Municipales d'Aulnay : Percée de l'extrême-droite ?01/11/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/11/106.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Municipales d'Aulnay : Percée de l'extrême-droite ?

Les dernières élections municipales partielles se suivent et se ressemblent. Après Dreux, Sarcelles, Antony, Villeneuve-Saint-Georges, la municipalité d'Aulnay-sous-Bois dans le département de la Seine-Saint-Denis vient d'être gagnée par le RPR. Ce bastion de la gauche que le Parti Communiste gérait depuis dix-huit ans n'a donc pas résisté à la poussée de la droite.

L'actuelle régression électorale de la gauche ne fait que confirmer celle qui s'était amorcée lors des élections municipales de mars 1983.

En comparaison avec les élections municipales de 1977 qui virent une nette victoire de la gauche, le recul est sensible, entre autre dans les six municipalités où viennent d'avoir lieu les dernières élections municipales partielles.

Depuis deux ans et demi que la gauche est au gouvernement, sa politique suscite la déception. Les impôts augmentent, dans le même temps le pouvoir d'achat et les prestations sociales diminuent alors que le chômage s'accroît. Face à un gouvernement qui mène une politique anti-ouvrière, une politique de droite, il est somme toute logique, naturel, que le mécontentement s'exprime sur le terrain électoral, entre autre parla désaffection d'un certain nombre de soutiens de la gauche dans l'électorat populaire.

Une partie des électeurs centristes que la gauche avait attirés lors de la montée de son audience aux municipales de 1977 ainsi qu'aux présidentielles et aux législatives de 1981, a certainement rejoint les rangs des électeurs de la droite. Mais le phénomène le plus marquant reste les forts taux d'abstention dans les quartiers les plus pauvres. Ce fut le cas notamment à Aulnay-sous-Bois. Là, au premier tour de l'élection municipale partielle du 6 novembre, les abstentions se sont montées à 33,8 % des électeurs, chiffre important, quoiqu'inférieur à celui du premier tour de mars 1983 où les abstentions atteignaient 35,7 %. Mais plus significative encore que ce chiffre global est la répartition des abstentions dans les divers quartiers de la municipalité, entre les bureaux de vote d'Aulnay nord, partie la plus populaire de la ville, et ceux d'Aulnay sud où la population est socialement beaucoup plus petite-bourgeoise.

A Aulnay nord, les abstentions ont été le 6 novembre de 39,9 % (41,7 % au premier tour des élections de mars 1983) alors qu'elles étaient de 28,8 % à Aulnay sud (30,7 % au premier tour de mars 1983). Entre les quartiers populaires d'Aulnay nord et ceux d'Aulnay sud qui le sont beaucoup moins, la différence entre les taux d'abstention a donc été de 11,1 % au premier tour de l'élection de novembre. On s'est donc bien plus abstenu dans les bureaux de vote des quartiers les plus ouvriers.

Et ce phénomène s'est maintenu au second tour de cette même élection. Alors qu'en mars 1983 un léger « sursaut » des abstentionnistes s'était manifesté au second tour puisque 5 % d'électeurs supplémentaires étaient allés voter, au second tour de l'élection partielle de novembre 1983, ce « sursaut » n'a pas eu lieu. 1 % seulement d'électeurs supplémentaires ont voté au second tour.

Les abstentionnistes du premier tour se sont un peu plus déplacés dans la partie sud de la ville (plus 1,3 %) que dans la partie nord (plus 0,8 %) ; ce qui confirme encore que les abstentionnistes sont toujours plus nombreux dans les quartiers populaires.

La percée de l'extrême-droite

Mais le fait certainement le plus marquant des élections d'Aulnay-sous-Bois a été la percée électorale de l'extrême-droite, du Front National qui a regroupé 9,32 % de voix.

Ce score n'est pas isolé. A Paris en mars dans le vingtième arrondissement Le Pen avait fait quelque 12 % des voix, tandis que la liste du Front National conduite par Stirbois à Dreux atteignait presque 17 % des voix en septembre.

A Aulnay-sous-Bois, les voix de l'extrême-droite se répartissent presque également entre le nord et le sud de la ville avec même un score légèrement supérieur dans le nord, c'est-à-dire dans les quartiers les plus populaires (9,60 % à Aulnay nord, 9,05 % à Aulnay sud). Ainsi, des électeurs issus d'horizons politiques différents et de différentes couches sociales ont apporté leurs voix à l'extrême-droite. Ont-ils voté pour elle par racisme, par xénophobie ? Sans doute ! Et il est significatif à cet égard que les meilleurs scores du Front National aient été réalisés dans les quartiers les plus pauvres, là où la présence des immigrés est la plus forte. 11,2 % des voix dans le quartier Paul-Eluard, 11 % dans le quartier Savigny.

D'ailleurs, le Front National dans sa propagande électorale n'a nullement caché ses sentiments et sa politique. Il s'en est pris bien sûr à l'immigration dont il faut « inverser le courant... et d'abord expulser les immigrés, délinquants et criminels, ainsi que les clandestins (pour) donner la priorité d'emploi aux Français » .

Mais à Aulnay comme ailleurs, les élections n'étaient pas un referendum pour ou contre la présence des travailleurs immigrés, même si le problème de l'immigration a pu jouer un rôle certain dans les choix électoraux de bon nombre d'électeurs. Tous savaient ce que représente l'extrême-droite et ce que signifie un vote en sa faveur.

Et la propagande du Front National ne s'est pas limitée à la seule question des immigrés, loin delà. II est aussi parti en guerre pour la liberté de licenciement, contre la délinquance, la criminalité, les syndicats révolutionnaires, et surtout le communisme et les communistes « qui ont tué des millions de malheureux au Vietnam, au Cambodge, à Cuba, en Afghanistan. Qui tiennent en esclavage les peuples russe, hongrois, tchèque, roumain, etc. Qui préparent une guerre atomique contre l'Europe avec leurs deux cents SS 20 et l'armée la plus forte du monde. Qui incitent partout aux crimes des terroristes. Qui ont assassiné les 269 civils du Boeing coréen. »

Ainsi, c'est un vote foncièrement contre la gauche, contre le communisme, que le Front National exigeait de ses électeurs. Et ceux qui lui ont apporté leurs voix ne pouvaient s'y tromper.

Les scores électoraux de l'extrême-droite témoignent donc d'un renforcement du racisme, de la xénophobie et des sentiments réactionnaires de la population, même la population laborieuse.

Mais de tels scores peuvent aussi signifier que l'extrême-droite apparaît aujourd'hui, du moins pour une fraction de la population, comme un courant politique efficace, ne serait-ce que vis-avis des immigrés.

Les électeurs du Front National savent que les assassins d'immigrés se recrutent à l'extrême-droite. Ils savent que bon nombre de ceux qui, ces derniers temps, s'en sont pris physiquement aux immigrés se trouvent dans le camp des Le Pen.

Et même si eux, simples électeurs, ne sont pas prêts às'engager dans cette voie, le renforcement du Front National peut tout de même créer un climat d'insécurité contre les travailleurs d'origine étrangère et ainsi les inciter peut-être au départ.

Voilà ce que signifie aussi le vote à l'extrême-droite.

Certes aujourd'hui, la poussée de l'extrême-droite reste encore très localisée, et rien ne dit qu'à l'échelle du pays elle réaliserait de bons scores. Aux dires des représentants de la SOFRES, on ne trouve pas trace actuellement dans les sondages nationaux d'une percée de l'extrême-droite qui resterait toujours aux alentours de 2 % des intentions de vote. Rien à voir donc, pour l'heure, avec l'explosion poujadiste qui avait ravi 11,6 % des voix aux élections législatives de 1956. Les dernières élections à l'échelle nationale dans lesquelles s'était présentée l'extrême-droite remontent à 1979, aux élections européennes, où les listes conduites par Tixier-Vignancourt avaient recueilli 1,33 % des voix.

Mais en cette période de crise les choses peuvent évoluer vite et le résultat des scrutins dans le vingtième arrondissement de Paris, à Dreux et à Aulnay sont peut-être l'indice inquiétant d'un renforcement actuel de l'extrême-droite ; un renforcement qui se manifeste pour l'instant sur le plan électoral mais qui, demain, peut se traduire sur d'autres terrains.

La crédibilité politique que l'extrême-droite peut acquérir par ces percées même localisées, peut être un tremplin lui permettant de se hisser à la tête de certaines mobilisations de la petite bourgeoisie. Et l'exemple du poujadisme justement est là pour rappeler comment une organisation même faible peut rapidement devenir le porte-parole des masses petites bourgeoises en mouvement. Et même si nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui, c'est tout de même ce à quoi aspire actuellement le Front National.

Le manque de crédibilité de l'extrême-gauche

Aux élections municipales partielles d'Aulnay-sous-Bois, la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière ont présenté une liste « La Voix des Travailleurs » qui a obtenu 1,65 % des voix. Aux élections de mars 1983, cette même liste avait obtenu 2,43 % mais il fallait ajouter alors à ce résultat celui obtenu par le PCI, soit 1,46 % des voix. En mars dernier donc, l'extrême-gauche avait totalisé 3,89 % des voix.

La perte de l'extrême-gauche est donc sensible puisqu'elle recule de 2,24 % des voix.

Après deux ans et demi de gouvernement de gauche, la désillusion des électeurs ouvriers à l'égard de leur parti est réelle. Mais cette désillusion ne se manifeste pas sur le plan électoral par un renforcement de l'extrême-gauche. Elle se traduit plutôt par un découragement et conduit bon nombre de travailleurs à bouder les urnes plutôt que d'affirmer qu'une autre politique, sur la gauche du Parti Socialiste et du Parti Communiste, serait possible.

Si l'importance du mouvement d'abstention dans les quartiers ouvriers s'est retrouvée lors de la dernière élection, il ne s'est pas accompagné d'un mouvement vers les listes d'extrême-gauche. Au contraire même puisque la liste « La Voix des Travailleurs » perd presque la moitié de ses voix.

C'est le signe que les travailleurs préfèrent marquer leur découragement en tournant le dos aux urnes, voire leur démoralisation en portant leurs voix à la droite, mais ne sont pas prêts à traduire leur mécontentement en votant pour ceux qui dénoncent la politique de la gauche au gouvernement d'un point de vue de gauche.

C'est que les révolutionnaires n'ont pas de crédibilité politique, c'est que pour les travailleurs ils n'apparaissent pas prêts, ou pas capables - ce qui revient au même - à faire en sorte que leur politique d'opposition au gouvernement se concrétise.

Ouvrir de telles perspectives en se portant à la tête des mouvements que la classe ouvrière ne manquera pas d'engager dans les mois à venir, amener les travailleurs à prendre confiance dans leurs propres forces, tel est le rôle qui incombe aujourd'hui aux révolutionnaires pour qu'ils puissent gagner la confiance de fractions importantes de la classe ouvrière.

Partager