PCF : la polémique contre le PS continue01/07/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/07/55_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

PCF : la polémique contre le PS continue

Les six mois qui précédèrent la campagne électorale et cette campagne électorale elle-même ont été marqués par l'ardente polémique du Parti Communiste contre le Parti Socialiste. Cette polémique de la part du PCF s'expliquait sans doute par une analyse de la situation et correspondait en tout cas à une nécessité.

L'analyse, que le PCF partageait alors quasiment avec tous les politiciens et tous les commentateurs politiques, était qu'il y avait une importante poussée à gauche dans le pays. En essayant de faire la preuve qu'il était bien plus à gauche que le PS, le PCF, pensait-il, n'avait que des voix à gagner.

La nécessité était que le PCF devait de toute manière se distinguer du PS et en faire la preuve aux yeux des électeurs. Faute de quoi il risquait de voir une partie de son propre électorat traditionnel porter ses suffrages directement sur les candidats du PS.

L'analyse, les résultats l'ont montré, était fausse. Mais le but a tout de même été pratiquement atteint : le PCF a, à très peu près, conservé son pourcentage électoral.

Les élections passées, les partis de gauche, sous le coup de leur insuccès, ne songeaient qu'à justifier leur tactique électorale. PS et PCF pendant quelques semaines consacrèrent leurs efforts à se rejeter mutuellement la responsabilité. A ce jeu d'ailleurs, le PS semblait jouer gagnant dans l'opinion publique de gauche, tant celle-ci était persuadée que tout était bien de la faute du PCF coupable d'avoir déclenché et entretenu la polémique. Au point qu'une poignée de membres du PCF eux-mêmes, derrière Elleinstein ou Althusser, crurent que le moment était venu de mettre en cause la direction de leur parti sur la seule accusation qu'elle avait fait perdre les élections à la gauche.

Si jamais la direction du PCF fut en désarroi après les élections, ce n'aura, en tout cas, été qu'un court instant. Militants et électeurs de gauche n'étaient pas encore remis de leur déception que le PCF reprenait de plus belle sa polémique contre le PS accusé de « virer à droite ». Et depuis quelques semaines, il n'est pas un jour sans que l'Humanité s'en prenne au PS, il n'est pas un sujet de politique intérieure ou extérieure qui ne soit l'occasion de démontrer que Mitterrand, Rocard et Mauroy dérivent vers la droite.

Un tel acharnement, une telle campagne systématique a de toute évidence une autre raison que celle de justifier a posteriori la tactique électorale passée.

Y a-t-il un virage à droite du parti socialiste ?

Dans les attaques du PCF, il y a un parti pris systématique qui pourrait quelquefois être assimilé à de la mauvaise foi. Que le PS fasse un pas à droite et c'est bien la démonstration des accusations portées contre lui. Qu'il fasse un pas à gauche et le voilà accusé de ne le faire que pour mieux masquer son cours droitier. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, pendant des mois l'un des reproches adressés au PS était qu'il s'apprêtait à signer un programme commun avec les partis sociaux-démocrates européens. Signer un programme avec les partis allemand et anglais actuellement au gouvernement, des partis qui gèrent l'austérité chez eux, c'était bien là la preuve que le PS était tenté d'en faire autant en France. Il y a quelques jours, le PS a finalement décidé de ne pas signer ce programme. Il se voit donc taxé maintenant, en sus, d'hypocrisie.

Sur quoi le PCF peut-il donc se baser pour parler d'un virage à droite du PS ?

Certes le PS a accepté les minces ouvertures de Giscard d'Estaing. Il a accepté d'envoyer un représentant du PS dans la délégation française à l'ONU. Mitterrand a accepté l'invitation de Giscard à l'Élysée quelques jours après les élections - invitation qu'il avait tout comme Marchais refusée jusque-là - et il vient d'accepter à nouveau d'aller s'entretenir avec le président de la République. Mais Marchais lui-même a accepté la même invitation de Giscard. Et, malgré ses réserves, le PCF a de nouveau accepté, tout comme le PS, de s'entretenir avec le président de la République.

Certes les différents leaders du PS ont eu peu de ménagements avec le Programme Commun à la suite de ces élections perdues. Mauroy s'est officiellement félicité de la remise en cause de ce « carcan ». Rocard a estimé qu'il était désormais « forclos ». Mitterrand lui-même a indiqué clairement qu'il devait être considéré comme périmé. Mais la polémique qui dure depuis maintenant près d'un an entre les deux partis n'a-t-elle pas démontré qu'il n'y a jamais eu en fait de Programme Commun puisque chacun se réservait de l'interpréter à sa manière. Qu'il ait été trop vague ou que l'un ou l'autre des partenaires ait été de mauvaise foi, ce fameux Programme Commun n'a jamais été autre chose qu'un symbole de l'alliance électorale des deux partis de la gauche. Car l'Union de la gauche n'a jamais été autre chose qu'une alliance électorale et rien d'autre. Or l'Union de la gauche, tous les leaders du PS sont d'accord pour affirmer qu'elle doit se maintenir. Chevènement, Mitterrand, Mauroy, Rocard lui-même qui passe pour le plus réservé en face de l'alliance avec le PCF, tous l'ont encore répété ces derniers jours.

Certes ces mêmes leaders ont dit et redit aussi que l'essentiel pour eux était dans la période qui vient de renforcer le PS face au PCF. Mais n'est-ce pas ce qu'ils se sont appliqués à faire depuis la signature même du Programme Commun ? C'est même là le principal reproche que le PCF formule à l'égard de Mitterrand : d'avoir pris la tête du nouveau Parti Socialiste au Congrès d'Épinay en 1971 en donnant aux socialistes la perspective de faire passer le PS devant le PCF, en tout cas électoralement.

Alors, quel virage à droite ? Du moins par rapport au PCF lui-même ? Du moins depuis quelques mois ?

En fait, il n'y a virage à droite que dans l'image que le PCF veut donner du PS, de même que le PS n'a eu une politique de gauche entre 1972, date de la signature du Programme Commun, et 1977, que dans l'imagerie du PCF.

Il n'y a eu tournant à gauche que tactique - dans la mesure où le PS acceptait de signer un programme avec le PC, ce qu'il avait refusé pendant plus de 20 ans. Mais le Parti Socialiste n'a changé ni de nature ni d'objectifs. Ceux-ci n'ont jamais été de bouleverser la société française. Ils n'ont même jamais été d'introduire de profondes réformes en faveur des plus défavorisés ou des classes laborieuses. lis n'ont jamais été que de parvenir au gouvernement dans le cadre de cette société et de ce régime, et pour cela d'obtenir une majorité aux élections.

Si pour parvenir à cela il y avait une possibilité de s'allier à la droite ou une partie de la droite, le PS y est sans doute prêt. Tout comme il le fit déjà dans le passé, sous la quatrième République ou même au tout début de la cinquième.

Cette possibilité reste bien mince. Malgré les ouvertures de Giscard, la droite qui a tout de même remporté les élections, n'a aucune raison, ni parce qu'elle aurait besoin sur le simple plan parlementaire, ni parce que la situation sociale et politique l'exigerait, d'associer le PS au gouvernement.

Il ne reste donc à celui-ci que de préparer l'autre voie : la conquête d'une majorité électorale et parlementaire par une alliance des partis de gauche. C'est ce que tranquillement les différents leaders du PS viennent de répéter. Sans démonstrations d'amour excessives pour le PCF évidemment - il s'agit de bien démontrer et aux électeurs et à la bourgeoisie que le PS ne subit en rien la pression du PCF - et sans précipitation - les prochaines élections législatives ne sont qu'en 1983, l'élection présidentielle elle-même n'aura lieu que dans trois ans.

En attendant, chacun d'eux peut s'employer à se placer au mieux dans le parti. Rocard contre Mauroy, tous les deux surveillant Mitterrand, Chevènement guettant sa chance sur le côté, tous sont plus occupés à agrandir leur influence personnelle dans le parti qu'à redéfinir une alliance avec le PC qui, de toute manière, ne sera opérationnelle que, au mieux, dans trois ans, et peut-être seulement dans cinq.

Les liens du PS avec la social-démocratie allemande : un des principaux reproches adressés par le PCF au PS. Mitterrand qui s'entretient ici avec Helmut Schmidt, Chancelier de la RFA, et son parti avaient tout autant de liens avec la social-démocratie européenne en 1972 qu'en 1978. Mais alors le PCF préférait fermer les yeux. (AFP)

Pcf : tout pour le renforcement du parti

En fait, le PCF continue sa polémique contre le PS pour la même raison qu'il l'a commencée il y a neuf mois. A cette époque, il avait un objectif immédiat : les élections législatives. Aujourd'hui, cet objectif n'existe plus et le contexte est différent. Mais le but du PCF demeure.

Pour avoir une chance d'accéder un jour au gouvernement, pour que le PS soit obligé de tenir compte de lui et, au-delà du PS, pour que la bourgeoisie tout entière soit obligée de tenir compte de lui, il doit être fort, il doit être indispensable.

Avant les élections, cela se concrétisait par la nécessité de ne pas perdre de voix par rapport au PS et conserver à la Chambre un nombre de députés tel qu'il soit impossible pour Mitterrand, au cas où la gauche l'aurait emporté, de gouverner sans l'appui du groupe communiste.

Aujourd'hui, cela se traduit toujours par la volonté de conserver une influence électorale telle que, lors des prochaines consultations, quelles qu'elles soient et quelle que soit leur date, le PS ait toujours intérêt et obligation de passer par l'alliance avec le PCF. Mais cela se traduit aussi par le désir de prouver qu'il serait indispensable de faire appel aussi au PCF et non au seul PS si, en cas d'approfondissement d'une crise économique, sociale ou politique, il s'avérait nécessaire d'appeler des représentants de la gauche au gouvernement.

D'où les deux volets de la politique actuelle du PCF.

D'une part, dans les entreprises, sur le terrain syndical par l'intermédiaire de la CGT, une attitude résolument offensive dans les mouvements grévistes. Nous analysons dans un autre article de ce même numéro cette attitude. Il s'agit par là pour le PCF de conserver et d'accroître son influence sur les secteurs combatifs des travailleurs. Il s'agit aussi de bien prouver qu'il ne pourra être question de maintenir le calme social si on ne passe pas par lui.

D'autre part une campagne et une polémique systématiques contre le PS. Il s'agit de mobiliser les militants du PCF pour faire barrage à une possible extension de l'influence du PS. Le PCF doit conserver son influence relative face au PS, sinon même l'accroître. Il s'efforce donc de démontrer que le véritable défenseur des intérêts des couches sociales qui constituent l'électorat de la gauche, c'est lui et non pas le Parti Socialiste qui au contraire, en « virant à droite », s'apprêterait à les brader.

Incidemment cette politique a aussi le mérite de répondre à ses contestataires. Ceux-ci, en critiquant leur parti de ne pas savoir faire alliance avec le PS, apparaissent comme les représentants d'une politique timorée et finalement contraire aux intérêts du PCF face à une direction qui a un langage et une attitude susceptibles de plaire à tous les éléments combatifs et particulièrement aux militants ouvriers et syndicalistes. La contestation au sein du PCF n'est certainement pas la raison de la politique actuelle du PCF, mais que celle-ci puisse clouer le bec à celle-là n'est certainement pas pour déplaire à Marchais et Leroy.

Cette politique se traduit enfin par l'insistance mise sur le renforcement et le recrutement du parti. La direction s'est fixé d'atteindre les 700 000 adhérents à la fin de cette année. Ce chiffre, dont il est difficile de juger la signification quant au nombre exact d'adhérents que compte actuellement le PCF, a en tout cas le mérite de bien mettre l'accent sur les objectifs actuels qu'il se donne ; se renforcer et se développer.

C'est ce que répètent inlassablement les dirigeants. On peut le lire chaque jour dans l'Humanité. Poperen présentant son rapport au Comité Central disait ainsi presque naïvement : « L'appel du Comité Central d'avril à reconstruire l'union à la base doit donc être compris comme une invitation lancée aux communistes à s'engager comme jamais dans un travail diversifié, constructif, à agir et à faire agir, à obtenir, par leur propre action, et à prendre en compte tout ce qui a été obtenu (c'est nous qui soulignons, NDLR) ». On ne peut mieux dire que les militants doivent s'appliquer d'abord et avant tout à renforcer leur parti... même lorsque celui-ci continue à parler d'union.

Le cours actuel du PCF ne signifie pourtant pas, malgré son langage plus offensif, qu'il aurait fondamentalement changé, qu'il se situerait plus à gauche que dans la période précédente.

Ainsi, par exemple, à propos des prochaines élections au Parlement Européen, en annonçant les grandes lignes de la propagande qu'il entend mener, il a déjà annoncé la couleur : il entend se présenter sur un programme nationaliste pour une nation « forte, indépendante et souveraine ». Cela aura peut-être le mérite de lui gagner face au PS certains électeurs dans des milieux sensibles à la démagogie nationaliste. Mais cela démontre aussi qu'une attitude offensive peut fort bien s'allier avec une politique qui ne peut en rien être qualifiée de gauche.

D'ailleurs sa perspective fondamentale n'a pas changé. C'est toujours l'Union de la gauche, c'est-à-dire la perspective de venir au gouvernement en alliance avec le PS dans le cadre des élections, du régime et de la société actuelle. Quand il pousse ses militants à participer aux luttes et même à prendre la tête de celles-ci, c'est toujours pour préparer cette union, cette alliance et ces élections, pas pour préparer une lutte plus profonde de la classe ouvrière qui pourrait bouleverser la société.

Cela situe le cadre et les limites de son attitude offensive d'aujourd'hui comme du redoublement de sa polémique contre le Parti Socialiste.

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