Les radicaux de gauche : un petit parti qui intéresse les gros01/06/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/06/54_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Les radicaux de gauche : un petit parti qui intéresse les gros

Un congrès extraordinaire du Mouvement des Radicaux de Gauche s'est tenu les 20 et 21 mai derniers, pour élire un nouveau président au Mouvement en remplacement de Robert Fabre. Celui-ci, on s'en souvient, s'est empressé de démissionner de son poste dès l'annonce de l'échec de l'Union de la gauche aux dernières élections législatives. Fabre se met en réserve.

Certes les dernières élections n'ont pas été un succès pour les Radicaux de Gauche : sur 115 candidats présentés, ils recueillent un peu plus de 600 000 voix, ils perdent trois sièges de députés et n'en ont désormais plus que 10. Voilà ce que représente dans le pays ce petit groupe de politiciens bourgeois et de notables que sont les Radicaux de Gauche. Et le congrès a été l'occasion pour la majorité des délégués et militants présents d'exhaler leur rancoeur devant le peu de succès de leur politique électorale. Les appels au calme et à la dignité de Robert Fabre n'ont pas réussi à calmer les débats et notamment le président de séance Maurice Faure a dû quitter la salle sans même achever sa dernière intervention sous les moqueries des uns qui appelaient à plus de considération pour « les espèces en voie de disparition » et les huées des autres qui le traitaient carrément de « vendu » aux socialistes.

Le problème essentiel de ce congrès était, au-delà du lavage de linge sale, de définir la politique à venir dans les prochaines élections : fallait-il continuer l'entente privilégiée avec le Parti Socialiste, dans le camp de l'Union de la gauche comme précédemment, avec le succès que l'on connaît, ou bien fallait-il reprendre sa liberté et son autonomie ce qui signifie se donner la possibilité de négocier les sièges et les désistements localement cas par cas, dans la bonne vieille tradition radicale, à droite et à gauche en fonction de ce qui offre le plus de chances de succès, retrouver la place qui est traditionnellement celle des radicaux, parti à « la charnière de toutes les majorités possibles ».

C'est le maire de La Rochelle, Michel Crépeau, partisan de continuer l'alliance privilégiée avec le PS au sein de l'Union de la gauche qui l'a emporté finalement par 722 mandats contre 499 sur son principal adversaire Maroselli, maire de Luxeuil. Mais ce choix que vient ainsi de faire la majorité des Radicaux de Gauche ne garantit en rien pour autant la politique que suivront en la matière et l'une et l'autre tendance. Les minoritaires, sous prétexte de retrouver leur indépendance du Parti Socialiste semblent surtout pressés de quitter une boutique bien peu rentable pour aller voir ailleurs si la soupe y est meilleure. Déjà à l'annonce du succès de Crépeau, Manuel Diaz, le maire de Millau, le principal bailleur de fonds du Mouvement, a décidé de cesser son effort financier et de fermer le siège du Mouvement rue de Grenelle. On risque fort d'ici les élections de 1981 de voir d'autres notables de ce mouvement suivre Maroselli et même peut-être Robert Fabre malgré toutes ses déclarations sur ses sentiments de gauche, ailleurs qu'au MRG, si l'odeur de la soupe se fait plus alléchante dans la boutique d'en face, au cas où par exemple, Giscard préciserait ses propositions d'ouverture à leur égard.

Mais il serait aussi bien aventureux de parier sur la voie que suivra la majorité du MRG, ni qu'ils resteront encore longtemps liés au PS. Crépeau et ses partisans l'avouent eux-mêmes, n'ont choisi l'alliance avec le PS et l'Union de la gauche qu'en fonction d'un raisonnement strictement parallèle à celui de la minorité et tout aussi alimentaire pourrait-on dire. Uniquement parce qu'ils estiment que cette alliance est nécessaire au MRG pour avoir des élus. Autrement dit, s'il était possible d'avoir des élus et des postes gouvernementaux par ailleurs, c'est-à-dire en s'alliant avec la droite ou le centre, peut-être reconsidéreraient-ils les choses d'un autre oeil. Et peut-être même verrait-on Fabre reprendre la tête du parti pourtant divisé aujourd'hui, et refaire l'unanimité pour rejoindre la droite, cela bien sûr au cas où l'ouverture des giscardiens se préciserait à leur égard.

er tour pour le MRG. Et il faut croire que la voie étroite proposée par JJ-SS entre l'UDR et l'Union de la gauche paraissait sans doute moins prometteuse à Fabre que le marché proposé par Mitterrand puisqu'il accepta ce dernier. Et il est vrai que grâce aux voix du PS et aussi à celles du Parti Communiste, par le jeu des désistements réciproques au deuxième tour, le MRG réussit à obtenir treize élus en 1973, alors que les radicaux valoisiens de JJ-SS n'en obtenaient que huit.

En 1978, un accord du même type a fonctionné entre le Parti Socialiste et le MRG. Ce dernier présentait 115 candidats, dont 31 bénéficiaient de l'investiture du PS ; c'est ainsi que 10 députés MRG ont été élus. C'est peu mais encore plus que le groupe schreibérien qui n'a plus que 7 élus.

Voilà sur quelles « bases politiques » le MRG de 1972 à 1978 s'est développé et renforcé au travers des différentes élections ; jeunes loups ambitieux et politiciens bourgeois de la vieille école ont afflué ces dernières années au rythme des élections attirés par l'odeur du pouvoir, et l'espoir de la venue au gouvernement de l'Union de la gauche n'était sans doute pas pour rien dans leur vocation soudaine à adhérer au MRG. Sur les 200 conseillers généraux que compte le MRG dans ses rangs, 96 ont été élus en mars 1976 et plus de 10 000 conseillers municipaux ont été élus aux dernières municipales.

Voilà qui explique peut-être plus que toutes les déclarations politiques des uns et des autres, pourquoi la majorité du MRG tient malgré tout à rester liée au PS et au sein de l'Union de la gauche, même si l'échec des législatives en décourage certains.

Mais ce qui est peut-être moins évident, ce sont les raisons qu'ont les partis de gauche PC et PS à passer alliance avec de tels politiciens, avec un tel parti si peu implanté et qui a si peu de voix qu'il a besoin de l'appui du PS pour pouvoir faire élire quelques-uns de ses candidats.

600 000 voix auxquelles la droite et la gauche font les yeux doux

Le MRG a une faible influence électorale : il a obtenu 3,7 % des suffrages en moyenne sur les 86 circonscriptions où ses candidats s'opposaient au premier tour à un candidat du PS (ce sont les circonscriptions où on peut le mieux juger de son influence réelle). Il a une faible implantation : il n'a pu présenter des candidats que dans un tiers des circonscriptions. Cependant, il joue un rôle important qui peut être quasi déterminant sur le strict plan de l'arithmétique électorale. Les 600 000 voix du MRG étaient de celles qui pouvaient faire pencher la balance électorale et c'est ce qui explique que le PS tient si particulièrement à cette alliance. Sans doute Mitterrand avait-il d'autres raisons plus purement internes à la gauche lorsqu'en 1972 il offrit pour la première fois à Fabre de lui garantir en quelque sorte l'élection d'un certain nombre de députés s'il rejoignait le camp de l'Union de la gauche. Sans doute Mitterrand voyait dans cette alliance privilégiée avec le MRG une possibilité de se renforcer à l'intérieur de l'Union de la gauche face au Parti Communiste alors plus important que le PS sur le plan électoral.

Mais les partenaires de l'Union de la gauche PS et PC étaient cependant bien d'accord l'un et l'autre pour intégrer ces « démocrates sincères », comme les baptisait le PC, dans le giron de la gauche, car il s'agissait ainsi de glaner quelques centaines de milliers de voix qui viendraient s'additionner à celles de gauche.

D'ailleurs, y compris à droite, on ne s'est pas fait faute de tenter de les récupérer. C'est sans doute pour avoir succombé au charme des promesses de la droite qu'en 1975 le vice-président du MRG, Caillavet, a pris bruyamment ses distances d'avec son groupe pour rejoindre ses anciens collègues les radicaux de droite, sous le prétexte (déjà !) qu'il fallait prendre ses distances avec le PS et préserver l'autonomie des radicaux par rapport aux socialistes.

Plus récemment encore, juste avant les élections, on a vu un radical de droite, Gabriel Péronnet, rappeler à ses ex-collègues du MRG qu'ils étaient originaires du même parti et que, quelle que soit la majorité qui sortirait des urnes, il leur proposait des pourparlers d'unification. C'était déjà l'ouverture !

En fait, le Mouvement des Radicaux de Gauche a cet immense avantage aux yeux des partis de droite comme à ceux des partis de gauche, d'être un parti du centre, à droite de la gauche et à gauche de la droite, si tant est que ces étiquettes veuillent dire encore quelque chose. Il peut servir pour les partis de gauche de caution de droite, vis-à-vis d'un électorat plus conservateur que l'électorat traditionnel de la gauche, mais les Radicaux de Gauche peuvent être utiles à Giscard dans le cadre de sa politique d'ouverture, cette fois-ci comme caution de gauche, maintenant que grâce à l'alliance avec le PC et le PS, ils ont acquis ce label.

Fallait-il avancer dans les dernières élections le mot d'ordre de « gouvernement pc-ps sans les radicaux de gauche » ?

Les révolutionnaires, lors de la dernière campagne électorale devaient-ils mettre en avant le mot d'ordre de « Gouvernement PC-PS sans les Radicaux de Gauche » comme l'ont fait et l'OCI (dont c'était l'axe principal de campagne) et dans une moindre mesure la LCR ?

Présenter l'exigence limitée de fait au strict terrain électoral, que Mitterrand et Marchais rompent avec Fabre, comme un moyen de les faire rompre avec la bourgeoisie représentée par le MRG dans l'Union de la gauche, n'a pas de sens. Comme si, en dehors de toute intervention directe des travailleurs hors du plan électoral, Mitterrand et les autres dirigeants du PS n'étaient pas, eux, au premier chef, des politiciens bourgeois. Et Mitterrand, pour ne parler que de lui, a fait ses preuves à cet égard depuis longtemps. Les travailleurs le savent. Mitterrand n'a pas besoin de la caution de Fabre pour être ce qu'il est : un ancien ministre de la bourgeoisie qui aspire à le redevenir. Fabre, lui, n'a même seulement jamais été ministre, et il n'a pas une longue carrière gouvernementale derrière lui comme Mitterrand.

Aussi axer essentiellement sa propagande comme l'a fait l'OCI autour du mot d'ordre « Gouvernement PC-PS, sans les Radicaux de Gauche », cela revenait à laisser entendre que l'Union de la gauche aurait pu avoir une autre nature, en l'absence de toute lutte, simplement sans les radicaux.

Quand la LCR et l'OCI avancent un tel mot d'ordre, c'est, nous disent-elles, en référence à la politique défendue par Trotski en 1936 face au gouvernement de Front Populaire. Mais outre le fait que Trotski n'a jamais formulé en ces termes un tel mot d'ordre, c'est assimiler bien vite deux situations qui n'ont pourtant pas grand-chose de comparable. En 36, le gouvernement de Front Populaire s'est formé sur la base d'un mouvement de fond de la classe ouvrière, mouvement qui a culminé avec la grève générale de Juin 36.

Pour Trotski, lorsqu'il disait en s'adressant au PC et au PS, « rompez avec les Radicaux », c'était une façon de prendre au mot les dirigeants réformistes du PC et du PS, de les mettre au pied du mur et de faire la démonstration devant les travailleurs de ces deux partis que leur direction n'était pas prête à faire dans la rue avec les travailleurs, ce que les Radicaux, d'après eux, les empêchaient de faire au gouvernement. « Rompez avec les Radicaux », c'était faire la démonstration de cette politique devant les travailleurs, et la dénoncer, c'était aussi appeler les travailleurs à en tirer les conséquences, par la grève, par la lutte, mais en-dehors du terrain électoral. La grève générale en Juin 36 était aussi une grève de méfiance, elle était précisément le signe que les travailleurs n'attendaient pas tout du gouvernement.

On est bien loin du problème tel qu'il est posé par la LCR ou l'OCI lors de la dernière campagne électorale. En fait la politique de ces organisations, si elle avait eu un quelconque impact sur la classe ouvrière, revenait à créer des illusions électoralistes dans la tête des travailleurs sur Marchais et Mitterrand, à les présenter comme des dirigeants ouvriers qui, sans les Radicaux, auraient défendu un « bon » programme sans que les travailleurs aient à intervenir. Car rappelons-le, cela était posé dans un contexte strictement électoral, en dehors de toute lutte, de toute montée de la classe ouvrière. Cela revenait en fait à cultiver des illusions réformistes sur ce qu'un « gouvernement de gauche » aurait été à même de faire.

Le problème pour les révolutionnaires était dans ces derni res élections de montrer que le PC et le PS s'alliaient pour faire la politique de la bourgeoisie, et de montrer comment. De ce point de vue, il était indispensable de faire porter les critiques sur Mitterrand, leader de l'Union de la gauche et politicien bourgeois, afin de montrer clairement le sens réel et la nature de la coalition électorale entre le PC et le PS.

S'attaquer principalement à Fabre et à son parti, ce qui aboutit donc à adoucir les critiques à l'égard de Mitterrand, quand il y avait des critiques d'ailleurs... (ce qui n'était même pas le cas de l'OCI), c'était critiquer le fantôme de la bourgeoisie pour mieux dédouaner son représentant bien réel, Mitterrand.

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