Algérie Les succès de l'intégrisme01/06/19901990Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1990/06/33_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Algérie Les succès de l'intégrisme

C'est le parti intégriste musulman, le Front Islamique du Salut (FIS), qui est sorti grand vainqueur des élections algériennes du 12 juin dernier qui avaient pour but de renouveler les assemblées communales et départementales, les premières élections à candidatures multiples de l'Algérie indépendante.

Le FIS vient en effet d'être élu à la tête de plus de la moitié des municipalités, 853 communes sur les 1 541 communes d'Algérie, dont pratiquement toutes les grandes villes du pays. Il a emporté les quatre plus grandes, Alger (où le FIS a même eu plus de 70 % des suffrages exprimés), Oran, Constantine, Annaba et leurs banlieues, et la quasi-totalité des autres villes importantes, Tlemcen, Chlef, Sidi Bel-Abbes, Blida, Boumerdes, Setif...sauf en Kabylie. Le parti intégriste a obtenu la majorité des assemblées dans 32 Wilayas (l'équivalent de nos départements) sur 48. Il contrôle même toutes les communes de 5 de ces wilayas, et non des moindres puisque ce sont entre autres celles d'Alger et de Blida et celle de Constantine.

Si l'ex-parti unique, au pouvoir depuis l'indépendance en 1962, le FLN, a pu garder la majorité dans 487 communes (un tiers des communes) et dans 14 wilayas sur les 48, c'est avant tout dans les petites communes et les zones rurales que ses notables, en place, ont réussi à se maintenir. En ce qui concerne les autres communes, 106 sont passées entre les mains de listes se présentant comme « indépendantes » de tout parti. Enfin 87 d'entre elles en Kabylie, dont les villes de Tizi Ouzou et de Bejaia, sont passées entre les mains du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), parti issu des milieux régionalistes kabyles.

Ces élections sont d'abord une défaite cinglante pour le FLN. Il est vraisemblable qu'un certain nombre d'électeurs qui ont voté pour le FIS l'aient fait plus pour condamner le parti qui a été au pouvoir depuis 28 ans, que pour approuver la politique du FIS. De même que si le nombre d'abstentions a été relativement élevé, environ 35 %, c'est en partie dû au fait que ces élections apparaissaient surtout comme un duel entre le FLN et le FIS, seuls partis à présenter des listes pratiquement partout. Un grand nombre d'électeurs n'ont peut-être pas eu envie de choisir entre la peste et le choléra.

Mais cette victoire du FIS n'est pas seulement une défaite pour le FLN. Ceux qui ont apporté leurs voix aux intégristes (en même temps, souvent, que les voix de leurs femmes ou de leurs filles pour lesquelles les hommes avaient le droit de voter sur simple présentation du livret de famille), que ce soit parce qu'ils partagent les préjugés que colportent les démagogues du FIS, ou seulement pour condamner le FLN, ont consciemment ou inconsciemment renforcé, à la place du FLN, une autre force réactionnaire, foncièrement anti-ouvrière.

La dictature du FLN en Algérie est, depuis les évènements d'octobre 1988, chancelante. Celle du FIS n'est pas encore en place. La classe ouvrière algérienne qui a montré sa combattivité, notamment lors des grèves qui avaient entraîné à leur suite les émeutes de la jeunesse d'Alger en octobre 1988 et l'ébranlement de la dictature du FLN, peut, bien sûr, reprendre l'offensive. Et elle est la seule force qui peut faire barrage au retour de l'Algérie, non seulement à la dictature, mais à la fois à la dictature et à l'arriération religieuse et sociale. Mais elle aura à le faire dans des conditions plus difficiles si elle a désormais en face d'elle, en plus des forces de répression de l'État, un mouvement intégriste renforcé par sa victoire électorale.

Le controle des municipalites : un tremplin pour se faire porter au pouvoir

Certes le Front Islamique du Salut n'est pas encore au pouvoir en Algérie. Mais l'on ne peut sous-estimer ni le poids supplémentaire ni les moyens matériels que va lui donner la gestion de la majorité des villes algériennes, ni l'importance de l'étape qu'il vient de franchir pour se faire ouvrir les portes du pouvoir.

D'abord parce que c'est une victoire politique qui va renforcer moralement tous les partisans du Front Islamique du Salut et donner encore plus d'arrogance à ses gros bras.

Le contrôle des municipalités des grandes villes, en plus des mosquées qu'il contrôlait déjà, c' est non seulement l'accès à d'énormes ressources financières et matérielles, c'est aussi un énorme moyen de pression sur la population. C'est, en particulier, un moyen de s'acheter des soutiens supplémentaires parmi les commerçants ainsi que parmi ces couches pauvres, où le FIS recrute déjà ses hommes de mains, ne serait-ce que par le contrôle sur la distribution des logements.

Ordre, morale, religion et retour de la femme au foyer sont les seuls mots clés du programme politique du FIS. En France, Le Pen promet de résoudre le chômage en mettant les Algériens à la porte ; en Algérie, Madani promet de le faire en gardant les Algériennes derrière les portes : autres préjugés, autres bouc-émissaires !

Pour montrer d'entrée qu'il est le parti de l'ordre et du travail, à peine le FIS venait-il de gagner les élections municipales que les hommes du FIS, avec leur barbe et leur gandoura blanche descendaient dans les rues d'Alger, le balai à la main, nettoyer les ordures laissées par les éboueurs en grève. Geste seulement symbolique peut-être cette fois, mais bien significatif : s'il ne s'agissait que de débarrasser Alger de ses ordures, les bonnes âmes du FIS auraient depuis longtemps pu commencer à balayer les rues de la capitale ; mais ce n'est pas des ordures ménagères, c'est des grévistes que le FIS entend nettoyer les rues d'Alger.

Car pour le FIS ces élections communales et départementales ne sont qu'un tremplin pour se faire porter au pouvoir. Dès les premiers résultats électoraux, Abassi Madani a rappelé que son parti exigeait la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation d'élections législatives. Il peut, en effet, espérer aujourd'hui avoir de bonnes chances de gagner.

L'organisation plus ou moins rapprochée des élections législatives dépend de la décision du pouvoir actuellement en place, du président Chadli et des dirigeants du FLN. Mais il n'est même pas exclu que Chadli n'attende pas l'organisation d'élections législatives (il pourrait estimer ne pas avoir avantage à les organiser trop rapidement) pour appeler déjà les dirigeants du FIS à participer au gouvernement. Cela va dépendre des calculs des uns et des autres.

La dictature du fln ebranlee

Parti unique depuis l'indépendance, ayant d'ailleurs éliminé pendant la guerre tous ses concurrents éventuels, le FLN a monopolisé pendant 28 ans tous les pouvoirs, et tous les postes. L'armée était officiellement l'une des composantes du parti ; elle en était de fait l'ossature. C'est elle qui a, jusque là, arbitré les conflits entre dirigeants ; ce sont ses chefs, Boumédienne puis Chadli, qui ont été portés à la tête de l'État. Et la sécurité militaire fait office de police politique.

Bénéficiant, dans les premières années de l'Algérie nouvelle, du fait d'être le parti de l'indépendance, le FLN a profité également de la rente pétrolière. Celle-ci a permis dans les quinze premières années une certain développement industriel, et permis au pouvoir de faire un peu de social : subventions aux produits de première nécessité, constructions de grandes cités d'habitations.

La crise économique mondiale et la chute du prix du pétrole ont plongé dans une crise grave cette Algérie où la population a plus que doublé en 28 ans (moins de 10 millions à l'indépendance, 23 millions aujourd'hui). Aujourd'hui, la grande masse de la jeunesse en âge de chercher du travail est au chômage, et les villes se sont gonflées d'une population qui s'entasse dans les grandes cités délabrées faute d'entretien. Mais à l'autre pôle de la société, toute une bourgeoisie algérienne s'est développée : anciens officiers de l'ALN, hauts fonctionnaires de l'État ou directeurs d'entreprises nationales ont constitué leur pécule à l'ombre de leurs fonctions officielles ; commerçants ou fils de grandes familles ont arrondi le leur en montant, avec l'aide de l'État souvent, leurs petites ou moyennes entreprises. Et cette bourgeoisie, qui s'est arrogée les beaux quartiers jadis réservés aux colons, étale sans complexe son aisance.

Depuis dix ans le régime a traversé plusieurs crises sociales graves : d'abord les émeutes de mars-avril 1980 à Tizi Ouzou, en Kabylie, puis celles de novembre 1986 à Constantine et à Sétif. Mais ce sont les événements de l'automne 1988 qui ont achevé de déconsidérer le régime. Le gouvernement envoya d'abord envoyé la police contre les grévistes de Rouiba, dans la banlieue d'Alger. Puis débordée, par les émeutes de la jeunesse révoltée d'Alger et d'autres villes, il fit tirer à la mitrailleuse.

Le parti unique, parti de la révolution disait-on jusque là, outil indispensable du « socialisme algérien » prétendait-on (les petits bourgeois nationalistes du tiers-monde ayant cherché dans le stalinisme un modèle politique pour accéder au pouvoir et pour y maintenir leur monopole), n'y a pas survécu. Après avoir fait tirer sur la foule, le président Chadli a dû annoncer des réformes : la démocratisation de l'Algérie et la fin du parti unique.

L'armée quant à elle n'allait plus être désormais membre du FLN : elle se retirait de la politique. Ce qui ne veut évidemment pas dire que l'armée algérienne ne fera plus de politique, mais qu'elle entend bien dissocier son sort de celui de l'ex-parti tout puissant.

Les freres siamois du multipartisme

Mais qu'en est-il de ce multipartisme qui a remplacé le régime du parti unique ? Quelles forces politiques sont apparues qui auraient pu donner quelques espoirs de changement réel aux travailleurs et aux masses pauvres d'Algérie ?

Le FLN rénové ? En guise de renouveau le FLN est allé rechercher tous les anciens dirigeants déchus, anciens ministres de Boumédienne, écartés par celui-ci ou par Chadli, qui ont retrouvé leurs postes au comité central. Ils se sont lancés dans la campagne électorale, avec parfois un ton plus critique, des dénonciations de la corruption et des pots de vins (des périodes où ils n'étaient pas ministres)... Mais le verdict du 12 juin semble montrer que les électeurs en tout cas ne croient pas à la rénovation du FLN.

Les nouveaux partis dit « démocratiques » ? Passons sur les partis islamistes modérés, dont le Parti du Renouveau Algérien (PRA) qui s'est présenté dans 155 communes (sur les 1 539), où sur le Mouvement Démocratique Algérien (MDA) de l'ancien président Ben Bella qui ne s'est pas présenté : tous deux se veulent à mi-chemin entre le FLN et le FIS. Les trois autres partis présents dans ces élections (dans 200 à 380 communes selon les cas) étaient le PNSD (Parti National pour la solidarité et la Démocratie), le PSD (Parti Social Démocrate), le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) essentiellement kabyle. Ils se réclament d'un capitalisme libéral, vaguement teinté de social-démocratie à la Mitterrand pour le PSD et le RCD. Quant à Aït Ahmed, ancien dirigeant du FLN éliminé dès 1962, donc ayant par les temps qui courent l'avantage de n'avoir jamais exercé le pouvoir, il semble jouir d'une certaine popularité à en juger par l'affluence à ses meetings et par l'importance de la manifestation organisée à Alger le 31 mai dernier par son parti, le FFS (qui a, comme celui de Ben Bella, boycotté les élections). Il se dit, lui-aussi, partisan d'un capitalisme libéral, et se présente comme un politicien bourgeois moderne, à l'occidentale.

On le voit, il n'y a rien dans ces « nouveaux partis » algériens qui puisse paraître bien neuf. Et surtout rien qui puisse attirer les masses pauvres, la jeunesse déçue ou révoltée, rien qui puisse offrir les moindres perspectives aux travailleurs.

Même le parti communiste algérien, le Parti de l'Avant-Garde Socialiste (PAGS) n'est jamais apparu réellement que comme une sorte d'aile gauche du FLN, ayant soutenu tous les gouvernements successifs (un « soutien critique » dit-il). Il n'a rien de mieux à proposer aujourd'hui que le soutien aux réformes politiques et économiques du gouvernement, et la constitution d'un « Front Démocratique » de tous les partis, de tous les « patriotes » , Chadli inclus s'il le veut bien.

L'integrisme a pousse grace a la crise sociale

Si bien que c'est finalement le FIS, avec son passéisme, son traditionalisme, avec ses préjugés rétrogrades qui est arrivé à apparaître comme le seul parti vraiment contestataire, vraiment d'opposition au régime, aux yeux de milliers et de milliers de pauvres, de jeunes désoevrés qui doivent aller à la mosquée pour entendre des paroles enflammées contre le gouvernement, la corruption et la misère, la seule opposition.

Les démagogues du FIS n'hésitent pas à manier la provocation, à braver de temps à autre la légalité pour montrer leur force. En même temps ils tablent sur tous les préjugés pour constituer des troupes avec lesquelles ils peuvent faire quelques coups d'éclat.

Pourtant, du printemps 1988 à l'hiver 1989 l'actualité algérienne semblait surtout dominée par les luttes sociales. Les évènements d'octobre 1988 sont venus d'une vague de grèves ouvrières qui avait commencé dès avant l'été de la même année, et de la colère qu'avait soulevée l'envoi par le gouvernement de la police contre les grévistes.

La répression sanglante n'avait pas arrêté, loin s'en faut, les grèves ouvrières qui ont continué. Au contraire. Le régime était désormais contesté par tous, conduit à reconnaître lui-même certains de ses abus, à laisser s'exprimer la contestation, à laisser sa presse - tous les journaux sont gouvernementaux - relater plus ou moins les conflits sociaux, à ranger son armée dans les casernes, et à rendre plus discrète sa police. Les grèves qui se multiplièrent dans ces mois là, mettaient en avant des revendications sur les salaires ou les conditions de travail. Mais aussi, souvent, les grévistes demandaient la démission d'un directeur ou d'un responsable départemental contesté par ses ouvriers ou employés, ou accusé de corruption. Les responsables syndicaux eux-mêmes, eux aussi jusque là obligatoirement membres du FLN et choisis par celui-ci, étaient contestés. Les travailleurs demandaient la démission des délégués et leur remplacement par d'autres, élisaient des comités d'ouvriers indépendants du syndicat. Et cela reflétait bien autre chose que les querelles de clans qui, comme dans le FLN, se faisaient alors jour au sein du syndicat unique, l'UGTA.

Des luttes sociales, des grèves, il continue à y en avoir en Algérie. La classe ouvrière n'a pas fini de se faire entendre. On en trouve même des échos périodiquement dans la presse algérienne, une presse gouvernementale pourtant très peu loquace sur ces informations-là. La semaine qui a suivi les élections notamment, après la grève des éboueurs, c'étaient les employés de la NAFTAL (distribution d'essence) et des employés du gaz de la zone d'Alger qui faisaient grève.

Mais pour que cette contestation ouvrière aille plus loin il faudrait que la classe ouvrière algérienne ait ses propres perspectives politiques, ses propres objectifs de classe pour changer la société. Il lui faudrait un parti ouvrier révolutionnaire pour lui proposer une politique.

Faute de cela, avec l'adoption de la nouvelle constitution, au printemps 1989, puis l'apparition des nouveaux partis dans l'été, c'est le nouveau jeu politicien qui semble avoir progressivement pris le devant de la scène.

Et dans ce jeu là, parce qu'ils étaient les seuls à paraître opposants et décidés, ce sont les intégristes par leurs provocations et leurs coups de force, qui ont rapidement dominé l'actualité.

Ils n'ont pas hésité à faire flèche de tout bois pour se donner allure de contestataires radicaux. Radicaux, en premier lieu sur le plan des idées rétrogrades contre les femmes. C'est sur ce terrain, qui flatte tant les préjugés masculins existants, qu'ils ont mené toute l'année provocations et agressions contre des femmes accusées de « mauvaise vie » ou simplement refusant de porter le voile, les multipliant encore pendant le mois de Ramadan.

Mais radicaux aussi dans leur dénonciation de l'incurie du gouvernement, pour secourir les victimes du tremblement de terre de l'automne par exemple, de la corruption des milieux dirigeants et des gestionnaires locaux.

Les orateurs du FIS se gardent bien de toute démagogie sur le terrain des revendication sociales des travailleurs. Mais la hausse vertigineuse des prix et l'incapacité de l'État à l'enrayer a pu être une arme aussi pour eux. Ainsi on peut lire dans le journal « Algérie Actualité » : « Le FIS a bien tenté une petite expérience, dans la villes d'Aïn Delfa, qui a consisté à s'approvisionner directement en fruits et légumes auprès des producteurs et à les écouler avec la plus infime marge... » Un petit coup de pub ponctuel dans une commune que le FIS dirige aujourd'hui.

Car en plus des bas salaires et du chômage, ce que la population subit de plein fouet c'est l'escalade des prix, y compris des produits agricoles produits sur place. Ceux-ci sont achetés sur pied par des revendeurs, heureux possesseurs d'un camion, qui les commercialisent au prix fort. Le gouvernement s'est senti le devoir, en période de campagne électorale, de faire mine de faire quelque chose. Mais tout ce qu'il a trouvé à faire fut de lancer une campagne contre le « trabendo », le marché noir, faisant plus, bien entendu, la chasse au tout petit « trabendistes », aux jeunes qui vivent de petits trafics et ventes à la sauvette, qu'aux vrais spéculateurs du marché parallèle. Il a ainsi aboutit à repousser quelques mécontents de plus dans les bras du FIS.

Le fln ou les « democrates » un rempart contre les integristes ?

Depuis la victoire électorale du FIS, du coté des nouveaux partis algériens qui se réclament de la « démocratie », PSD, RCD, ou FFS d'Aït Ahmed, on parle d'un « choc salutaire » , qui devrait permettre aux « démocrates » de s'unir. Ainsi la Ligue Algérienne des Droits de l'Homme vient d'annoncer la création d'un « Forum Démocratique » pour « défendre et promouvoir la démocratie » . Aït Ahmed annonce la création prochaine de son Forum à lui pour « unir tous les démocrates du pays » . Et, d'après le journal Le Monde des 17-18 juin, le RCD appelle, lui, à mettre en place un gouvernement d'union pour gérer le pays jusqu'aux élections, et à constituer, face au FIS, une « nouvelle majorité présidentielle » autour de Chadli avec les partis démocratiques et les secteurs dits progressistes du FLN. Enfin il y a longtemps que le PAGS (le parti communiste algérien) a, lui, prôné un « Front Démocratique » pour sauver le pays de la crise.

Bref, ce que ces gens là proposent c'est, sous une forme ou sous une autre, une alliance entre eux et avec tout ou partie du FLN, et avec Chadli lui-même. C'est-à-dire une alliance avec ceux qui étaient encore tout récemment des acteurs de la dictature du FLN et de l'armée. Et ils proposent cela bien qu'une partie de ces gens du FLN lorgnent déjà ouvertement vers le FIS.

Comment donc des « Fronts démocratiques » de ce genre pourraient-ils constituer un rempart contre le retour à la dictature de l'armée, ou un rempart contre le FIS ? Il est vrai que ces « démocrates » semblent parfois bien prêts à accepter le recours à l'armée comme une protection contre le FIS.

En tout cas aucun de ces gens là ne propose quelque chose à la population ou à la classe ouvrière pour s'organiser, pour devenir une force contre les ambitions du FIS ou contre le retour possible de l'armée sur le devant de la scène politique. Tout au plus savent-ils proposer quelques manifestations, comme la marche « contre l'intolérance » du 10 mai dernier, ou celle du FFS du 31 mai. Mais il n'a pas suffi alors aux marcheurs d'être plus nombreux (d'après ce que la presse en a dit) ces jours-là, que le FIS ne l'avait été quelques jours plus tôt, pour empêcher le succès électoral de celui-ci.

Dans la réalité tous ces gens-là n'entrent pas en concurrence avec le FIS auprès de la population pauvre et des travailleurs, pour leur proposer une autre politique, d'autres perspectives, une autre voie pour changer leur sort et celui du pays. Ils ne font que proposer leurs services à la classe bourgeoise algérienne, à tous les privilégiés d'Algérie, dont ils se proposent de défendre au mieux les intérêts. Or sur ce terrain là le FIS est déjà peut-être mieux placé qu'eux tous.

Le FIS a gagné les mairies. Des bourgeois algériens le financent, car il n'a sûrement pas que les aides financières d'Arabie Saoudite dont parle la presse, et les financiers algériens du FIS ne sont sûrement pas que des petits commerçants à qui l'on force un peu la main au nom d'Allah. Ils le font parce qu'ils savent qu'ils pourraient y trouver une force pour défendre leurs commerces contre les pauvres et leurs entreprises contre les grévistes. Et ceux des notables FLN qui ont perdu dans ces élections leur sinécure regardent peut-être déjà avec envie ceux qui ont eu la clairvoyance de se présenter cette fois sur les listes du nouveau parti.

Le seul rempart possible c'est la classe ouvriere

Le FIS se renforce d'autant plus facilement qu'il n'a personne vraiment en face de lui. C'était vrai, en tout cas, dans ces élections, où il était le seul pratiquement avec le FLN.

Il n'attire des forces populaires à lui, y compris peut-être pour manier la matraque, y compris contre une autre partie de la population pauvre, que parce qu'elles ne voient d'autre issue à leur misère que celle que leur prêchent les marchands d'illusions des mosquées.

La classe ouvrière aurait, elle, les moyens de proposer autre chose, la lutte de classe, et une politique à l'apparence tout aussi radicale que celle du FIS. Mais contrairement à celle du FIS, elle ne serait pas radicale qu'en parole, ou pour ramener la société des siècles en arrière, mais pour commencer à changer cette société en faveur des classes populaires.

La classe ouvrière algérienne aurait probablement la force d'imposer la hausse des salaires. Mais elle aurait aussi celle, par exemple, de contrôler les détournements des marchandises importées, qui passent entre ses mains dans les ports, mais qui filent au marché noir pour un autre but que celui pour lequel elles ont été officiellement importées, et à un autre prix ; de contrôler aussi où file une partie de la production des usines d'Algérie que l'on retrouve sur le marché parallèle et pas au prix officiel ; de s'en prendre à des trafiquants et spéculateurs d'un tout autre niveau (leurs patrons, leurs directeurs, leurs chefs de service, leurs préfets) que les petits « trabendistes » de quartier ; de comparer les prix auxquels les produits agricoles, cultivés à quelques kilomètres des villes sont payés aux agriculteurs et ceux auxquels on les retrouve sur le marché... Et les femmes au travail, celles de usines et des bureaux, si elles formaient une force organisée et unie, auraient autrement les moyens de se faire respecter, et même craindre, parce qu'elles gagnent leur vie et ne sont pas seules. Du coup, elles pourraient exercer une contre-pression à la pression des hommes du FIS qui ne sont eux aussi qu'une minorité après tout, et attirer aussi les femmes aux foyers, leurs soers, leurs voisines.

Seule une remontée des luttes de la classe ouvrière algérienne, à condition qu'elle se traduise sur le plan politique, et un parti des ouvriers s'il s'en créait un sur la base de la lutte de classe, peuvent présenter un espoir capable de faire pièce à ceux, illusoires, que font miroiter les prêcheurs des mosquées. En tout cas, pour tous les déshérités, y compris ceux qui sont bourrés de préjugés vis-à-vis de leurs femmes ou de leurs filles, mais qui cherchent désespérément le moyen de vivre plus décemment.

22 juin 1990

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