États-Unis : Le déclin des syndicats01/12/19861986Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1986/12/5_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

États-Unis : Le déclin des syndicats

Aux États-Unis, malgré la légère reprise économique depuis un peu plus de trois ans, les travailleurs continuent de voir leur niveau de vie et leurs conditions de travail se dégrader. A cet égard, les grèves qui ont eu lieu ces derniers mois ainsi que les accords qui ont été conclus, tant au niveau national que local, sont significatifs.

Ainsi, la grève de 26 jours de 180 000 travailleurs d'ATT s'est traduite par la suppression d'une clause de rattrapage et par la perte de nombreux emplois, en échange d'une augmentation minime des salaires. Chez Weyerhauser, l'entreprise la plus grande et la plus prospère de toute l'industrie du bois, 7 500 travailleurs ont vu leurs salaires amputés de 20 % après l'échec d'une grève d'un mois. De même, à Chrysler, où les profits ont atteint des taux records ces trois dernières années, la direction peut désormais restructurer à sa guise dans trois usines, où des contrats d'une durée de sept ans ont été signés - ce qui signifie que Chrysler a obtenu la bénédiction des syndicats pour faire produire plus avec moins de travailleurs. Enfin, malgré la grève des 21 000 travailleurs de l'USX (l'ex-US Steel) déclenchée en août, la direction veut réduire salaires et avantages sociaux, ce qui équivaudrait à une diminution du taux horaire de 3,50 dollars.

De telles baisses de salaire ne sont pas rares. Pendant les six premiers mois de 1986, l'augmentation moyenne des salaires a été la plus faible enregistrée depuis la Deuxième Guerre mondiale. Elle équivaut à 1,2 % par an, soit beaucoup moins que le taux d'inflation. Et au cours du premier trimestre de 1986, 67 % des contrats signés par les syndicats ont abouti soit au simple maintien des salaires, soit à leur diminution. Des syndicats qui semblaient autrefois, au temps de la prospérité, capables d'obtenir petit à petit des avantages accrus et des augmentations de salaire pour leurs membres, apparaissent aujourd'hui incapables de mener des luttes un tant soit peu efficaces.

Au cours de la dernière décennie, alors que la classe ouvrière était contrainte, secteur après secteur, de supporter le fardeau croissant de la crise et de la course au profit des capitalistes, la bureaucratie syndicale s'est non seulement montrée incapable de diriger les luttes de la classe ouvrière contre les attaques des capitalistes, mais encore elle a été à la pointe du combat pour imposer toutes sortes de sacrifices aux travailleurs.

L'offensive patronale a commencé en 1977, quand les compagnies charbonnières de l'Est des États-Unis ont demandé pour la première fois aux travailleurs d'abandonner certains de leurs acquis. A l'époque, les demandes des patrons des mines avaient semblé tout à fait extravagantes. Ce n'est que plus tard qu'il est devenu évident que c'était en fait le début d'une nouvelle attitude du patronat envers les travailleurs. Dans le cas des charbonnages, une grève de 111 jours, massivement suivie, réussit à faire reculer les patrons. Mais jusqu'à aujourd'hui, c'est la seule fois où des travailleurs ont résisté victorieusement aux attaques patronales. Et ce malgré le fait qu'au beau milieu de la grève une partie de la direction du syndicat des mineurs (UMW), dirigée par Arnold Miller (qui avait pourtant été élu comme représentant d'une opposition puissante à la bureaucratie en place), s'inclinant devant les patrons, essaya de convaincre les travailleurs qu'il fallait accepter des sacrifices.

L'acceptation des premiers reculs

Avec le ralentissement de l'activité économique le plus important depuis la crise des années30, les travailleurs durent céder aux patrons les uns après les autres. Les premiers à le faire de manière significative ont été les travailleurs du caoutchouc. Mais ce sont les trois contrats signés en 1979-1980 à Chrysler, et dont chacun impliquait des concessions encore plus importantes que le précédent, qui ont marqué le premier tournant décisif. Les voitures de ChrysIer ne se vendaient plus. La compagnie s'était déjà considérablement endettée. Les banques refusaient de nouveaux prêts. Le gouvernement de Carter promit alors de garantir l'opération, si tout le monde faisait des sacrifices. Une pression énorme fut exercée contre les travailleurs. La direction de l'UAW (United Automobile Workers, syndicat des travailleurs de l'Auto) expliqua aux travailleurs qu'il fallait faire des sacrifices pour sauver Chrysler, sinon ce serait la faillite et la perte des emplois.

Les travailleurs cédèrent et acceptèrent de voir salaires et avantages amputés de 8000 dollars par an et par travailleur. On leur avait dit que leurs sacrifices permettraient de sauvegarder l'emploi. En fait, une fois passé le cap de ces difficultés financières, plus de la moitié des emplois de Chrysler avaient disparu. Chrysler s'était mis à sous-traiter à des entreprises où les salaires étaient plus bas, et beaucoup de postes avaient été supprimés par suite d'une augmentation des cadences.

Ce fut l'UAW, un des plus puissants syndicats dits « progressistes », prétendant se distinguer par sa « conscience sociale », qui prit la tête de ceux qui firent avaler de force ces diminutions de salaire aux travailleurs. Évidemment l'argument voulant que les travailleurs viennent à la rescousse de leur entreprise en difficulté a ouvert la voie aux autres patrons. Presque tous se sont mis à demander des sacrifices aux travailleurs sous prétexte qu'ils étaient en difficulté. D'abord, ce furent les autres entreprises de l'industrie automobile. Mais il en a été de même de toutes les industries importantes : l'électricité, l'armement, l'acier, le textile, le bâtiment. Le mouvement s'est ensuite étendu aux administrations des différents États et aux municipalités qui expliquaient à leurs employés qu'ils devaient faire leur part de sacrifices pour les tirer de leur situation déficitaire.

Le second tournant a eu lieu en 1981, quand les contrôleurs aériens employés par l'Agence Fédérale de l'Aviation se sont mis en grève pour de meilleures conditions de travail - en particulier pour un allégement de leur charge de travail, très lourde et éprouvante. Ils ont alors obtenu le soutien formel des autres syndicats. Mais quand les juges ont commencé à promulguer des ordonnances interdisant à ces autres syndicats d'organiser des grèves ou des piquets de soutien au syndicat des contrôleurs aériens (PATCO), les dirigeants syndicaux en ont profité pour s'en laver les mains. Le soutien aux grévistes était soi-disant devenu impossible. Une fois le PATCO isolé, le gouvernement a pu faire appel aux briseurs de grève et lancer une attaque en règle contre les contrôleurs. Et comme ceux-ci refusaient toujours de céder, le gouvernement les a purement et simplement licenciés, brisant du même coup leur syndicat.

C'est au cours de cette grève que l'AFL-CIO organisa à Washington une journée de manifestation qui s'avéra être la plus importante manifestation ouvrière du pays, depuis la crise des années 30. Le but affirmé de la manifestation était de protester contre la politique de Reagan, en particulier à l'égard des grévistes de la PATCO. Les discours prononcés à cette occasion donnaient l'impression que les dirigeants syndicaux étaient prêts à diriger la lutte ; quant aux militants présents leurs réactions indiquaient clairement qu'ils étaient pour leur part, on ne peut plus décidés. Mais les dirigeants des syndicats n'ont donné aucune suite à cette journée.

Cette défaite des contrôleurs a démoralisé beaucoup de travailleurs. Elle a semblé démontrer que les conditions ne permettaient pas aux luttes d'être victorieuses. Et, par la suite, le nombre des grèves a diminué. Encore aujourd'hui, les travailleurs se rappellent cette expérience décourageante.

Cette défaite était aussi un avertissement adressé à l'appareil syndical par Reagan et le gouvernement fédéral : si les syndicats menaient des luttes remettant réellement en cause la politique ou les décisions du gouvernement, ce dernier n'hésiterait pas à s'attaquer à eux. En lançant cet avertissement, Reagan agissait au nom de toute la classe capitaliste.

Des nouveaux reculs... malgré quelques grèves

A la fin de 1982, la production commença à remonter un peu la pente, après une période de marasme prolongé. Les profits des entreprises firent des bonds vers de nouveaux sommets. Et pourtant, les patrons demandèrent aux travailleurs pour une deuxième, ou parfois une troisième fois, de nouveaux sacrifices. Le mécontentement a alors commencé à s'exprimer. Par exemple, pour la première fois dans l'histoire de l'industrie automobile des ouvriers ont repoussé un contrat proposé par les syndicats. C'est chez Chrysler que ce contrat a été refusé, par une majorité de 70 % des travailleurs. Les travailleurs de chez Chrysler n'étaient cependant pas prêts à engager une lutte dure. Et au bout du compte, ils ont fini par accepter les diminutions inscrites dans le dit contrat. Mais les directions syndicales, constatant que la conscience des travailleurs avait évolué, ont dû changer leur langage. Elles se sont mises à expliquer que l'époque des sacrifices touchait à sa fin, et ont lancé quelques grèves. La direction du CWA (Communications Workers of America - le syndicat des téléphones) a appelé à une grève contre ATT. L'UAW a organisé une grève à General Dynamics. L'URW (United Rubber Workers - le syndicat du caoutchouc) a lancé une action contre la General Tire and Rubber, et d'autres grèves ont été programmées par les dirigeants nationaux du syndicat de la machine-outil et l'UEW (United Electric Workers - le syndicat des électriciens). Mais toutes ces grèves étaient menées indépendamment les unes des autres. Les dirigeants syndicaux, à l'échelle nationale, ne cherchaient pas à les unifier. Avec, bien sûr, comme résultat que les grèves ne réussirent pas à arrêter la vague des réductions de salaires et suppressions des acquis.

Les grèves les plus dures de cette période ont été menées par des syndicats qui craignaient que les patrons ne se contentent plus de quelques diminutions de salaires et remettent en cause l'existence même des syndicats. Ainsi à Caterpillar, le plus gros fabricant d'engins de travaux publics, la direction a essayé de réduire les positions de l'appareil syndical. L'UAW a alors déclenché une grève qui a duré 205 jours, la plus longue de son histoire. Dans une autre entreprise plutôt prospère, Iowa Beef Processing, la direction a décidé de déposer son bilan de manière à annuler son contrat avec le syndicat et à s'en prendre ensuite plus librement aux salaires, aux avantages acquis et aux conditions de travail. La direction a donc rompu les négociations avec le syndicat qui n'avait alors d'autre choix que d'appeler à la grève. La direction a répliqué en faisant appel à des jaunes. Les syndicats ont répondu par des piquets de grève. Puis, la police et la garde nationale ont été envoyées sur place. Le syndicat a alors reculé devant l'affrontement et après plusieurs mois de grève, a fini par accepter tout ce que le patron voulait.

Si à Caterpillar les patrons n'ont pas osé s'en prendre à l'appareil syndical, ils ont quand même réussi à imposer les diminutions de salaires qu'ils voulaient. Et à Iowa Beef si le syndicat s'est maintenu, c'est aux conditions imposées par le patron - y compris le licenciement des travailleurs les plus combatifs. Ces grèves ont en fait été menées à l'économie, de manière à convaincre les patrons que, bien qu'ils aient appelé à la grève, les syndicats ne cherchaient qu'à être raisonnables. Ainsi à Caterpillar, le syndicat a laissé la direction faire des stocks énormes en prévision de la grève. Et à Iowa Beef, le syndicat a limité la grève à une seule des dix usines de la compagnie.

Des grèves combatives, mais limitées... et de nouveaux reculs

Le problème de l'isolement des grévistes s'est reposé encore plus clairement dans les deux années qui ont suivi, quand les travailleurs ont montré dans un certain nombre de cas qu'ils étaient prêts à se battre et que, sous leur pression, les syndicats ont organisé ces nouvelles luttes.

A Phelps Dodge, le syndicat des travailleurs de l'acier, ainsi que plusieurs petits syndicats, ont mené une grève des mineurs du cuivre qui a duré plus d'un an. La direction fit appel à des jaunes pour faire fonctionner les mines. Les mineurs en grève réagirent, s'opposant à la venue des jaunes, désorganisant la production, transformant des manifestations en batailles rangées avec la police. Mais, au bout du compte, ces actions apparurent comme des combats d'arrière-garde, incapables d'arrêter la production. La victoire de la direction fut complète, les grévistes licenciés, le syndicat brisé. Et un an après les grèves, les autres mines de cuivre demandèrent au syndicat d'accepter une diminution énorme - se montant à 40 % - du salaire et des avantages acquis. Les travailleurs acceptèrent cette fois sans combat.

A l'usine de pièces automobiles AP Parts de Toledo dans l'Ohio, la direction exigeait une énorme réduction des salaires et une réduction importante des effectifs. L'UAW autorisa la grève. La direction fit alors appel à des jaunes. L'UAW riposta en amenant devant l'usine des milliers de syndiqués venus de toute la région apporter leur aide aux grévistes. Ensemble ils bloquèrent les jaunes à l'intérieur de l'usine, affrontèrent la police. Pendant des heures, celle-ci fut impuissante à faire sortir les jaunes de l'usine. Mais cette lutte ne devait durer qu'un jour. Par la suite, les juges devaient promulguer une ordonnance limitant les piquets de grève. Et l'UAW de dire que les travailleurs n'avaient pas d'autre choix que de se soumettre. La direction fit alors appel à des briseurs de grève et la production reprit petit à petit. Huit mois plus tard, le syndicat signa un accord qui cédait sur la plupart des points. Et de nombreux travailleurs perdirent leur emploi.

Encore une fois, ces grèves sont restées isolées, bien que de nombreux travailleurs d'autres entreprises aient montré leur volonté de se battre au côté des grévistes. Et si l'UAW a bien appelé les syndicalistes des autres usines à apporter leur soutien à ceux de l'AP Parts, ça n'a été que pour un jour.

Etait-il possible d'organiser une lutte plus générale, non seulement dans le cadre d'un mouvement de solidarité avec les travailleurs en grève, mais en appelant des secteurs entiers de la classe ouvrière à entrer en lutte pour leur propre compte ? Cela n'a en tout cas pas été tenté. Et en conséquence, ces luttes perdues malgré les sacrifices consentis par les grévistes, ont considérablement refroidi et découragé les autres travailleurs, dont beaucoup tirèrent la conclusion qu'il n'était pas possible de réagir, que les ouvriers n'étaient pas assez forts pour s'opposer aux attaques patronats.

De plus, comme le seul type de grèves qu'ils étaient prêts à mener se traduisait par des défaites, les dirigeants syndicaux ont tout simplement affirmé, au nom des travailleurs, que l'arme de la grève n'était plus efficace. Ils se sont mis à expliquer que les luttes ne pouvaient être que suicidaires, et qu'il fallait céder sur toute la ligne, jusqu'à ce que l'orage soit passé.

C'est un langage qu'un certain nombre de dirigeants locaux n'ont évidemment pas pu tenir aux travailleurs, en particulier là où les patrons arrogants exigeaient de nouveaux sacrifices alors que leurs usines prospéraient. Un certain nombre de travailleurs cherchaient à riposter et refusaient de rester passifs. Ainsi, en 1985 , James Coakley, un dirigeant local, déclencha une grève à une usine de General Dynamics, malgré l'ordre venu d'en haut d'accepter les termes du contrat proposé au syndicat. A Watsonville, une partie de l'appareil syndical fut désavouée et remplacée par un groupe dissident du syndicat des transporteurs, au cours d'une longue et dure grève des travailleurs de la conserverie. Enfin, à l'usine Hormel d'Austin (voir Lutte de Classe, Numéro 2 de septembre 1986 ), dans le Minnesota, la direction du syndicat local fut élue sur la base de son opposition aux diminutions de salaire. La grève rencontra alors l'opposition de la direction nationale du syndicat, au point que cette dernière en vint à supprimer la caisse de grève, à dissoudre la section locale, et à négocier elle-même avec le patron un contrat acceptant la baisse des salaires ; en d'autres termes, à briser ouvertement la grève.

Bien que ces grèves, dirigées par des militants connus localement, aient été plus combatives que les précédentes, la question de leur généralisation aux autres travailleurs n'a été nulle part posée même par ces dirigeants. Le plus loin qu'ils soient allés, à Hormel ou à Watsonville par exemple, a été de demander le soutien financier des autres syndicats - sous la forme de versements à leur fond de grève - ou leur participation à des manifestations de solidarité.

La bureaucratie syndicale, porte-parole du patron

Ainsi, ces dix dernières années, alors que la classe ouvrière subissait les attaques de plus en plus dures des capitalistes, la bureaucratie syndicale a été incapable d'organiser les travailleurs pour leur propre défense. En fait, elle a été le principal instrument des patrons dans leur tentative pour imposer des diminutions de salaire aux travailleurs. Les bureaucrates se sont fait les messagers et les porte-parole des patrons auprès des travailleurs en ne leur proposant qu'impuissance et résignation. Par sa politique et son comportement, cette bureaucratie syndicale a montré qu'elle s'était pleinement intégrée, socialement et politiquement, aux institutions à travers lesquelles la plus grande puissance impérialiste du monde exerce son pouvoir.

La bureaucratie a pris sa forme et ses caractéristiques actuelles pendant les années de guerre froide et d'essor économique qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. Les militants de gauche et les militants syndicaux les plus actifs furent exclus lors de la chasse aux sorcières des années cinquante. Un grand nombre de bureaucrates grassement payés furent alors intégrés dans quelques-uns des cercles dirigeants de la bourgeoisie. Certains sont devenus les agents électoraux du Parti Démocrate. Le syndicat des transporteurs, lui, a obtenu des avantages en contrepartie du soutien accordé aux Républicains. Tous ont suivi fidèlement la politique de la bourgeoisie. Ils ont apporté leur soutien aux guerres menées par l'impérialisme américain, en Corée et au Vietnam. La plupart des syndicats l'ont fait ouvertement, sans vergogne. Seuls quelques-uns, les plus à gauche d'entre eux, s'y sont opposés... mais uniquement en parole, et en sont restés là. L'AFL-CIO, quant à elle, a soutenu directement là politique extérieure des États-Unis, en acceptant de servir d'entremetteur à la CIA pour la constitution de syndicats pro-américains à travers le monde.

Lorsqu'une partie importante de la classe ouvrière a commencé à se battre contre la brutale oppression raciale, certains syndicats se sont même opposés à cette lutte et ont pris fait et cause pour les raciste. Un certain nombre de syndicats cependant ont apporté un soutien symbolique à la lutte des Noirs, mais tout en fermant les yeux sur la discrimination raciale qui régnait dans les entreprises dont ils représentaient les travailleurs. Mais la plupart cherchèrent à esquiver la question.

Dans les années de prospérité, la bureaucratie a mené des grèves, mais de manière à ne jamais remettre en cause le fonctionnement du système capitaliste. Les dirigeants se sont toujours comportés de façon responsable vis-à-vis de la bourgeoisie. Bien sûr, lorsque les travailleurs se mettaient en grève, montrant ainsi leur volonté et leur détermination à se battre, ils étaient capables d'obtenir certains avantages concernant par exemple les soins médicaux, la retraite, l'indexation des salaires sur les prix, les vacances. C'est que la bourgeoisie était prête à débourser pour avoir la paix sociale, à payer pour avoir une main-d'oeuvre contrôlée et soumise. Car la production était en plein essor et la bourgeoisie voulait perdre le moins de temps possible, dans sa course aux profits.

Il faut bien sûr remarquer que seule une minorité de travailleurs a profité de cette situation : les ouvriers de production et les ouvriers qualifiés syndiqués. Les travailleurs du tertiaire, les ouvriers agricoles et les employés n'en ont pas bénéficié, c'est-à-dire la plus grande partie de la main d'oeuvre féminine et une bonne partie des travailleurs noirs. Et ce sont les plus travailleurs qui se trouvaient dans les secteurs le stratégiques de la production et des industries du bâtiment, dans les entreprises les plus florissantes, qui ont obtenu le plus. d'avantages.

Pleins gaz... en marche arrière

Lorsque l'expansion économique perdit son allant que l'économie sombra de plus en plus dans une période de stagnation et de crise, la logique de la politique des syndicats, qui, avant, s'était traduite par certains avantages pour une assez large couche de la classe ouvrière, commença à conduire les travailleurs au désastre. Le modus vivendi élaboré par les syndicats a bissé les travailleurs totalement désarmés lorsque la situation économique a changé et que le chômage s'est développé.

La crise avait changé le rapport de force et cela signifiait que les grèves limitées que la bureaucratie avait menées pour obtenir des avantages limités ne marchaient plus. En effet, le fait que les entreprises ne tournaient plus à leur pleine capacité, a permis aux patrons de déplacer la production d'une usine à l'autre. Quand les ouvriers étaient en grève dans une usine ou même dans toute une entreprise, les patrons pouvaient faire faire la production ailleurs. Ainsi les ouvriers qui se mettaient en grève risquaient à chaque fois de se retrouver dans une usine où il n'y avait, de toute façon, plus de production à bloquer. Des patrons ont commencé à déchirer les contrats avec le syndicat et à déplacer la production dans les usines où il n'y avait pas de syndicat. Ou alors, ils disaient aux travailleurs syndiqués que, s'ils n'acceptaient pas les baisses de salaire, ailleurs, d'autres les accepteraient. Ils se mirent à dresser les uns contre les autres les ouvriers de la même entreprise. Ainsi, même quand les entreprises pouvaient se permettre de payer des salaires plus élevés, les patrons avaient toutes les raisons de profiter de la situation et d'imposer des diminutions de salaire.

Les dirigeants syndicaux ont réagi à cette situation qui semblait sans issue en organisant de moins en moins de grèves. Ils craignaient les conséquences d'une confrontation ouverte avec les patrons. Ainsi le nombre de grèves diminua régulièrement. En 1979, il y eut 235 grèves concernant plus de 1 000 ouvriers. Le chiffre baissa à 187 en 1980, 145 en 1981, 96 en 1982, 81 en 1983, 62 en 1984 et 54 pour 1985. En 1986, il semble que le nombre soit remonté, 50 pour les six premiers mois de l'année. Mais, comparé au passé, il reste au plus bas niveau.

Les conséquences de la politique de la bureaucratie n'affectent pas seulement la classe ouvrière ; elles retombent également sur les syndicats eux-mêmes. Selon l'AFL-CIO, « depuis 1980, le nombre des syndiqués a chuté, en valeur absolue aussi bien qu'en pourcentage. Depuis 1984, sur le total des travailleurs qui ont obtenu le droit de se syndiquer, le nombre de ceux qui adhèrent au syndicat est tombé d'environ 45 % à moins de 28 %. Par rapport à l'ensemble des travailleurs, le pourcentage des syndiqués est passé de 35 % à moins de 19 %. »

L'intégration de la bureaucratie syndicale dans les institutions de la bourgeoisie ne garantit, par elle-même, rien du tout, même pour la bureaucratie. A un certain moment, les syndicats peuvent devenir trop coûteux et trop encombrants pour les capitalistes. La présence du syndicat peut constituer un obstacle lorsque les patrons sont obligés de tenir compte du syndicat pour prendre leurs décisions. Maintenant que les entreprises peuvent imposer des sacrifices aux travailleurs ou les dresser les uns contre les autres et n'ont plus besoin des syndicats pour le faire, pourquoi ne se débarrasseraient-ils pas de ceux-ci tout simplement ? C'est l'idée que caressaient des entreprises comme Caterpillar ou Iowa Beef. Mais d'autres entreprises ont également essayé de briser les syndicats, comme Continental Airlines et d'autres compagnies aériennes importantes telles Eastern. Dans d'autres secteurs, des entreprises et le gouvernement fédéral se sont simplement mis à embaucher des travailleurs non-syndiqués, comme dans le bâtiment.

La résistance de la bourgeoisie aux tentatives de création de syndicats s'est renforcée Dans les années 50, 500 000 nouveaux travailleurs étaient syndiqués chaque année à travers les élections organisées sous l'égide du Bureau National des Relations du Travail. Dans les années 80, ce chiffre est descendu à 70 000. Et même lorsqu'un nouveau syndicat est reconnu par le Bureau National des Relations du Travail, il n'a plus que 60 % de chances d'obtenir un contrat comparé à 95 % dans les années 50. Les entreprises refusent purement et simplement de négocier avec les syndicats.

La direction de l'AFL-CIO a pris certaines mesures lors du dernier congrès, qui devraient permettre, selon elle, d'améliorer la situation.

Dans le document qu'elle a présenté, et qui s'intitule « Les changements dans la situation des travailleurs et de leurs syndicats » , il est dit : « Faire des prédictions sombres et désespérées sur l'avenir du mouvement ouvrier n'est pas de mise. Certains s'aventurèrent à de telles prédictions quand, dans les années 20 et 30, les syndicats américains subissaient de sérieux reculs et que le nombre des travailleurs syndiqués avait considérablement décliné ; certains prédirent même la fin du mouvement ouvrier. En fait, c'est l'inverse qui s'est produit : les syndicalistes de cette époque ont trouvé les méthodes accordées à la situation et qui ont gagné la fidélité de générations de travailleurs, et les organisations ouvrières ont connu une période de croissance remarquable. Nous sommes sûrs que le mouvement ouvrier a les capacités de se renouveler et de régénérer sans cesse, ce qui a permis et permettra aux syndicats et rester l'authentique voix des travailleurs et leur moyen de choix pour exprimer leur volonté. C'est le but de ce rapport de faire des recommandations dans ce sens ».

Bien sûr, les assurances de l'AFL-CIO en matière de régénération et de renouveau ne sont que du vent. Dans les mois qui ont suivi cette convention de 1985, durant laquelle les bureaucrates plaidèrent pour l'innovation, on demanda à l'AFL-CIO son soutien à la grève d'Hormel. Mais la direction de l'UFCW (United Food and Commercial Workers -syndicat de l'alimentation et du commerce) se préparait à briser la grève L'UFCW fut chaleureusement soutenue par Lane Kirkland et compagnie. L'AFL-CIO fait référence à l'immense mouvement ouvrier des années 30, mais quand on en vient aux propositions pour les années 80, on ne trouve rien d'autre que la création d'une nouvelle catégorie de membres... les membres associés. Maintenant, non seulement les travailleurs mais aussi l'encadrement, peut jouir des quelques avantages, mineurs et secondaires, fournis par les syndicats, sans être syndiqué ! L'AFL-CIO a décidé de fournir des cartes de crédit à bas prix, ou des polices d'assurance diverses, sur la vie par exemple. Ces cartes de crédit AFL-CIO proposées à des travailleurs dont le salaire ne leur permet pas d'acheter quoi que ce soit, sont bien le symbole de la conception du syndicat qu'ont les chefs de l'AFL-CIO, mais aussi de l'impasse de leur politique.

Une autre politique... ou simplement d'autres personnes ?

Il y a eu certes des réactions parmi les militants ou certaines couches de l'appareil syndical devant la politique des bureaucrates. Au niveau local, des militants ont poussé à la grève, comme à Hormel. D'autres responsables locaux ou des membres de l'appareil ont exprimé leur malaise. On a pu le voir à la convention de l'UAW en juin 1986 quand il a été question de la façon dont l'UAW avait aidé les compagnies à jouer les usines les unes contre les autres, en les laissant choisir quelle usine continuerait à travailler et laquelle fermerait. Un groupe d'opposants, appelé Nouvelle Orientation, s'était créé dans la région numéro 5 de l'UAW, autour de Kansas City, et elle avait présenté son candidat contre le directeur régional du syndicat. Ce groupe, formé de responsables du crû, exprimait son point de vue de la façon suivante : « les patrons veulent nous faire abandonner notre système traditionnel de protection des salaires et des acquis. lis veulent réduire les classifications, limiter les avantages liés à l'ancienneté et mettre en place des systèmes de travail par petits groupes et des cercles de qualité pour augmenter la rentabilité...

« Nous mettons en cause le rôle joué par les dirigeants nationaux de notre syndicat dans cette affaire. Nous n'avons pas peur de nous entendre dire que les temps seront durs. Mais nous voulons des solutions positives pour les ouvriers. Nous ne voulons pas que les nôtres essaient de nous faire avaler la politique du patron.

« Les patrons essaient de susciter la concurrence entre nous, mais ce n'est pas là le rôle de nos représentants élus... Nous ne voulons pas nous retrouver isolés... »

Un autre désaccord est aussi apparu au congrès, a propos du contrat qui venait d'être signé à la Saturn Corporation, dans le cadre de la plus récente manoeuvre de restructuration de GM. Ce contrat avait été signé alors qu'aucun ouvrier n'avait encore été embauché. Les opposants au contrat de Saturn dénonçaient les reculs qu'il entérinait - par exemple des salaires de 20 % inférieurs aux salaires moyens du secteur. Bieber, le président de l'UAW, réussit à éviter l'affrontement en demandant au congrès de remettre le débat sur ce sujet jusqu'en mars, date d'un congrès spécialement consacré aux négociations.

L'UAW n'est pas seul à être touché par l'agitation. Au congrès du syndicat des travailleurs de l'acier, certains ont dénoncé le nouveau statut de membre associé créé pour la maîtrise et les cadres. Bien sûr, il est encore trop tôt pour affirmer que ces réactions d'inquiétude sont le fait d'une opposition à l'échelle nationale. Mais le fait que ces opposants existent en est peut-être le signe avant-coureur. Peut-être justement parce qu'ils ressentent les effets des attaques patronales, comprennent-ils que la politique pro-patronale de l'appareil mène le syndicat tout droit au suicide.

Tôt ou tard, la classe ouvrière reprendra la lutte, et pas seulement des luttes limitées, mais à grande échelle. A ce moment-là, la question de savoir si l'opposition à la politique des dirigeants syndicaux mettra en avant une perspective syndicaliste ou une perspective révolutionnaire sera décisive.

Quand commença le mouvement de masse de la classe ouvrière des années 30, la majorité de la bureaucratie de l'AFL s'y opposa en s'alignant sur la bourgeoisie. Mais une minorité, conduite par John L. Lewis, comprit qu'on n'était pas près d'en finir avec ce mouvement et qu'il faudrait bien que quelqu'un le dirige. Les premières années, les grèves les plus importantes furent dirigées par des militants communistes ou parfois. trotskystes. Lewis tenta de reprendre le contrôle de ce mouvement, de l'intérieur de l'AFL. Quand cela s'avéra impossible, le CIO scissionna. Mais que le CIO fut à l'intérieur ou à l'extérieur de l'AFL, son but restait le même : canaliser le mouvement. Le CIO convainquit la classe ouvrière que des syndicats étaient tout ce qu'il fallait aux travailleurs pour défendre leurs intérêts. Ainsi, un mouvement explosif, conduit par une classe ouvrière combative, fut dompté, purgé et défait.

Aujourd'hui, la gauche critique en général les hauts responsables syndicaux. Mais elle ne voit pas que ceux qui protestent contre les directions syndicales installées n'ont pas d'autre politique à proposer. Par exemple, Pete Kelly, un opposant de longue date de l'UAW, ne sort pas plus du cadre établi que ceux à qui il s'oppose. La grève actuelle qu'il conduit au Centre Technique de GM n'impliquait au début que 250 travailleurs, un peu plus de 500 après, sur 4700, sans aucune tentative pour l'étendre. On peut dire la même chose de Jim Guyette à Hormel. Guyette a fait appel à la solidarité syndicale. Mais cette solidarité restait dans les limites des syndicats et de ce que eux-mêmes voulaient bien proposer aux travailleurs. Les dirigeants d'Hormel n'ont jamais essayé de faire appel aux travailleurs par-dessus la tête de dirigeants syndicaux qui, pourtant, refusaient d'entendre parler dans leur propre syndicat d'entreprendre une lutte quelconque. Ils n'ont pas mis en avant une politique qui permette à la classe ouvrière de mobiliser ses forces pour un combat d'ensemble.

La seul chose que ces opposants ont proposée aux travailleurs, c'est de remplacer les bureaucrates en place par eux-mêmes à la tête du syndicat Mais remplacer des dirigeants par d'autres ne résout rien. En gros, c'est ce qui s'est passé dans les années 30. Et la gigantesque mobilisation de la classe ouvrière s'est terminée avec de nouveaux bureaucrates à la tête des syndicats, nouveaux bureaucrates qui ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour limiter cette mobilisation, et non pour l'étendre. Ainsi, la puissance des travailleurs a été bien loin de donner tout ce qu'elle pouvait donner.

Si nous ne voulons pas voir une répétition de l'histoire du CIO, alors il faut proposer une politique différente, une politique révolutionnaire, c'est-à-dire une politique qui permettrait à la classe ouvrière de se mobiliser, de s'unir comme une seule classe contre la bourgeoisie Et même si les révolutionnaires sont faibles aujourd'hui, c'est dans cette direction que nous devons oeuvrer. Personne d'autre dans le mouvement ouvrier ne le proposera.

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