Grande-Bretagne : La révolte contre la poll tax va-t-elle profiter au Labour ou à la classe ouvrière ?01/05/19901990Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1990/05/32.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Grande-Bretagne : La révolte contre la poll tax va-t-elle profiter au Labour ou à la classe ouvrière ?

 

C'est la colère générale contre le nouvel impôt local introduit par Thatcher - l'impôt communautaire ou poll tax comme tout le monde l'appelle - qui a déclenché en mars une vague de manifestations dans tout le pays.

Pourtant la nature de ce qui est remis en cause, l'étendue du mécontentement et le contexte dans lequel il s'exprime ont créé une situation dont l'enjeu pourrait dépasser de loin la poll tax elle-même.

D'un côté l'avenir politique de Thatcher et des Conservateurs, cibles principales des manifestants en colère, est évidemment en cause. Mais, par eux-mêmes, les changements qui pourront se produire lors des prochaines élections générales ne pourront guère avoir de conséquences importantes pour les travailleurs. Du point de vue du renforcement de la classe ouvrière, le fait que les Travaillistes remplacent les Conservateurs au gouvernement ne changerait pas grand-chose.

D'un autre côté, ce mouvement de protestation est, depuis l'arrivée au pouvoir de Thatcher en 1979, le premier mouvement politique qui rassemble tous les secteurs de la classe ouvrière. C'est le premier mouvement qui ne court pas le risque (bien qu'il en court d'autres) d'être paralysé par le corporatisme étroit qui, tant de fois dans le passé, a servi aux dirigeants réformistes à mener des luttes même d'ampleur dans l'impasse.

Au-delà des changements gouvernementaux possibles la véritable question pour les révolutionnaires est donc de savoir quelles sont les nouvelles possibilités ouvertes par la situation actuelle et comment la classe ouvrière pourrait tirer avantage de cette situation pour retrouver confiance dans ses propres forces et commencer à regagner une partie du terrain perdu au cours des années passées.

 

La crédibilite de Thatcher est en train de s'user

 

Un aspect important de la situation actuelle tient à la façon dont Thatcher et son gouvernement sont ouvertement remis en question non pas seulement par les politiciens de l'opposition mais au sein de leur propre camp.

Aussi bien dans les rangs du Parti Conservateur que dans ceux de la bourgeoisie, Thatcher est aujourd'hui vertement critiquée sur deux plans au moins. D'abord parce qu'elle s'est révélée incapable de réaliser le « miracle » économique qu'elle avait promis. Ensuite parce qu'elle semble avoir perdu une bonne part de son crédit dans la population et ne plus être capable de garder la situation bien en main.

Les milieux d'affaires comptaient parmi les supporters les plus fervents de l'« économie de marché et de libre entreprise », prônée par Thatcher. Or, dernièrement, ces mêmes milieux se sont mis à multiplier les critiques : sur les réticences du gouvernement à stabiliser la livre en rejoignant le système monétaire européen ; sur sa politique de taux d'intérêts élevés qui viennent s'ajouter aux coûts financiers existants ; sur la position de Thatcher à l'égard de la poll tax décrite par un éditorialiste du journal financier Financial Times comme « un gâchis monstre » .

Chaque jour dans les actualités on voit des politiciens conservateurs exprimer avec véhémence leur mécontentement sur toutes sortes de choses - qui vont de la situation économique au problème de... l'immatriculation des chiens. De même on entend parler de groupements de députés conservateurs votant contre le gouvernement au parlement. Les dignitaires conservateurs en sont aujourd'hui à se placer publiquement en vue de la course à la succession. Certains, tel l'ancien ministre Norman Tebbit, vont même jusqu'à prendre la tête de mini-rébellions au parlement, rôle qui revient d'ordinaire à des députés vieux et obscurs qui n'ont plus à craindre pour leur carrière.

Les échecs économiques de Thatcher sont autant d'épines douloureuses aux pieds des députés conservateurs. Les taux immobiliers élevés et la poll tax les mettent en porte-à-faux vis-à-vis de leurs électeurs. Il est rare qu'ils ratent une occasion d'accuser l'ancien ministre des finances Lawson d'être responsable du niveau élevé de l'inflation. Comme Lawson était il y a peu encore le poulain de Thatcher, l'accuser lui revient à accuser Thatcher.

Cette grogne peu respectueuse ne peut échapper à personne. Les actualités télévisées comme les séries populaires en sont pleines. Tout comme d'ailleurs les journaux quotidiens, y compris des organes conservateurs tels que le Daily Telegraph ou le Daily Mail qui en arrivent aujourd'hui à paraître presque radicaux quand ils parlent de la situation économique. On a même vu un quotidien à grand tirage et à scandales comme le Sun émettre des réserves vis-à-vis de la poll tax.

Dans une large mesure, l'attitude des politiciens conservateurs reflète l'état d'esprit de leur propre électorat auquel ils tentent de répondre en prenant leurs distances vis-à-vis du gouvernement. Ainsi l'annonce du montant de la poll tax a-t-elle déclenché des réactions de colère dans les villes contrôlées par les Conservateurs et même de nombreuses manifestations de rues. Dans certaines régions, des conseillers généraux conservateurs ont protesté en démissionnant du Parti. L'idée qu'une personne sans revenu propre, une femme au foyer par exemple, puisse être forcée de payer la poll tax semble avoir suscité l'indignation parmi les électeurs conservateurs, y compris les mieux lotis.

Quoi qu'il en soit, les résultats de l'élection partielle de Mid-Staffordshire en mars ont vraiment tiré le signal d'alarme quant à l'état d'esprit des électeurs conservateurs : dans ce bastion conservateur, environ un tiers des électeurs est passé des Conservateurs aux Travaillistes. Peut-être bien ne s'agit-il que d'un vote de protestation mais le fait est que même un tel vote de protestation aurait été impensable au cours des dix années précédentes.

Depuis, les élections municipales de mai ont confirmé ce glissement électoral en faveur du Parti Travailliste, en particulier dans les bastions conservateurs du sud et du centre du pays.

 

Une ambiance qui commence à devenir contestatrice

 

Même aux yeux de l'homme de la rue qui vit à l'écart du monde des politiciens, Thatcher n'apparaît plus comme la « dame de fer » incontestée et incontestable qu'elle était. Et c'est encore plus vrai dans la classe ouvrière.

Dans une fraction significative de la classe ouvrière, le sentiment qui domine est une haine bien réelle pour Thatcher. Cela n'a d'ailleurs rien de nouveau, sinon que les rangs de cette fraction ont grossi au cours de la dernière période.

Mais ce qui est nouveau, c'est ce sentiment très répandu que d'une certaine façon le gouvernement est désormais coupé des réalités, que ses décisions ne doivent pas par conséquent être prises trop au sérieux et qu'elles sont de toute façon inapplicables.

L'attitude des gens à l'égard de la poll tax donne un bon exemple de cet état d'esprit. En Ecosse, où la poll tax est entrée en application l'an dernier, les statistiques sur les refus de paiement sont parlantes : sur un total de trois millions de contribuables, 400 000 sommations pour impayés ont été envoyées à ce jour et on estime qu'entre 500 000 et 800 000 personnes n'ont rien payé. Une partie de ce nombre est certainement à imputer au manque d'argent. Mais l'étendue du refus de paiement, hors de proportion avec celle de l'activité des groupes anti- poll tax, ne peut s'expliquer que par une attitude de défi très répandue dans la population.

En Angleterre, où les feuilles de relevés de la poll tax ont commencé à venir au courrier depuis le 1er avril de cette année, on entend un peu partout, dans les boutiques, les cafés et les entreprises, les gens tenir un langage des plus directs : « Pas question de payer ! ». Bien qu'il soit encore trop tôt pour mesurer la détermination des gens à ne pas payer, l'ambiance y semble similaire à celle qui prévaut en Ecosse. En tout cas, c'est bien l'opinion des fonctionnaires municipaux chargés de la planification financière : la plupart des municipalités des grandes villes prévoient de traîner devant les tribunaux entre 15 et 20 % de la population adulte pour refus de paiement.

Il y a bien d'autres exemples de cette attitude de défi dans les couches laborieuses. Tout se passe comme si la plupart des gens tenait Thatcher pour responsable de tout ce qui ne va pas. Ainsi par exemple, au cours de la vague d'émeutes qui a affecté récemment une vingtaine de prisons dans le pays, beaucoup de gens ont manifesté une compréhension tout à fait inattendue et inhabituelle à l'égard des émeutiers. Pour eux, c'était la faute du surpeuplement, de la police et des gardiens de prison et surtout de Thatcher et de son gouvernement. Mais relativement peu s'en sont pris aux émeutiers eux-mêmes.

 

Le parti travailliste refait surface

 

Pour l'instant en tout cas, le Parti Travailliste est le principal bénéficiaire de cette situation, ce qui n'a rien de surprenant compte tenu du bipartisme britannique. Les dirigeants travaillistes ont beau avoir brillé par leur inactivité au cours des dix dernières années, leur parti reste quand même la seule alternative crédible à Thatcher, au moins tant que les gens continuent comme aujourd'hui à voir les choses en termes électoraux.

C'est ainsi qu'en mars, après plusieurs mois de croissance régulière, on a vu le fossé entre Travaillistes et Conservateurs se creuser brutalement bien au-delà des 20 % d'écart, tandis que les intentions de vote en faveur des Conservateurs dégringolaient tout juste au-dessus des 30 %. Tendance qui fut bientôt confirmée par la victoire des Travaillistes dans l'élection partielle de Mid-Staffordshire.

Pour autant que l'on puisse se fier aux sondages d'opinion et aux résultats d'élections partielles, Thatcher serait donc sur le chemin de la sortie tandis que Kinnock, le leader travailliste, serait sur celui de l'entrée.

Il faut bien dire néanmoins que la vie politique britannique a une longue histoire de retournements de tendance brutaux dans les sondages comme dans les élections partielles. Nombre de premiers ministres qui ont connu le creux de la vague au milieu de leur mandat ont été réélus avec éclat aux élections suivantes -- Thatcher en est elle-même un exemple. Les difficultés actuelles de Thatcher pourraient encore se révéler n'être qu'un épisode de plus dans l'histoire chaotique du parlementarisme britannique. C'est à coup sûr ce que Thatcher espère.

Mais tel ne semble plus être le souhait de ses ex-partisans de toujours. Dès le mois de novembre de l'année dernière, le très respecté rédacteur de la rubrique Lex du Financial Times expliquait que le temps était venu pour un changement dans la politique économique de l'État. Un manque excessif d'investissements dans le secteur public, disait-il, est un danger pour tous les capitalistes privés. Et il ajoutait que si Thatcher avait fait du bon travail en faisant faire une cure de rationalisation et d'amaigrissement à l'industrie britannique, le Parti Travailliste était mieux à même de mettre en oeuvre des programmes d'investissement importants et qu'il faudrait bien lui en donner la possibilité à un moment ou un autre.

Au mois de mars de cette année, on a pu lire dans la même rubrique Lex : « Le moment est venu pour les marchés de considérer sérieusement la perspective d'un gouvernement travailliste. (...) Les marchés peuvent peut-être se faire sous les Travaillistes comme ils l'avaient fait avec bonheur dans les années 60. Même avec les yeux de la presse conservatrice à grand tirage, il est difficile de voir un révolutionnaire enflammé en la personne de John Smith » . Un mois plus tard, John Smith, le ministre des finances du cabinet « fantôme » du Parti Travailliste, se rendait aux USA où il reçut l'accueil le plus chaleureux qui soit des plus hautes autorités financières américaines.

Entre-temps, un autre des partisans de toujours de Thatcher, l'hebdomadaire The Economist, publiait un dossier intitulé Labournomics (contraction de : l'économie à la mode travailliste) dans laquelle figurait un sondage effectué auprès d'économistes travaillant aussi bien pour des universités que pour les milieux d'affaires. Ce sondage indiquait une majorité en faveur du départ des Conservateurs du gouvernement et de leur remplacement par les Travaillistes.

 

Une montée des illusions dans le parti travailliste

 

Bien sûr les partisans du retour des Travaillistes au pouvoir ne se recrutent pas seulement dans les milieux d'affaires. Sa base ouvrière traditionnelle s'est incontestablement renforcée au cours de la dernière période en même temps que montait la détermination des travailleurs à en finir avec Thatcher.

Cependant, dire que les travailleurs attendent beaucoup d'un futur gouvernement travailliste serait loin de la réalité. Bien que la plupart des moins de 30 ans n'aient aucun souvenir des gouvernements travaillistes précédents, l'image de marque que le Parti Travailliste s'est forgée depuis l'élection de Kinnock à sa direction est suffisamment éloquente. Et elle n'a à coup sûr rien d'enthousiasmant.

Sans en attendre grand-chose, la classe ouvrière nourrit des illusions dans le Parti Travailliste, des illusions en négatif en quelque sorte. Faute d'autre perspective, elle se borne à espérer qu'un gouvernement travailliste mettra un terme à la « dégringolade », que par exemple il abolira la poll tax ainsi que quelques-unes des lois les plus impopulaires parmi celles introduites par Thatcher, qu'au moins il empêchera la situation de se dégrader encore.

Pourtant, il serait vain de chercher dans les discours de Kinnock un quelconque engagement sur ce plan. En fait le seul véritable engagement qu'il a pris, c'est au contraire de ne pas revenir sur les dispositions législatives les plus importantes des Conservateurs. Même sur la poll tax, la position du Parti Travailliste est ambiguë. Un jour il parle de la remplacer par un impôt basé sur la valeur immobilière, le lendemain de la transformer en un impôt municipal sur le revenu. Dans l'une ou l'autre de ces hypothèses, Kinnock a bien pris garde de ne pas faire la moindre allusion à un possible retour à l'impôt payé sur la base du ménage. En d'autres termes, si on laisse faire les Travaillistes, tout adulte devra continuer à payer un impôt local d'un type ou d'un autre. Mais, pour le moment, bien peu de gens s'en rendent compte.

Mais si les dirigeants travaillistes ne tiennent pas à se montrer trop précis sur ce qu'ils comptent faire une fois au gouvernement, ils sont bien plus explicites s'agissant de ce qu'ils ne veulent pas voir se produire aujourd'hui. Ils savent que leur réussite dans l'administration du système pour le compte des capitalistes dépend entièrement, tout comme pour les Conservateurs, de l'acceptation de la classe ouvrière. La dernière chose qu'ils souhaitent, c'est encourager les travailleurs à faire quoi que ce soit de susceptible de leur donner confiance en eux-mêmes.

D'où l'attitude des dirigeants travaillistes à l'égard des campagnes contre la poll tax. Bien qu'ils aient bruyamment dénoncé la poll tax dès le premier jour, ils ont pris grand soin de ne prendre part officiellement à aucune action contre.

Les dirigeants travaillistes ont mené une campagne systématique contre l'idée du refus de paiement. Son comité exécutif national a récemment discuté d'interdire aux membres du Parti d'adhérer à la Fédération Anti- poll tax Britannique. La direction travailliste est restée à l'écart des principales manifestations de rue, défendant plus ou moins ouvertement l'idée que le problème ne peut être réglé que par le bulletin de vote. D'un autre côté elle s'est gardée d'émettre quoi que ce soit qui puisse être interprété comme une condamnation des manifestations et n'a rien fait pour empêcher les militants travaillistes d'y participer. Kinnock sait bien sûr qu'il doit une partie de sa toute nouvelle base électorale à l'ambiance générale créée justement par ces manifestations aux quatre coins du pays.

Non pas d'ailleurs que le mouvement anti- poll tax tel qu'il est aujourd'hui puisse mettre en danger ou même gêner sérieusement la direction travailliste dans ses ambitions électorales. Mais, d'un autre côté, l'encourager ouvertement peut toujours avoir des conséquences imprévues.

Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que, au travers des conseils municipaux qu'il contrôle, l'appareil du Parti Travailliste est engagé jusqu'au cou dans la perception de la poll tax et dans l'utilisation des tribunaux contre les mauvais payeurs. L'adoption d'une attitude radicale contre la poll tax créerait probablement des problèmes entre la direction travailliste et ses conseillers municipaux. D'un autre côté un soutien trop voyant à ceux qui mettent en oeuvre la poll tax conduirait le Parti Travailliste à perdre de sa popularité parmi les manifestants anti- poll tax.

Que ce soit dans un sens ou dans l'autre, la direction du Parti Travailliste n'est apparemment prête à prendre aucun risque.

 

La perspective et la tactique de « Militant » dans le mouvement anti-poll tax

 

L'hebdomadaire trotskyste Militant, dont les partisans sont surtout actifs à l'intérieur du Parti Travailliste, a joué un rôle de première importance dans le mouvement anti- poll tax.

Il faut dire, à leur crédit, qu'ils ont été les premiers à mettre sur pied des comités anti- poll tax, d'abord en Ecosse et, par la suite, dans le reste du pays. En s'appuyant sur ces groupes à l'échelon local, ils ont pu ensuite jouer un rôle moteur dans l'organisation d'une Fédération anti- poll tax pour toute la Grande-Bretagne (ABAPTF).

L'idée de départ de Militant était de mettre sur pied une campagne de refus de paiement sur le modèle de la grève des loyers de Glasgow de 1912, avec des comités de base et des responsables élus par rue ou par pâté de maisons, capables de se joindre rapidement pour mobiliser quand il le fallait la population contre les interventions des huissiers. Après l'introduction de la poll tax en Ecosse en avril 1989, quelques comités locaux ont pu être mis sur pied avec un certain succès sur ces bases.

Il faut dire aussi que certaines des manifestations les plus importantes organisées cette année en Angleterre contre la poll tax l'ont été par des groupes locaux créés à l'initiative de Militant. La plus importante a été la manifestation nationale du 31 mars à l'appel de l'ABAPTF qui a remporté un succès aussi spectaculaire qu'inattendu, 100 000 personnes ayant défilé à cette occasion dans les rues de Londres.

Mais, depuis le 31 mars, l'ABAPTF n'a pas renouvelé ce genre d'initiative à l'échelle nationale - se contentant de demander au Trade Union Congress d'organiser une manifestation nationale à l'été et de lancer l'idée d'un rassemblement monstre contre la poll tax à l'automne. Il semble que l'ABAPTF ait choisi de se consacrer pour l'instant à sa campagne de refus de paiement au niveau local.

Quelle est la perspective de Militant à travers cette campagne ? Steve Nally, secrétaire de l'ABAPTF et supporter connu de Militant, l'explique clairement dans un article publié à la Une du journal au lendemain de la manifestation du 31 mars : « Nous pouvons faire reculer le gouvernement sur la poll tax et cela pourrait être un tremplin pour le contraindre à des élections générales anticipées menant à la défaite des Conservateurs. Les dirigeants travaillistes doivent rejoindre notre campagne. Ils doivent montrer qu'ils possèdent un programme pour une Grande-Bretagne socialiste, avec une économie nationalisée et démocratiquement planifiée où chacun puisse avoir un logement, un revenu décent et un avenir. »

Ainsi donc, la seule perspective de la campagne de Militant c'est le retour des Travaillistes au gouvernement. Le passage sur l'hypothétique programme socialiste des dirigeants travaillistes n'est que pur verbiage et ne trompe personne - à commencer par Militant lui-même. Son langage diffère peut-être de celui de Kinnock, mais sa perspective est bel et bien la même.

Cette perspective éclaire la tactique mise en oeuvre par Militant. D'abord, il est à l'initiative d'une campagne radicale de refus de paiement, où il est demandé aux gens de défier le gouvernement et la loi, au risque de poursuites.

Puis vient la manifestation londonienne. Par sa seule taille, elle crée l'événement, fait la Une des journaux : elle est, elle ne peut qu'être perçue comme un succès. Elle ne peut qu'encourager ceux qui participent au mouvement et en inciter d'autres à les rejoindre. En un mot, elle constitue un renfort de premier ordre à l'appel de Militant à défier le gouvernement et toute autre action du même type ne pourrait avoir que le même effet.

Et pourtant, après cette manifestation nationale, Militant et l'ABAPTF semblent hésiter. Ils s'empêtrent en essayant désespérément de se désolidariser des manifestants qui se sont affrontés à la police. Enfin, ils ne proposent pas de perspectives nouvelles en réponse à l'impulsion nouvelle donnée par la manifestation londonienne.

Si le principal objectif de Militant était le refus de payer, comme ils l'affirment, de manière à rendre la poll tax impossible à percevoir et à mettre en oeuvre, alors on pourrait dire que ses hésitations et son attitude abstentionniste vont à l'encontre du but recherché.

Mais la perspective de Militant ne serait-elle pas plutôt de ramener le Parti Travailliste au pouvoir ? Le succès même de la manifestation de Londres n'était-il pas gênant pour le Parti Travailliste ? On se trouve, semble-t-il, à la croisée des chemins. Militant doit choisir entre son engagement dans une campagne radicale de refus de paiement et son engagement en faveur du retour au pouvoir des Travaillistes. Les deux ne vont plus de pair et il semble que Militant est en train de choisir le second.

 

De nouvelles possibilités pour la classe ouvrière ?

 

Jusqu'à maintenant, l'attitude ambiguë du Parti Travailliste n'a pas permis de dissiper les illusions d'un grand nombre de travailleurs. D'un autre côté, plus les luttes contre la poll tax se déroulent sur un plan autre qu'électoral, plus les travailleurs ont de possibilités de compter leurs forces. Plus ils remportent de succès aujourd'hui, plus les travailleurs croiront en la possibilité d'obtenir des choses sans en passer par les élections. Et mieux ils seront préparés à affronter un futur gouvernement travailliste - même si c'est un gouvernement auquel ils auront apporté leur soutien. La responsabilité des révolutionnaires, c'est avant tout de préparer les travailleurs aux luttes futures.

Etant donné l'état d'esprit actuel de la population, la classe ouvrière a peut-être la possibilité de remporter une victoire dans l'immédiat sur le problème de la poll tax.

Depuis qu'on connaît l'étendue du mécontentement sur ce sujet, on discute dans les cercles dirigeants conservateurs de la meilleure manière de limiter le fardeau de cet impôt dès l'an prochain. Certains ont suggéré de réduire les dépenses des autorités locales en faisant prendre en charge une plus grande part de leurs dépenses par le gouvernement, d'autres ont proposé un mode de calcul de la poll tax prenant en compte le revenu de chacun, etc. A la veille des élections locales de mai, Thatcher a même annoncé une révision complète de la poll tax et des changements possibles dès juillet.

Ainsi, en plus de la perte de crédibilité personnelle de Thatcher, le gouvernement montre des signes de faiblesse sur le problème de la poll tax lui-même. Il est évidemment inquiet des conséquences électorales du mécontentement qui s'est exprimé jusqu'ici, ainsi que des conséquences que cela pourrait avoir dans d'autres domaines de la vie sociale, en particulier dans le monde du travail. Enfin, il subit sans doute la pression des entreprises pour qui le gouvernement joue avec le feu et qui voient surtout dans cet impôt un facteur poussant à la hausse des salaires.

Face à cette faiblesse visible du gouvernement, les travailleurs ont montré leur hostilité et leur colère. Pour une fois, le rapport de forces semble être en leur faveur, au moins potentiellement. Les trotskystes ne devraient-ils pas profiter de cette situation nouvelle ?

Le spectaculaire succès de la manifestation du 31 mars pourrait être renouvelé, et pourquoi pas dépassé. De toute manière, plus il y a de monde dans les rues, plus l'impact est important, à la fois sur le gouvernement et sur la classe ouvrière elle-même.

Tout autre recul de la part du gouvernement, même s'il ne s'est agi que de recul verbal jusqu'à maintenant, ne pourrait que renforcer la détermination des opposants au projet de poll tax. Tout succès, même limité, remporté contre le gouvernement grâce à l'action collective, ne peut que contribuer à renforcer la confiance de la classe ouvrière et à préparer l'avenir. Et cela pourrait être le signe que le vent est enfin en train de tourner.

Voilà peut-être les perspectives ouvertes par la situation. L'ambition de tous les trotskystes devrait être d'aider la classe ouvrière à saisir ces possibilités qui s'offrent à elle - même si cela signifie (comme c'est inévitable) s'exposer au courroux du Parti Travailliste et des leaders réformistes. Il ne s'agit pas de faire de l'affrontement avec les réformistes une affaire de principe. Mais quand ce qui est en jeu, c'est la possibilité pour la classe ouvrière de se renforcer, l'affrontement n'est plus seulement une nécessité mais un devoir.

5 mai 1990

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