Les résultats de l'extrême gauche01/03/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/03/101.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Les résultats de l'extrême gauche

L'accord conclu entre la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière s'est traduit finalement par la mise sur pied de 80 listes de candidats dans ces élections municipales. Cela peut sembler bien peu évidemment, comparé aux quelque 36 000 communes que compte le pays. Mais il faut tenir compte du fait que ces listes étaient présentées, pour l'essentiel, dans des grandes villes ou des banlieues ouvrières.

Au total, l'ensemble des communes où étaient présentes les listes Lutte Ouvrière-Ligue Communiste Révolutionnaire regroupaient 4 253 819 électeurs inscrits sur 36 233 581 en France métropolitaine, soit 11,74 % du corps électoral. Compte tenu du fractionnement inhérent à ce type d'élection, c'est là une part tout à fait significative de l'électorat, d'autant plus significative qu'elle concernait les grandes communes, les grosses concentrations ouvrières, c'est-à-dire des endroits où en général le caractère politique du scrutin prend largement le pas sur les enjeux locaux, au contraire de ce qui se produit dans les petites communes.

Être ainsi présents dans une partie significative de l'électorat est déjà, en soi, un résultat important de l'accord conclu entre nos deux organisations. En effet, les élections municipales, par leur nature, comportent des difficultés de ce point de vue. Ne parlons pas bien sûr d'être présents dans les 36 000 communes de France, dont la plupart ne groupent pas plus de quelques centaines d'électeurs. Aucun parti ne l'est, car cela nécessiterait des centaines de milliers de candidats. Mais, même si l'on se limite aux grandes concentrations urbaines, le nombre de candidats à présenter est important : la loi exige de présenter des listes complètes, allant de trente à soixante candidats ; et ce nombre est multiplié par le fractionnement administratif, qui divise la plupart des concentrations ouvrières en de nombreuses communes différentes.

Ainsi, de nombreux travailleurs ont eu le choix, dans ces élections, de voter pour l'une des listes présentées par Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire. Leur titre. « La Voix des Travailleurs contre l'austérité », comme tout le langage qu'elles tenaient, disaient bien qu'un vote pour ces listes serait en même temps un vote de gauche, un vote contre la droite, et un vote contre la politique gouvernementale d'austérité menée par Mitterrand et par les ministres du Parti Communiste et du Parti Socialiste. 62 214 électeurs ont voté pour les listes « La voix des travailleurs contre l'austérité ». Cela représente, rapporté aux 2 872 917 suffrages exprimés dans les communes où ces listes étaient présentes, une moyenne de 2,16 % des voix. Les scores obtenus vont de 0,97 % à Chambéry ou 0,99 % à Strasbourg à 6,83 % à Cenon - banlieue de Bordeaux - , 5,97 % à Trappes (banlieue de Paris), 5,13 % à Saint-Etienne-du-Rouvray (près de Rouen) et 5,03 % à Montbéliard (région de Sochaux) pour citer les cas où ce score a dépassé 5 %. La nouvelle loi électorale appliquée dans ces municipales fait qu'il y a un élu à Cenon et un élu à Saint-Etienne-du-Rouvray. II s'agit, dans les deux cas, de militants de la LCR.

Pour apprécier ces résultats, il faut rappeler tout d'abord qu'aux précédentes élections municipales en 1977, les révolutionnaires étaient également présents, grâce à un accord conclu entre Lutte Ouvrière, la Ligue Communiste Révolutionnaire et l'Organisation Communiste des Travailleurs (OCT) ayant abouti à la mise sur pied de 56 listes « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs ». Ces listes avaient recueilli alors en moyenne 3,78 % des voix. Ce résultat était notablement supérieur à celui recueilli par l'extrême gauche à l'occasion d'autres consultations électorales. Aux présidentielles de 1974, Arlette Laguiller avait recueilli à l'échelle nationale 2,33 % des voix, Alain Krivine 0,36 %, soit un total de 2,69 % des voix. En 1978, les voix recueillies parles candidats de Lutte Ouvrière aux élections législatives représentaient 1,7 % des suffrages exprimés. En 1979, lors des élections européennes, la liste Arlette Laguiller-Alain Krivine, soutenue par nos deux organisations, recueillait 3,08 % des voix. Enfin, aux élections présidentielles de 1981, Arlette Laguiller recueillit 2,30 % des voix.

L'ensemble de ces résultats montre que, d'une élection à l'autre, une fraction de l'électorat se reconnaît dans l'extrême gauche révolutionnaire et marque, en votant pour celle-ci, une défiance envers les organisations de la gauche traditionnelle. C'est une fraction très minoritaire certes, mais qui néanmoins se maintient d'une élection à l'autre. II est important pour les révolutionnaires, de maintenir ce courant, d'en démontrer la permanence et de lui donner une expression. Et si le fait de présenter des candidats lors des échéances électorales nationales ne sert qu'à cela, c'est déjà beaucoup.

Jusqu'à présent, les élections municipales de 1977 font un peu figure d'exception puisque c'est la seule occasion où un nombre significatif de voix supplémentaires est allé vers l'extrême gauche. Ces élections avaient vu une poussée à gauche générale dans l'électorat, dont les listes des révolutionnaires avaient en partie bénéficié. Et on peut penser qu'une partie des électeurs du PCF et du PS avaient alors marqué leur défianceà l'égard des partis traditionnels de cette façon.

Ce phénomène ne s'est pas reproduit par la suite : ni lors des élections de 1978, ni lors de celles de 1979 et 1981, ni lors de ces dernières municipales où, comme on voit, le pourcentage de voix obtenu - 2,16 % - est beaucoup plus proche qu'en 1977 des scores habituels de l'extrême gauche.

Ce fait est confirmé d'ailleurs par les résultats obtenus par les listes du Parti Communiste Internationaliste (PCI). Celui-ci a présenté dans ces élections 142 « listes ouvrières d'unité ». Celles-ci ont recueilli dans les 94 municipalités les plus importantes dont les résultats ont été publiés à l'échelle nationale, 35 569 voix sur 1 646 000 suffrages exprimés, soit 2,16 %. Les 48 autres sont de toutes petites communes dont nous n'avons pu vérifier les résultats. Ils ne changent certainement pas le résultat global. D'une manière générale d'ailleurs, comme le montre la comparaison des résultats du PCI et des listes LO-LCR que nous publions, le premier a eu tendance à présenter des listes dans des villes de moindre importance. II n'en est que plus significatif que les résultats de ses listes soient identiques à celui des listes « La voix des travailleurs contre l'austérité ».

Les listes impulsées par le PCI se présentaient certes sur des bases politiques assez différentes des nôtres. Le Parti Communiste Internationaliste a axé sa campagne sur « le respect du mandat », protestant contre le « non-respect de la démocratie » par le PCF et le PS. Sa critique de la politique menée par le gouvernement de gauche débouchait sur un appel aux électeurs de gauche pour qu'ils incitent les dirigeants du PS et du PCF à « rompre avec la désastreuse politique d'entente avec les capitalistes ». II s'agit en fait d'une critique sélective de la politique du gouvernement de gauche, dont le PCI feint de croire qu'elle est « impulsée par Delors, Rocard, Maire » , et non par Mitterrand et Mauroy.

Mais si le caractère de cette campagne témoigne de l'opportunisme du PCI, notamment à l'égard du Parti Socialiste, c'est une nuance qui est très probablement peu sensible pour la plupart des électeurs ; et ceux qui ont voulu marquer leur désaveu de la politique menée par la gauche au pouvoir l'ont fait sans doute tout autant en votant pour les listes du PCI qu'en votant pour les listes LO-LCR.

De ce point de vue, les résultats des listes présentées par le PCI dans des villes qui ne sont en général pas les mêmes - sauf 28 d'entre elles - que celles où étaient présentes les listes « La voix des travailleurs contre l'austérité » tendent plutôt à confirmer la constance, dans ces élections, du courant d'extrême gauche.

Pourtant, après deux ans de gouvernement de la gauche, la désaffection, la désillusion des électeurs de gauche à l'égard de leurs partis traditionnels est sensible, comme le montrent les résultats d'ensemble de ces élections. mais force est de constater que cette désillusion ne se traduit pas par un renforcement, sur le plan électoral, du courant d'extrême gauche. ii faut en conclure que pour l'instant, cette désillusion se traduit plus souvent par le découragement et le fait de se détourner des préoccupations politiques en général, que par la colère à l'égard du PCF et du ps et par le désir de l'exprimer, d'une façon politique et consciente. l'augmentation des abstentions dans les villes et quartiers ouvriers, dans l'électorat populaire du ps et du PCF, est un des faits marquants de ces élections. il témoigne de la désillusion d'une partie des couches populaires à l'égard de ces partis. rappelons d'ailleurs, en ce qui concerne lutte ouvrière, que là où nous ne présentions pas de liste, nous nous refusions, au contraire de la ligue communiste révolutionnaire, à appeler à voter pour les listes de la gauche, estimant que pour les travailleurs il était préférable de s'abstenir ou de voter nul que de paraître, en votant pour la gauche traditionnelle, apporter une caution à la politique anti-uvrière du gouvernement.

Ce mouvement d'abstention, très notable et réel, ne s'est pas accompagné là où des listes d'extrême gauche étaient présentes d'un courant significatif vers ces listes. C'est le signe que les travailleurs atteints par la désillusion sont prêts à marquer leur découragement, mais pas à traduire celle-ci en votant pour ceux qui critiquent et dénoncent la politique gouvernementale du point de vue des intérêts des travailleurs et affirment que la seule issue pour ceux-ci est la lutte, la confiance dans leurs propres forces.

Ajoutons que, pour des révolutionnaires, ces résultats ne doivent évidemment pas surprendre. Les consultations électorales sont pour nous seulement un thermomètre, un instrument qui nous renseigne sur l'état d'esprit des masses populaires. Elles sont cela et ne sont que cela. Mais c'est bien pourquoi il n'y a pas à s'étonner que le résultat de ces élections soit conforme à ce que l'on sait par ailleurs de l'état d'esprit et des réactions des travailleurs, qui sont déçus de la politique menée par le gouvernement de gauche mais ne voient pas pour autant d'autre perspective et hésitent à s'engager dans des luttes pour riposter aux attaques dont ils sont l'objet.

Ouvrir ces perspectives, amener les travailleurs à prendre confiance dans leurs propres forces, à s'engager dans les luttes qui sont pour eux la seule issue, c'est le rôle que doivent jouer aujourd'hui les révolutionnaires. C'est dans leur capacité à le jouer qu'ils pourront - et qu'ils doivent - gagner la confiance de fractions décisives de la classe ouvrière.

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