Golfe Une croisade impérialiste pour le maintien du statu quo mondial01/09/19901990Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1990/09/34.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Golfe Une croisade impérialiste pour le maintien du statu quo mondial

Deux mois après l'invasion éclair du Koweit et l'annexion de cet émirat par l'Irak, on assiste toujours à un formidable déploiement de forces guerrières dans cette région du monde, qui est l'un des principaux réservoirs en pétrole de la planète, sans que l'on puisse affirmer si cette crise débouchera ou pas sur un affrontement militaire.

Si les points d'interrogation concernant l'évolution de la situation sont nombreux, la nature de l'intervention des dirigeants du monde occidental, sous la direction des États-Unis, est claire. Les grands mots de lutte pour le droit international, les libertés, etc., ne peuvent dissimuler qu'il s'agit d'une intervention impérialiste visant à maintenir un statu quo mondial et à protéger l'ordre mis en place par les puissances capitalistes. Et c'est bien sûr le caractère politique et social de cette intervention qui nous conduit à choisir notre camp, c'est-à-dire celui des masses arabes qui risquent de devoir affronter demain les armées des grands pays occidentaux, le camp des peuples opprimés et exploités par l'impérialisme.

Ce choix nous place de fait du même côté que Saddam Hussein, un dictateur qui, il y a peu de temps, était ami des impérialistes, qui peut encore faire volte-face demain et dont la politique n'a rien à voir avec la défense des intérêts des masses populaires. Soit ! Cette compagnie ne peut nous faire changer de camp. Elle nous rappelle tout simplement que la mainmise des puissances impérialistes sur cette région est telle que la moindre velléité d'un de ses dirigeants de desserrer, ne serait-ce qu'un peu, cette emprise, peut le contraindre à prendre le risque d'un affrontement avec les plus puissantes armées du monde.

Gigantesque deploiement de forces imperialistes mais prudence militaire... et politique

Lorsque le 2 août les troupes irakiennes ont envahi le Koweit, George Bush a immédiatement réagi. Les dirigeants américains ne sont pas toujours si chatouilleux quand des armées franchissent des frontières ou annexent des territoires. Israël et la Syrie ont pu en leur temps envahir une partie du Liban sans qu'une gigantesque armada américaine encercle les États concernés. Depuis des années, l'occupation par l'armée israélienne des territoires de Cisjordanie et de Gaza fait l'objet de résolutions de l'ONU qui restent lettre morte. C'est dire assez que le droit international au nom duquel les Occidentaux prétendent agir n'a rien à voir avec le fond de l'affaire. Aujourd'hui, dans le cas du Koweit, il ne s'agissait même pas des droits d'un peuple opprimé, mais du maintien d'un État fantoche tout à la dévotion des intérêts des grandes puissances. Aussi, le coeur des dirigeants occidentaux ne pouvait-il manquer de battre. C'est ainsi qu'en quelques jours on a vu George Bush, agissant en leader du monde occidental, dépêcher des dizaines et des dizaines de milliers de militaires nord-américains, et faire converger vers le Golfe d'énormes moyens navals, aériens et terrestres en prenant soin d'engager derrière lui - militairement si possible, même de façon symbolique, et aussi politiquement et financièrement - non seulement les grandes puissances occidentales, mais aussi le maximum de gouvernements des pays arabes et même, pour la première fois, l'URSS, sous couvert d'appliquer les décisions de l'ONU.

Cependant, dans cette crise, Bush n'a pas les mains aussi libres que pourrait le laisser supposer la formidable supériorité militaire de l'armée américaine.

Bush sait qu'il doit tenir compte de l'opinion américaine pour qui le souvenir de la guerre du Vietnam est encore présent et qui n'est peut-être pas prête à accepter une nouvelle guerre longue, coûteuse en dollars et en vies humaines.

Bush sait aussi que le Moyen-Orient est une poudrière, qu'il y existe des populations hostiles et excédées pour qui l'intervention américaine est synonyme d'oppression et d'injustice.

Bush sait encore qu'une guerre ouverte au Moyen-Orient pourrait avoir des répercussions dans tous les États arabes, même ceux qui le soutiennent aujourd'hui, du Maghreb à l'Egypte, dont les régimes pourraient se trouver déstabilisés par une vague de sentiment anti-américain de la part de ces peuples.

S'il était certain que l'armée US l'emporte rapidement, en une guerre éclair, les risques seraient infiniment moins grands. Mais si la guerre devait se prolonger sur le terrain pendant des mois, il en irait tout autrement.

Même la plus grande puissance impérialiste peut craindre les masses populaires, y compris son propre peuple, même en cette époque où il semble que tout ferment révolutionnaire ait disparu ou ait été anéanti.

C'est ce qui explique que depuis des semaines, Bush n'ait pas encore pris l'initiative d'une confrontation armée et que, dès le tout début de l'affaire, il n'ait pas déclaré qu'il envoyait des troupes pour reconquérir (ou « libérer » ) le Koweit, mais pour défendre l'Arabie Saoudite que Saddam Hussein n'avait peut-être - ou même sûrement - pas l'intention d'envahir.

C'est à cette prudence vis-à-vis d'éventuelles réactions populaires dans une partie du monde et aux USA que nous devons de ne pas, jusqu'ici, connaître une nouvelle guerre coloniale.

Dans le camp opposé, Saddam Hussein semble jusqu'à présent faire preuve de prudence. Il tient bon sur le problème de l'annexion du Koweit qu'il occupe militairement. Il a fait un certain nombre de gestes spectaculaires concernant les résidents étrangers, le personnel des ambassades. Mais il avance à pas comptés, alliant une apparente fermeté à la volonté de ménager toutes les portes de sortie diplomatiques et se gardant bien de déclencher les hostilités.

En réalité, lui aussi mène pour le moment essentiellement l'offensive sur le terrain politique vis-à-vis des gouvernements et des masses non seulement des pays de la région mais aussi des autres pays pauvres.

Un certain nombre de gestes politiques sont en tout cas significatifs de sa démarche. Un peu moins de deux semaines après le début du conflit, Saddam Hussein trouvait officiellement un terrain de négociations avec l'Iran, l'ennemi d'hier. Cette reprise des relations entre les deux pays qui se sont fait la guerre pendant huit ans visait bien sûr à obtenir du gouvernement de ce pays dont la frontière avec l'Irak est très longue, qu'il ne respecte pas (officiellement ou officieusement d'ailleurs) l'embargo voulu par les USA. Par ailleurs en lançant des appels aux masses arabes, en s'adressant aux Palestiniens dispersés dans tout le monde arabe, en invoquant la guerre sainte qu'il faudrait livrer pour débarrasser les « lieux saints » musulmans de la présence américaine et sioniste, Saddam Hussein utilise un sentiment hostile à l'impérialisme américain dont on sait qu'il est largement partagé non seulement par les masses populaires de la région mais aussi par les peuples qui, de l'Amérique latine à l'Asie en passant par l'Afrique, subissent toujours, et encore plus depuis la crise, une exploitation impitoyable.

Face à Bush qui agit en leader du monde riche, Saddam Hussein se pose en leader du monde arabe, et il cherche à se ménager un soutien dans les pays pauvres. C'est, par exemple, le sens de la proposition qu'il leur a faite, de leur fournir gratuitement le pétrole s'ils pouvaient venir le prendre.

Les puissances impérialistes ne savent, elles, que spéculer sur le pétrole, faisant monter les cours à un niveau tel que c'en est une véritable catastrophe économique pour tous les pays pauvres qui ne sont pas producteurs de pétrole. Ce qui les empêche de se fournir en pétrole, ce n'est pas l'Irak. Le blocus ne serait pas violé puisque l'Irak ne recevrait aucun argent en échange de son pétrole. Mais les spéculateurs pourraient peut-être moins spéculer.

Tout cela ne permet de préjuger ni des réactions des gouvernements des pays pauvres, ni de celles des masses en cas d'une guerre ouverte, mais cela explique que les USA hésitent à mettre le feu aux poudres.

Une mise en condition de l'opinion pour obtenir le consensus des peuples

Dans tous les pays occidentaux, on assiste à un formidable déluge d'hypocrisie déversé sans pudeur par la presse écrite et audiovisuelle. Les journalistes de tout bord répètent avec une servilité écoeurante les mensonges des gouvernants.

Saddam Hussein, considéré il y a peu comme un dirigeant arabe respectable, digne de la confiance des impérialistes, est aujourd'hui qualifié de « nouvel Hitler » ; tout comme Nasser d'ailleurs l'avait été quand, il y a plus de trente ans, il avait osé nationaliser le canal de Suez. Cela proviendrait-il du fait que l'annexion du Koweit ait été plus violente, plus brutale, plus meurtrière que les guerres et les répressions menées dans le passé par le régime irakien ? Certainement pas. Mais tant que Saddam Hussein assassinait les opposants, réprimait les révoltes au Kurdistan, menait la guerre contre l'Iran accusé par l'Occident de vouloir exporter la révolution islamiste, tant qu'il semait la mort grâce aux armes que lui vendaient les marchands de canons et d'armes chimiques des États occidentaux auprès desquels il endettait son pays, en protégeant à sa façon le statu quo mondial, le chef de l'État irakien méritait d'être un ami des puissants de ce monde. Et si tout change aujourd'hui, c'est tout simplement parce que cet enfant chéri de l'impérialisme tient tête à ses protecteurs sur le problème des prix du pétrole et sur celui de l'intégration du Koweit à l'Irak, revendiquée depuis des décennies par les gouvernements de Bagdad, remettant ainsi en cause le découpage des frontières mis en place par l'impérialisme.

Il n'en a donc pas fallu plus pour qu'on évoque dans la mémoire occidentale les souvenirs tragiques du fascisme allemand. Le « nouvel Hitler » serait en train de tenter de contraindre les démocraties à un nouveau Munich. Il ne faudrait pas, nous dit-on, que l'Occident qui a laissé faire Hitler, recommence aujourd'hui à laisser faire Saddam Hussein. Que la situation de l'Irak, ce pays pauvre de 18 millions d'habitants qui en est à tenter de vendre un peu plus cher son pétrole, n'ait vraiment rien à voir avec la puissance impérialiste qu'était l'Allemagne des années trente, décidée à remettre en cause par la force le partage du monde que les impérialistes français et anglais avaient imposé en 1919, n'empêche pas tous les journalistes de broder sur le thème du moment. Et toute l'argumentation de tous ces plumitifs qui n'ont rien dit lors des interventions américaines à la Grenade, ou à Panama, consiste à ancrer dans la conscience de la population que cette mobilisation spectaculaire des armées occidentales pour mettre au pas l'Irak est finalement utile au sort de l'humanité, et un effort pour garantir la paix.

Tout aussi hypocrite est la justification de cette intervention au nom des droits de l'homme. Hussein serait devenu l'homme à abattre parce qu'il est un dictateur. Sans doute l'est-il, et depuis longtemps, très longtemps même. Mais, à ce que l'on sache, ce ne sont pas ses méthodes musclées de gouvernement qui gênent les dirigeants nord-américains. Sans même revenir trop loin en arrière, il semble que ceux-ci n'aient pas craint d'appuyer Pinochet au Chili, les militaires argentins ou brésiliens. Sans compter qu'ils appuient aujourd'hui, dans ce même Moyen-Orient, un régime tout aussi dictatorial, et encore plus réactionnaire que celui de Saddam Hussein, celui de l'Arabie Saoudite. Un régime rétrograde où les préjugés religieux justifient les pratiques moyenâgeuses et l'oppression des femmes.

Le droit international, la démocratie, le droit des peuples, l'impérialisme s'en moque, aujourd'hui comme hier, sauf lorsqu'il s'agit de justifier ses aventures militaires. Toute l'histoire du Moyen-Orient en est la preuve.

Un ordre international que les imperialistes ont mis en place en fonction de leurs interets et de leurs rivalites

Le Moyen-Orient, à la limite de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie, est depuis longtemps une zone stratégique qui n'a cessé d'intéresser les grandes puissances et d'être l'enjeu de leurs rivalités.

Il y a deux siècles, la plupart des territoires de la région du monde que nous désignons aujourd'hui sous le terme de Moyen-Orient faisait partie du vaste empire ottoman qui, au Sud, allait des frontières de la Perse à celles du Maroc et dont ces deux pays ne firent jamais partie.

Mais cet empire entamait son déclin au moment même où les grandes nations capitalistes européennes étendaient leur influence sur le monde entier. Et son histoire devint bientôt celle de leurs luttes et de leurs rivalités pour dépecer à leur profit cette région qui constituait une zone stratégique entre l'Europe et l'Extrême-Orient en même temps qu'elle comprenait des places commerciales héritées du passé, en particulier en Egypte et au Liban.

Pendant que la Russie tsariste visait les Dardanelles, l'Angleterre et la France mirent sous leur dépendance financière les deux principaux pays qu'étaient la Turquie et l'Egypte. L'Angleterre fit main basse sur toute la zone du golfe Persique pour obtenir le contrôle sans partage de la route des Indes. Et à la fin du siècle, l'Allemagne étendit son influence essentiellement en Turquie et en Irak. Les guerres de rapine et les aventures militaires des grandes puissances impérialistes d'alors les conduisirent bientôt d'ailleurs à une guerre généralisée pour le partage du monde.

C'est de la fin de la Première guerre mondiale, qui vit donc l'effondrement de l'empire ottoman, que date l'essentiel du découpage de cette région en pays aux frontières arbitrairement dessinées, dont l'Angleterre et la France se répartirent le contrôle direct.

Alors que pour les mobiliser contre l'empire turc, on avait promis aux peuples arabes de favoriser la constitution d'un grand État arabe, on assista à une balkanisation du Moyen-Orient.

Les différents États de la région passaient sous mandat de la France et de l'Angleterre à qui la Société des Nations confiait la mission de les « préparer à l'accession à l'indépendance », « accession » qui dura de la veille de la Seconde guerre mondiale à seize ans après sa fin. Le découpage des frontières en lui-même attestait la volonté de faire de ces pays des unités non viables. Les impérialistes ont créé l'Irak, ont détaché la Syrie, ont coupé la Jordanie de la Palestine, et l'on n'en finirait pas d'énumérer les calculs qui ont prévalu dans ce dépeçage imposé au plus grand mépris des intérêts des peuples arabes, en visant à chaque fois à diviser pour régner et à mettre sous la coupe directe des grandes puissances des États à leur dévotion. L'accession à l'indépendance politique formelle de l'Iran, de l'Irak et de Koweit n'a rien changé à leur dépendance profonde, et d'autant plus délibérément entretenue par les grandes puissances impérialistes que cette région était devenue décisive sur le plan économique à cause de ses immenses ressources pétrolières.

La découverte et la mise en valeur des importants gisements pétroliers de la région dans l'entre-deux guerres raviva les rivalités impérialistes. Et dans les années qui marquèrent la fin de la Seconde guerre mondiale et l'après-guerre, on vit les États-Unis supplanter les impérialismes anglais et français et mettre directement ou indirectement la main sur les richesses pétrolières de l'Arabie Saoudite.

Un certain nombre de remaniements de frontières furent imposés par la force.

Israël naquit aussi dans la violence d'un combat désespéré de femmes et d'hommes venant de vivre une tragédie sans nom pour se créer une patrie en se battant contre l'impérialisme anglais mais aussi - c'est une autre tragédie - contre le peuple arabe.

Les accords inter-impérialistes condamnaient les États créés à végéter. Et il est certain que dans les années qui suivirent, tout leader nationaliste conséquent, désireux de construire un pays viable, se heurtait de front au découpage des frontières, à l'ordre établi et au statu quo mondial défini par les puissances impérialistes et approuvé par l'URSS qui, on s'en souvient, avait été conviée à la fin de la guerre à la table des grands pour un partage du monde qu'elle n'a jamais cherché à remettre en cause.

Zone d'affrontements militaires répétés depuis cette époque, le Moyen-Orient est sans doute l'une des régions où il est le plus indécent pour les impérialistes de parler de droit international.

Le Koweit indépendant depuis 1961 est, on le sait, l'un de ces mini-États pétroliers qui jalonnent le Golfe. Riche en pétrole, peu peuplé, cet ancien protectorat britannique forme une enclave dans l'Irak, et a toujours été revendiqué par l'Irak. Mais l'existence du Koweit comme État indépendant permettait de mettre une partie importante des ressources pétrolières de la région hors du contrôle des États plus importants et plus peuplés qui, comme l'Irak, pouvaient être le théâtre de crises sociales et politiques. L'impérialisme anglais imposa sur les bords du Golfe persique ce que l'impérialisme français rêva un moment de sauvegarder en Algérie en maintenant un État saharien indépendant lui permettant de contrôler directement la production pétrolière d'Hassi Messaoud. Et l'actuel affrontement entre l'Irak et l'impérialisme sur le problème du Koweit n'est pas le premier, puisqu'en 1961, alors que le Koweit venait de se voir accorder par l'Angleterre son indépendance, Kassem, le dirigeant de l'Irak d'alors, tenta lui aussi cette annexion et choisit d'y renoncer devant la réaction anglo-américaine.

En réalité, le droit international dont on nous parle et reparle est le droit que s'arrogent les puissances impérialistes de faire pression sur les pays producteurs de pétrole pour faire baisser le prix auquel on leur achète leur pétrole. Leur mainmise sur certains États (Koweit, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite) leur permet d'ouvrir et de fermer les robinets en modifiant les lois du marché.

Les royalties que touchent ces pseudo-États servent à nourrir les opérations financières des grandes places boursières d'Occident - des sommes fantastiques puisque l'estimation des avoirs de l'ensemble des États du Golfe, Koweit compris, tournerait autour de 470 milliards de dollars, plus de deux fois la dette de l'ensemble des pays arabes.

Cet ordre international tout au profit des riches dévoile son vrai visage dans l'affaire du Koweit. Les impérialistes sont mobilisés pour sauvegarder l'existence de l'État koweitien et leur possibilité de freiner les hausses de prix d'achat du pétrole. Ils ont mobilisé une formidable armada pour cela. Or la première conséquence de cette expédition est qu'en quelques semaines, sans qu'il y ait la moindre pénurie, on a vu les cours du pétrole flamber, non pas à cause de l'Irak mais du fait de la spéculation des sociétés pétrolières et financières. Des magnats du pétrole se frottent sans doute aujourd'hui les mains en voyant le prix du pétrole monter au point que l'exploitation de certains gisements jusque-là peu rentables le deviennent. Des milliers de parasites spéculent sur une hausse qui va ruiner l'économie de nombreux pays. Mais peu importe, les mêmes dirigeants de l'impérialisme si prompts à réagir contre les pays pauvres se découvrent impuissants devant la Bourse, la spéculation, l'incurie de leur propre système.

Le droit international que tous les politiciens prétendent défendre n'est en fait rien d'autre que la justification de ces pillages, ces vols et ces absurdités du système capitaliste.

Leur ordre international, c'est la loi du plus fort

Si l'intervention des USA défend une liberté, c'est celle qu'ont les compagnies pétrolières et financières de faire des profits sans rendre de comptes, leur liberté de déclencher des crises, de ruiner des économies, de provoquer des guerres.

C'est cela « l'ordre international » auquel il ne faut pas toucher et pour lequel demain peut-être des jeunes de tous pays mourront sur les bords du Golfe ou dans les sables du Moyen-Orient.

L'impérialisme a voulu faire une démonstration sur deux plans.

Il a voulu lancer un avertissement aux peuples pour les avertir que les dirigeants du monde impérialiste sont les maîtres du monde, qu'ils ne laisseraient pas toucher aux frontières qu'ils ont sciemment dessinées ni aux États qui les protègent.

Mais leur déploiement de force est aussi pour eux une façon de donner des garanties aux gouvernements qui dans toutes les régions du monde protègent leurs intérêts.

Les dirigeants américains n'ont jamais lâché les dictatures les plus haïes que lorsqu'elles étaient de toute façon perdues. Ils viennent de redire là au roi d'Arabie Saoudite, aux émirs dont l'opulence ne peut que révolter les peuples, que les États-Unis les protégeront.

L'ordre que les dirigeants impérialistes, avec aujourd'hui l'appui ouvert de l'URSS, défendent est fait de frontières, d'États et de gouvernements destinés à étouffer les révoltes et à contraindre les peuples à supporter l'oppression, la misère, l'absence de liberté.

L'intérêt de tous les travailleurs de tous les pays est de renverser cet ordre social-là, et pas de le défendre ni en période de paix, ni en période de guerre.

Aujourd'hui les politiciens qui gouvernent les pays riches cherchent à créer un consensus qui fasse que demain, si la guerre éclate, personne n'ose réagir et dire que cette guerre est celle des riches contre les pauvres et qu'elle ne doit pas être celle des travailleurs des pays riches contre ceux des pays pauvres.

Les troupes occidentales doivent se retirer, et il n'y a pas à demander pour faire un semblant de part égale que Saddam Hussein rende le Koweit. C'est l'affaire des populations arabes de la région. Pas des puissances capitalistes d'Occident.

Et si demain la crise du Golfe se transforme en affrontement armé, les travailleurs du monde entier doivent être pour la défaite des armées impérialistes. Même si c'est Saddam Hussein qui a commencé les hostilités.

Tout en sachant et en disant qui est Saddam Hussein, et qu'il ne représente pas les intérêts des masses arabes, si demain l'armée irakienne avec à sa tête Saddam Hussein est engagée dans un affrontement avec les armées impérialistes, c'est la victoire de la première qu'il faut souhaiter - tout comme il fallait hier souhaiter la victoire du Vietnam bien que des criminels soient à la tête de ce régime.

Si les masses populaires arabes veulent s'émanciper, elles devront combattre Saddam Hussein. Mais c'est à elles qu'il incombe de le faire, pas à Bush, pas à Thatcher, pas à Mitterrand.

Ce qu'est Saddam Hussein ne doit pas rejeter les travailleurs des pays riches dans le camp de leurs propres exploitateurs, de l'impérialisme, des marchands de canons et des gouvernants des pays capitalistes. Ce serait la pire des politiques. Car si nous voulons que demain les masses arabes aient d'autres perspectives que celles de suivre un Saddam Hussein, il faut qu'elles sachent qu'elles ont des alliés dans le prolétariat d'Occident qui, pour sa part, n'a pas envie de servir de chair à canon pour le compte des rois du pétrole et de la spéculation financière.

Depuis plus d'un an maintenant, on nous répète qu'un nouvel ordre international, fait de concertation et de négociations, est en train de se construire.

On invoque pour cela le fait que l'URSS se serait récemment alignée sur l'Occident capitaliste. Du Nicaragua à l'Afrique du Sud en passant par l'Europe de l'Est, les apologistes avoués ou honteux du libéralisme occidental n'en finissaient pas de commenter les effets d'une disparition supposée des blocs rendant enfin possible le règlement négocié de nombreux conflits. Cette propagande repose sur une vision du passé qui accrédite l'idée que jusqu'à présent l'URSS aurait au moins partagé avec les puissances impérialistes la responsabilité des tensions passées et que les risques de guerre venaient finalement de l'existence de ces blocs rivaux, donc de l'URSS. C'était oublier que depuis l'ère stalinienne, l'URSS n'a jamais essayé de modifier l'ordre mondial mais tout au plus d'utiliser des tensions circonstancielles à son profit pour maintenir sa place au soleil. Jamais ni avant, ni pendant, ni après la guerre froide, les dirigeants soviétiques n'ont pris d'initiatives susceptibles de remettre en cause le statu quo. Dans toutes les guerres coloniales, c'est après la victoire des peuples - et rarement pendant - que l'URSS est venue en aide aux États mis en place par cette victoire. Et si elle a toujours défendu sa place de grande puissance, elle n'était pas, face à l'impérialisme, la puissance agressive. Ce qui change aujourd'hui, ce n'est pas le fond de la politique de l'URSS. Car ses votes négatifs à l'ONU n'étaient pas décisifs. Ce qui change c'est la forme. Et il est certain qu'aujourd'hui l'approbation explicite de l'URSS (même si elle émet quelques réserves) n'a finalement comme conséquence que de faciliter le consensus des grandes nations derrière la politique américaine.

Tout le monde a donc eu beau faire des phrases sur l'ère de paix que le nouveau cours des dirigeants soviétiques allait ouvrir, voilà que dans ce Moyen-Orient où depuis des années la mainmise impérialiste engendre de multiples crises politiques et sociales, la situation se tend en quelques semaines au point que tout le monde envisage l'éventualité d'une guerre dans cette région du monde. C'est finalement une fois de plus la preuve que le risque de guerre ne venait pas de l'Est mais de l'impérialisme, c'est-à-dire de ces grandes puissances occidentales qui continuent de mettre le monde en coupe réglée pour assurer les profits d'une minorité.

Les puissances impérialistes n'ont pas eu besoin d'attendre la création de l'URSS pour déclencher une Première guerre mondiale. Ce n'est pas à cause de l'URSS qu'elles ont déclenché la Seconde. Et l'URSS peut bien s'aligner sur elles, cela n'empêchera pas le capitalisme d'engendrer la guerre.

Ce qui compte c'est que, parallèlement, la politique de l'impérialisme à l'échelle du monde engendre des révoltes, des révoltes contre la misère, la faim, l'oppression nationale. Des révoltes contre l'ordre établi. Des révoltes qui demain peuvent entraîner des millions d'hommes, face auxquels les plus grandes armées ne pourront rien faire. On voit aujourd'hui le géant américain mesurer ce risque et hésiter à intervenir militairement.

Il n'a sans doute pas tort d'être prudent. Car chacune de ses interventions, même celles qui sont sur le moment un succès, ne fait que renforcer la haine qui gonfle le coeur de millions d'hommes dans les pays qu'il exploite et qu'il opprime.

28 septembre 1990

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