France L'élection présidentielle et ses chassés-croisés01/02/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/02/15_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

France L'élection présidentielle et ses chassés-croisés

Depuis plusieurs mois, la France vit à l'heure de l'élection présidentielle qui aura lieu les 24 avril et 8 mai prochains. L'enjeu affirmé de cette élection est pour le moins paradoxal car la réélection de l'homme qui est actuellement en place et qui est actuellement donné comme vainqueur dans les sondages, François Mitterrand, est présentée comme un changement à la tête de l'État et un retour de la gauche au pouvoir. Comment le maintien du président peut-il faire espérer un changement de couleur du gouvernement ?

Avant tout par beaucoup d'illusions politiques et secondairement par les aspects spécifiques de la Constitution de la France... et par les recombinaisons politiques toujours possibles entre des formations politiques dont les étiquettes « gauche » et « droite » ne recouvrent pas des réalités sociales différentes, et ne recouvrent que des identités politiques interchangeables.

En 1981, pour la première fois depuis plus de vingt ans, un homme au label de gauche, François Mitterrand, avait été élu à la présidence de la République ; dans la foulée il avait dissout la Chambre, comme c'est son droit, et fait procéder àde nouvelles élections législatives qui avaient fait s'installer au Palais-Bourbon une majorité absolue de députés socialistes.

De 1981 à 1986, pendant cinq ans, le pays a donc été dirigé par un président de la République socialiste, un Premier ministre socialiste, et une Assemblée Nationale à majorité absolue socialiste.

Cinq ans plus tard, quand la législature prit fin (car le mandat de député dure cinq ans, à la différence de celui de président de la République qui en dure sept), de nouvelles élections législatives ramenèrent à la Chambre des députés une majorité de droite. D'où un petit problème car Mitterrand, lui, en avait encore pour deux ans... Mitterrand choisit alors comme Premier ministre, le dirigeant du principal parti de la droite, Jacques Chirac, avec lequel, depuis deux ans, il partage la direction des affaires de l'État.

C'est ce qu'on a appelé la « cohabitation », situation un peu insolite, mais qui n'a pourtant engendré aucun conflit majeur. Les deux têtes se sont partagé très courtoisement les responsabilités.

Mais quoi d'étonnant à cela ? De 1981 à 1986, l'« Union de la Gauche », puis le PS seul au gouvernement avaient eu au fond la même politique que les gouvernements de droite précédents. Les années 1986 à 1988 confirmaient que les différences étaient à ce point accessoires entre la gauche et la droite que celles-ci pouvaient coexister à la tête de l'État. Après avoir gouverné successivement, elles pouvaient le faire simultanément.

Cependant, cette cohabitation fut davantage le fruit du hasard des calendriers électoraux que celui d'une volonté de participer ensemble à la direction politique des affaires de la bourgeoisie.

L'enjeu de ces élections n'est donc qu'une redistribution politicienne des cartes.

Pour l'élection présidentielle la loi prévoit que si un candidat n'a pas la majorité absolue au premier tour, un second tour est organisé. Elle prévoit aussi que dans ce cas il ne peut y avoir en lice au second tour que deux candidats, ceux qui ont obtenu le plus de voix au premier tour.

Du côté de la droite, deux principaux candidats s'affrontent : Jacques Chirac, leader du parti ex-gaulliste, le RPR, et Raymond Barre, leader de l'autre formation de l'actuelle majorité gouvernementale, l'UDF.

Ils sont concurrents car c'est le premier arrivé des deux qu'affrontera Mitterrand (donné comme vainqueur au second tour dans les sondages, dans tous les cas).

Si Chirac l'emporte sur Barre au premier tour puis sur Mitterrand au second, il gardera l'actuel Parlement, il l'a annoncé, où ses députés forment le groupe le plus important de l'actuelle majorité.

Pour sa part, Barre a déclaré que s'il l'emporte il dissoudrait le Parlement pour procéder à de nouvelles élections et bien sûr tenter de profiter du crédit de sa victoire pour qu'au Parlement revienne un plus grand nombre de députés de son mouvement.

Et si c'est Mitterrand, le problème est tout à fait semblable, sauf que lui n'a pas dit ce qu'il ferait (à l'heure où nous écrivons, il n'est d'ailleurs toujours pas officiellement candidat). Mais les instances dirigeantes de son parti, le Parti Socialiste, n'ont voulu se prononcer et s'engager sur l'éventuelle dissolution de l'Assemblée, ni dans un sens, ni dans l'autre.

Ce qui signifie que Mitterrand se réserve les deux possibilités : soit de dissoudre la Chambre en prenant d'ailleurs le risque de ne pas avoir plus de députés socialistes qu'aujourd'hui ; soit de ne pas la dissoudre en désignant un Premier ministre qui pourrait, en débauchant quelques députés de l'actuelle majorité, constituer un gouvernement qui s'appuyerait et sur les députés socialistes (avec ou sans les députés communistes) et sur des députés de partis de l'actuelle majorité (qui est un rassemblement). Ce Premier ministre pourrait être socialiste ou ne pas l'être : tout dépend des difficultés à constituer cette nouvelle majorité. Si Mitterrand réussissait une telle opération, cela n'aurait été rendu possible que par l'amenuisement constant des scores électoraux du Parti Communiste, auquel les sondages ne donnent que 5 % des voix aujourd'hui.

Ce serait l'aboutissement d'une longue marche politique de François Mitterrand.

Il aura fallu en effet un certain temps - vingt ans de règne sans partage du parti de de Gaulle et de ses alliés - pour que Mitterrand réussisse - avec une certaine intelligence des situations et beaucoup de chance - à regrouper derrière lui, de plus ou moins bon gré, électeurs communistes et socialistes pour, en ajoutant ce qu'il fallait de « centristes », faire une majorité, et parvienne ainsi à la présidence de la République.

Mitterrand commença sa nouvelle carrière (car il en avait déjà fait une de 1947 à 1958, sous la IVe République) par un coup assez spectaculaire : s'imposer, au premier tour de l'élection présidentielle de 1965, comme le candidat unique de la gauche, obtenant que ni le Parti Socialiste (auquel il n'appartenait pas encore) ni le Parti Communiste Français ne présentent de candidat contre lui. Cela valut à Mitterrand d'être au second tour le « challenger » de gauche de de Gaulle, rassemblant sur son nom 45,5 % des suffrages exprimés tandis que de Gaulle en faisait 54,5 %. Pour Mitterrand, c'était le début d'une carrière...

Les dirigeants du Parti Communiste Français s'effacèrent devant Mitterrand qui n'avait pourtant strictement rien promis aux travailleurs (c'était le début de ce que les dirigeants du Parti Communiste Français, ces toutes dernières années, appelèrent... 25 ans d'erreurs). Mais les dirigeants du Parti Communiste Français n'avaient pas d'autre politique à proposer aux travailleurs que de bien voter, pour permettre d'une façon ou d'une autre au Parti Communiste Français de faire alliance avec un ou des partis acceptés par la bourgeoisie. Ainsi, il pouvait sortir du ghetto dans lequel il était tenu depuis la guerre froide et revenir ainsi un jour au gouvernement, même si c'était, bien entendu, au sein d'une coalition qui ne pouvait avoir d'autre visée que celle de gérer les affaires de la bourgeoisie pour la bourgeoisie.

Mais le court épisode des élections de 1965 passé, l'ostracisme du Parti Socialiste à l'égard du Parti Communiste Français continua. 1968 n'y changea rien, la gauche ne cherchant alors surtout pas à profiter des événements pour remplacer un pouvoir gaulliste qui chancelait devant la révolte étudiante, puis la grève générale.

Pourtant, l'élection présidentielle de 1969, après le départ de de Gaulle - où l'union de la gauche ne se refit pas et où Mitterrand ne se présenta pas - illustrait bien le rapport de forces électoral entre socialistes et communistes : le candidat socialiste Defferre faisait 5,1 % des voix ; Rocard, pour le PSU, 3,7 % ; mais Jacques Duclos, candidat du Parti Communiste Français, en recevait 21,5 %. C'était la confirmation que le Parti Communiste Français était une « réalité incontournable », comme on dirait maintenant !

C'était la confirmation que le Parti Socialiste lui-même, s'il voulait avoir la moindre chance de revenir au gouvernement, devait changer une politique de plus de vingt ans et envisager une alliance durable avec le Parti Communiste Français.

Avec le mode de scrutin majoritaire de la constitution de la Ve République, le Parti Socialiste en effet ne pouvait espérer accéder au gouvernement que par la voie d'une alliance qui en fasse l'élément d'une majorité. Mais avec qui ? La droite était certes davantage divisée que sous de Gaulle, qui venait de se retirer, mais ses hommes politiques se disputaient déjà les places entre eux (ce n'était pas pour les partager avec ceux du Parti Socialiste). Le Parti Socialiste ne pouvait pas espérer y trouver des alliés qui lui permettent de faire une majorité. Il lui restait l'option « Parti Communiste Français ». L'heure de Mitterrand et de la politique qu'il proposait dès 1965 avait sonné.

L'union de la gauche

La longue marche vers le regroupement de la gauche derrière Mitterrand s'est faite en quelques étapes.

Le fait d'avoir été, en 1965, « le candidat unique de la gauche » faisait gagner à Mitterrand une longueur d'avance décisive sur les dirigeants socialistes d'alors. En pouvant prétendre avoir les voix du Parti Communiste Français, et de plus, sans aucune contrepartie, il offrait en quelque sorte au nouveau Parti Socialiste, qui avait succédé à la SFIO en 1969, l'alliance dont celui-ci avait besoin. Cela signifiait bien entendu le ralliement du Parti Socialiste à Mitterrand qui en devint le dirigeant en 1971. Cela signifiait une réorientation politique du Parti Socialiste en faveur d'une « Union Populaire », c'est-à-dire non seulement d'un accord électoral avec le Parti Communiste Français pour les prochaines élections, mais même d'un engagement à gouverner avec lui, en cas de victoire électorale de la coalition.

L'affaire se conclut, en 1972, par la signature d'un « Programme commun de gouvernement », signé par les dirigeants socialistes et communistes.

Dans cette première partie des années 1970, et après, pour les négociations entre socialistes et communistes pour la définition d'un programme commun de gouvernement, sous la haute autorité de l'ancien politicien centriste Mitterrand, socialiste de la dernière pluie, on peut dire qu'on a assisté à une certaine montée à gauche, et à la montée électorale du Parti Socialiste sans que le Parti Communiste Français recule. Le Parti Socialiste prenait un nouveau départ, reconstituait ses forces et son influence perdues par sa participation aux pires gouvernements de la IVe République et aux débuts du régime gaulliste.

L'alliance PC-PS de l'époque commençait donc à devenir une majorité électorale possible, même si elle ne l'était pas encore... Au premier tour des élections législatives de 1973, elle était constituée par les quelque 21,4% des voix (suffrages exprimés) du Parti Communiste Français, les quelque 20,8% de l'UGDS (regroupement de Socialistes et Radicaux de Gauche), auxquels s'ajoutaient quelque 2 à 3% d'électeurs du PSU ou d'extrême-gauche.

Cependant, dans les années qui ont suivi l'élection présidentielle de 1974, où Mitterrand, à nouveau candidat unique de la gauche, fut battu de très peu par Giscard d'Estaing, la « gauche unie » continuait à progresser, mais il y avait une « recomposition » ou plutôt une décomposition interne aux dépens du PC. On pouvait juste la mesurer aux gesticulations que faisaient les dirigeants du Parti Communiste Français pour passer de périodes « unitaires » à des périodes de querelles avec leurs alliés socialistes dont ils voyaient bien qu'ils se développaient à leur propre détriment.

Les communistes avaient raison de mettre en garde contre les socialistes : ils avaient raison de souligner leur tiédeur ou leur éventuelle trahison des intérêts de la classe ouvrière... A ceci près que d'une part les dirigeants communistes ne représentaient pas fondamentalement mieux ces intérêts ouvriers, et que, d'autre part, ils avaient passé la plus grande part des années précédentes à convaincre les travailleurs de faire confiance à ces socialistes et à Mitterrand.

C'étaient les dirigeants du Parti Communiste Français qui, les premiers, avaient vanté les charmes du « tout électoral » et de l'unité sur ce terrain qui n'est pas celui des travailleurs ; c'étaient eux qui, en 1965 comme en 1974, s'étaient retirés devant Mitterrand et n'avaient pas présenté leur propre candidat ; c'étaient eux qui avaient mis dans le crâne d'une bonne partie des travailleurs que l'unité en soi était forcément une bonne chose, indépendamment de la politique pour laquelle on la faisait. Alors, quand les communistes ont commencé à renâcler, le mythe du changement par le bulletin de vote et de l'unité à tout crin qu'ils avaient eux-mêmes forgé, s'est retourné contre eux. Et ce sont eux qui y ont perdu des voix, du terrain, du crédit. Eux auxquels des travailleurs ont commencé à reprocher qu'ils affaiblissaient la gauche parce qu'ils la divisaient... Le phénomène était peut-être le reflet d'un recul de la conscience dans la classe ouvrière, mais surtout le fruit pourri de la politique du PC.

En fait, dans les années 1976-78, l'objectif affirmé de Mitterrand de « rééquilibrer la gauche » au profit du courant socialiste (il l'avait exprimé ainsi dès 1972) était en voie de réalisation. Le phénomène allait se révéler spectaculairement aux élections législatives de 1978. Là, au premier tour, tandis que le Parti Communiste Français baissait légèrement et rassemblait 20,6% des suffrages exprimés, le Parti Socialiste, lui, passait devant avec 22,8%, auxquels il fallait ajouter les 2% des candidats du MRG.

Bref, grâce à sa propre politique, le Parti Communiste Français n'était plus sur le terrain électoral le premier parti de France ni surtout le premier parti de gauche, et cela au profit du Parti Socialiste.

La gauche arrive au pouvoir

Evidemment, après plus de vingt-cinq années d'un pouvoir sans partage de la droite, la victoire électorale de Mitterrand, le 10 mai 1981, était spectaculaire. Mitterrand n'était certes pas un politicien très neuf puisqu'il avait commencé sa carrière dans l'immédiat après-guerre et ne s'était converti au socialisme que tardivement pour se servir du Parti Socialiste comme d'un marchepied, après avoir utilisé les votes communistes un peu de la même façon. Mais enfin, la gauche l'emportait. Les élections législatives qui suivirent immédiatement la dissolution de l'Assemblée Nationale virent un vrai raz de marée socialiste, tel que les députés du Parti Socialiste constituèrent à eux seuls une majorité absolue au Parlement (mais c'était parce que le scrutin majoritaire qui avait joué contre eux pendant vingt ans jouait enfin en leur faveur, car c'est avec 40% des voix qu'ils ont eu cette majorité absolue).

Mais si la victoire de Mitterrand, en 1981, fut perçue comme une victoire, et accueillie comme telle dans les entreprises et les milieux populaires, elle ne reflétait certainement pas une radicalisation de l'électorat, au contraire.

Au premier tour, le total des voix des candidats de gauche et d'extrême-gauche (Mitterrand, Crépeau, Huguette Bouchardeau, Marchais et Arlette Laguiller) restait inférieur de plusieurs centaines de milliers au total des voix de la droite (Giscard, Chirac, Debré, Marie-France Garaud).

Mais les résultats montraient qu'à l'intérieur de cet électorat, en revanche, une évolution importante s'était opérée.

Aux précédentes élections législatives de 1978, la balance était encore maintenue quasi égale entre le Parti Communiste Français et le Parti Socialiste. Mais en 1981, au premier tour, Mitterrand rejetait le candidat du Parti Communiste Français loin derrière lui. L'écart entre le Parti Communiste Français et le Parti Socialiste, qui était, en 1978, de 2 % en faveur du Parti Socialiste, passait en 1981 à plus de 10 % en faveur de Mitterrand : Marchais, avec seulement 15,48 % des voix, chutait de 5,21 % par rapport aux résultats des candidats de son parti en 1978.

Il y avait donc, incontestablement, un important transfert de voix vers le Parti Socialiste, au détriment du Parti Communiste Français. C'est sans doute ce qui fut la condition déterminante de la victoire de Mitterrand face à Giscard d'Estaing au deuxième tour.

Ceux qui firent pencher la balance en faveur de Mitterrand, d'un tour sur l'autre, ce fut une frange d'électeurs de Chirac du premier tour, qui avaient manifesté leur hostilité à Giscard. Leur vote était davantage un vote contre Giscard qu'un vote pour Mitterrand, mais il était aidé par le revers infligé par Mitterrand au Parti Communiste Français au premier tour. Les électeurs qui, votant d'habitude pour le RPR, le parti de Chirac, apportèrent le 10 mai leurs suffrages à Mitterrand, ont franchi un pas en direction d'un homme politique, certes leader du Parti Socialiste depuis dix ans, mais d'autant plus volontiers que Mitterrand semblait délié du Parti Communiste Français dont il avait d'ailleurs subi les attaques incessantes pendant toute la période électorale. C'était même lui qui avait porté au Parti Communiste Français un coup sévère sur le plan électoral. Et on peut penser que si les voix d'un certain nombre d'électeurs du RPR s'étaient cette fois portées sur Mitterrand, c'était parce qu'ils considéraient Mitterrand comme un homme de la bourgeoisie et étaient beaucoup moins abusés que les travailleurs par les étiquettes « gauche » et « droite ». S'il y avait eu « changement », il provenait donc de l'image rassurante de Mitterrand, ajoutée à tout son passé.

Et c'est probablement le « raz de marée » socialiste aux législatives qui suivirent l'élection présidentielle en juin 1981, ajouté à la confirmation de la chute de l'électorat du Parti Communiste Français, qui a encouragé Mitterrand à introduire dans le gouvernement socialiste quatre ministres communistes, véritables otages de la majorité absolue du PS au Parlement. Face à Giscard, perdant, qui avait avancé pendant sa campagne l'argument d'un Mitterrand « otage des communistes », Mitterrand faisait en quelque sorte la démonstration du contraire. Avec tous les avantages qu'il allait pouvoir en tirer : paix sociale davantage garantie pendant les premières années du gouvernement de la gauche et, en prime, un discrédit encore plus grand pour le Parti Communiste Français (car la politique du Parti Communiste Français à la fois de dénonciation de la social-démocratie puis d'acceptation de gouverner avec elle, pour faire avec elle « le sale boulot » anti-ouvrier, allait ébranler et les plus sociaux-démocrates dans ses rangs, attirés par Mitterrand et le Parti Socialiste, et les plus combatifs, écoeurés d'une participation gouvernementale qui tournait le dos à la classe ouvrière et à ses luttes).

A droite toute...

Alors, si dans la période 1974-78 la perspective d'un gouvernement de gauche sorti des élections semblait quelque chose de peu ordinaire, du jamais vu... pour une certaine génération, l'idée de la « gauche au gouvernement » depuis 1981 s'est très banalisée. La gauche est devenue une relève ordinaire... pour la bourgeoisie.

Après quelques velléités de faire du social, dans la première année de son gouvernement, la gauche a entamé, comme les gouvernements précédents, une politique anti-ouvrière tout autant en faveur de la bourgeoisie que celle de n'importe quelle droite.

La crise avait commencé à se manifester sérieusement avant 1981, et la panoplie des mesures anti-ouvrières était déjà mise en place avec les gouvernements de droite précédents : cadeaux financiers aux patrons, emplois précaires ou petits boulots sous-payés, pressions sur les salaires exercées grâce au chômage, réduction des prestations sociales, augmentations des cotisations... Mais sous la gauche, après quelques mesures « sociales » de bien faible portée, l'offensive a continué. Et la gauche - socialistes et communistes - qui pensait avoir assez de crédit auprès des travailleurs pour pouvoir en perdre à les décevoir, a osé prendre les mesures pour lesquelles des gouvernements de droite y avaient regardé à deux fois : en particulier le blocage des salaires décidé en 1982 par les ministres socialistes et communistes.

Cette évolution politique a eu lieu dans un contexte de stagnation et même de recul du moral de la classe ouvrière et ce contexte l'explique en retour.

Parmi les travailleurs beaucoup ont mis dans leur poche, avec un mouchoir dessus, tous leurs espoirs en réussissant à se convaincre qu'ils étaient utopiques, que la crise mondiale empêche de mener une autre politique, qu'il faut faire des sacrifices (même si on voudrait ne pas en faire trop et qu'ils soient mieux partagés). Ils ne sont pas satisfaits, ruminent leur rancoeur, disent même leur dégoût en quittant les organisations syndicales, politiques ou « associatives », mais, jusqu'à nouvel ordre, ils ont continué à donner leurs suffrages à Mitterrand et au Parti Socialiste, plus crédibles à leurs yeux sur le plan électoral et qui garde, en plus de ce marché de dupes, la qualité - bien surfaite pourtant - d'être « unitaire ».

Bien des travailleurs disent préférer voter Mitterrand et y tenir, parce que « la droite, c'est pire ».

C'est ce qui fait que Mitterrand comme le Parti Socialiste ont maintenu leurs scores électoraux aux niveaux atteints en 1981.

Evidemment, il y a aussi l'extrême-droite. Son leader Le Pen est candidat. Ce politicien de la IVe République, député déjà en 1956, (sous l'étiquette d'un mouvement de petits commerçants réactionnaire, le mouvement Poujade), qui s'était présenté à la Présidentielle de 1974 pour n'obtenir que 0,74 % des suffrages et n'avait paraît-il pas trouvé en 1981 les 500 parrainages d'élus nécessaires pour se présenter à nouveau, s'est vu offrir par la politique de la gauche au gouvernement l'occasion d'un nouveau départ. Parce que la gauche au gouvernement en a fait trop et trop peu. Trop peu évidemment - ou rien du tout ! - pour changer les conditions de vie des classes populaires ou pour affaiblir le camp de la bourgeoisie et instaurer un rapport de forces favorable aux travailleurs. Mais trop - ou trop de velléités et trop de discours ! - pour ces bourgeois et petits-bourgeois réactionnaires, bornés, qui ont vite fait de confondre Mitterrand et Lénine ! La gauche au gouvernement n'a pas satisfait les travailleurs, mais elle a permis à Le Pen et autres notables de se servir des sentiments anti-ouvriers d'une fraction de la petite-bourgeoisie et des désillusions d'une fraction des travailleurs pour refaire une carrière en réattisant les préjugés xénophobes et racistes des uns et des autres.

Pour l'heure, il n'y a pas cependant une grande différence entre la droite classique, et la droite extrême, entre le RPR et l'UDF d'un côté, le Front National de l'autre. Il y a même entre les deux une multitude de liens humains et de voies de passage, aller et retour. Les « élites » du Front National sont généralement d'anciens notables du RPR ou de l'UDF. Et, en l'absence d'une crise économique grave qui plongerait la petite-bourgeoisie dans la ruine et la misère, et inspirerait à un nouveau fascisme l'envie d'en dévoyer la rage contre la classe ouvrière, l'« effet » Le Pen, pour inquiétant et symbolique du glissement à droite de toute la société qu'il soit, n'est encore qu'une redistribution des cartes sur le terrain politique classique, institutionnel.

D'ailleurs si les sondages donnent Mitterrand vainqueur au second tour alors que le total des voix des partis de droite dépasse largement 50 % des voix au premier tour, c'est bien parce que des électeurs de Chirac, de Barre ou de Le Pen affirment qu'ils préfèrent voter Mitterrand au second tour que pour l'autre leader de la bourgeoisie aux couleurs de la droite qui serait face à lui. Bien sûr cela peut changer d'ici le 8 mai, mais c'est déjà ce qui valut à Mitterrand d'être élu en 1981.

Dans la situation actuelle les travailleurs n'ont certes rien à attendre des résultats de ces élections.

Surtout si l'on en croit les sondages qui montreraient une nouvelle baisse de l'électorat du PCF.

Mais si le bulletin de vote n'est qu'un morceau de papier, et si le droit de vote ne permet au mieux que de dire ce qu'on pense, c'est cependant un privilège de pays riche trop précieux pour être négligé ou méprisé.

C'est pourquoi les révolutionnaires doivent se saisir de toutes les occasions pour s'adresser aux masses populaires en général et aux travailleurs en particulier.

S'adresser à eux pour défendre un point de vue, un langage de classe face aux politiciens de la bourgeoisie, qu'ils portent l'étiquette gauche, droite, centre, ou autre.

C'est pourquoi nous serons à nouveau les seuls à présenter une candidate qui est à la fois une femme, une travailleuse comme des millions d'autres. C'est pourquoi nous ne parlerons ni de gauche ni de droite mais des intérêts de la classe ouvrière, de la classe des travailleurs qu'il est urgent de défendre en cette période de crise contre la rapacité de la classe des exploiteurs.

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