Rhodhésie : Smith à la recherche d'un sursis06/05/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/05/64.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Rhodhésie : Smith à la recherche d'un sursis

En Rhodésie, du 17 au 21 avril, s'est déroulée une parodie électorale, qui en rappelle d'autres, notamment celles que certains régimes colonialistes pouvaient organiser pour donner le change, comme le gouvernement français en avait organisé en Algérie à l'époque de la sale guerre. Pour une fois, toute la population noire était convoquée aux urnes. Ces élections organisées par le gouvernement de lan Smith avaient pour but de désigner le futur et premier Parlement à majorité noire du pays. Et c'est probablement l'évêque Abel Muzorewa, leader de l'U.N.A.C. (Conseil National Africain Unifié, une tendance modérée du mouvement nationaliste), qui sera Premier ministre dans le futur gouvernement à majorité noire, puisqu'il a obtenu 51 % des voix.

C'est sous la loi martiale et dans un climat de terreur et de répression que ces élections se sont déroulées, mais Ian Smith s'estime satisfait : il se félicite en effet d'avoir pu obtenir plus de 60 % de participation électorale de la part de la population noire et d'avoir marqué ainsi un point contre les organisations de guérilla du Front Patriotique qui préconisaient le boycott.

Pour protéger les 686 bureaux de vote transformés en véritables forteresses contre d'éventuelles attaques de guérilleros, plus de 70 000 hommes ont été mobilisés, soit plus de 100 par bureau de vote, ainsi que le relate le journal Le Monde du 18 avril dernier. La population blanche avait été appelée aux urnes séparément la semaine précédente de façon à être à même d'encadrer efficacement la population africaine lors de cette consultation. Tous les Européens en âge de porter les armes ont été mobilisés, jusques et y compris la classe d'âge de 50 à 59 ans. Les Blancs armés, organisés en commandos, ont ratissé la population africaine pour la contraindre à aller voter. Dans les campagnes, où la loi martiale est la règle, c'est-à-dire où l'armée peut tirer à vue sur tout ce qui bouge, des villages entiers « regroupés » ont dû aller voter sous la surveillance « d'auxiliaires », quand ils n'étaient pas conduits de force aux urnes.

Dans les villes, tous les travailleurs africains n'avaient d'autre choix que d'aller voter sous peine de perdre leur emploi ; même le correspondant du journal le Figaro, qui ne cache pourtant pas ses sympathies pour Ian Smith, est obligé de le reconnaître : « Pour plus de sûreté, les camions de vote iront quérir les suffrages dans les usines, aux heures de travail ».

Tous les opposants, tous ceux qu'on pouvait soupçonner d'éprouver quelque sympathie pour le Front Patriotique étaient arrêtés, emprisonnés.

Des centaines d'arrestations ont eu lieu pendant les jours qui précédaient le vote. Pas étonnant que, dans ces conditions, dans certaines circonscriptions comme celles du Mashonaland, le nombre de votants ait été supérieur au nombre d'électeurs recensés. Il est même surprenant que dans de telles conditions, malgré les méthodes policières du régime, malgré les pressions de toutes sortes, la participation électorale n'ait pas dépassé le chiffre moyen de 63,9 %. Même si le Front Patriotique n'a pas pu empêcher que ces élections aient lieu, elles ne représentent pas pour autant pour la politique de Ian Smith un succès, quoi qu'il en dise.

Un recul pour Ian Smith

Si Ian Smith tenait tellement a une forte participation électorale lors de ces élections, c'est qu'elles viennent couronner toute la politique qu'il a mise en oeuvre depuis un an pour tenter d'organiser un gouvernement de transition à majorité noire, susceptible de remplacer le gouvernement blanc trop ouvertement minoritaire et incapable de faire face à la révolte de la population africaine et à la montée des mouvements nationalistes. En effet, en mars 1978, Ian Smith concluait un accord avec trois dirigeants nationalistes noirs de tendance modérée. Les signataires de l'accord, l'évêque Muzorewa, le pasteur Sithole et le chef Chirau ont désigné, en commun avec Ian Smith, un gouvernement de transition dans lequel pour chaque ministère un ministre noir était associé au ministre blanc déjà en place. Et ce gouvernement avait la tâche précisément d'organiser au suffrage universel des élections (prévues pour décembre dernier puis reportées jusqu'en avril), pour désigner un Parlement à majorité noire.

C'est ainsi que Smith, le chef des ségrégationnistes blancs, lui qui déclarait il y a peu encore : « Moi vivant, il n'y aura jamais sur cette terre un gouvernement à majorité noire », a décidé de reconnaître au moins formellement - mais, même sur ce plan, seulement partiellement - l'égalité des Noirs et des Blancs dans le pays. Prendre pour Premier ministre un évêque noir pour servir de paravent à son régime n'est sans doute pas changer de politique sur le fond, mais c'est incontestablement un recul de la part de Ian Smith et des ségrégationnistes blancs de Rhodésie.

Ce n'est pas parce que Ian Smith a procédé à une consultation au suffrage universel que la minorité blanche entend pour autant accepter de perdre ses privilèges. Au contraire, elle espère sans doute ainsi sauver les meubles et elle s'est assuré, de toutes façons, de solides garanties en ce sens. Il n'est qu'à regarder le mode de scrutin. Organisé prétendument selon le principe « un homme, une voix », il n'en est qu'une parodie. Certes, les 6,5 millions de Noirs ont bien chacun une voix pour élire les 72 députés africains du futur Parlement ; mais les Blancs disposent à ce compte de 10 voix chacun, puisqu'à 250 000 ils élisent 28 députés. Outre cela, les 28 députés blancs disposent du droit de veto et, suprême garantie, les postes clé du futur gouvernement comme la direction de l'armée ou de la police resteront aux mains des Blancs. D'ailleurs, ce que sera le futur gouvernement, Byron Hove, co-ministre de la Justice africain dans le gouvernement de transition mis sur pied à la suite de l'accord de mars 78, en a déjà fait l'expérience : il a dû démissionner, car il avait eu l'audace de vouloir effectuer quelques changements dans les forces de police. C'est dire la limite des concessions faites par Ian Smith. Mais ces concessions sont bien significatives du rapport de forces nouveau qui s'est instauré il y a quelques années maintenant en Rhodésie.

La sécession des petits blancs

Pourtant, il y a 14 ans, c'est parce que l'impérialisme anglais qui voulait décoloniser en douceur, souhaitait passer le pouvoir à une équipe d'Africains, que Ian Smith et les petits Blancs de Rhodésie s'insurgeaient et décidaient de rompre avec leur métropole. Cette politique de l'impérialisme n'était pas propre à la Rhodésie. Contraintes par la flambée de luttes d'émancipation nationale - ou encore pour désamorcer l'extension de cette flambée - les grandes puissances coloniales comme la France et la Grande-Bretagne se sont décidées à abandonner la forme la plus directe de leur domination sur les peuples colonisés, elles cédaient la place à des appareils d'État dirigés par des autochtones. Alors que France, Grande-Bretagne et Belgique ont ainsi abandonné la domination coloniale directe dans la plupart de leurs anciennes colonies au début des années 60, dans le sud du continent africain, rien n'était encore changé. Le Mozambique et l'Angola étaient toujours sous la tutelle coloniale du Portugal, impérialisme trop faible pour envisager de continuer à piller économiquement ces régions sans y maintenir pour cela son propre appareil d'État. Il reste aussi l'Afrique du Sud et la Rhodésie. Mais là, le problème est qu'il s'agit de colonies de peuplement et que la situation est un peu analogue à celle de l'Algérie avec la présence des pieds-noirs. Les 250 000 Blancs de Rhodésie, pas plus que les 3,7 millions de Blancs d'Afrique du Sud, ne sont prêts à sacrifier leurs privilèges sur l'autel de la décolonisation. C'est pourquoi, pour prévenir le mouvement de décolonisation qui se préparait, se sentant lâchés par leur impérialisme qui pourtant les avait utilisés jusque-là pour imposer sa domination et son pillage sur ces colonies, les petits Blancs de Rhodésie décrètent unilatéralement leur indépendance. La communauté blanche d'Afrique du Sud avait déjà déclaré son indépendance en 1961.

Et pour maintenir leur privilège de minorité, les Blancs de Rhodésie et d'Afrique du Sud ont perfectionné un monstrueux appareil juridique et policier, basé sur la ségrégation raciale.

L'impérialisme anglais aurait sans doute préféré régler la situation comme il a pu le faire dans ses colonies voisines en plaçant des chefs d'État africains comme Banda au Malawi ou même comme Kaunda en Zambie. La préoccupation principale de l'impérialisme en l'occurrence était de pouvoir continuer à assurer ses profits et pour cela, il lui fallait avoir l'assurance d'un régime stable. Et si l'impérialisme britannique réclama à l'ONU des sanctions économiques contre le régime de Smith en Rhodésie, ce n'est pas à cause des mesures ségrégationnistes que le gouvernement Smith prit à l'encontre des Noirs. Ce que l'impérialisme reprochait le plus aux petits Blancs de Rhodésie, c'est de ne pas se plier aux décisions de Londres. Mais de toutes façons, s'il l'avait vraiment voulu, l'impérialisme britannique avait sans aucun doute les moyens de faire plier les colons rebelles.

De l'oppression à la révolte

Effectivement, dès l'année qui suivit la déclaration unilatérale d'indépendance, des mouvements de guerilla éclatent dans le pays et s'attaquent aux troupes rhodésiennes. Renforcée par les succès des mouvements de libération nationale contre le colonialisme portugais au Mozambique et en Angola, la colère des masses noires opprimées monte. En Afrique du Sud, c'est la révolte des ghettos noirs, de Sharpeville en 1960 à Soweto en 1976.

Si la Rhodésie n'a pas connu de mouvements aussi puissants, la situation est explosive et renforcée encore par la politique raciste des petits Blancs contre la majorité de la population noire, qui mènent la même politique de ségrégation raciale que le régime de Vorster en Afrique du Sud. Des inégalités criantes séparent la communauté blanche, en tant que telle, de la communauté noire. Le problème de la terre est de loin l'un des plus importants. Les paysans africains ont été repoussés sur les terres les plus pauvres, attribuées au « Fonds tribal », cela à l'époque de la colonisation. De ces terres, les hommes sont obligés de s'expatrier comme des bantoustans d'Afrique du Sud, pour aller s'employer dans les usines, les mines ou sur les terres des « colons » blancs, à qui la législation coloniale avait attribué 46 % des terres. Et même si la loi coloniale a été abrogée, par la suite, elle continue de sévir, les conditions du marché sont telles qu'il est impossible au paysan africain d'acheter de meilleures terres.

Comment le pourrait-il, la communauté blanche a le quasi monopole de toutes les richesses du pays et entend bien empêcher les Noirs d'y accéder. Selon un rapport du Bureau International du Travail de 1976, 90 % des dividendes et participations aux bénéfices de sociétés vont dans la poche des Blancs, ne laissant qu'une part maigrelette à la bourgeoisie noire. Même les ouvriers blancs font figure de privilégiés, puisque le salaire moyen d'un Blanc est onze fois supérieur à celui d'un Noir.

Cette oppression, ces injustices criantes ne datent certes pas d'aujourd'hui. Mais depuis quelque vingt ans, des Noirs combattent cette situation les armes à la main.

Les organisations de résistance africaines

Les mouvements de résistance nationalistes sont tous plus ou moins issus du Congrès National Africain (A. N. C.), parti nationaliste naguère unique, qui avait pour leader Josua Nkomo. Différentes organisations, tantôt rivales, tantôt alliées, en sont issues. Elles ont ceci en commun qu'elles misent avant tout sur des solutions d'entente avec l'impérialisme anglais ou américain contre le régime ségrégationniste de Salisbury et même quand ils prônent la lutte armée, ils ne la conçoivent que dans cette perspective. Il s'agit pour eux principalement de faire pression sur le pouvoir blanc pour l'obliger à reculer et d'amener en même temps l'impérialisme à prendre ses distances d'avec Ian Smith et reconnaître en eux les dirigeants de la Rhodésie. Aucun n'a réellement la perspective de permettre à la population africaine de s'organiser et de régler par elle-même ses problèmes.

Après la dissolution de l'A.N.C. en 1960 par le gouvernement colonial, s'est formé le Z.A.P.U. (Union des Peuples Africains du Zimbabwe, nom africain de la Rhodésie), avec Nkomo comme leader. D'une scission de ce mouvement s'est formé ensuite le Z.A.N.U. avec Sithole et Mugabe. Les divergences entre ces différents courants semblent être bien plus liées à des rivalités de personnes et de factions qu'à des choix politiques précis. Muzorewa s'est fait de son côté une réputation d'homme politique nationaliste qui, bien que modéré, fut contraint de s'exiler quelque temps. Les positions politiques des uns et des autres ayant pu varier du tout au tout, on a même assisté à des retournements spectaculaires des uns et des autres.

A l'heure actuelle Nkomo, leader des guérillas aux frontières du Bostwana et de Zambie, connu comme modéré même s'il a affiché il y a peu ses sympathies pour l'URSS, et Robert Mugabe, leader des guérillas aux frontières du Mozambique, ont conclu un accord dans le cadre d'un Front Patriotique. Mais les rivalités demeurent entre eux, chacun cherchant à garder le leadership du mouvement pour un futur gouvernement noir. Et il est bien évident que les luttes intestines entre les organisations qui incarnent la résistance des masses noires ne vont pas dans le sens de l'efficacité du mouvement.

Quelle est l'influence respective de ces différents courants, il est bien difficile de le savoir exactement. Quant à l'influence des mouvements de guérillas du Front Patriotique, il semble bénéficier sinon du soutien total, du moins de la sympathie très large des masses africaines. Selon Barry Cohen, journaliste au Monde Diplomatique, ces derniers temps les maquis se sont étendus aux deux tiers du territoire rhodésien. D'après son témoignage, depuis le début de l'année, le régime de Salisbury aurait perdu l'initiative de façon générale sur le champ de bataille. Un correspondant de presse qui a passé plusieurs mois en compagnie des troupes de Mugabe raconte que dans les zones libérées par les nationalistes, les guérilleros ont établi des fermes coopératives, des écoles et des cliniques destinées à la population. (Monde Diplomatique de mars 1979).

Ian Smith a dû reconnaître devant un auditoire de Blancs à Umtali le 11 janvier dernier que la Rhodésie ne pouvait pas gagner la guerre. Cela en dépit des attaques aériennes qui ont semé la mort dans les camps de réfugiés du Z.A.P.U. et des brutalités auxquelles se livre la soldatesque de Salisbury, dans les campagnes.

Le programme de « hameaux stratégiques » calqué sur celui de l'armée américaine au Vietnam ou de l'armée coloniale française en Algérie, s'est révélé, en Rhodésie aussi, un échec pour les troupes gouvernementales qui pratiquent la politique de la terre brûlée. Malgré un renfort en matériel de guerre fourni par l'Afrique du Sud et les grandes puissances dont la France, malgré le recrutement de mercenaires qui constituent plus de 20 % des 10 000 hommes de l'armée rhodésienne, la détérioration de la situation militaire et des conditions de sécurité a porté un rude coup au moral des Blancs de Rhodésie.

L'attaque spectaculaire à la roquette contre les dépôts de pétrole de Salisbury a brutalement fait savoir aux citadins que la rébellion avait gagné tout le pays. Les colons blancs n'ont jamais été si nombreux à quitter le pays que cette dernière année. Dans la crainte de ce qui pourrait sortir des élections prévues d'abord pour décembre dernier, puis reportées à avril, quelque 20 000 colons blancs sont partis.

Quelles que soient les faiblesses et les rivalités au sein et entre les organisations nationalistes, et même si ces mouvements semblaient pendant longtemps bénéficier d'une implantation et d'une autorité moindres que, en d'autres temps, le FNL vietnamien par exemple, ou même le FLN algérien, c'est sans aucun doute le développement de ces mouvements armés dans le pays qui a contraint Ian Smith et la minorité blanche à rechercher un terrain de compromis et des interlocuteurs du côté des nationalistes africains.

Le jeu politique de Smith : une marge étroite

Face à cette situation, Ian Smith, contraint à rechercher un terrain de compromis, tente de continuer à jouer son propre jeu. Il s'agit pour lui maintenant de convaincre les dirigeants anglais et américains qu'il peut tenir et même associer des Africains à la gestion des affaires afin de donner le change et que, tout en préservant l'essentiel des privilèges des petits Blancs, il peut être un défenseur fiable des intérêts impérialistes dans son pays.

C'est la démonstration qu'il lui faut faire. C'est le sens de l'interview qu'il a donné au Figaro du 17 avril 1979, où il explique que le régime qu'il prétend mettre en place avec la collaboration de ministres africains est le plus solide garant de la stabilité politique et économique de la région. C'est-à-dire que si l'impérialisme ne veut pas voir « les fabuleuses richesses minérales et agricoles de Rhodésie tomber sous le contrôle soviétique », il lui faut tout le soutien des puissances occidentales.

Mais si les grandes puissances impérialistes ne sont pas hostiles loin de là au régime de Smith, si elles savent bien que Ian Smith est un allié sûr, et qu'il n'a effectivement pas d'autre choix que celui de se retrouver dans le camp de l'impérialisme, vaille que vaille, ils ont des raisons d'estimer que le régime n'est pas très solide. Même si les 200 000 petits Blancs étaient tous décidés à se battre jusqu'au dernier pour défendre le régime en défendant leurs privilèges - ce qui n'est évidemment pas nécessairement le cas - cela ne suffirait pas pour assurer une assise solide au régime face à une révolte générale de la population noire.

Et après des décennies de ségrégation, malgré les réformes en cours, la peau blanche de Smith et Cie les rend décidément moins aptes à tromper les masses noires que ne le seraient des dirigeants noirs.

Pour les grandes puissances impérialistes, le problème est, élections ou pas, de savoir combien de temps peut encore durer le régime de Smith et quelles solutions de rechange lui trouver pour maintenir leurs profits et leur domination.

Au lendemain des élections rhodésiennes, l'ONU a maintenu son refus de reconnaître le régime, même issu de nouvelles élections, mais les représentants des impérialismes américain, anglais et français se sont abstenus sur cette question. Si ce n'est pas un soutien direct, ce n'est plus une condamnation comme en 1976 où le représentant américain à l'ONU, Andrew Young avait déclaré Ian Smith « hors la loi » . Andrew Young a rappelé à l'occasion qu'il était toujours opposé à la reconnaissance du nouveau gouvernement par les États-Unis mais le président américain Carter de son côté a affirmé que ces élections, à son avis, avaient constitué « un pas dans la bonne direction ». Et déjà, au congrès américain, des propositions de lois ont été émises demandant la levée des sanctions économiques à l'égard de la Rhodésie. De même que Margaret Thatcher, le nouveau Premier ministre anglais, s'est empressée de déclarer qu'à son avis il faudrait lever les sanctions économiques contre la Rhodésie. Et sans nul doute Ian Smith possède de puissants défenseurs parmi les hommes d'affaires du monde impérialiste, aux USA, comme en Grande-Bretagne ou en France. Mais ce n'est pas pour autant qu'il saura convaincre les dirigeants impérialistes qu'il est le meilleur champion de leurs intérêts.

Smith ou les nationalistes africains, deux solutions pour l'impérialisme

L'impérialisme a su se servir des années durant du régime ségrégationniste de Smith. Ce ne sont pas des raisons de principe qui l'empêchent de continuer. Mais dans le plan de règlement d'ensemble de la situation en Afrique Australe, Kissinger, il y a trois ans de cela, avait lâché publiquement le gouvernement Smith dans son discours à Lusaka, le 27 avril 1976, en accord avec le gouvernementanglais de Callaghan.

En cela Kissinger adoptait deux attitudes très différentes envers deux régimes pourtant fort proches l'un de l'autre, l'Afrique du Sud de l'apartheid et le régime de Smith. Alors qu'il affirmait son soutien et son désir de voir maintenu en place le régime de Vorster en Afrique du Sud, cette « forteresse du monde libre », il s'est montré prêt à abandonner la Rhodésie aux mouvements nationalistes noirs, qu'il conviait tous ainsi que Smith à une conférence àGenève pour tenter de régler la situation.

Cette conférence de Genève a échoué, comme les multiples plans de règlement proposés par Kissinger du fait principalement de l'intransigeance de Smith. Car l'impérialisme s'il peut lâcher le régime de Smith n'est pas prêt à le faire à n'importe quelles conditions. Manifestement les anglo-américains, principales puissances impérialistes intéressées dans l'affaire, étaient prêts à lâcher Smith. Il faut dire que Smith a beau avoir été la créature de l'impérialisme, celui-ci ne serait pas gêné de s'en débarrasser, s'il avait trouvé d'une part une solution de rechange satisfaisante et, d'autre part, un moyen d'assurer sans heurts excessifs la transition.

Des discussions quasi officielles ont été entamées alors entre Young le diplomate américain, chargé d'appliquer la politique définie par Kissinger, qui lui présentait l'avantage d'être un homme de couleur pour mener cette discussion, et les figures les plus en vue du mouvement nationaliste. Sans parvenir d'ailleurs - du moins d'après leurs affirmations - à trouver d'interlocuteur valable ayant suffisamment d'autorité sur l'ensemble du mouvement nationaliste fort divisé, pour faire admettre un plan de règlement acceptable, sans heurts, également par au moins une partie de la minorité blanche.

Il n'est finalement pas sorti grand-chose de la conférence de Genève. Faute d'une solution de rechange ou faute d'un accord sur la période de transition, du fait de l'intransigeance de Smith, ou encore les deux ? On l'ignore. Il faut croire que les puissances anglo-américaines n'ont pas cru la situation explosive au point de se sentir bousculées et de bousculer par la même occasion Smith. Ils ont laissé les choses en l'état. Et Smith a profité du répit ainsi créé, pour tenter d'aménager une position de repli au prix d'un certain nombre de concessions à la majorité noire.

Ian Smith voudrait bien présenter ces élections comme la preuve de la stabilité de son régime pour toute une période. A-t-il raison ? Il est difficile de le dire. Ce qu'on peut constater c'est que ni la force ni les armes ne lui suffisent pour se maintenir. Arrivera-t-il mieux par les élections et quelques concessions de pure forme à faire illusion et à tromper la population rhodésienne ? Cela dépend du degré de mobilisation des masses africaines de Rhodésie et ces élections peuvent être le début d'une nouvelle période de stabilité ou tout au moins un répit plus ou moins durable pour le régime. Mais force est de constater que plus la situation évolue, moins elle est favorable aux ségrégationnistes. Et il est fort possible que ces élections ne soient que le dernier avatar d'un régime ébranlé qui se cramponne au moindre fétu avant d'être emporté.

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