui ont choisi de militer à l'intérieur du Parti Travailliste sous le prétexte justement de s'adresser à ces militants.

Mais, venant d'organisations qui ont fait le choix contraire - telles que le SWP - c'est un argument qu'on comprend moins.

Comment le SWP explique-t-il cette orientation ? Ces camarades considèrent que, dans la période actuelle - qu'ils caractérisent comme une période de repli - la majorité de la classe ouvrière tend à glisser à droite, tandis que les travailleurs susceptibles de se montrer sensibles aux idées révolutionnaires se trouvent dans les rangs, ou autour, du Parti Ttravailliste. En conséquence, dit le SWP, on doit concentrer ses efforts à s'adresser à cette couche de travailleurs plus conscients. D'où l'appel du SWP, répandu par des milliers d'affiches sur les murs : « Votez travailliste » (en gros caractères) « Mais construisez une alternative socialiste de combat » (en petits caractères).

De toute évidence, l'orientation du SWP, tout comme celle des groupes entristes, est une orientation à long terme qui dépasse très largement le cadre de ces seules élections. Mais où cette orientation conduit-elle ces camarades ? Quant considéreront-ils que le moment est venu pour eux d'avoir une intervention indépendante ?

Bien sûr, il ne s'agit pas de faire un fétiche des élections, ni de surestimer l'influence que peuvent y avoir les révolutionnaires, et c'est loin d'être notre cas. Mais le fait est que les élections offrent fla possibilité à de petites organisations telles que les organisations révolutionnaires de s'adresser à des millions de travailleurs, même si ce n'est que pour quelques minutes à la télévision, bien au-delà de leur milieu habituel. Ces élections-ci auraient pu permettre aux révolutionnaires d'être les prote(voix du mécontentement quéprouvaient beaucoup de travailleurs à l'encontre du Parti Travailliste. En faisant cela, les révolutionnaires n'auraient certes pas construit le parti révolutionnaire, ils n'auraients sans dout pas même fait beaucoup de recrues (mais ils n'en ont certainement pas fait davantage avec leur politique suiviste vis-à-vis du Parti Travailliste). Mais en tous cas, cela leur aurait servi à préparer les luttes à venir. Les révolutionnaires seraient apparus clairement comme les partisans de la riposte, et pas seulement devant les quelques millier(s de personnes qui les écoutent d'ordinaire, mais devant des millions de travailleurs qui la plupart du temps n'ont pas l'occasion d'entendre leur voix.

En même temps, même du point de vue des préoccupations que ces groupes ont en commun, les révolutionnaires seraient apparus sous un jour très différent aux yeux des militants travaillistes. Les plus combatifs ou les plus conscients de ces militants se seraient sentis plus proches de ce que les candidats révolutionnaires auraient dit que des performances publiques de Kinnock. Ils auraient peut-être désapprouvé publiquement le fait que des révolutionnaires présentent des candidats - par loyauté envers le Parti Travailliste - , mais au fond d'eux-mêmes, ils auraient sans doute vu l'utilité pour eux-mêmes qu'une telle pression s'exerce sur la direction du Parti Travailliste. Au bout du compte, les révolutionnaires auraient sans doute gagné bien plus de crédit parmi ces militants en présentant des candidats qu'il n'en ont gagné en restant à l'arrière-plan et en appelant à voter travailliste.

 

Et maintenant ?

 

Le troisième gouvernement Thatcher va-t-il ouvrir une période où l'on verra s'accentuer les attaques contre la classe ouvrière ? C'est ce qu'on prédit à maintes reprises tant le Parti Travailliste que la plupart des groupes révolutionnaires.

De toute évidence, tel est bien le but de Thatcher. Mais va-t-elle s'y mettre d'meblée, va-t-elle se sentir assez forte pour lancer ses attaques dès maintenant. Cela, c'est un autre problème. Dans le passé, Thatcher et les Conservateurs se sont montrés bien plus circonspects dans leurs attaques contre la classe ouvrière que l'on ne s'y attendait en général dans l'extrême-gauche. Que ce soit vis-à-vis des sidérurgistes, des municipalités ou des mineurs, ils sont passés par tout un tas d'étapes préliminaires - reculant parfois de façon temporaire lorsqu'ils ne se sentaient pas assez forts - avant d'en venir à l'affrontement, preuve qu'ils ne se sentaient nullement assurés de triompher. Et effectivement, ce ne sont pas les succès électoraux qui ont donné les moyens de vaincre au gouvernement conservateur ; c'est le fait que les organisations de la classe ouvrière, Parti Travailliste ou syndicats, se sont refusées à utiliser toutes les forces des travailleurs.

De ce point de vue, la position de Thatcher ne se trouve guère modifiée par les élections dans la mesure où les forces de la classe ouvrière, elles aussi, demeurent exactement les mêmes qu'avant ces élections. Le rôle, d'ailleurs, des militants révolutionnaires serait justement de montrer cela à la classe ouvrière, et non pas de lui laisser entendre que le résultat électoral a pu changer en quoi que ce soit le rapport réel des forces de classes. En particulier, Thatcher ne peut guère se permettre de voir ses attaques se retourner contre elle au-delà d'un certain point, en serait(ce qu'àç cause de l'extrême vulnérabilité de la frénésie spéculative qui s'est développée à la Bourse au cours de la période écoulée.

Cela laissera peut-être un peu de répit avant les prochains affrontements. Mais même si ce n'est pas le cas, les tâches des révolutionnaires seront exactement les mêmes. Les révolutionnaires, pas plus que la classe ouvrière, ne peuvent se permettre le luxe d'une nouvelle série de défaites telles que celles des sidérurgistes, des mineurs, des imprimeurs, dans lesquelles la bureaucratie syndicale a pu mener les grévistes dans l'impasse sans rencontrer d'opposition. Les révolutionnaires doivent se préparer dès maintenant pour les affrontements à venir, et ils ne doivent pas compter sur les militants travaillistes pour le faire à leur place. Plus exactement, ils n'ont une chance d'entraîner une partie de ces militants travaillistes que si eux-mêmes leur montrent la voie, et non pas s'ils se contentent de les suivre sous prétexte de garder le contact avec eux. Ils ne peuvent pas se permettre de rester sans rien faire sous prétexte de ne pas heurter les sentiments supposés de ces militants.

Les révolutionnaires doivent construire une alternative de combat - comme le dit le SWP - , mais pas seulement en multipliant les adhérents sur le papier - comme le fait le SWP. Ce qu'ils leur faut, ce sont les moyens d'intervenir dans les entreprises lorsque les luttes à venir se produiront, c'est-à-dire des groupes de travailleurs révolutionnaires qui auront déjà gagné du crédit et du respect auprès d'un grand nombre de travailleurs de leur entreprise. Dans une certaine mesure, les élections auraient pu servir à préparer le terrain pour cette tâche. Les révolutionnaires ne s'en sont pas servis. C'est dommage, mais le problème reste toujours le même. Et il reste toujours aux révolutionnaires à s'engager dans cette direction. Il n'y a pas d'autre voie !

 

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