Les gouvernements bourgeois face à la crise08/12/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/12/89.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Les gouvernements bourgeois face à la crise

Depuis six mois, c'est donc la gauche qui a la charge en France, de gérer la crise au niveau gouvernemental. L'économie ne s'est évidemment pas laissée impressionner par le « changement ». Le nombre de chômeurs a continué à s'accroître sans discontinuité, comme avant. Les prix aussi. Les entreprises ne témoignent pas de plus de penchant à investir - et surtout à embaucher - qu'avant, malgré les exhortations pitoyables des hommes politiques de la nouvelle majorité.

La droite a eu à peine le temps de digérer son échec électoral, qu'elle s'est lancée dans la polémique pour expliquer avec un certain aplomb que c'est la gauche qui aggrave la crise. Évidemment c'est de bonne guerre électorale. La gauche en a fait autant avant d'accéder au pouvoir, lorsque le Parti Socialiste par exemple, sans nier tout à fait que la crise était mondiale, se faisait tout de même fort d'assurer la relance une fois au pouvoir. Quant au Parti Communiste, même aujourd'hui, il ne s'est pas mis au goût du jour : ses « théoriciens » continuent imperturbablement à écrire des thèses pour expliquer doctement que la crise est strictement nationale, comme le sont les solutions pour y porter remède. Pour ce que ça change pour la politique du gouvernement, ils peuvent, il est vrai, écrire n'importe quoi...

Responsable de l'aggravation de la crise ? La gauche ne mérite certainement pas cet excès d'indignité. Indépendamment des péripéties électorales, destinées à tromper les peuples, l'économie capitaliste est en crise, à l'échelle mondiale ; et l'est maintenant depuis plusieurs années. Les gouvernements, même ceux des plus grandes puissances impérialistes, ne commandent pas à l'économie. Ce n'est pas l'économie qui les commande non plus d'ailleurs, mais la classe par la volonté de laquelle ils gouvernent, c'est-à-dire ce monde étroit et fermé de la haute bourgeoisie, qui détient tous les leviers de l'industrie, du crédit, du commerce comme, par l'intermédiaire des hauts fonctionnaires appointés, de la haute administration.

Le gouvernement de gauche, tout comme son prédécesseur, mènera la politique de la bourgeoisie.

Mais dans quelle marge de possibilités pourrait se mouvoir une politique bourgeoise dans la période à venir ? Quelles en seraient les conséquences pour les classes exploitées ?

Infiniment plus que des options politiques « socialistes » du gouvernement, la réponse à ces questions dépend de l'évolution de la crise elle-même.

Cette crise est donc mondiale. C'est à l'échelle de l'ensemble de l'économie capitaliste mondiale que la capacité de production se heurte, de façon tangible, aux limites du marché qui, lui, est stagnant ou en extension trop faible.

Quels sont les aspects les plus marquants de cette crise ? A première vue déjà, sa durée.

C'est à partir de 1974-1975 que la crise du système monétaire - qui, elle, est bien antérieure - a débouché sur une crise économique tout court.

Après des années d'accroissement rapide de la production, et d'une véritable explosion du commerce international, la production a marqué nettement le pas pour la première fois en 1974 dans les pays impérialistes, pour reculer franchement l'année suivante.

La huitième année de crise s'achève donc, sans que quoi que ce soit indique qu'elle soit la dernière.

Mais contrairement à d'autres crises mondiales importantes du passé avec lesquelles la comparaison vient à l'esprit - la crise de 1929 en particulier - la crise actuelle n'a pas pris la forme d'un effondrement brutal, suivant un emballement. Elle apparaît plutôt comme une succession de récessions, plus ou moins suivies par des reprises partielles. Mais ces reprises s'essoufflent sans jamais donner lieu à une réduction massive du chômage et à un redémarrage général des investissements productifs et par conséquent, à une nouvelle période d'expansion du marché, comme le monde capitaliste en a connu durant les décennies précédentes. Fait capital en effet, par-delà les variations de la production elle-même, le chômage global des pays impérialistes n'a jamais cessé de s'accroître.

On sait ce que cela signifie pour les quelque quatorze millions de chômeurs que compte l'Europe occidentale dans son ensemble et pour les plus de huit millions que comptent les États-Unis. (Pour le Japon, les statistiques sont plus vagues, et elles sont même sans aucune signification pour la majorité des pays sous-développés de la planète).

Mais cette extension incessante du chômage, conséquence de la crise, en devient à son tour un important facteur d'aggravation. Malgré les allocations et aides diverses dont bénéficient encore les chômeurs dans la plupart des pays développés - et pour combien de temps ? - cette extension du chômage implique la poursuite de la dégradation du marché, ou du moins des marchés liés au pouvoir d'achat des classes populaires.

Fait marquant encore de la situation économique internationale est le ralentissement des investissements productifs, en tous les cas comparativement à l'utilisation spéculative des capitaux.

Il y a à l'échelle du monde trop de capitaux qui circulent mais pas assez qui s'investissent. Trop, parce que pour aider leur économie, tous les États, et tout autant, l'ensemble du système bancaire continuent à se livrer à une création intensive de monnaie et de crédits. Tout cela alimente une forte inflation de toutes les monnaies qu'aucune puissance impérialiste ne parvient à endiguer malgré les déclarations périodiques de leurs dirigeants. Et toutes ces monnaies et crédits, une fois jetés dans l'économie, y subsistent sous forme de capitaux spéculatifs, se déplaçant d'un pays à l'autre, rapportant à leurs possesseurs des profits plus élevés, et, somme toute, moins risqués que les investissements productifs. Attirés par des gains spéculatifs ici, par un taux d'intérêt élevé là, ces capitaux manquent par conséquent dans la production.

Et les capitaux qui s'investissent dans la production elle-même ne se portent même plus vers les secteurs dits « de pointe » où les investissements sont trop importants pour que la rentabilité soit suffisante à une époque où elle n'est pas assurée pour plusieurs années. Ce n'est que lorsque les États garantissent aux capitaux privés à la fois les profits et le maintien du capital, que du bout des dents, les investisseurs consentent à faire un petit effort, en assurant qu'ils ne le font qu'au nom de l'intérêt national. Exactement pour les mêmes raisons il y a les mêmes freins aux investissements dans la modernisation des entreprises et les mêmes exceptions... aux mêmes conditions.

Tout au plus, voit-on des investissements quand il s'agit de racheter à bas prix des entreprises qui craquent du fait de la crise, et qu'on peut revendre morceau par morceau lorsqu'il y a un patrimoine foncier par exemple, ou alors pour empocher des aides de l'État pour avoir « secouru » une entreprise en perdition, quand ce n'est pas, bien sûr, pour les deux à la fois. Mais là aussi, il ne s'agit pas d'investissements réels, c'est-à-dire susceptibles de faire repartir l'économie sur de nouvelles bases.

Seulement, là encore, comme pour le chômage, cela ne peut pas continuer indéfiniment. Ce qui est un investissement pour un capitaliste, est un débouché pour d'autres. Le simple ralentissement des investissements signifie une limitation du marché.

En s'enfonçant, même lentement, même progressivement dans la crise, l'économie capitaliste crée elle-même de nouvelles raisons de s'y enfoncer davantage.

Des augures optimistes prévoient périodiquement la reprise. Jusqu'à maintenant, ils ont dû, tout aussi périodiquement, nuancer leur jugement. Ils ont eu cependant pour consolation qu'aucun effondrement brutal ne s'est produit. Il est assurément préférable de descendre au fond du gouffre par paliers successifs plutôt que d'y tomber d'un seul coup. Il n'en est pas pour autant plus facile d'en ressortir. Sans parler que le fait d'avoir évité qu'un effondrement brutal ne se produise, ne signifie pas qu'on l'évitera pour l'avenir.

Comme toujours, les augures continuent à se partager entre optimistes et pessimistes quant à l'évolution future de l'économie. Mais même les optimistes, ceux de l'OCDE par exemple - qui estiment qu'il y a un espoir raisonnable à ce que, en 1983, sinon en 1982, l'économie reparte pour de bon - pensent cependant que le chômage continuera à s'aggraver.

Le hasard qui seul guide une économie capitaliste totalement anarchique, peut évidemment donner autant raison à la variante optimiste de ce type de prévisions, qu'à sa variante pessimiste.

Le fait est que, pour l'instant, le marché capitaliste est freiné par les deux bouts. Par le bout marché des articles de consommation courante, du fait du chômage ; par le bout marché des instruments de production, du fait que la classe capitaliste freine également ses investissements productifs trop aléatoires par les temps qui courent.

Alors évidemment, cela peut changer dans les mois à venir.

Mais si cela ne change pas, ce qui n'est pas l'éventualité la moins vraisemblable ?

« étatisme » : originalité de la gauche ou aspect essentiel de l'économie impérialiste ?

Tant que le marché reste stagnant, conquérir de nouveaux débouchés signifie, pour chaque entreprise capitaliste, les conquérir au détriment des autres. La crise exacerbe la concurrence et lui donne un aspect dramatique. Elle tranche, elle élague, elle débarrasse l'économie capitaliste de ses éléments les moins compétitifs, les moins capables de se défendre et de défendre leur part de marché. C'est par l'intermédiaire des crises que l'économie capitaliste procède, au milieu des faillites et de la ruine des uns, à une concentration du capital au profit d'autres.

Autrement dit, la crise n'est pas une catastrophe pour tout le monde. Si la classe capitaliste elle-même a payé un tribut considérable à la crise de 1929 par exemple, c'est précisément au travers de cette crise-là que certains des grands trusts qui dominent l'économie mondiale aujourd'hui avaient consolidé leur domination.

La crise, c'est donc la guerre. Pour commencer, entre capitalistes eux-mêmes.

Les États - même les plus puissants d'entre eux - ne peuvent pas faire en sorte que cette guerre n'ait pas lieu. Mais ils constituent de puissants instruments de combat. Sur le plan international : pour le compte de chaque bourgeoisie nationale, contre les autres. A l'intérieur des frontières, pour le compte des plus puissants contre les moins puissants. Et pour la bourgeoisie possédante en général contre les classes exploitées.

Autant dire que, lorsqu'ici en France, la droite écartée du gouvernement reproche à la gauche son excessif étatisme, elle est passablement hypocrite.

Même en temps de paix économique - pour autant que cela existe - l'État moderne joue un rôle primordial au service de l'économie capitaliste, plus précisément au service de sa bourgeoisie nationale.

Pas seulement par les aspects politico-économiques de son rôle - fixation des douanes, négociation des règles du jeu du commerce international, création de monnaie - encore que cet aspect de son rôle reste capital. Mais l'État moderne joue un rôle considérable par son poids économique lui-même, par la part importante du revenu national qu'il draine ou qu'il contrôle : le budget proprement dit, bien sûr, mais aussi les budgets para-étatiques, comme la Sécurité Sociale en France, mais encore les secteurs et les banques nationalisés, les PTT, la SNCF, etc.

L'État apparaît, de tout temps, un puissant répartiteur du revenu national. En cette période de crise, où il y a, justement, moins à répartir, où la lutte devient plus acharnée pour répartir ce qu'il y a, il faut une bonne dose de mauvaise foi à la droite pour reprocher à la nouvelle majorité son « étatisme ».

Giscard avait été tout aussi « étatiste ». L'étatisme n'est pas un sous-produit doctrinaire du Parti Socialiste. C'est un aspect essentiel de l'économie impérialiste de nos jours, même sans la crise. Il l'est encore plus dans la crise.

Si l'interventionnisme permanent et massif de l'État est le sous-produit de quelque chose, il l'est de la grande crise de 1929. De l'Allemagne nazie, à l'Amérique de Roosevelt et du New Deal, avec des variantes dans la modalité, les États ont partout essayé de sortir l'économie capitaliste du marasme où elle se trouvait après l'effondrement, en essayant de créer artificiellement les conditions de la reprise pour le capital privé défaillant.

Pour tenter de surmonter la crise persistante des débouchés, les États ont ouvert, plus large que jamais, le débouché de leurs commandes aux entreprises capitalistes. Pour tenter d'amorcer la reprise des investissements privés, ils ont investi eux-mêmes massivement - dans les grands travaux ou dans l'industrie d'armement - en associant le grand capital aux profits de ces investissements, sans leur en faire courir les risques.

Tout cela, au demeurant, sans parvenir à relancer la machine économique, si ce n'est pour, et finalement par, la guerre.

Depuis, tous les États capitalistes pratiquent l'étatisme à titre préventif. Cela n'a pas empêché la crise. Mais, rendons cette justice, il se peut que ce soit la large gamme des interventions étatiques qui ait empêché jusqu'à maintenant que la crise ne prenne un aspect cataclysmique, mais cela n'a pu se faire qu'en appauvrissant encore plus qu'à l'époque coloniale, et de façon dramatique, la situation des peuples du Tiers-Monde.

Quelles que soient leurs étiquettes politiques respectives, les gouvernements sont les conseils d'administration de leur bourgeoisie. Comme tous les conseils d'administration, ils n'ont évidemment pas la même sollicitude vis-à-vis des gros actionnaires que vis-à-vis des petits. Si les circonstances l'exigent, ils sont même capables de sacrifier les seconds au profit des premiers. Cela permet évidemment à la droite dite libérale, lorsqu'elle est dans l'opposition comme en France, de se livrer à de la démagogie facile. S'en prendre à l'étatisme excessif, c'est une façon de canaliser à son profit le mécontentement engendré par l'excessive sollicitude de l'État pour un nombre limité de puissants groupes capitalistes au détriment, par la force des choses, de la majorité de la bourgeoisie elle-même.

Là encore, c'est de bonne guerre électorale. Mais cela n'empêche pas que l'étatisme de la gauche au pouvoir n'exprime pas une hostilité aux mandants bourgeois du gouvernement, mais au contraire, la fidélité. Cela n'empêche pas non plus que la droite au gouvernement mène elle aussi, en guise de politique favorable à la bourgeoisie dans son ensemble, une politique favorable surtout aux trusts les plus puissants.

Qu'ils soient sociaux-démocrates ou conservateurs, les gouvernements de toutes les puissances impérialistes mènent d'ailleurs une politique « étatiste », c'est-à-dire accentuent en cette période de crise, le rôle de l'État au service de leur bourgeoisie nationale. Pour tenter de protéger le marché intérieur de leur bourgeoisie et pour en ouvrir de nouveaux avec les commandes de l'État ou des organismes dépendant de l'État. Pour aider le grand capital à préserver ses marchés à l'extérieur.

L'agressivité commerciale du Japon sur le marché mondial qui suscite l'admiration et la jalousie de toutes les bourgeoisies du monde, est favorisée par bien des choses (main-d'oeuvre bon marché, travailleurs embrigadés, etc.). Mais elle résulte pour une large part d'un étatisme fort, d'une osmose entre l'État et un grand patronat organisé, protégeant leur marché intérieur, mettant en oeuvre une véritable stratégie de conquête des marchés extérieurs. Pourtant, le gouvernement du Japon n'a rien de socialiste.

Dans l'Allemagne « libérale », comme dans l'Italie chrétienne-démocrate, les interventions de l'État dans l'économie sont telles que la dette publique, qui en est la contrepartie financière, dépasse, et d'assez loin, la dette publique en France.

L'Angleterre de la conservatrice Margaret Thatcher fait profession de foi anti-étatiste. Mais elle n'arrive même pas à dénationaliser les entreprises qu'elle a l'intention de dénationaliser, car personne ne veut des entreprises qui avaient été nationalisées par les Travaillistes, précisément parce qu'elles étaient déficitaires.

Et si Reagan s'est fait élire sur un programme de réduction de l'interventionnisme étatique, il n'a réduit que la part du budget qui va à l'aide sociale, et nullement celle qui, notamment par l'intermédiaire du budget militaire, va aux entreprises capitalistes.

Les interventions des États pour protéger leur bourgeoisie contre la concurrence des autres en cette période de stagnation du marché revêtent bien des formes, en fonction de la situation géo-économique du pays, de sa puissance industrielle, de la nature de ses liens avec le marché mondial, de ses ressources, etc.

Mais dans la guerre économique que se livrent les bourgeoisies, tous les moyens qu'elles utilisent les unes contre les autres, sont en même temps, directement ou indirectement, des moyens contre leurs propres classes exploitées.

Toutes les politiques des gouvernements bourgeois sont nécessairement des politiques anti-ouvrières. Plus la crise s'aggrave, plus cela est vrai, car c'est au détriment de ses propres classes laborieuses que chaque bourgeoisie peut trouver les moyens de renforcer sa compétitivité face aux autres.

La course à la compétitivité

La compétitivité est le maître-mot de tous les gouvernements bourgeois. De ceux qui se prétendent socialistes comme des autres.

Les uns et les autres invoquent l'intérêt général pour justifier la course à la compétitivité. Mais compétitivité plus forte ne signifie par nécessairement développement des forces productives.

Elle peut signifier tout simplement un degré d'exploitation plus grand de la classe ouvrière.

Taïwan ou Hong-Kong, hautement compétitifs dans un certain nombre de secteurs, ne le sont certainement pas par l'organisation rationnelle de leur production. Encore moins par la qualité de leur équipement en machines.

Il ne s'agit pas d'une forme de compétitivité limitée du passé, se manifestant dans les secteurs plus ou moins archaïques de l'industrie capitaliste. Bien des industries, y compris dans les secteurs de pointe de la téléphonie, de l'électronique ou des équipements audio-visuels, bâtissent leur compétitivité non pas sur une mécanisation ou une automatisation supérieure, mais sur le travail quasiment non payé d'enfants de dix ans à Singapour ou en Thaïlande. Combien sont les produits, dont le cycle de production commence ou s'achève dans les ateliers ultramodernes des métropoles impérialistes après avoir été transportés par les moyens de transport les plus modernes et les plus rapides, mais pour pouvoir transiter dans les ateliers à domicile de pays sous-développés, utilisant une main-d'oeuvre quasi-servile ?

Le capitalisme ne vise pas le développement des forces productives. Il vise le profit. Parfois, le second entraîne le premier. Mais en période de crise, moins qu'en d'autres périodes. Une période de crise grave n'encourage pas les capitalistes à investir dans des machines qu'il faut amortir sur de longues années alors que les débouchés ne sont nullement assurés, mais la même crise, par contre, par l'intermédiaire du -chômage qu'elle engendre, pèse sur les salaires, sur les conditions d'embauche ou de débauche des ouvriers. S'il est plus rentable d'automatiser lorsque le salaire est à un certain niveau, il ne l'est plus nécessairement lorsque le salaire est de moitié. De surcroît, l'ouvrier peut être licencié, pas la machine.

Dans une période de crise où les capitalistes sont peu enclins à investir, par crainte de l'avenir, ils cherchent nécessairement la compétitivité au détriment de leurs ouvriers.

Plus la crise s'aggrave d'ailleurs, moins il s'agit de « courage » d'investir, ou d'optimisme individuel face à l'avenir. Il s'agit de la logique de la crise elle-même. C'est une crise de surproduction. Chercher la compétitivité en gagnant sur l'échelle de production, en amortissant les investissements et les frais sur un nombre plus important de produits, n'a pas de sens. La logique de la crise dicte de ne pas augmenter la quantité produite, mais de diminuer les frais de production. Donc de diminuer les frais salariaux. C'est une nécessité dans la logique du profit. Les capitalistes pèseront nécessairement dans ce sens sur la politique de leur gouvernement quel qu'il soit.

Ceux qui ne peuvent plus, ou ne veulent plus se payer la compétitivité en investissant en équipements modernes, tentent de la trouver dans la diminution du niveau de vie des travailleurs. Réduire le niveau de vie de sa propre classe ouvrière, ramener les conditions d'existence de celle-ci au niveau des pays pauvres, c'est une façon d'être compétitif, qui est plus à la portée des puissances impérialistes de seconde zone comme la France, que de rattraper, en pleine période de crise, l'avance des États-Unis ou de l'Allemagne.

On n'en est évidemment pas là aujourd'hui. Pour faire accepter cela à la classe ouvrière, il faudrait le lui imposer. La bourgeoisie n'a pas gagné de guerre contre la classe ouvrière.

Mais les choses peuvent évoluer très vite dans ce domaine. L'exemple de la Grande-Bretagne montre comment, sans défaite de la classe ouvrière, ses conditions d'existence peuvent être ramenées en arrière, par la simple pression de la crise et du chômage.

Du libre échangisme timide au protectionnisme sournois

Le protectionnisme constitue une des plus vieilles armes de l'État bourgeois pour protéger sa bourgeoisie. La crise renforce inévitablement les tendances protectionnistes. L'aboutissement ultime en est le retour à l'autarcie. Mais même l'autarcie, pour reprendre une expression de Trotsky, « ne signifie nullement contentement de soi-même à l'intérieur des frontières nationales, mais une base d'agression pour préparer des débouchés à l'extérieur » .

Contrairement au protectionnisme du capitalisme naissant, celui de l'impérialisme ne vise pas à protéger de jeunes industries naissantes à l'abri des frontières. Il vise à permettre aux entreprises capitalistes les plus puissantes - seule une fraction minoritaire des entreprises capitalistes exporte - à vendre plus cher sur le marché intérieur, de façon à pouvoir vendre moins cher, donc à être plus concurrentielles sur les marchés extérieurs.

Un des principaux problèmes des nations capitalistes aujourd'hui, est que les groupes capitalistes les plus puissants se sont développés au cours des années de prospérité de façon multinationale. La division mondiale du travail a atteint un degré et une finesse inconnus dans le passé. Le processus de production interne aux plus grands groupes capitalistes, déborde le cadre national. Une part importante de la circulation internationale des produits est d'ailleurs une circulation interne aux différentes unités de production des grands groupes capitalistes entre elles.

Un retour brutal à un protectionnisme général et uniforme serait gravement préjudiciable, précisément à ceux dans l'intérêt de qui les États prennent ce genre de mesure. Tout l'art des gouvernements consiste à être protectionnistes de façon souple, calculée, en freinant certaines importations sans en gêner d'autres. Tout cela implique, là encore, un contrôle, un interventionnisme permanent de l'État et bien évidemment des choix. Des choix, d'abord entre groupes capitalistes, entre ceux qu'on protège à tout prix et ceux que l'on laisse à leur sort. Et tout cela suppose l'utilisation d'une multitude de moyens protectionnistes plus ou moins déguisés, de réglementations sélectives, pour ce qui est du protectionnisme souple - et les manipulations du taux de change de la monnaie, pour ce qui est du protectionnisme plus global.

Mais au-delà du choix du secteur capitaliste que l'État protège, le protectionnisme, tel qu'il est pratiqué par tous les gouvernements bourgeois, est en lui-même un choix de classe. En empêchant l'entrée dans le pays de produits étrangers moins chers - ou en augmentant par des droits de douane, ou par la dévaluation, le prix des produits étrangers sur le marché intérieur l'État réduit le pouvoir d'achat de la classe ouvrière.

Lorsque le gouvernement français parle de « reconquête du marché intérieur », c'est aux autres bourgeoisies qu'il déclare sans doute la guerre au nom de sa bourgeoisie nationale. Mais l'enjeu de cette guerre, c'est le renchérissement des prix, et donc l'abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière.

La dette publique

Malgré les moyens financiers importants dont disposent les États modernes, l'aggravation de la crise les met tous devant des difficultés de plus en plus difficiles à surmonter.

L'accroissement des dépenses pour aider l'économie capitaliste s'ajoute aux dépenses sociales héritées des temps prospères de l'économie capitaliste.

Les budgets nationaux drainent une part sans cesse croissante du produit national, pour être utilisés ou redistribués par l'État.

Le budget prévu pour l'an prochain en France, a fait un bond spectaculaire de 27,5 %. La droite incrimine, non sans raison, les dépenses pour financer les nationalisations, en dénonçant d'un ton vindicatif la politique « socialiste » du gouvernement. Ce dernier n'a fait pourtant que redistribuer à un secteur de l'économie capitaliste, les « nationalisables », l'argent public.

Mais, même sous l'administration du gouvernement Helmut Schmidt qui généralement trouve grâce aux yeux des giscardiens, les dépenses publiques de l'Allemagne s'accroissaient au cours des dix dernières années près de deux fois plus que le produit national.

Ces dépenses étatiques croissantes ont pour contrepartie des besoins de financement tout aussi croissants. Or la fiscalité a ses limites. Il en résulte un endettement croissant des États, même des plus riches. L'exemple de l'État allemand, qui n'est certes pas des plus démunis, est caractéristique à cet égard. Le montant de la dette publique de la République Fédérale a presque doublé depuis 1973, et elle représenterait aujourd'hui plus d'un tiers du produit national brut. D'après le journal L'Expansion, la part de la dette publique dans le revenu national est sans précédent depuis l'entre-deux-guerres, et se rapproche des niveaux atteints après l'effondrement monétaire de la République de Weimar.

En d'autres termes, les États vivent largement au-dessus de leurs moyens, en s'endettant toujours plus comme les plus dépensiers des particuliers.

Comme pour les particuliers, tout cela n'est pas nécessairement grave, si les recettes à venir sont croissantes ou du moins assurées. Pas grave donc, si la stagnation économique d'aujourd'hui est relayée par la reprise. Mais sinon ?

Sinon, les États s'acheminent vers la banqueroute. En d'autres contextes, ce serait déjà fait depuis longtemps pour ce qui est des États d'un grand nombre de pays sous-développés. Mais des déclarations de faillite en chaîne de ces États, pour incapacité de paiement, seraient trop lourdes de danger pour l'ensemble du système bancaire mondial.

En quête de placement intéressant - et d'ailleurs non productif - pour leurs capitaux, les banques occidentales ont placé auprès des États des pays sous-développés (comme d'ailleurs auprès des États des pays de l'Est) des prêts importants. En moins de dix ans, le montant de ces prêts a été multiplié par huit.

Endettés jusqu'au cou, les États des pays sous-développés le sont, pour la moitié de leurs dettes, auprès des consortiums bancaires privés.

Acculés à la faillite, ces États risqueraient d'entraîner tout le système bancaire dans leur chute. Là aussi, la période d'expansion antérieure de l'économie capitaliste a tissé des liens d'interdépendance internationaux inextricables.

D'où cette espèce de solidarité des brigands à l'échelle internationale, mêlant dans une complicité commune États et système bancaire.

Mais même des États ne peuvent pas vivre éternellement au-dessus de leurs moyens. Et quelle que soit l'option choisie - si tant est qu'elle puisse être choisie - dans la mesure où toutes les options oscillent entre l'austérité budgétaire, c'est-à-dire la liquidation progressive ou brutale des dépenses sociales et la fuite en avant vers la banqueroute, de toute façon, elle se retournerait contre les classes laborieuses.

Les coupes sombres de l'administration Reagan dans les dépenses sociales et les dépenses des services publics, donnent un petit avant-goût de ce que austérité budgétaire veut dire pour les gouvernements capitalistes. Mais si la crise s'aggrave, on peut avoir des deux : austérité budgétaire au détriment des pauvres d'abord, et banqueroute de l'État quand même ensuite.

L'ébranlement des garde-fous économiques et sociaux

Les puissances impérialistes ont connu, pendant une bonne quinzaine d'années, une période prospère. Prospère, cette période ne l'avait été que pour les puissances impérialistes car, à quelques exceptions près, la partie sous-développée de la planète continuait à végéter dans la misère. Malgré la fin de la domination coloniale proprement dite, les métropoles impérialistes continuaient à drainer vers elles les richesses pillées dans les quatre coins du monde, et le fruit de l'exploitation de leurs populations.

Sur la base de cette richesse à laquelle contribuaient les masses travailleuses du monde entier, les industries se développaient, se modernisaient dans les pays impérialistes, un petit peu dans les pays moins développés. Reflétant une division très poussée du travail, le commerce mondial a atteint une intensité jamais connue dans le passé. Il y avait des retombées pour toutes les classes sociales des métropoles impérialistes, y compris pour la classe ouvrière. Le niveau de vie individuel a globalement augmenté, bien qu'en des proportions bien moindres que les panégyristes du capitalisme voudraient le faire croire. Et surtout, s'est mis en place, dans tous les pays développés, sous des formes diverses - étatique, para-étatique, mutualiste ou syndical - un système de protection sociale collective, contre la maladie, contre la vieillesse, contre le chômage, etc. Système qui servait en même temps de garde-fou social.

Par ailleurs, les États eux-mêmes ont appris - et surtout, en avaient les moyens ! - à jouer le rôle de garde-fous économiques, intervenant de façon permanente, agissant en symbiose avec les trusts les plus puissants et les banques, sans doute, mais intervenant à l'occasion aussi auprès d'autres secteurs de la bourgeoisie, plus éloignés des centres de décision, pour tempérer les crises sectorielles, pour aider les capitaux et les hommes à se recaser ailleurs.

Et, derrière les États impérialistes de seconde zone, ou plutôt au-dessus d'eux, il y avait l'impérialisme américain, gendarme politique de l'impérialisme, mais aussi gendarme économique, ayant les moyens d'intervenir pour éviter que les difficultés temporaires de telle puissance impérialiste moins forte, ou de telle autre, se transforment en difficultés permanentes pour tous.

C'est également pendant cette période d'essor, et liées à elle, que se sont mises en place une série d'institutions collectives du monde impérialiste - Marché Commun, OCDE, etc. - destinées non pas à supprimer la compétition plus ou moins féroce entre nations capitalistes, entre trusts, mais à institutionnaliser une certaine forme d'arbitrage, afin de maintenir le bon déroulement du commerce international qui semblait si bien réussir à tous.

Toutes ces structures, tous ces garde-fous, sociaux, économiques, monétaires ou politiques, hérités d'une époque passée, ont jusqu'à présent survécu tant bien que mal. Ils n'ont pas empêché la crise, ils n'ont pas empêché les conséquences décrites ci-dessus découlant de cette crise, de se manifester. Mais ils ont contribué à les freiner, à les atténuer.

Seulement, toutes ces structures et tous ces garde-fous ont été liés à la prospérité économique relative. Ils n'ont pas été créés pour les temps de crise. Bien que la crise n'ait pas connu jusqu'à présent de phase vraiment brutale, les institutions de coopération entre puissances capitalistes craquent de toutes parts - et pas seulement le système monétaire - comme craquent les garde fous économiques et sociaux internes aux États.

Si la reprise s'annonçait pour de bon, ils survivraient peut-être. Mais si la crise se poursuit - simplement, se poursuit - tôt ou tard les plombs sauteraient. Et c'est là où il y a le risque que, débarrassée de ces freins, la crise s'accélère, que l'aggravation, quantitativement faible mais permanente depuis si longtemps, se transforme en une crise qualitativement différente.

Et que la compétition capitaliste, déjà devenue guerre commerciale où cependant on respecte encore quelques règles, se transforme en guerre économique totale où les vaincus n'auraient aucune solidarité à attendre du côté de leurs vainqueurs.

Les crises de l'économie capitaliste ne découlent pas d'un modèle intemporel et donc ne se ressemblent pas ; la crise de 1929 et des années qui suivent, montre cependant que si la crise se prolonge, le pire n'est pas derrière mais devant.

Il serait oiseux de deviner quel sera le maillon le plus faible par lequel le système pourrait craquer. Les échelles de puissance en période d'essor économique ne sont pas nécessairement les mêmes qu'en période d'effondrement. De par sa puissance économique, autant que de par sa population, de par son marché intérieur, de par ses immenses ressources intérieures qui, pratiquement, les rendent indépendants du marché international alors pourtant qu'ils le dominent, les États-Unis semblent au-dessus du lot. Mais la crise, pourtant limitée encore, a déjà fait son deuil au miracle allemand. Et si on crie encore au miracle japonais, parce que les capitalistes de ce pays parviennent encore non seulement à résister, mais à marquer des points sur le marché international, y compris contre les groupes américains, y compris aux États-Unis, l'économie japonaise est aussi une économie totalement dépendante de l'extérieur. Des marchés extérieurs pour ses débouchés, comme des fournitures extérieures pour ses approvisionnements en matières premières. Comment pourrait-elle résister à une montée générale du protectionnisme ? L'impérialisme japonais a déjà été contraint, dans le passé, à s'ouvrir des marchés et à conquérir des sources d'approvisionnement par la force des armes.

Parce que, justement, il n'y a pas que le marché pour vendre, il y a aussi les sources d'approvisionnement, en matières premières, en énergie, etc. La compétition devient, sur ce terrain aussi, de plus en plus dure. L'impérialisme américain qui a des ressources chez lui, contrôle en même temps l'essentiel des approvisionnements du pétrole. Pour les anciennes puissances coloniales, leurs liens avec leurs anciennes colonies peuvent redevenir primordiaux. L'Allemagne qui n'avait jamais réussi à se constituer un empire, fait ce qu'elle peut : apparemment, malgré les injonctions politiques de son allié américain, elle essaie de s'assurer du côté de l'URSS et du bloc de l'Est. (Voir ses contrats d'approvisionnement à long terme passés avec ces pays.).

Le gouvernement de gauche face a la crise

Alors, le gouvernement de la gauche dans tout cela ? Son « originalité » perd singulièrement de son éclat, si éclat il y a, par rapport à la trame qui domine la vie économique et politique du monde, la crise. C'est un gouvernement de la bourgeoisie, qui veut et doit défendre les intérêts de ses mandants dans un contexte international plus âpre. Cela laisse peu de place à la fantaisie. Bien sûr, il a procédé à des nationalisations. On peut considérer que c'est une option politique quelque peu différente de celle que, officiellement, professait son prédécesseur. Mais c'est une nuance, une façon juridique quelque peu différente de procéder à l'indispensable mobilisation - indispensable du point de vue des intérêts de la bourgeoisie, bien sûr - de toutes les ressources, de toute la population, pour faire gagner des points aux multinationaux français sur le marché mondial. C'est encore une façon juridiquement différente de procéder à la redistribution des ressources du pays vers certains groupes capitalistes les plus puissants, les plus proches de l'État. Pas seulement parce que ces nationalisations ont été faites avec rachat, et donc parce que l'opération, derrière la phraséologie « socialiste » consistait vulgairement à prendre dans la poche des contribuables l'argent frais donné aux nationalisables. Mais aussi et surtout parce que ces nouveaux secteurs nationalisés, par la politique économique qu'ils pourront mener, par les commandes qu'ils peuvent passer à d'autres secteurs, privés ceux-là, permettront seulement de drainer une quantité plus grande de ressources. A charge pour l'État de répartir en fonction des intérêts des groupes capitalistes privés.

L'ingérence gouvernementale accrue sur les bases du système capitaliste, ne peut qu'aider à faire payer les faux frais de la décadence économique par les classes populaires.

Bien sûr aussi, le gouvernement socialiste n'a pas l'intention de mener une politique aussi provocatrice vis-à-vis des couches pauvres de la population, qu'en mène par exemple Reagan aux États-Unis. Il pourrait prendre des mesures d'assistance sociale, s'occuper des chômeurs si les caisses paritaires sont acculées à la faillite, etc. Possible. Mais, outre que c'est de la charité, et nullement évidemment une politique en faveur des travailleurs, la crise, et la chute des ressources de l'État, ne laisseront pas nécessairement au gouvernement socialiste le loisir de s'occuper beaucoup de ses bonnes oeuvres.

C'est évidemment la crise qui impose à l'État un rôle économique accru. C'est encore la crise qui impose une autre répartition des ressources du pays, comme de ses richesses ; c'est la crise qui impose le contrôle accru du commerce extérieur, des importations, des exportations, des changes. C'est la crise et la diminution globale des ressources de la société qui imposent une politique d'austérité globale.

Mais la société n'est justement pas une entité globale. Et le fait que toutes les mesures essentielles prises pour protéger l'économie nationale se retournent contre la classe ouvrière, sous l'égide des gouvernements dits de gauche, comme sous l'égide des autres, cela n'est pas une conséquence automatique de la crise. C'est la conséquence d'une politique de classe, d'une politique en faveur de la bourgeoisie.

Le sauvetage des intérêts économiques de sa bourgeoisie nationale peut être abordé avec des options politiques différentes. Les différences politiques entre la gauche et la droite se limitent à de telles divergences, dans le cadre d'une même volonté de sauver les intérêts de la bourgeoisie. Mais, avec l'aggravation de la crise, même l'éventail de ces options se réduit inévitablement. Ne reste, en fin de compte, qu'une seule : s'en prendre vigoureusement, brutalement, au pouvoir d'achat des classes populaires, par la tromperie, tant que c'est possible, par la seule violence de la pression de la crise et du chômage, tant que cela suffit, et par la violence brutale, ouverte, lorsque le reste ne suffit pas.

Alors, subir la politique de la bourgeoisie qui signifiera, en cas d'aggravation de la crise, un retour en arrière considérable de la condition ouvrière ? Ou mener la politique de la classe ouvrière, impliquant de tous autres choix économiques, une toute autre répartition des ressources productives du pays ? En d'autres termes, aborder la crise et les inévitables problèmes qu'elle pose dans l'optique de préserver les profits des groupes capitalistes, ou dans l'optique de satisfaire les besoins essentiels de la population ?

Voilà le seul choix véritable auquel la société est confrontée.

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